Que pense le « Menhir » des nationalistes-révolutionnaires ? Quelle idée se fait-il d’un mouvement, d’un socle d’idées aussi radical, lui l’ancien député poujadiste, camarade de route de Tixier-Vignancour et « national-populiste », comme les universitaires le désignent ?
Souvenons-nous que le Front National des origines n’a pas grand-chose à voir avec le Rassemblement National contemporain. En effet, on oublie souvent que jusqu’en 1999, date de la scission « mégrétiste », ce parti est un rassemblement de toutes les droites radicales. Ce sont des membres d’Ordre Nouveau, en l’occurrence François Brigneau et François Duprat, qui désirent imiter le MSI italien en créant une superstructure partisane réunissant les militants nationalistes dans une sorte de programme commun. Ce sont encore des membres d’Ordre Nouveau qui vont proposer à Jean-Marie le Pen de présider ce nouveau mouvement.
Dans le tome 2 de ses mémoires, Tribun du peuple, Jean-Marie le Pen mentionne à plusieurs reprises les militants nationalistes-révolutionnaires français. Il écrit : « Les plus jeunes avaient rejoint Occident. Après sa dissolution en 1968 ils s’étaient égaillés entre plusieurs groupuscules, dont le Front Uni de Soutien au Sud-Vietnam de Roger Holeindre (…) D’autres avaient préféré Ordre nouveau, fondé en 1969. Y brillaient William Abitbol, Jack Marchal, Alain Robert. La même année, François Duprat, jeune professeur d’histoire révisionniste, les avait rejoints. Ils se voulaient « nationalistes révolutionnaires ». Nul ne savait très bien ce que cela voulait dire. »
L’interrogation que constitue cette appellation nouvelle au sein de la famille « extrême-droitière » est compréhensible : François Duprat vient à peine de ressusciter cette appellation, d’origine germanique, et qui n’avait manifestement jamais été utilisé dans le sens moderne du terme en France avant Duprat lui-même.
Reprenant le témoignage d’un journaliste du Monde, Noël Bergougnoux, qui entendit citer dans une réunion NR « Primo de Rivera, Brasillach, Maurice Bardèche et les héros de l’OAS », Jean-Marie le Pen en conclut : « Il y avait donc une tendance néo-fasciste à ON. » Notons que Malliarakis, futur président du mouvement NR « Troisième Voie », n’est pas jugé comme NR par Jean-Marie le Pen, qui le classe sans plus de précisions comme quelqu’un « qui penche vers le solidarisme ».
Quoiqu’il en soit, être NR n’est pas tout à fait mélioratif sous sa plume, puisque ce mouvement est assimilé au fascisme :
« Le fascisme étant un rejeton du socialisme, cela en faisait à mes yeux une tendance gauchisante. » Et « gauchisante » serait-il positif ? Clairement pas. Il précise : « Le fascisme m’a toujours déplu par son côté socialiste ».
Il faut se souvenir qu’en 2019, année de la parution de ses mémoires, Jean-Marie le Pen avait quelques comptes à régler, notamment contre Florian Philippot, qu’il attaque beaucoup dans ses mémoires, entres autres parce qu’il a joué un rôle dans son expulsion du Front National. Qui plus est, Florian Philippot est considéré par lui comme un néo-chevènementiste, autrement dit un socialiste, pour Jean-Marie le Pen.
Il donne néanmoins raison aux nationalistes révolutionnaires pour justifier ses propres vues économiques : « Les jeunes nationalistes révolutionnaires de l’époque scandaient volontiers dans la rue : « Ni trusts, ni soviets », et ils avaient raison ».
Quid de l’importance des NR au sein du FN ?
Jean-Marie le Pen protesta contre les affirmations selon laquelle François Duprat, cadre frontiste en charge de la propagande électorale, ait pu être son numéro 2. Duprat, à qui il rendit chaque année hommage dans le cimetière où il fut enterré après son assassinat, et dont il a réédité certains textes plus de vingt ans après sa mort, n’a jamais eu de poids dans les grandes décisions du parti. Il écrit :
« On a dit n’importe quoi sur le rôle que tenait Duprat au Front National, on en a fait le numéro 2, presque le numéro 1, on lui attribue la paternité de la politique d’immigration. Tout cela est fantaisiste. C’était un électron libre, un garçon intéressant, quelqu’un avec qui je dînais volontiers, par exemple à la veille de sa mort, au restaurant des Ministères, mais il n’avait pas de place opérationnelle dans le mouvement. En revanche, il a contribué à notre réflexion doctrinale. Historien et politique il en avait fait la théorie, et c’est pourquoi il avait cofondé une revue d’histoire du fascisme. C’était sa manière de rechercher une troisième voie entre ceux qui avaient selon lui le monopole de la représentation de l’histoire, les « communistes » et les « régimistes ». »
S’il est impossible de ne pas mentionner la relation entre François Duprat et Jean-Marie le Pen, on ne peut oublier que si Jean-Marie le Pen n’a peut-être pas organisé lui-même le départ des NR du FN après l’assassinat de Duprat, notons que pour autant il n’a rien fait pour s’y opposer. Ainsi, Michel Collinot et Jean-Pierre Stirbois ont pu procéder à une purge interne au mouvement. Jean-Marie Le Pen, qui avait jadis invité les NR à rejoindre le FN parce qu’ils y avaient « toute leur place », et qu’il décrivait comme sa turbulente aile gauche, faisait ainsi perdre à l’idée du compromis nationaliste son âme originelle.
On ne peut oublier que c’était Duprat qui avait inventé le slogan « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop. » C’est notamment ce slogan qui permettra au Front National d’émerger électoralement quelques années plus tard.
Il ne faut pas non plus négliger le fait que c’est Jean-Marie Le Pen qui a payé les frais de l’enterrement de François Duprat. Quarante ans plus tard, il écrivit :
« Je dois avouer que je me sens plus proche aujourd’hui de Duprat que je ne l’étais à l’époque. L’histoire du Front National, notamment depuis le détail, m’a rapproché de soucis et d’analyses qui lui étaient propres. »
Vincent Téma, le 09/08/2023.