Cet article a été publié au début du siècle, en 2001, dans Résistance, l’organe d’Unité radicale. Il est intéressant à relire pour ce qu’il révèle du basculement, ou plutôt du retour, d’une partie de la droite nationale dans le giron sioniste.
Désoeuvré l’espace d’une soirée, j’ai assisté il y a quelques temps à une conférence-débat organisée dans la ville où je réside par une organisation de la mouvance nationale. L’orateur qui devait traiter de la collusion islamo-yankee était Alexandre Del Valle auteur de plusieurs ouvrages parus aux éditions de L’Age d’homme.
Il y a bien peu de chose à dire sur cette conférence, sinon que Del Valle est un piètre orateur. Durant plus de deux heures, il nous imposa une péroraison dépourvue de plan, particulièrement confuse et où il trouva le moyen de se contredire à de nombreuses reprises.
Pas de raison donc que je fasse de celle-ci l’accroche de ce papier ? Et bien si !
Car il y eut l’après-conférence…
Quand la réunion fut close et la plupart des participants à la soirée furent partis, Del Valle, se sentant peut être en confiance, se laissa aller… Il dévoila le fond de sa pensée et devant un auditoire aussi réduit que surpris il fit l’éloge de Sharon et s’enthousiasma pour le Likoud… (1)
J’avoue être resté bouche bée. J’avais en face de moi l’illustration même de ce que j’annonçais à mes amis politiques depuis quelques temps, à savoir que l’islamophobie rabique de certains milieux allait déboucher tout naturellement sur la sionistophilie.
A vrai dire, je m’étais jusqu’alors comporté comme saint Thomas. Je savais que le fait existait, mais j’avais besoin d’être face à face avec lui pour y croire réellement. Jusqu’alors je n’avais fait que lire des textes issus de « nos milieux » dont j’avais pu regretter les orientations peu claires. Il y avait eu Français d’abord qui après un courageux soutien à la nouvelle Intifada avait du publier une double page de lettres de lecteurs protestants contre celui-ci, il y avait eu La Voix des Français s’élevant contre les quelques dégradations causées récemment à diverses synagogues, il y avait eu Terre et peuple-la revue saluant dans un éditorial le combat identitaire des sionistes et affirmant « chacun de ces deux peuples a droit à avoir sa terre et c’est donc la partition territoriale qui nous paraît la seule solution réaliste et juste » (2) Jamais jusqu’alors cependant je n’avais été confronté à une telle sympathie pour le sionisme exprimée sans fard.
Chacun sait qu’il arrive que l’histoire bégaie. Et ce retour du « sionisme d’extrême-droite » est bien un bégaiement. On en revient à l’alliance des anti-arabes prônée par certain au début des années 60 à une époque où certaines revues d’extrême-droite s’extasiaient sur les réussites de l’entité sioniste et où l’on pouvait se féliciter que, comme j’ai encore pu le lire récemment dans un bulletin pied-noir : « la majorité des juifs d’Algérie étaient Algérie française, tapaient sur des casseroles, applaudissaient aux faits d’armes de l’OAS et pleuraient avec les Européens les mêmes victimes du FLN. A Oran, un des commandos les plus efficaces était composé de juifs. (…) Sans parler que la seule livraison d’armes à l’OAS vint d’Israël ». On en revient au dirigeant de l’Eurodroite, et compagnon de route du Parti des forces nouvelles, Michel de Saint Pierre figurant au comité d’honneur de la Licra, ou à la première période du FN quand – comme nous le rappelle Martin Peltier dans J’ai choisi la bête immonde – : « Le Pen (était) plutôt israélomane. Il admirait Tsahal avec une pointe d’envie, de pouvoir torgnoler les Arabes avec la permission de la communauté internationale. En plus l’OAS avait eu des liens avec certaines organisations juives, et même, après, des gens du FN restaient copains avec le Bétar. Mêmes ennemis, même fond d’extrême droite. Solidarité fasciste. Solidarité racialiste. Le Pen et Rika Zaraï pouvaient se raconter des histoires de parachutistes qui avaient combattu les Arabes. C’est l’époque ou Tribune juive lui donne un ausweis : rien à signaler d’antisémite pour l’ensemble de son œuvre. En 1986, Le Pen envoie Le Chevallier en émissaire auprès de la communauté juive américaine, puis est reçu, assez favorablement, par ses dirigeants. Puis Olivier d’Ormesson et Charles de Chambrun préparent un voyage en Israël où le patron du FN doit rencontrer Ariel Sharon ».
Le retour soudain de cette sympathie pour l’entité sioniste découle à mon sens d’une appréciation erronée du péril immigrationniste. A savoir l’accent mis de manière quasi exclusive sur le péril islamique, ce qui est une position aussi dangereuse qu’improductive.
En effet le problème de l’immigration se réduit à un phénomène simple : l’installation en Europe de populations qui ne sont pas de souche européenne. La religion que ces allogènes pratiquent ne devrait pas entrer en ligne de compte. En effet, un vietnamien catholique, un tamoul polythéiste ou un nigérian protestant n’ont pas plus leur place sur le sol européen qu’un marocain musulman.
Or si l’on met l’accent sur l’immigration musulmane on crée un biais dans le discours anti-immigration. Si on estime que certains immigrés, les musulmans en l’espèce, sont pires, cela veut dire que d’autres le sont moins et sont donc plus acceptables…
Par ailleurs, dans les cités la mère de famille qui se fait insulter par des jeunes racailles ; dans les rues de nos villes la vieille dame à qui l’on arrache son sac ; au sortir des lycées les adolescents qui se font racketter ; dans les caves les jeunes européennes victimes d’une « tournante » ; etc., ne constatent pas que ceux qui leur causent du tort sont musulmans mais qu’il ne sont pas Européens… Dans mes activités militantes, j’ai souvent entendu des bourgeois et des intellectuels sans contacts réels avec l’immigration se plaindre de l’islamisation de la France, par contre les milieux populaires ne m’ont jamais parlé des méfaits des musulmans mais, en des termes que la loi m’interdit de répéter, des blacks, des beurs ou des viets !
Posons-nous maintenant la question de la contradiction entre la lutte contre l’immigration en Europe et le soutien à l’intifada en Palestine ?
Celle-ci n’est apparente que si l’on n’a pas fait une analyse en profondeur de la nature du système.
Chacun sait que l’immigration est un effet du capitalisme libéral, que c’est un phénomène issu du processus de mondialisation et de globalisation. Ce processus possède un agent d’exécution qui est l’impérialisme nord-américain et dans les décisions de celui-ci le lobby sioniste joue un rôle prépondérant. Ce dit lobby soutient la politique de génocide systématique que pratique l’entité sioniste vis-à-vis du peuple palestinien.
Lutter contre l’immigration c’est lutter contre la mondialisation et la globalisation capitaliste. Lutter pour les droits du peuple palestinien, c’est lutter contre le pouvoir exécutif de la mondialisation et la globalisation. Il n’y a pas de contradiction, puisque la lutte est menée contre le même ennemi.
J’ajouterais, puisqu’il est de bon ton chez certains de se revendiquer de « la plus longue mémoire », que c’est aussi cette longue mémoire qui me fait soutenir l’intifada. Je n’ai pas oublié le martyre de la meilleure partie du peuple allemand, je n’oublie pas la rançon imposée à ce pays, je n’oublie pas les nôtres pourchassés, emprisonnés, condamnés pour des faits vieux de cinquante années. Je n’oublie pas plus près de nous les procès du Mrap, de la Licra ou de l’UEJF et les commandos du Betar et du Tagar. Je n’oublie pas François Duprat mort assassiné ou Roger Coudroy tombé en combattant.
Il est des ennemis avec lesquels on ne peut transiger, il est des alliances qui ne sont pas possibles, il est des collusions qui déconsidèrent à jamais ceux qui s’y abandonneraient…
Si certains veulent s’y risquer, qu’ils ne comptent pas sur les radicaux pour rester muets et complaisants. Si nous n’avons retenu que peu de choses de Karl Marx, nous avons au moins pris note de ce conseil : « Rendre la honte plus honteuse encore en la rendant publique ».
Christian Bouchet
Notes :
1 – Confirmant une position qu’il avait déjà défendue dans les pages du quotidien Le Figaro le 11 avril 2001. Par ailleurs, dans un récent numéro de son intéressante lettre d’informations Faits et documents, Emmanuel Ratier révèle qu’Alexandre Del Valle est un collaborateur occasionnel du bimensuel Le Lien Israël-Diaspora publié par les éléments les plus extrémistes de la communauté juive en France ! D’autre part les internautes « curieux » peuvent goûter la prose delvallienne sur différents sites proches du likoud (notamment http://www.amisraelhai.org/28juin.htm), et un papier de lui est récemment paru dans Politique internationale (revue publiée par la mondialiste Wajsman) où il voisine avec Ariel Sharon et avec l’antifasciste Jean-Yves Camus. On peut donc avec raison se poser deux questions simples : est-ce qu’un tel individu a sa place comme orateur dans les réunions de certaines composantes du mouvement national ? est-il normal que les livres d’un tel individu soient encensés par les organes de notre famille (y compris par les plus radicaux – ou prétendus tels… -)
2 – Ceci me semble un raisonnement aussi étrange que dangereux. Si une occupation de quelques dizaines d’années crée un droit à posséder une terre, craignons qu’on ne nous tienne dans quelques temps le même raisonnement en Seine-Saint-Denis ! En Palestine, les immigrés sont les Juifs, pas les Palestiniens !
Alexandre Del Valle nous répond
« Agacé » par les révélations d’Emmanuel Ratier et par le texte ci-contre (précédemment paru dans une version moins développée dans les colonnes de Dualpha et de l’hebdo on-line Radikalnews), Alexandre Del Valle nous a répondu par l’intermédiaire d’un entretien aux Cahiers d’actualité politique (n° 3, mai 2001) qui a été largement diffusé via internet.
En voici quelques extraits particulièrement signifiants de la pensée du « brillant géopoliticien » (qui a dit géopolicier ?) Alexandre Del Valle :
« La seule raison de vivre de groupuscules comme Unité radicale et son leader Christian Bouchet est une haine aveugle, pathologique, du juif, sous couvert d’antisionisme ».
« Personnellement, je m’honore d’avoir été vilipendé par des personnages comme Emmanuel Ratier ou Christian Bouchet, dont l’essentiel de la stratégie politique consiste grosso modo à (…) rendre chaque jour plus extrême et antisémite l’extrême-droite ».
« Je trouve qu’il est triste qu’en l’an 2001, de sinistres personnages comme ceux décrits plus hauts en soient encore à la lecture de Mein Kampf et des Protocoles des sages de Sion ».
« Il est triste de constater que la France demeure un des pays d’Europe où une fraction de l’extrême-droite est la plus nostalgique du nazisme et de la collaboration, tandis qu’en Italie les anciens fascistes et néo-fascistes de Fini ont reconnu les torts et horreurs commis par l’Axe ».
« Depuis la guerre du Golfe, les agents objectifs de la gauche unie que sont les personnes précitées (NDLR : Emmanuel Ratier, le Père Lelong, Christian Bouchet et les dirigeants du Grece !) et les mouvances radicales d’extrême-droite en général, liées aux pires révisionnistes, eux-mêmes originaire au départ de l’extrême-gauche, sont parvenus à nazifier une large part de la jeunesse des mouvements nationalistes ».