Ça a été la discussion mouvementée des réveillons. Plutôt que de s’engueuler sur les 91 inculpations de Donald Trump, l’arrivée climatorusse de l’hiver ou la loi immigration dont les quelques timides avancées seront certainement censurées par le Conseil constitutionnel, les convives ont préféré s’écharper sur… Gérard Depardieu.
Mis en examen depuis 2020 pour « viols » et « agressions sexuelles », l’acteur conteste formellement ces accusations. Il revient à l’émission « Complément d’enquête » du 7 décembre 2023 sur France 2 de relancer la controverse avec des propos grossiers, grivois et graveleux qu’il tient sur de jeunes cavalières en Corée du Nord. Se déchaînent alors les nouvelles pétroleuses 3.0. L’ultra-féminisme en bandoulière, ces Érinyes post-modernistes expliquent doctement partout que la présomption d’innocence n’est qu’une notion juridique seulement valable au tribunal. Elles sous-entendent que dans la société prime une présomption de culpabilité qu’on aurait aimé voir appliquée aux assassins supposés de Thomas à Crépol…
Cantonnée à une petite coterie d’où se dégagent néanmoins des miasmes nauséabonds, la polémique prend une tournure politique avec l’intervention d’Emmanuel Macron, le 20 décembre, dans l’émission sirupeuse « C à vous » sur France 5. Il tacle sa ministresse de la Culture dorénavant remerciée et vole au secours de Depardieu. La prise de position présidentielle provoque une avalanche de pétitions et d’autres tribunes plus ou moins mal intentionnées.
Le Figaro du 25 décembre 2023 publie le texte collectif « N’effacez pas Gérard Depardieu ». Déjà, dans sa livraison du 1er octobre dernier, ce quotidien avait fait paraître une lettre ouverte de Gérard Depardieu. Cette nouvelle contribution suscite une vague d’indignations formatées. Un certain collectif MeToo Media signe dans Le Monde du 27 décembre une lettre publique adressée au chef de l’État. Deux jours plus tard, l’officine du journalisme de flicage, Médiapart, met en ligne une pétition lancée par un autre collectif « Cerveaux non disponibles » (sic !) qui recueille en 48 heures plus de 8 000 signatures dont celles des chanteuses sans voix Angèle et Pomme, de la piètre actrice Corinne Masiero, de l’humoriste hautement risible Guillaume Meurice, de la performeuse porno Nikita Bellucci, de Rokhaya Diallo et même du fameux Médine. Le 31 décembre sort une « Adresse au vieux monde » signée par soixante-dix personnalités. Enfin, Libération du 1er janvier 2024 met en ligne une pétition de 150 artistes pour qui « L’art n’est pas un totem d’impunités » !
La mobilisation rapide et impressionnante des anti-Depardieu contraint certains signataires couards du texte de Noël à retirer leur nom au motif majeur que le principal rédacteur de « N’effacez pas Gérard Depardieu » est Yannis Ezziadi, contributeur au mensuel national-sioniste Causeur et proche des cénacles zemmouristes. Horreur ! Ainsi l’extrême droite serait-elle à la manœuvre… Nos incendiaires nouvelle génération inclusives, décarbonées et festives voient l’extrême droite commencer sur le pas de leur porte.
Une véritable épuration wokiste s’opère contre celui qui interpréta Léopold Lajeunesse dans Uranus (1990) de Claude Berri. Adapté du roman éponyme de Marcel Aymé sorti en 1948, ce film se gausse du résistancialisme officiel. Pour preuves de l’effacement en cours de Depardieu, le Premier ministre du Québec, de centre-droit, François Legault, vient de lui retirer l’Ordre national du Québec. Le bourgmestre socialiste de Bruxelles lui reprend la médaille municipale de reconnaissance. Le musée Grévin enlève sa statue en cire. Une autre est démantelée dans une commune de Belgique. Les services de la Légion d’Honneur enquêteraient. Quant aux télévisions suisse romande et belge francophone, elles viennent de décider de ne plus diffuser le moindre film dans lequel joue Gérard Depardieu. Rappelons qu’aucun jugement judiciaire n’a été prononcé ! Plus anecdotique, la maison de l’acteur belge Benoît Poelvoorde a été taguée dans la nuit du 29 décembre 2023. On y lisait dans un français approximatif : « Depardieu, on l’aime pas, c’est un gros porc. »
Au-delà de la simple personne de Depardieu, on ne peut que relever l’habituel sectarisme des milieux de la culture et de la presse. Ces milieux hypocrites dénoncent régulièrement la préférence nationale, mais ils vivent de l’exception culturelle, une forme spécifique de priorité française. Dans les coupes budgétaires à venir afin d’apurer une dette astronomique, l’arrêt immédiat des subventions accordées à la presse, aux « cultureux », aux partis politiques incapables et aux syndicats parasitaires serait une mesure salutaire. Ne serait-il pas temps d’arrêter la perfusion permanente envers la nullité, la laideur et la désinformation ?
Toutefois, si l’insupportable mouvement anti-Depardieu se déconsidère de lui-même, on ne peut pas se ranger aux côtés des partisans de « GéGé ». Certes, il a offert un entretien à François Bousquet dans Éléments n° 195 d’avril – mai 2022. Depardieu n’est cependant pas des nôtres et il ne l’a jamais été. L’engouement de la « dissidence » pour lui remonte à 2014 avec l’essai de Richard Millet, Le corps politique de Gérard Depardieu (Éditions Pierre-Guillaume de Roux). Clin d’œil anticipateur d’un auteur, victime scandaleuse en 2012 d’une persécution littéraire orchestrée par Annie Ernaux, envers une autre victime du psittacisme féministoïde actuel ! Or, si Depardieu aime bien manger et détient des domaines viticoles, il importe de souligner son absence d’enracinement tangible.
Outre sa nationalité française, celui qui fut Danton pour Andrzej Wajda en 1982 possède la citoyenneté russe depuis 2013. En septembre 2020, il s’est même converti à l’Orthodoxie dans la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky à Paris. Cela ne l’empêche pas de recevoir en 2022 une nouvelle citoyenneté, celle des Émirats arabes unis ! Son itinéraire politique est d’ailleurs plus que sinueux. Longtemps proche du Cuba des frères Castro, Depardieu a appuyé la réélection de François Mitterrand en 1988. Il a donné de l’argent au PCF. Aux municipales de 2008, il avoue son enthousiasme pour le candidat Vert, Jacques Boutault, à la mairie de Paris. Mais, en 2007 comme en 2012, il s’enticha de Nicolas Sarközy. En 2010, il clama toute son admiration pour le truculent populiste de gauche, Georges Frêche, maire de Montpellier (1977 – 2004) et président du conseil régional du Languedoc – Roussillon (2004 – 2010). Ces exemples d’engagements successifs et parfois contradictoires confirment un réel tropisme cosmopolite et plutôt politiquement correct.
La filmographie de Gérard Depardieu est enfin riche en œuvres corrosives, voire subversives. Dans le film de Francis Veber, Les Fugitifs (1986), Depardieu donne la réplique à Pierre Richard qui regrette maintenant d’avoir signé la tribune parue dans Le Figaro. Il faut dire que l’un de ses derniers film, Les Vieux Fourneaux 2. Bons pour l’asile (2022) est une ode en faveur des migrants qui sont, on l’a compris, des ingénieurs, des médecins et des architectes en puissance. La fin de la comédie Les Fugitifs annonce la transparentalité non binaire… Fuyant la police française, un ex-taulard – Jean Lucas alias Gérard Depardieu – franchit la frontière espagnole en compagnie de François Pignon (Pierre Richard) travesti en femme et de sa fille Jeanne.
Au fond, Gérard Depardieu demeure ce qu’il a toujours été : cette petite frappe de Jean-Claude dans Les Valseuses de Bertrand Blier en 1974. Mais, avec le changement de mentalités, les « valseuses » d’aujourd’hui sont des harpies prêtes à tout pour se payer une très grande célébrité politiquement naïve.
Salutations flibustières !
Georges Feltin-Tracol
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 98, mise en ligne le 16 janvier 2024 sur Radio Méridien Zéro.