Livre : La monarchie et la classe ouvrière, de Georges Valois

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En nos temps résolument républicains, lors même que cet adjectif est tout aussi conceptuellement insaisissable que politiquement creux, la question de la restauration monarchique est, sinon taboue, du moins incongrue, sans doute anachronique, peut-être du plus haut comique. Ajoutons à celle-ci l’éminente, l’impérieuse, la brûlante question sociale et un abîme de scepticisme s’ouvre devant des yeux incrédules et des esprits cotonneux. Hormis quelques initiés, dont l’auteur de ces lignes, l’immense majorité de nos contemporains, cognitivement laminés par des années d’Éradication nationale, restent fermement et aveuglément convaincus que 1789 libéra notre pays du joug de l’obscurantisme de l’Ancien Régime et que tout ne fut, sitôt les ténèbres englouties dans les fosses d’aisances de l’Histoire, que lumière, calme et volupté. Quant à imaginer qu’une frange du prolétariat français pût être séduite par la dialectique du nationalisme intégral, voilà qui s’avère purement inconcevable.

C’est pourtant bien cette double perspective qui est au cœur de La monarchie et la classe ouvrière, recueil rassemblant un essai et une enquête – qui associera syndicalistes et anarchistes, tous contempteurs de la « République bourgeoise » –, premier acte de la période maurrassienne de Georges Valois, de son vrai nom Alfred-Georges Gressent, personnalité atypique, rallié, dès sa prime jeunesse, aux idées anarchistes, convaincu de l’innocence de Dreyfus, disciple du théoricien du syndicalisme révolutionnaire Georges Sorel, épousant le royalisme de l’Action française pour s’en écarter – faisant de lui un « dissident » du mouvement, selon l’expression de Paul Sérant, dans son ouvrage éponyme – pour passer ensuite à la postérité comme l’inventeur du fascisme à la française.

Fondateur du fameux Cercle Proudhon, en mars 1911, première tentative d’alliance des prolétaires monarchistes et des syndicalistes révolutionnaires à la sauce Georges Sorel-Édouard Berth, la foi de Valois dans la cause syndicalo-royaliste était d’autant plus ardente qu’il s’était donné la peine, dès 1907, de consigner ses vues dans La révolution sociale ou le roi. Suivra, sur le modèle de l’Enquête sur la monarchie de Maurras, une substantielle Enquête sur la monarchie et la classe ouvrière, réalisée de 1907 à 1909 et qui sera publiée en 1909 par la Nouvelle Librairie nationale, fondée par Valois lui-même.

Dans La révolution sociale ou le roi, Valois conjugue le « mouvement corporatif syndicaliste » sous auspices royales, tant « l’intérêt du roi et l’intérêt du peuple se confondent ». Partant, écrit Valois, l’intérêt du roi « est également que les travailleurs se défendent contre toute tentative d’exploitation patronale, par leur action directe, sans attendre l’intervention des pouvoirs publics, lents à se mouvoir et surtout mal renseignés ». Voilà de quoi en remontrer à tous les zélateurs d’un illusoire « dialogue social » qui se fait toujours attendre dans notre pays depuis qu’il y a deux cents ans, la loi Le Chapelier et le décret d’Allardes firent voler en éclats ce qui eût pu constituer une base de travail certaine du progrès social.

Bien que désuète à certains égards, La monarchie et la classe ouvrière demeure, nonobstant, une lecture digne d’intérêt, surtout à un moment où la gauche, mithridatisée par le mercantilisme des valeurs, se réfugie parfois mollement derrière une préoccupation sociale qui n’est plus que le paravent hypocrite de ses reniements les plus résolus. Quant à la droite, elle serait proprement incapable de comprendre un texte qui lui eût été pourtant bien plus familier si elle ne bêlait pas bêtement – par veulerie devant les Torquemada de la pensée unique – son apostasie des grands doctrinaires et autres inspirateurs de sa propre « famille » idéologique.

Aristide Leucate.

 

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