Pour une internationale fasciste – Montreux 1934 et après

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Il est peu connu que le fascisme, intrinsèquement nationaliste, a en fait développé sa propre « Internationale », illustrant les aspirations universelles de l’idéologie. Ce phénomène est décrit en détail par James Strachey Barnes dans The Universal Aspects of Fascism, où il affirme que le fascisme s’adapte de manière unique aux spécificités de l’esprit, des institutions et de la culture de chaque nation. Benito Mussolini lui-même a souligné que le fascisme italien était une expression unique de l’Italie, déconseillant aux dirigeants étrangers de l’imiter. Cette position se retrouve dans les affirmations des idéologues nazis concernant la particularité du national-socialisme allemand. Cependant, la notion de fascisme universel s’est imposée comme une faction au sein du mouvement fasciste, prônant une mission impériale mondiale au-delà des frontières nationales. Berto Ricci, théoricien fasciste de renom, était l’un des principaux défenseurs de cette idée, dénonçant le nationalisme et le racisme tout en appelant à une Internationale fasciste.

Pour promouvoir cette vision, le Comitati d’Azione per l’Universalità di Roma (CAUR) a été créé en 1933 et a tenu son premier congrès à Montreux, en Suisse, en 1934. Ce congrès visait à renforcer l’attrait universel du fascisme et à établir des liens avec les partis fascistes du monde entier. Cette initiative était en partie la réponse de Mussolini pour contrer l’influence d’Adolf Hitler, qu’il considérait comme un défi à la domination européenne de l’Italie. Malgré l’absence de soutien formel du parti fasciste ou de ses représentants officiels, le congrès a attiré des dirigeants de divers mouvements fascistes européens, dont Ion Mota de la Garde de fer, Eoin O’Duffy des Blueshirts irlandais et Gimenez Caballero des Falangistes espagnols, ainsi que des participants venus d’Autriche, des Pays-Bas, de Grèce, de France, du Portugal et d’ailleurs.

L’absence de membres du parti nazi au congrès souligne les efforts de l’Italie pour diluer la domination nazie, une position encore renforcée par l’assassinat du chancelier fasciste autrichien Engelbert Dollfuss par des agents nazis. La décision de Mussolini de ne pas envoyer de représentants officiels du parti fasciste au congrès reflète une approche prudente, visant à évaluer son impact potentiel avant d’offrir un soutien total. L’autorisation donnée par Ramiro Ledesma Ramos à Caballero de représenter la Phalange a mis en évidence les divisions internes, José Antonio Primo de Rivera autorisant la participation de la Phalange tout en soulignant : « La Phalange Espanola de las J.O.N.S. n’est pas un mouvement fasciste » ( José Antonio Primo de Rivera cité dans Jose Antonio Primo de Rivera : The Foundations of The Spanish Phalanx par Nick W. Greger)

Malgré les déclarations de José Antonio, les Italiens reconnaissent la Phalange comme fasciste et l’invitent à la conférence. Cependant, des personnalités comme le leader autrichien Ernst Rüdiger Starhemberg et les délégués de l’Union britannique des fascistes étaient notoirement absents. La conférence de Montreux a donné lieu à des discussions sur une série de sujets controversés, notamment le racisme, les objectifs et l’antisémitisme, qui ont conduit à des désaccords et ont laissé certaines questions fondamentales en suspens. La conférence s’est ouverte sur une discorde importante entre les participants, soulignée par un différend entre Eugenio Coselschi, président de la conférence, et Vidkun Quisling.

Quisling a déclaré de manière provocante : « Pourquoi ne pas parler de l’universalité de Berlin ? Adolf Hitler est un représentant du fascisme au même titre que Benito Mussolini ».

Coselschi répondit en affirmant que « Rome représente, à travers toute l’histoire, l’État idéal : l’autorité créée par le droit romain« .

Cette altercation déclencha une vive polémique au sein de la conférence. Ion Mota aborda ensuite le sujet de l’antisémitisme, suscitant une réponse nuancée de la délégation italienne sur la question juive. L’assemblée a décidé que la question juive ne devait pas donner lieu à une campagne mondiale d’animosité à l’égard des Juifs. Néanmoins, M. Mota est parvenu à faire reconnaître la population juive comme un « État dans l’État » et comme une minorité révolutionnaire internationaliste, ce qui a abouti à un consensus pour s’y opposer.

« Considérant qu’en maints endroits certains groupes de Juifs sont installés en pays conquis, exerçant ouvertement et occultement une influence préjudiciable aux intérêts matériels et moraux du pays qui les abrite, constituant une sorte d’État dans l’État, profitant de tous les avantages et refusant tous les devoirs, considérant qu’ils ont fourni et sont enclins à fournir des éléments propices à une révolution internationale qui serait destructrice de l’idée de patriotisme et de civilisation chrétienne, la Conférence dénonce l’action néfaste de ces éléments et est prête à les combattre« .

L’intention de Moţa d’obtenir un soutien pour le nazisme allemand s’est quelque peu concrétisée avec une motion de compromis. En 1935, une autre conférence se tient à Montreux et donne lieu à d’intenses débats entre les participants. Un aspect notable des réunions du CAUR est l’effort italien pour dénoncer et répudier les opinions nordiques associées au NSDAP. Eugenio Coselschi a pris position contre Le Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg, le confondant à tort avec l’ensemble de l’idéologie nazie, ce qui a donné lieu à des différends, notamment avec des participants comme la Garde de fer et les nationaux-socialistes grecs, qui soutenaient ouvertement le nazisme.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, José Antonio Primo de Rivera n’a pas participé à la deuxième conférence. En fin de compte, la CAUR n’a pas réussi à forger une définition unifiée du « fascisme » ni à amalgamer les principaux partis fascistes sous une bannière internationale unique dirigée par l’Italie. Elle a plutôt servi de véhicule à la propagande pro-mussolinienne et à une tentative infructueuse de Mussolini de contrer l’influence croissante d’Hitler. Au fur et à mesure que les liens entre les régimes italien et allemand se renforcent, la tentative de domination de Mussolini s’essouffle. En 1936, Mussolini s’aligne ouvertement sur Hitler, mettant en évidence la convergence de leurs idéologies. Sa rhétorique et ses politiques sont de plus en plus marquées par le racisme et l’antisémitisme, s’alignant ainsi sur l’idéologie raciale de la pensée fasciste. Cette évolution a contribué à la formation du nouvel ordre de l’Axe, comme l’explique Benjamin G. Martin dans son ouvrage The Nazi-Fascist New Order For European Culture (Le nouvel ordre nazi-fasciste pour la culture européenne).

Dans les années 1930, l’Allemagne a commencé à s’adresser à des juristes sympathisants à l’étranger, ce qui a abouti à la création de la Chambre de droit international en 1939, dont le lancement officiel a eu lieu en 1941. Cet organisme cherche à unifier les juristes européens au sein d’un réseau qui rejette les principes libéraux et universalistes du droit international en faveur d’une vision nettement européenne, antilibérale et corporatiste. Ce mouvement vers une position plus internationaliste dans les années 1940 reflète l’adoption plus large de structures corporatistes fascistes à l’échelle mondiale, comme le souligne Roger Griffin dans son ouvrage Palingenetic Ultranationalism. L’alliance de l’Axe a également mis en place une série d’entités internationales, telles que la Chambre de commerce germano-iranienne, qui accueillait des membres du Japon, de la Chine, de l’Inde et des territoires des nations occupées, à l’exclusion notable de l’Union soviétique. En outre, la France de Vichy a été spécifiquement incluse dans l’Union internationale des télécommunications à Genève, marquant ainsi son alliance avec les nations européennes qui avaient approuvé le pacte tripartite. Ces efforts ont permis d’envisager une nouvelle Europe sous la direction de l’Italie et de l’Allemagne, étroitement liée à l’influence du Japon en Asie.

Les juristes nazis et italiens ont utilisé ces réseaux pour favoriser la cohésion juridique entre les alliés et les territoires sous le contrôle de l’Axe. Cette tendance à l’internationalisme est également attestée par la création de nombreuses organisations mondiales par la Waffen SS. Ces forums et organismes internationaux mettent en évidence l’engagement des puissances de l’Axe en faveur d’un programme internationaliste, soulignant l’importance qu’elles accordaient à l’établissement d’un ordre mondial propice à leurs idéaux de gouvernance. Cette poussée de l’Axe vers l’internationalisme a jeté les bases de ce qui pourrait être considéré comme une proto-Union européenne, ressemblant de près à une version fasciste de l’Union européenne ou des États-Unis d’Europe.

Le passage de l’idéologie fasciste du nationalisme au concept d’État civilisationnel a été fortement influencé par la théorie du Grossraum (grands espaces) de Carl Schmitt. Néanmoins, il est essentiel de reconnaître qu’Adolf Hitler lui-même était l’un des principaux promoteurs de cette idée, comme le souligne Brendan Simms, l’un des principaux experts de l’héritage intellectuel d’Hitler : « L’idée de Hitler d’une doctrine Monroe allemande – qu’il avait évoquée pour la première fois plus de dix ans auparavant [en 1923] – a été reprise par l’avocat Carl Schmitt, qui l’a développée pour en faire une théorie complète des « grands espaces ». » (Brendan Simms, Hitler : A Global Biography).

Leon Degrelle a notamment défendu la création d’un État civilisateur européen dirigé par l’Allemagne, s’étendant de la mer du Nord à Vladivostok.

Cela met en évidence la nature intrinsèque et fondamentale du Lebensraum allemand et du Spazio Vitale italien. Cela suggère que la civilisation est un élément central qui transcende les identités ethniques ou nationales, soulignant l’objectif intrinsèque de l’internationalisme fasciste. C’est ce que Degrelle a appelé « l’internationalisation du national-socialisme » dans son entretien de 1993 avec Douguine pour le magazine Elements. En adoptant cette perspective civilisationnelle comme « pré-concept », le fascisme visait à s’affirmer comme une force significative sur la scène mondiale. Cette position idéologique est résumée dans la notion de « grand espace », où chaque civilisation, caractérisée par son essence unique, comme l’exceptionnalisme italien ou l’idéologie völkisch, joue un rôle dans la construction civilisationnelle fasciste plus large. L’impact de cette idée de civilisation internationale a perduré au-delà du conflit et reste pertinent dans les discussions contemporaines. L’étude de Jakub Drábik, Concept of a United Europe : A Contribution to The Study of Pan-European Nationalism, se penche sur la vision d’Oswald Mosley d’une Europe unie, fournissant une exploration critique de ce thème. En outre, l’influence durable de Jeune Europe de Jean-François Thiriart et du Front européen de libération de Francis Parker Yockey souligne la pertinence continue de ces idées, en particulier au sein des réseaux d’anciens officiers de la Waffen SS, comme en témoigne leur organisation autour de la publication Nation Europa.

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