Poutine comme Prince et Pontife, comme pont entre la république et l’empire

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L’anniversaire de Poutine est un jour de fête national ecar Poutine lui-même représente, au sein de notre système politique, le Princeps. Il s’agit d’un concept romain, il désigne la figure centrale d’un ordre politique, quelque chose d’intermédiaire entre une république et un empire. À cet égard, Poutine est un pionnier. Il transforme la république en ruine, corrompue, pro-occidentale, dépouillée de sa souveraineté et en voie de désintégration des années 1990 en un futur empire. Il incarne lui-même une sorte de pont vers cet empire.

Dans l’Antiquité, un empereur était appelé Pontifex Maximus, c’est-à-dire « bâtisseur de ponts ». Plus tard, ce titre a été transmis au pape de Rome, mais à l’origine, il symbolisait le pouvoir sacré. Poutine est précisément un tel bâtisseur de ponts. Il crée le passage d’une république en faillite et en ruine à un empire en plein essor et en pleine ascension.

C’est là son rôle fondamental. Cela ne tient pas seulement à sa position et à sa fonction, car des personnes très différentes, des individus différents, lorsqu’ils se voient conférer l’autorité suprême, peuvent l’utiliser de manière très différente : certains pour exercer une tyrannie et s’affirmer, d’autres pour faire preuve d’une piété et d’un dévouement excessifs, négligeant la dimension sévère du pouvoir souverain.

Ainsi, les possibilités du souverain suprême sont énormes, mais beaucoup dépend de la question de savoir si l’individu qui détient le pouvoir suprême correspond à la nature même de ce pouvoir. Dans le cas de Poutine, en tant que personne, cette correspondance s’est avérée extraordinairement fructueuse, voire salvatrice, décisive pour notre pays à l’époque où nous vivons.

Il existe une doctrine datant de la fin du Moyen Âge et s’étendant jusqu’à la Réforme, étudiée par Ernst Kantorowicz, un historien et philosophe politique remarquable. Il a décrit le phénomène des « deux corps du roi ». L’un est le corps individuel du roi, l’autre est sa fonction de Princeps, le corps du souverain. Autrement dit, l’un est le corps de l’individu, l’autre est le corps de la fonction sacrée, à la tête de la société, à la tête de l’ordre politique.

Chez Poutine, nous voyons l’harmonie entre ces deux corps : entre l’individualité de Vladimir Vladimirovitch Poutine, avec son parcours personnel et son histoire personnelle, et le corps du souverain suprême de la Russie à un moment critique et décisif. Selon la manière dont ces deux corps interagissent, l’histoire s’oriente vers le salut et le succès ou vers l’échec.

Chez Poutine, nous voyons l’harmonie entre ces deux dimensions : la dimension sacrée du Prince et le destin personnel d’un agent des services de sécurité, d’un patriote, d’un serviteur de sa patrie dans chaque rôle, aussi modeste soit-il.

Poutine est un homme du peuple. Il a atteint sa position en partant du bas de l’échelle, servant fidèlement et sincèrement sa patrie à chaque étape. C’est un Princeps méritocratique, qui s’est hissé au pouvoir suprême grâce à ses mérites (meritas), et non grâce à une position ou à des privilèges hérités. Il faut également s’en souvenir.

À cet égard, surtout si l’on considère les vingt-cinq années de son règne, Poutine a réussi, parfois de manière invisible, à renverser le cours de l’histoire russe. Notre pays se précipitait dans l’abîme. Il est tombé dans l’abîme en 1991 et était sur le point de plonger du dernier rebord, de perdre complètement sa souveraineté et de se soumettre à une administration extérieure — la voie vers laquelle menaient en fait les politiques d’Eltsine.

C’est Poutine qui a saisi notre pays, suspendu par un fil au bord du précipice, avant qu’il ne s’écrase au fond du gouffre et ne se brise en mille morceaux (et c’était une réalité à portée de main). Avec des efforts incroyables, mais aussi avec beaucoup de prudence, il l’a ramené en arrière, le ramenant au moins sur la terre ferme. Nous avons alors commencé à réfléchir à la manière de restaurer notre place dans l’histoire, de retrouver notre pleine souveraineté et de faire revivre la Grande Russie, qui semblait perdue à jamais dans les années 1990.

En ce sens, Poutine est un homme du destin, un homme marqué par la force de l’histoire russe, difficile, paradoxale, dont nous ne déchiffrons pas toujours les signes et les hiéroglyphes. Nous ne comprenons pas toujours ce que l’histoire nous demande, car elle ne s’exprime pas toujours clairement.

Les grandes actions ne sont pas toujours précédées de grands manifestes. Parfois, l’histoire émet des sons inarticulés, puis vient l’épanouissement et l’ascension. L’histoire russe est pleine de paradoxes, et dans cette histoire, Poutine et son règne, sans aucun doute, même aujourd’hui (cela était évident dès le début), se déroulent sous le signe de la lumière.

Dans l’histoire romaine, il existait une tradition de succession d’empereurs : un mauvais, puis un bon, puis à nouveau un mauvais, puis un bon. Ils formaient un schéma presque binaire : 1-0, un empereur couronné de succès, un empereur qui échouaité. Dans notre histoire, ce n’est pas toujours le cas, mais il y a des dirigeants qui, du point de vue des réalisations historiques dans le tissu, dans le texte de notre histoire, sont écrits en lettres majuscules, en gras et soulignés. Ils incarnent quelque chose d’important, de positif et de salvateur.

Certains dirigeants étaient cruels, d’autres humains. Poutine lui-même est sans aucun doute humain, et non cruel, mais il se tient à la hauteur des plus grandes figures de l’histoire russe. Le fait qu’il ait réussi à mener à bien ses réalisations extraordinairement difficiles en sauvant l’ordre intérieur de la Russie sans effusion de sang, qu’il n’ait jamais usurpé de pouvoirs supplémentaires, qu’il ne les ait jamais dépassés, et qu’il se soit au contraire comporté avec une grande humanité et tolérance, même envers ses adversaires idéologiques, le rend unique.

Je crois que Poutine est en train de construire un pont vers la véritable renaissance spirituelle, sociale et économique de la Russie. Je félicite sincèrement notre souverain suprême, notre Princeps, celui qui relève la Russie de ses genoux, à l’occasion de sa fête !1

À l’Ange — une couronne d’or !

Alexandre Douguine.

(Traduit de la version originale russe sur Tsargrad TV.)

1 Note du traducteur : dans la tradition russe, le « jour du saint patron » (День ангела, littéralement « jour de l’ange ») fait référence au jour de la fête du saint dont une personne porte le nom. On croit que ce jour-là, l’ange gardien offre une protection spéciale. Cette occasion est célébrée de la même manière qu’un anniversaire, mais avec une signification religieuse distincte.

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