Les NR et JMLP, un rendez-vous manqué

25394949 10212542043604189 5383359323868145150 o

Si, dans ses mémoires, Jean-Marie Le Pen évoquant les années 1960 cite les figures de la droite radicale que sont Pierre Sidos de Dominique Venner, il ne fait aucune référence à l’activisme nationaliste révolutionnaire de Jeune Europe ou de la revue La Nation européenne. À l’inverse, il n’y a pas de trace de JMLP dans les écrits de l’époque de Jean Thiriart ou dans les colonnes de sa presse.

Il faudra attendre la création du Front National pour que soient documentés des contacts entre Jean-Marie Le Pen et le courant NR, via François Duprat, son principal représentant de l’époque.

La situation est alors complexe. En décembre 1969 est créé le mouvement Ordre nouveau. Rapidement, pour sortir du ghetto des groupuscules, il met en place une stratégie, en grande partie inspirée des méthodes communiste, consistant à tenter d’exister comme une structure idéologiquement radicale tout en ralliant autour de lui les nationaux modérés – considérés par lui somme des « idiots utiles » – via une structure unitaire et électorale. Les historiens attribuent cette stratégie à l’intelligence politique de François Duprat. S’ils estiment, à raison, que celui-ci entend créer en France un grand parti de droite nationale à l’image du Mouvement social italien, ils passent totalement sous silence, vraisemblablement par ignorance, que son modèle d’action lui vient de la gauche et non pas de la droite.

Quoiqu’il en soit, le Front national est créé à l’automne 1972 et Jean-Marie Le Pen en devient le président. Assez rapidement, tant ce dernier que Duprat vont se trouver en butte au projets personnels d’Alain Robert, le secrétaire-général d’Ordre nouveau. Exclu d’ON et du FN en février 1973, Duprat est contacté par JM Le Pen dès sa rupture avec Robert et intégré à la direction du Front où il va jouer un rôle essentiel, en devenant, selon Nicolas Lebourg, « le numéro 1 bis ».

Duprat reprend à son compte la stratégie qu’il avait développée pour Ordre nouveau : il veut autour de lui un noyau dur NR – ce sera le Groupe nationaliste révolutionnaire – doté d’une presse abondante et constitué en fraction au sein d’un Front national modéré. L’apport en militants et candidats est tel que JM Le Pen ne peut guère faire la fine bouche, il déclare, en 1974, lors du deuxième congrès du FN : « Le Front national lance un appel fervent à tous les nationalistes-révolutionnaires pour qu’ils mènent avec lui le combat. (…) La place des nationalistes-révolutionnaires est au sein du Front national (qui autorise la double appartenance et respecte les choix idéologiques de ses adhérents) » et c’est un NR, Alain Renault, qui devient le secrétaire-général du Front.

Mais, le 18 mars 1978, François Duprat est assassiné. C’est la fin de la première séquence des rapports des NR avec JMLP.

Dès le lendemain de son décès, alors qu’ils auraient dû continuer son travail et sa stratégie, les partisans de Duprat au sein du FN en reviennent au témoignage et aux groupuscules, les uns à la Fédération d’action nationale européenne, les autres au Mouvement nationaliste-révolutionnaire créé en 1979 par Jean-Gilles Malliarakis. Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, Alain Renault est mis de côté et remplacé par Jean-Pierre Stirbois et celui-ci mène une épuration des NR les plus radicaux en qui il voit de « dangereux gauchistes ». Ensuite, il faut admettre que la plupart des membres des GNR suivaient Duprat, parfois sans le lire, et, la plupart du temps, sans le comprendre ! Ses réflexions stratégiques ne les inspiraient guère et ils n’étaient mus que par le romantisme de l’action pour l’action et du radicalisme le plus ultra qui soit.

Duprat rêvait à un parti conçu sur le modèle du MSI, c’est-à-dire acceptant les fractions organisées et pratiquant une démocratie interne réelle. Il est fort possible que s’il avait vécu, il aurait réussi, avec l’aide d’un certain nombre d’autres cadres, à imposer cela. Les choses n’en auraient pas forcément été bouleversé, Le Pen serait sans doute devenu ce qu’il fut, mais tout le fonctionnement du parti aurait été différent et beaucoup des travers que l’on peut lui reprocher, dus au fait que la tête décide de tout en toute circonstance, auraient disparus. Le FN aurait maintenant un fonctionnement interne assez semblable à ceux des partis de gauche et ce serait tant mieux.

Il est vraisemblable que Duprat serait resté au FN fort longtemps et à un poste de responsabilité, quitte à pratiquer une taqîya de bon aloi, mais une chose est certaine : il ne rêvait (ni n’imaginait) un FN tel qu’il est devenu. Son espoir, en 1978, était plutôt de réussir à développer quelque chose qui aurait ressemblé plus ou moins à l’Aube dorée grecque, c’est-à-dire une grande radicalité idéologique rencontrant une volonté populaire dans les urnes sans se renier.

La deuxième séquence des rapports des NR avec JMLP, sera beaucoup plus courte et se produira douze ans plus tard, en 1990.

Le Front national est alors devenu un parti de taille conséquente. Les NR, sous le nom de Troisième voie, constituent sur ses marges un mouvement puissant dont la direction se pose des questions sur le sens de son combat : faut-il rester un groupuscule et continuer à labourer la mer ou passer à autre chose ? Le chef charismatique de l’organisation, Jean-Gilles Malliarakis, avance, en juin 1990, l’idée de rejoindre en groupe constitué le FN. En septembre 1990, lors de la réunion de son bureau politique, TV acte à l’unanimité le fait que soient entamées des négociations avec JMLP. Il est cependant précisé, dans celles-ci, il doit être réclamé pour les NR une situation de semi-fraction, à l’exemple de Chrétienté-solidarité, et une représentation au comité central.

Or choses vont déraper très vite. Alors qu’il est mandaté par le BP comme négociateur, Malliarakis ne discute absolument pas tout cela, le sachant peut être irréalisable, et ne semble être qu’intéressé par son ralliement personnel. Concrètement, pour lui, la situation c’est : j’adhère au FN de mon côté, que les cadres et militants se débrouillent du leur. D’où une réaction de plusieurs membres de la direction de TV : « Si nous ne constituons pas une fraction au sein du FN pourquoi diable s’y rallier ? »

De là nait une contestation au ralliement au FN. Précisons bien, parce que c’est très important, que ceux qui la mènent ne sont pas alors hostile dans l’absolu à une entrée au FN mais qu’ils veulent que s’en soit une de type trotskiste pas un ralliement désordonné et de ce fait inutile.

Après une bataille d’appareil, Troisième voie explose. Les trois quarts de ses membres participent à la fondation d’une nouvelle organisation du nom de Nouvelle Résistance. Du côté des partisans de JG Malliarakis, le ralliement au FN fait long feu et ne se concrétise pas.

Débute alors, un gauchissement très net du nationalisme révolutionnaire et une hostilité virulente de sa presse vis-à-vis du FN et de JMLP considérés comme la composante de droite d’un système que les NR vomissent. Je porte l’entière responsabilité de ces dérives et si je juge a posteriori leur composante idéologique juste quoiqu’outrée, j’ai maintenant honte des formes que tout cela prit et des termes qui furent employés.

La troisième séquence des rapports des NR avec JMLP se produit cinq ans plus tard. Le national-gauchisme de Nouvelle Résistance a été un suicide organisationnel : son nombre d’adhérent a fondu de 80%. Sa direction décide alors de donner un coup de barre à droite et une nouvelle ligne est définie, dont le texte programmatique la résumant est ironiquement titré : « Moins de gauchisme, plus de fascisme »

L’idée d’une fraction interne/externe au Front est de nouveau mise en avant et la stratégie de François Duprat réactivée.

Assez curieusement et preuve d’une grande magnanimité de sa part, Jean-Marie Le Pen ne s’oppose pas à la manœuvre et l’on voit peu après un dirigeant de Nouvelle Résistance très connu être intégré au comité central du FN alors qu’un autre est choisi, dès 1995, pour figurer en position éligible (et être élu) dans une importante commune de la région parisienne. Le 1er mai 1998, un grand tractage en marge du défilé permet de faire connaître largement à la base militante l’existence de la fraction qui a adopté le nom d’Unité radicale et aux BBR de la même année la nouvelle structure dispose d’un stand.

La scission de 1998, balaie tout le travail accompli et le ralliement des NR à Bruno Mégret et au Mouvement national républicain – au sein duquel il continueront leur travail de fraction – signe la fin d’un travail qui s’annonçait prometteur.

Il faut attendre plus de dix années pour qu’ait lieu un nouveau contact, bref mais sympathique, entre la mouvance NR et JMLP.

Entre temps, quelques ex-cadres NR ont rejoint le FN et y exercent des responsabilités, mais ils l’ont fait à titre individuel et ils n’y agissent pas en tant que nationalistes révolutionnaires. En parallèle une structure militante a été reconstituée : le Bastion Social. En 2019, une procédure de dissolution est engagée à son encontre, un comité de soutien est aussitôt constitué qui reçoit un appui de poids, celui de Jean-Marie Le Pen !

Si, dans la seconde partie des années 1970, François Duprat et Alain Renault jouèrent un rôle organisationnel de premier plan au sein du FN, aucun autre NR, connu ou non, n’a plus jamais occupé une place de cadre de premier plan dans ce parti. Le rôle qu’eurent les NR français au sein du mouvement national a été tout autre. Qu’ils soient ou non membre du FN, qu’ils s’opposent ou non à JMLP, ils ont servi de laboratoire idéologique et de passeurs d’idées et à ce titre influencé tant Le Menhir qu’un temps sa fille. C’est ce qu’a très bien vu Nicolas Lebourg, un universitaire hostile mais honnête, qui dans sa thèse Les nationalistes-révolutionnaires en mouvements (1962-2202) écrit (p. 704) : « Au sein même du système politique concurrentiel, les groupuscules trouvent leur importance en leur travail de ‟veilleur” et de fournisseur de concepts et d’éléments discursifs aux structures populistes qui ont, quant à elles, accès à l’espace médiatique » et d’expliquer que les nationalistes révolutionnaires ont fourni à la direction du Front national nombre de ses idées essentielles dont l’anti-américanisme et l’anti-immigration et, selon ses propres termes, « l’ont ainsi armé lexico-idéologiquement ». Une action de fond qui s’est continuée après la soutenance de la thèse de Lebourg – le FN devant aussi en grande partie son Ostorientierung qui, semble-t-il, n’est plus d’actualité, aux NR – et qui, je l’espère, n’est pas terminée.

Mais pour jouer ce rôle de laboratoire idéologique et de passeurs d’idées, encore fallait-il avoir une structure, une presse, des activistes, etc. C’est ce qui justifie les constructions groupusculaires NR de ces cinquante dernières années et c’est ce qui les justifie toujours.

C’est ce qui explique aussi les dissolutions successives des organisations NR car on ne dissout que ce qui gêne ou peut potentiellement gêner, pas ce qui est insignifiant et muséal.

Christian Bouchet.

Retour en haut