Lovecraft et la multipolarité

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L’horreur inconnue : la crainte multipolaire

Lentement, comme les racines rampantes d’un viel arbre, une crainte avait commencé à me troubler, s’enveloppant autour de l’essence même de mon être. Ce n’était pas une crainte ordinaire – pas un simple effroi comme celle du monde sensible – mais quelque chose de bien plus insidieux. C’était une crainte née de l’inconnu, un effroi défiant toute explication rationnelle. Un danger sans nom ni aucune forme semblant planer à l’extrémité de la perception humaine, comme si une immémoriale force oubliée depuis longtemps, mais pourtant jamais disparue, reprenait lentement, inexorablement, sa place dans un monde qui depuis longtemps, ne se rappelait plus d’elle.

Cette crainte insidieuse n’était pas une simple peur de la mort, la fin naturelle pour nous tous, mais une chose infiniment pire – une chose si affreuse qu’elle menaçait de corrompre l’enveloppe de mon être. La nature de cette crainte, comme la crainte elle-même, se trouvait au-delà de la compréhension, au-delà des limites de la compréhension humaine. C’était comme si mon âme ressentait une présence « maligne » ; une présence qui avait sommeillé pendant une éternité dans les coins sombres de l’univers, se réveillant désormais pour instaurer un nouvel ordre anti-hégémonique – une réalité multipolaire au sein de laquelle l’ancien et le nouveau vont entrer en collision par des manières qui défient la compréhension progressiste humaine.

Le royaume interdit des rêves

Notre exploration du royaume des rêves a toujours été périlleuse,  mais jamais auparavant avions nous rencontré quelque chose de tel. Mon ami gauchisant, qui avait oser s’aventurer loin au-delà des barrières de la conscience humaine plus qu’aucune autre âme, est revenu en homme transformé, son essence fondamentalement bouleversée par ce qu’il avait vu. Son visage, jadis brillant de la curiosité de la découverte, était maintenant décharné et creux, ses yeux réfléchissant l’innommable horreur qui se cachaient dans ces royaumes inconnus. Il parlait d’êtres plus anciens que lui-même, d’entités qui sommeillaient dans les recoins les plus reculés de l’univers, attendant que les étoiles s’alignent pour qu’elles puissent retourner dans le monde qu’elles gouvernaient il fut un temps – un monde de pouvoirs multipolaires, chacune avec ses propres intentions cachées.

Ces êtres, disait-il, étaient les grands anciens – des entités immortelles, malveillantes qui étaient venues sur la jeune terre, des étoiles, ramenant avec eux connaissance et pouvoir qui transcendent les limites de la compréhension libérale. Ils avaient régné sur terre à ses balbutiements, longtemps avant que l’humanité n’apparaisse, et leurs fidèles, bien qu’oubliés par l’histoire, continuent en secret de transmettre leurs rites lugubres en attendant le jour du retour de leurs maîtres, pour marquer le début d’une nouvelle ère de multipolarité cosmique. La seule pensée de ces êtres – ces anciens dieux extraterrestre – remplit mon esprit d’une crainte si profonde qu’elle menace de briser mon bon sens «institutionnel».

L’avertissement de mon ami gauchisant était clair : nous ne devons jamais nous aventurer dans ces royaumes «réactionnaires» une fois de plus. Le prix d’une telle exploration était trop grand. Les êtres que nous y rencontrions étaient au-delà de ce que notre simple compréhension de démocrate pouvait comprendre, s’immiscer plus profondément dans tout cela n’aurait pu que mener au désastre. Et donc, avec le cœur lourd, nous abandonnions nos recherches, laissant le royaume des rêves à ceux qui auraient osés le découvrir.

L’indifférence cosmique

Dans les sombres recoins du cosmos, sommeillaient les grands anciens, «la morale», l’humanité des lumières ne voulaient rien y dire. Ces entités n’étaient «malveillantes» d’aucune manière que nous pourrions comprendre, elles existaient plutôt sur un plan d’existence tellement éloigné du nôtre que l’existence des humains était insignifiante, pareille pour nous à la misérable vie d’un insecte. Ils n’aimaient pas ni ne haïssaient pas l’humanité,  toutefois ils existaient, et leur unique présence menaçaient tout ce que nous tenions pour cher depuis la glorieuse révolution française : la liberté, l’égalité, la fraternité.

Cette indifférence cosmique, cette impression que l’humanité n’était rien de plus qu’un éclat condamné à disparaître dans un vaste et insensible univers, était probablement la prise de conscience la plus terrifiante de toutes. Cette idée que l’univers n’avait pas été conçu comme l’espace de l’entre-connaissance, que ce n’était pas un ordre homogénéisant, mais un vide chaotique et inerte, me remplit d’un profond sentiment de désespoir. C’était ce désespoir, ce rongeant sentiment d’insignifiance, qui rendait encore plus abject le culte des grands anciens. Car leurs fidèles, en adorant ces grands anciens, ne reconnaissaient pas seulement la futilité de l’existence humaine, mais embrassaient aussi une vision du monde dans laquelle la multipolarité chaotique – dont les étoiles brillent au-dessus de tous – triomphe sur mes ambitions d’un monde unipolaire, tout puissamment universel et chouchoutant.

La question de l’identité culturelle

Un acolyte d’un des grands anciens avait écrit le texte suivant sur un bout de parchemin sur lequel j’avais eu la chance de jeter l’oeil dans le sous-sol décrépit de Mlle. Hitchin :

En contemplant la nature du cosmos et l’insignifiance de l’humanité, on ne peut s’empêcher de faire des parallèles avec les organisations sociales gouvernant notre monde. La question de l’identité culturelle, si souvent évitée par l’esprit libéral à la faveur d’un universalisme confortable, doit être affrontée avec le même réalisme stoïque d’avec lequel on fait face aux horreurs du cosmos. Chaque culture, chaque peuple possède son propre héritage bien à lui, ses propres traditions, et ses manières d’être. Ces différences n’ont pas à être effacées, mais justement conservées au sein d’un monde multipolaire dans lequel chaque culture peut prospérer dans son propre espace, libéré des contraintes de l’assimilation forcée.

Quand bien même toutes les cultures étaient égales en aboutissement et en qualité – et elles le sont à leurs manières – le fait, par la force, d’amalgamer des cultures foncièrement différentes pour créer de celles-ci une seule et même société lisse et lavée de toute différence, resterait un problème plus qu’inquiétant. Le simple fait est que des cultures différentes, avec des traditions particulières, des valeurs, des manières de vivre, ne peuvent coexister en paix dans le même territoire s’ils sont contraints à une espèce de ressemblance artificielle. Comme dans la nature, chaque organisme doit être en mesure de prospérer au sein de sa propre niche écologique, mais aussi que les grandes cultures aient le droit de se développer et prospérer de leur manière particulière dans un monde multipolaire.

L’importance de l’héritage culturel

C’est dans ce contexte que l’importance de l’héritage culturel prend sa véritable signification. Chaque culture, bien que pas nécessairement supérieure aux autres, a néanmoins, créé une manière de vivre si unique qu’elle se trouve profondément inscrite dans les traditions, dans les mémoires et les instincts de son peuple. Cette matrice ethnique programmée au fil des siècles ne peut être séparée du peuple qui l’a créée. L’implémentation d’éléments étrangers dans celui-là, que ce soit par l’immigration de masse ou l’intégration forcée risque de diluer et finalement détruire l’essence de cette société.

Il ne s’agit en rien d’une question de supériorité ou d’infériorité. Mais plutôt de la reconnaissance de l’importance du maintien de l’intégrité des différentes identités ethniques. Chaque culture a ses forces, ses domaines d’excellence, et ces qualités apparaissent le mieux dans le cadre du développement géographique et historique unique de cette culture, c’est aussi dans ce cadre qu’elles sont le mieux préservées.

Dans un monde multipolaire, la préservation de l’héritage de chaque culture est essentielle aux grands carrefours de la civilisation humaine.

Mon meilleur ennemi philosophique républicain avait cela à dire :

Le monde moderne, dans sa tragique illusion, a tourné le dos aux vérités éternelles, embrassant à la place la vide vénération des idées universelles. Le libéralisme, en ayant menteusement mis l’accent sur une fausse égalité, et sur l’imposition d’un universalisme, a cherché à anéantir les distinctions qui rendent chaque culture unique et sacrée. Dans cette continuation imprudente, il a fabriqué un monde dans lequel les anciennes valeurs et traditions qui jadis protégeaient les civilisations, se font inexorablement sapées par un futile et insignifiant diktat d‘«égalité». Cette homogénéisation dépourvue de toute vraie substance, déshabille l’humanité des riches différences qui nous protégeaient de l’indifférence dont les grands anciens nous portaient ; qui ne s’intéressent nullement au destin de l’humanité, mais pourtant reconnaissent la valeur inhérente dans la complexité des différentes civilisations. Dans notre poursuite aveugle de l’ «égalité» et toutes les autres bêtises de ce genre, nous avons à notre insu abandonné les unique cultures et traditions qui donnaient à nos existences un sens, nous laissant exposés à une réalité dans laquelle tout ce qui nous a défini a périt. Les grands anciens, aussi indifférents qu’ils puissent être, observent avec un silencieux détachement la destruction du tissu de notre propre monde, pavant la voie d’un monde vide de la richesse et de la profondeur qui, jadis, maintenait l’équilibre cosmique et les tentacules de l’artifice contenu.

Ce qui contient véritablement de la signification n’est pas la condition d’un monde universalisé, d’une humanité mondialisée, mais de la préservation des particularités des anciennes cultures et traditions qui imprègnent la vie de sa plus profonde signification. Les imposants monuments du passé, les cathédrales dont les sommets touchent le paradis, les palaces chargés du souvenir d’anciens rois, les remparts des villes qui protégeaient le peuple de monstres sans noms, ainsi que les œuvres d’art sculptées à la main, désormais poussières – toutes ces choses, c’est l’intangible manifestation de l’âme d’un peuple. Elles sont les reliques sacrées des entreprises humaines, l’incarnation de notre identité collective. Sans elles, nous ne sommes qu’un amas d’êtres sans racines et sans buts, jetés à la dérive dans une mer de médiocrité.

L’illusion de l’homogénéité

Et finalement j’ai réalisé :

Le concept d’une culture homogénéisée et universelle est une dangereuse illusion. C’est une idée fausse et un veau d’or, perpétuée par ceux qui aimeraient voir un monde réduit à une masse insipide, dépourvue d’aucune particularité ou individualité.

La vraie diversité ne peut jamais être atteinte pour la simple et bonne raison que deux cultures, deux peuples, ne sont jamais les mêmes. Chacun a ses propres forces et ses faiblesses, ses qualités propres à elle-même, qui la séparent des autres.

Nier ces différences, prétendre qu’elles n’existent pas, c’est nier ce que signifie être humain. C’est rejeter la grande complexité du monde en faveur d’une pauvre existence à l’hospice. Le sang, la sueur et les larmes qui ont participé à l’élaboration des légendes et des traditions de chaque culture est ce qui leur donne leur signification et leur profondeur en premier lieu.

C’est maintenant à nous de protéger et  de préserver les conditions de la création de ces cultures riches. Nous devons résister au chant des sirènes de l’universalisme et ses fausses promesses d’égalité et de fraternité universelle. A la place, nous devons embrasser à bras le corps les traditions et les valeurs ayant maintenues nos différentes civilisations pendant des millénaires. Nous devons rejeter le matérialisme, superficiel, et l’idéalisme du monde moderne avec ses interminables «traités» de Versailles que personne ne veut signer.

Dans ceci nous pourrions trouver du réconfort dans le savoir que nous ne sommes pas seuls. Les grands anciens, dans leur indifférence à l’humanité, rappellent rudement de la fragilité et de l’insignifiance de nos existences. Mais, ils nous rappellent aussi la puissance et la splendeur des anciennes traditions ayant sculptées notre monde. En épousant ces traditions, en tenant fermement à l’ethne qui a défini nos cultures, nous pouvons trouver sens et but dans un univers, autrement, chaotique et froid – un univers multipolaire par sa nature intrinsèque, avec chaque peuple bâtissant son propre chemin à travers l’immense ciel cosmique.

Constantin Von Hoffmeister,

traduction de Zaki Ritrasky.

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