Mai 68 et après. Souvenirs d’un délinquant idéologique

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Article publié dans le n°5 de Résistance (1998)

« Célèbre-t-on une maladie ? Invite-t-on familles et amis à se réunir pour fêter les trente ans d’une méningite ? »

Il n’y aurait pas eu Mai 68, je ne sais si je me serais engagé politiquement.

L’extrémisme de droite, je suis tombé dedans en naissant. Les « amis de collège » – comprendre ceux qui avaient partagés à la « libération » leurs geôles avec mes grands parents, ma mère, ma tante, mes oncles – étaient quasiment les seules personnes que ma famille fréquentait dans ma prime jeunesse. J’ai été élevé dans l’anti-résistancialisme et l’anti-gaullisme le plus frénétique, dans les récits de procès, de jugements sommaires, de tortures, de pillages et d’iniquités.

Lors de l’affaire d’Algérie, je n’avais que 7/8 ans, et pourtant j’ai un souvenir très vif du jour de l’exécution de Bastien-Thiry, des nuits bleues de l’OAS, du soutien sans faille de ma famille à la cause de l’Algérie Française, du jour de l’assassinat d’un de mes oncles par un commando du FLN, etc.

Mais tout cela n’aurait peut être pas abouti à un engagement militant si Mai 68, n’était pas passé par là. J’avais 13 ans, j’habitais à Angers dans une rue où se situait aussi le siège du Parti communiste, de ce fait toutes les manifestations passaient sous nos fenêtres. Dans cette petite ville bourgeoise les événements se réduisirent à bien peu de chose. Mais ma famille vit revenir « les heures les plus sombres de son histoire » et fut prise d’une sainte inquiétude. Enfant, je méprisais les manifestants et je tâchais de leur montrer à ma manière. Un jour (ce devait être le 30 mai et se passer en même temps que la manifestation gaulliste des Champs Élysées) quelques jeunes, il ne devaient pas être plus d’une trentaine, contre-manifestèrent dans ma rue devant le siège du PCF. Avec ma mère je leur adressais de notre fenêtre applaudissements et encouragements alors que mon père inquiet de possibles représailles nous priait avec force de cesser. A la même époque je découvris par la presse Occident, une organisation qui ne fut jamais représentée à Angers mais qui me fascinait et me faisait vibrer.

A la rentrée suivante je constituais dans mon collège, avec deux amis, un petit noyau contre-révolutionnaire et éminemment réactionnaire (notre seule action militante  fut de rédiger une affichette contre « La démo-ploutocratie » !), puis ayant rencontré par hasard des militants de la Restauration Nationale  je rejoignis celle-ci. Le choix n’était guère judicieux, mais à cette époque l’opposition radicale à la chienlit se réduisait à Angers à deux étudiants royalistes, à moi-même et à quelques personnes âgées inactives. C’était il y a vingt neuf ans, depuis mon militantisme n’a jamais cessé.

Il y a eu Mai 68 et il y a eu l’après-Mai, une période qui a durée près de dix ans (Hamon et Rotman dans Génération la font se terminer en 1975) et qui fut marquée par une forte pression de l’extrême-gauche particulièrement sensible dans les institutions d’enseignement. J’en ai un souvenir de très grande solitude. Je vivais alors à Nantes et ne pas aller « dans le sens de l’histoire » était particulièrement désespérant. Cela revenait à s’aliéner dans les lycées, même privés, la majorité des enseignants et une part non négligeable de ses condisciples, et ne parlons pas de la situation en faculté … En droit, sur toutes les années, nous n’étions que deux « fafs » ou considérés comme tels … et les « modérés » (militants de l’UNI ou du CELF, d’ailleurs peu nombreux) nous rejetaient pour ne pas être assimilés avec les « fascistes ». M’étant fait remarqué en refusant de faire grève, et en m’habillant correctement (avoir les cheveux courts, porter une cravate et un blazer était alors pour moi une manière de m’opposer à l’esprit du temps qui se caractérisait, entre autre, par un extrême laisser aller vestimentaire) je dus m’abstenir de me rendre au Restaurant Universitaire où il se trouvait toujours quelques gauchistes pour me bousculer, renverser mon plateau, etc. Cela dura trois ans …

De surcroît, mes choix idéologiques aggravèrent tout. En effet, après un court passage par la Nouvelle Action Française, je rejoignis sous l’influence d’Yves Bataille le courant nationaliste révolutionnaire marqué par la pensée de Jean Thiriart. Celui-ci était alors ultra-minoritaire au sein de l’extrême-droite (à l’Organisation Lutte du Peuple nous ne fûmes jamais plus de 30 adhérents à la fois sur toute la France!…) et y était très mal considéré. De plus, Philippe Baillet, de passage à Nantes, me fit découvrir Evola, cela me donna d’innombrables raisons de lutter mais aussi de m’aliéner le courant catholique de la droite radicale locale.

Nationalistes révolutionnaires nous n’étions sur Nantes qu’une poignée, malgré cela nous étions les plus engagés, les meilleurs militants, mais en même temps les plus réprouvés. L’extrême-gauche, la gauche, les modérés nous vouaient aux gémonies. L’extrême-droite elle, nous tenait à l’écart voire nous ostracisait. Notre soutien à l’Islam révolutionnaire et aux Palestiniens, notre spiritualisme évolien, notre anti-américanisme rabique, notre anti-sionisme qui ne l’était pas moins, notre ouvriérisme et  notre socialisme, tout déplaisait à un milieu politique ou l’on glorifiait Franco, Pétain et bientôt Pinochet et où le sionisme était regardé avec sympathie car anti-arabe. Même le groupe local du GRECE nous était hostile, au main d’une famille de la bonne bourgeoisie nantaise il pratiquait l’entrisme à l’UNI et au CNI, puis plus tard chez les giscardiens, et ne cachait pas son mépris, intellectuel et de classe, pour les militants de base que nous étions.

Il faudra attendre la seconde moitié des années 70 et le travail au niveau national de François Duprat avec ses GNR pour que nous sortions de notre ghetto.

Si je jette en arrière un regard dépassionné, tout me déplaît dans Mai 68 et dans son héritage. Et je n’arriverai jamais à comprendre ni la position de certains membres de la Fédération des Étudiants Nationalistes qui appelaient à soutenir le mouvement par haine du gaullisme, ni celle de Gabriel Matzneff qui écrivait à l’époque dans Combat (le 27 juin 1968) « Si les événements de mai ont ma sympathie c’est parce qu’ils sont, selon ce que je sens, moins la révolution de Marx que la révolution de Nietzsche : la redécouverte du sens de la fête, une explosion de joie dionysiaque » … La révolution de Nietzsche cette invasion du débraillé vestimentaire, du terrorisme intellectuel et du plus plat conformisme ? Non ! Mai 68 aura été une de ces périodes où les égouts débordent et où le monde moderne progresse. 30 ans après nous en vivons encore les conséquences et nous devons de surcroît subir les souvenirs d’anciens combattants d’une guerre, sans morts ni blessés graves, qui n’aura duré que quelques semaines, mais qui aura été le seul moment intense dans la vie médiocre et terne de milliers de petits bourgeois.

Christian Bouchet.

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