L’opposition nationale en Espagne lors des élections générales du 23 juillet 2023

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Le 23 juillet ont eu lieu les élections générales en Espagne. Elles ont été convoqués par surprise, puisque l’actuel président espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, l’a fait pour minimiser sa perte évidente de soutien aux urnes, clairement visible lors des élections municipales du 28 mai dernier, où le Parti Socialiste a perdu 5,5% des voix, tandis que son principal adversaire, le Parti populaire de centre-droite, a progressé de près de 40% et le principal parti populiste de droite, Vox, d’un vertigineux 143,8%. Les socialistes ont perdu de nombreuses villes importantes et ont donc décidé que les élections générales devraient avoir lieu le plus tôt possible afin de ne pas subir davantage d’usure.

Les données des élections régionales qui se sont tenues le même jour, le 28 mai, sont également importantes pour contextualiser les élections générales. Elles ont eu lieu dans 12 des 17 régions espagnoles, avec pour résultat que les socialistes ont perdu 6 des 9 régions qu’ils présidaient. Dans des conditions normales, sans cette retentissante défaite socialiste, les élections législatives auraient eu lieu en décembre 2023.

Compte tenu du contexte, on devinait que le parti d’opposition, le Parti populaire, allait gagner les élections et qu’il pourrait peut-être former un gouvernement avec le parti Vox, de nature populiste, bien que monarchiste, sioniste et atlantiste.

Mais le résultat a été très serré. Le Congrès des députés espagnols compte 350 sièges. Pour que le nouveau président soit élu, une majorité de 176 voix est nécessaire. Le PP a obtenu 137 députés (48 de plus) et le PSOE 121 (1 de plus), il n’y a donc eu ni une grande victoire ni une défaite. Il fallait trouver un accord et, à ce jour, il n’y a toujours pas de président élu en Espagne. Le candidat de centre-droite a 172 soutiens, mais c’est insuffisants s’il n’y a pas d’autres députés qui le soutiennent, ou qui, à défaut, s’abstiennent.

Dans toute cette affaire, le jeu de « l’opposition nationale » est très diversifié, tout comme ce courant est diversifié. Si l’on regarde le principal parti de « droite nationale », qui en Espagne est Vox malgré ses énormes différences avec celle-ci, à commencer par le fait qu’au Parlement européen il ne fait pas partie du groupe Identité et Démocratie, qui regroupe le Rassemblement National, le La Lega ou l’AfD, mais du Groupe des Conservateurs et Réformistes européens, aux côtés de Fratelli d’Italia, des Démocrates suédois ou du PiS polonais.

Le programme que ce groupe défend pour l’Europe peut être lu dans sa Déclaration de Prague :

  1. La libre entreprise, le libre-échange, le commerce équitable, la concurrence, la réduction de la réglementation, la baisse des impôts et un gouvernement limité comme catalyseurs ultimes de la liberté individuelle et de la prospérité nationale.
  2. Liberté individuelle, plus de responsabilité personnelle et plus de responsabilité et de contrôle démocratiques.
  3. Promotion de l’énergie verte, en mettant l’accent sur la sécurité énergétique.
  4. Reconnaissance de l’importance de la famille en tant qu’unité de base de la société.
  5. Défense de la souveraineté nationale des États membres contre le fédéralisme européen et respect renouvelé du principe de subsidiarité.
  6. Atlantisme et valorisation d’une relation transatlantique de coopération en matière de sécurité et de défense dans une OTAN rénovée, avec le soutien des jeunes démocraties européennes.
  7. Immigration contrôlée et contrôle des procédures d’asile pour mettre fin à la fraude.
  8. Engagement en faveur de services publics modernes et efficaces, gérés au niveau local et attentifs aux besoins des communautés rurales et urbaines.
  9. Mise fin à la bureaucratie et engagement à plus de transparence et de frugalité dans l’utilisation des institutions européennes.
  10. Respect et égalité de traitement pour tous les membres de l’UE, petits ou grands, nouveaux ou anciens.

Cela étant précisé, il faut dire que Vox (fondée en 2013) a eu d’abord une carrière assez marginale (57 000 voix aux élections générales de 2015) jusqu’en 2018, date à laquelle il a obtenu 12 députés au parlement andalou. Puis, aux élections législatives du 28 avril 2019, il a obtenu 24 députés (10,26 % des voix). Un mois plus tard, il a obtenu 10 députés dans la région de Valence. Au Parlement européen, la même année, il a remporté 4 députés. Puis, le 10 novembre de la même année, les élections générales ont eu lieu à nouveau, faute de pouvoir former un gouvernement. Son ascension fut alors  spectaculaire avec 52 députés et plus de 15 % des voix.

Vox a pu faire partie du gouvernement de 4 régions en tant que partenaire du PP. Lorsque les socialistes ont annoncé la nouvelle date des élections, sa direction était convaincue qu’elle pourraient également faire partie d’un gouvernement espagnol présidé par le PP. Peut-être qu’elle y croient encore en ce moment.

En juillet 2023, Vox a perdu 19 députés, en gardant 33 et 12% des voix. Deux facteurs expliquent cela : d’une part, l’abandon d’une partie de son électorat qui a préféré opter pour le « vote utile » en faveur du grand parti de droite, le PP. N’oublions pas que cela se produit toujours lorsqu’un groupe se limite à défendre la même chose qu’un autre, mais avec plus d’extrémisme. Un autre facteur à prendre en compte est la peur qui s’est propagée dans certains secteurs de la gauche, du féminisme, des lobbies LGBTI+, des séparatistes, etc., certaines mesures régionales de Vox pour faire taire ces lobbies, leur enlever le pouvoir, attaquer les identités régionales, supprimer certains services féministes, etc., ont été amplifiées  permettant d’affirmer que si la droite gagnait, Vox allait enlever leurs droits aux femmes et aux homosexuels, supprimer les cultures locales, etc.

La campagne a fonctionné et de nombreux électeurs qui seraient restés chez eux sont allés voter (bien qu’avec un pince-nez) pour les socialistes afin de « stopper le fascisme ».

La déception chez Vox a été dévastatrice. Au lendemain des élections, son leader, Santiago Abascal, a déclaré publiquement que son parti apporterait son soutien au candidat du PP à l’élection à la présidence, sans aucune condition.

Vox a présenté des candidats dans toutes les provinces espagnoles.

L’autre candidature de la soi-disant « opposition nationale » qui s’est présentée aux élections générales est la Falange Españolas de las JONS, sous la forme d’une union des deux principaux partis phalangistes : la FE de las JONS et La Falange.

Les phalangistes ont pu se présenter dans 11 provinces (Ávila, Castellón, Guadalajara, Madrid, Murcie, Palencia, Séville, Tolède, Valence, Valladolid et Saragosse), récoltant un peu plus de 5 000 voix, soit 0,02% du total. En 2016, ils avaient pu se présenter dans 16 provinces, mais en 2019  dans seulement 5, en raison de l’effet Vox, qui les a encore affectés malgré l’énorme différence idéologique avec ce parti. Comme l’a déclaré le porte-parole national, Jesús Heras : « S’il ne se présentait pas, beaucoup de gens voteraient pour nous. Il y a une certaine confusion car nous n’avons rien à voir avec Vox. Ce sont des ultracapitalistes, ils croient en la monarchie et nous ne l’aimons pas parce que c’est une institution anachronique. »

Les autres groupements de la mouvance patriotique espagnole ne se sont pas présentés à ces élections. Dans le système électoral espagnol, si un groupe politique souhaite présenter une candidature dans une province, il doit recueillir un nombre de soutien pouvant aller jusqu’à 1% de l’électorat de cette province ou celui d’un certain nombre de d’élus. Cela complique la présentation des candidatures étant donné les ressources limitées et le peu de soutien dont bénéficient ces candidatures marginales.

Cependant, parmi les partis qui ne se sont pas présentés (comme España 2000, Democracia Nacional ou Alianza Nacional), deux formations peuvent être soulignées. D’un côté, Hacer Nación, une scission plus ou moins directe d’España 2000 qui constitue un petit groupe de droite nationale plus anticapitaliste et antisioniste que Vox, dont l’ambition serait de rassembler les vrais patriotes en son sein. Sa stratégie actuelle se déclare municipaliste, se présentant uniquement dans les municipalités où il croit qu’il est possible d’obtenir de bons résultats. Aux élections municipales de 2023, Hacer Nación a réussi à se présenter dans 4 communes : Jaén (Andalousie), Barrax (Castille-La Manche), San Fernando de Henares et Velilla de San Antonio (Communauté de Madrid). Il n’a eu que 2 conseillers dans cette dernière commune. Comme les autres groupes mentionnés, il a choisi, lors des élections générales, de prôner l’abstention contre un régime (le régime de 1978) qu’il considère comme anti-espagnol et destructeur de l’identité et de toutes les valeurs traditionnelles.

Un point à part mérite d’être relevé, celui du petit groupe nationaliste-révolutionnaire  Movimiento Pueblo, héritier plus ou moins direct du disparu Movimiento Social Republicano. Il n’a pas hésité à demander de voter pour un autre parti qui s’est présenté dans toutes les provinces, un groupe de partisans staliniens et admirateurs d’Enver Hoxha, appelé le Frente Obrero. Cela a évidemment déclenché une réaction virulente de la part de tous les « ultras » à l’égard de ce groupe, malgré ce que le Movimiento Pueblo a déclaré dans la déclaration justifiant cette consigne de vote :

«Le régime de 78 appelle les Espagnols à des élections générales le 23 juillet. Quiconque doté du moindre esprit critique se rend compte que nous assistons à un nouvel exercice de gatopardisme, selon lequel « tout change, pour que tout reste pareil ».

Le Régime est conscient de l’usure du gouvernement psychopathe du wokisme progressiste. Pour éviter une nouvelle dégradation sociale et une crise de légitimité face à une opinion publique de plus en plus mécontente, le mieux est de reconstituer le cirque électoral, où les acteurs habituels pourront répartir les rôles du régime monarchique au service à nouveau de l’OTAN/UE.

Nous gardons à l’esprit et nous comprenons que les secteurs sociaux opposés au régime s’engagent à ne pas collaborer avec le cirque et à opter pour une abstention consciente. C’est sans aucun doute une option légitime. Mais nous sommes également conscients de la volonté de nombreux Espagnols d’afficher leur position au régime en choisissant d’apporter leur soutien à une option électorale véritablement « utile », une option basée sur des principes, sur la Patrie, sur la construction socialiste. ,…

Pour cette raison, et en surmontant les différences logiques entre les différentes options politiques, différences qui ne « jouent » pas dans le moment historique actuel, Pueblo appelle à voter pour les listes du Frente Obrero.

Nous savons qu’il est très difficile pour toute option d’opposition authentique au régime de 1978 d’obtenir des résultats significatifs. Mais ce ne sera pas dû à une position maximaliste de la part de Pueblo. Nos mains seront toujours prêtes à pousser pour la création d’un Front Uni Anti-Système et pour que les élections cessent d’être le cirque habituel des oligarchies et deviennent un outil de plus pour la transformation de l’Espagne.

Si vous ne vous abstenez pas, votez le 23 juillet pour récupérer l’Espagne : votez Frente Obrero. »

Cette position s’explique par le fait que le Frente Obrero, bien qu’il soit un groupe déclaré antifasciste et communiste, a une série de propositions et de positions qui l’opposent à l’ensemble de la gauche fuchsia et arc-en-ciel, comme son rejet de l’immigration de masse, sa défense de sa fierté patriotique, sa dénonciation du féminisme, son anti-américanisme, etc. Des postures que l’ancien monde soviétique aurait sûrement acceptées, mais qui, en Occident, amènent la gauche caviar à les décrire comme des « nazis déguisés ».

Finalement, Frente Obrero a obtenu un peu moins de 50 000 voix dans toute l’Espagne.

En conclusion, « l’opposition nationale » en Espagne traverse une période difficile, avec un parti comme Vox qui peut à peine être qualifié de dissident, en perte d’énergie et avec d’autres groupes qui restent dans la marginalité la plus absolue.

Pierre Martin

 

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