Paneurope et fascisme, entretien avec le comte Richard Nikolaus von Coudenhove-Kalergi

julius evola

Le comte Coudenhove-Kalergi se trouve actuellement à Rome, un homme que l’on connaît pour être le célèbre promoteur du mouvement paneuropéen, ainsi que l’auteur de diverses et remarquables œuvres de philosophie et de politique. Le comte Coudenhove s’est principalement rendu dans notre patrie pour prendre contact avec Mussolini et avoir une impression directe du rôle que l’Italie nouvelle peut jouer à l’égard du problème de l’unification de la réalité politique et spirituelle de notre continent. Étant en relation avec lui depuis quelques temps, nous avons eu la possibilité d’avoir d’intéressantes rencontres avec le chef du mouvement paneuropéen : et celui-ci a accueilli positivement le désir de Farinacci, que nous lui avons transmis, visant à exposer directement ses plus récents points de vue européens pour Il Regime Fascista.

Il existe trois grands problèmes politiques expliquant pourquoi l’Europe se trouve aujourd’hui en crise – nous dit le comte Coudenhove –, à savoir : le problème de la réforme constitutionnelle, le problème social et le problème européen au sens strict. De toutes les nations, l’Italie fasciste est celle qui a donné la plus grande contribution à la résolution des deux premiers points. Elle a laissé derrière elle le problème de la réforme constitutionnelle ; elle a apporté les éléments nécessaires pour la solution du second problème, qui est le problème social ; elle est destinée à affronter efficacement le troisième problème, qui est le plus élevé : le problème européen.

Dans quel sens – demandons-nous – pensez-vous que la solution fasciste, dans les domaines constitutionnel et social, puisse avoir la valeur d’une solution internationale, tout comme les solutions marxistes et bolchéviques prétendent l’être ?

La constitution fasciste peut non seulement avoir une valeur italienne et plus généralement une valeur européenne – répond Coudenhove –, dans le sens où elle exprime une sage conciliation du principe autoritaire et aristocratique avec ce qu’il peut y avoir de sain dans le principe démocratique. Cette constitution accorde de l’espace au droit et au commandement éclairé de personnalités supérieures, tout en offrant en même temps une base solide aux principes de la reconnaissance, de la libre adhésion et de la coopération, disciplinant toutes les forces au nom de l’idée supérieure de la nation. L’âme européenne, selon ma conception, est caractérisée par trois composantes fondamentales : l’héroïsme, la personnalité et la socialité. Puisque la solution fasciste contient ces trois composantes au cœur d’un sage équilibre, elle se présente à nous comme étant la plus à même d’assumer le caractère de l’universalité européenne.

Du point de vue social, la contribution du fascisme consiste essentiellement dans la nouvelle idée corporatiste, en tant que dépassement intégrateur de ce qu’il pouvait y avoir de positif dans le fameux mythe marxiste de la lutte des classes, continue le comte Coudenhove. Ainsi, sur la base d’une réforme corporatiste devant être réalisée au cœur des principaux États, je n’exclue pas l’idée d’une future chambre corporative européenne, visant à étudier totalitairement et sans contraintes les problèmes techniques les plus vitaux que l’économie générale de notre contient nous impose, ceci afin de parvenir aux mêmes résultats, en faveur desquels l’on invoque au contraire les utopies de l’Internationale rouge. Sur ce plan, il me paraît important de relever que parmi les torts du régime démocratique se trouve la manière dont il a permis au parlementarisme de déclasser la politique. Selon moi, et du point de vue d’un redressement, séparer l’élément économique de l’élément politique est une exigence indispensable, et cela a déjà été permis par la transformation fasciste du Parlement en Chambre corporative. Naturellement, l’objectif ne doit pas être une scission, mais le fait de restituer sa liberté à la politique, et ne pas l’attacher à l’économie (comme dans l’idéologie de la gauche), et permettre au contraire un sage contrôle rationalisateur provenant du haut et agissant sur l’économie lorsque des nécessités déterminées l’imposent.

En revenant sur l’idée d’une solidarité européenne, nous demandons au comte Coudenhove sur quel plan celui-ci pense qu’une telle collaboration se révèle nécessaire.

D’après trois unités principales : l’unité économique, l’unité de la politique extérieure, dans le sens d’une politique unitaire des nations européennes à l’égard des nations non-européennes, et enfin l’unité militaire. Un véritable redressement européen ne saurait faire abstraction de l’entente des principales puissances européennes en fonction de ces trois points. Il leur resterait ensuite une indépendance plus large au niveau de leurs initiatives respectives.

Nous savons que Coudenhove se voit souvent reprocher son pacifisme. Ainsi, nous abordons pleinement la question en lui demandant de quel pacifisme il parle – c’est-à-dire : s’il défend l’idéal générique et antiviril de la paix, en niant la signification supérieure et spirituelle que l’expérience et les épreuves d’une guerre peuvent offrir aux individus et aux races – ou bien s’il défend un pacifisme intereuropéen, uniquement destiné à unifier les diverses forces européennes, sans exclure que le bloc de puissance européen ainsi obtenu, fait d’unité et de concorde, puisse servir de nouveau, et une fois encore, un idéal impérial et suprématiste de nos races, s’opposant aux forces du reste du monde.

Coudenhove reconnaît sans difficulté que ses idées penchent, au fond, surtout dans la seconde direction. Il rappelle comment il eut souvent l’occasion d’invoquer la pacification interne européenne, parce qu’il est puéril de persister dans la paralysie réciproque des forces économiques et militaires des différents états européens – alors que face aux trois grandes puissances antieuropéennes, la Russie, l’Asie et l’Amérique, il faudrait et il serait salutaire de créer une unité défensive européenne, laquelle pourrait être également offensive.

En ce qui concerne le côté le plus immédiat et politique du problème de la solidarité européenne – ajoute Coudenhove –, il s’agit davantage de contrebalancer les diverses puissances, plutôt que de tendre à la constitution de blocs unilatéraux d’alliance. De ce point de vue, je considère qu’il est essentiel, pour l’idée paneuropéenne, de jeter les bases d’une entente franco-italienne, selon deux objectifs : avant tout parce que seule cette voie peut permettre de parvenir à un équilibre entre les deux plus grands éléments de la civilisation européenne, l’élément latin et l’élément allemand, un équilibre qui préviendrait toute résurgence de tendances hégémonistes provenant de l’un des deux éléments. En second lieu, face à une entente franco-italienne, les raisons de la Petite Entente diminueraient automatiquement, et l’on pourrait aisément résoudre le problème relatif aux petits États de l’Europe orientale : il s’agit à mes yeux d’une chose importante, car je considère précisément que c’est à partir de ces États que pourrait partir l’imminent incendie pouvant entraîner une nouvelle conflagration, laquelle compromettrait à coup sûr les destinées de toute notre civilisation.

Naturellement, le comte Coudenhove sait que nos idées personnelles seraient plutôt orientées vers une unification européenne, sur la base préliminaire d’un bloc italo-allemand qui adhérerait plus strictement à l’idéal de type impérial et fasciste. Sans dissimuler l’obstacle que constituerait, pour la réalisation de perspectives de ce type, le retour de l’Allemagne vers un racisme exclusiviste et, au fond matérialiste, nous demandons quand même au comte de quelle façon celui-ci considère la question franco-allemande.

Cette question correspond effectivement à l’obstacle fondamental pour la réalisation d’une idée paneuropéenne – répond Coudenhove – et je considère qu’afin de la résoudre, la meilleure manière consiste à y parvenir indirectement. Je veux dire : par le truchement de la politique internationale, d’un équilibre et d’une compensation des forces européennes, dont j’ai parlé précédemment, et qui a surtout une signification tactique et préventive à l’égard d’une potentielle divergence franco-allemande. La grande affinité qui peut exister entre l’Allemagne et l’Italie se maintiendrait avec fermeté, en faveur d’une constitution politique et d’une formation éthique.

Et c’est ici qu’apparaît clairement le rôle de premier plan qui est réservé à votre nation au sujet d’une possible Paneurope. Compte tenu de son indépendance face aux contingences et aux crises des régimes parlementaires, l’Italie est aujourd’hui la nation la plus apte à mener une politique internationale de grande ampleur. Du point de vue pratique, l’Italie a la possibilité de devenir l’arbitre – grâce à son attitude – des relations entre l’Allemagne et la France : ceci peut constituer le premier pas vers un nouveau chemin. Pour le fascisme, le moment est arrivé de focaliser son attention, au-delà du problème social et constitutionnel, que son cycle reconstructeur est parvenu à solutionner, vers le problème de l’Europe. En raison de la situation actuelle et des derniers soubresauts de la politique internationale et européenne, l’Italie se trouve véritablement dotée des clefs du destin de notre continent. La sensibilité, pour le moment juste, associée à un sens latin de l’équilibre, constitue l’un des dons les plus prononcés du génie de Mussolini.

C’est précisément ma conviction vis-à-vis de la mission supranationale du fascisme qui m’a conduit à Rome, où j’ai eu l’honneur d’être reçu deux fois, et avec cordialité, par le Duce, conclue le comte Coudenhove-Kalergi. Et j’espère sincèrement que la nouvelle Italie restera fidèle à sa grande tradition, en agissant par tous les moyens pour cette idée européenne, autrefois formulée par Dante, mise en œuvre spirituellement par l’Église de Rome, réalisée militairement la dernière fois par l’Italien Napoléon et enfin reprise de manière plus moderne par le mythe mazzinien de la Nouvelle Europe.

Publié in Il Regime Fascista, 14 mai 1933.

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