Qu’est-ce que l’extrême-droite ?

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Extrême-droite, dites-vous ?

Ce terme appartient plus à la démonologie qu’à la classification rationnelle lorsqu’il est employé dans l’espace médiatique et politique. Les néo-populistes du Rassemblement national, et Jean-Marie le Pen avant eux, n’ont cessé de se plaindre de ce (parfois très relatif) ostracisme dont ils auraient été ou seraient encore victimes. Cette expression, insultante sur la place publique, permet aux opposants de l’extrême-droite de tranquillement insulter leurs adversaires sans courir le moindre risque juridique, ni pour injure publique, ni pour incitation à la haine. La loi Pleven ne s’applique qu’à ceux que le Système, comme on a coutume de l’appeler dans certains milieux et qu’on pourrait aussi nommer « classe dominante », considère dangereux, ou pour le moins empêcheurs de tourner en rond. C’est Marx qui expliquait que le droit positif n’avait jamais été que l’application d’un rapport de force de classe, bourgeois en l’occurrence.

Passons.

Existe-il une définition objective ou à peu près objective du terme ? Oui, sans doute. Elle existe dans le monde universitaire. Elle n’est pas parfaite, mais elle permet d’y voir un peu plus clair, et surtout, de réfléchir un peu.

Dans son ouvrage Le monde vu de la plus extrême-droite, publié en 2010 aux Presses Universitaires de Perpignan, l’historien Nicolas Lebourg définit, dans l’introduction de son ouvrage, le terme d’extrême-droite. Il semble bien que la grande majorité du corps académique soit en accord avec cette définition.

Voici ce qu’il écrit : « Est donc entendu que les mouvements d’extrême-droite sont ceux qui présentent la totalité des caractéristiques suivantes. Ils disposent d’une conception organiciste de la communauté qu’ils désirent constituer (que celle-ci repose sur l’ethnie, la nationalité ou la race ne changeant rien l’affaire), qu’ils affirment vouloir reconstituer. Cet organicisme est concomitant d’un rejet du libéralisme, du marxisme, du cosmopolitisme, de tout universalisme (y compris celui induit par les déclarations des Droits de l’Homme), au bénéfice de l’hétérophobie et/ou de l’autophilie. Ils absolutisent ainsi les différences et divergences (entre nations, races, individus, cultures). Ils tendent à assimiler celles-ci à des inégalités, ce qui crée chez eux un climat anxiogène quant à leur volonté d’organiser de manière homogène et sécurisée leur communauté (l’utopie étant celle d’une « société fermée »). Ils récusent le système politique en vigueur, dans ses institutions, jugées soit foncièrement néfastes soit détournées jusqu’à la « démoploutocratie », et dans ses valeurs (paradigme républicano-libéral et humanisme égalitaire). La société leur paraît en décadence et l’Etat aggraver ce fait : ils jouissent en conséquence d’une mission perçue comme salvatrice. Ils se constituent en contre-société et se présentent en tant qu’élite de rechange. Leur fonctionnement interne ne repose pas sur des règles démocratiques mais sur le dégagement des « élites véritables ». Leur imaginaire renvoie l’histoire et la société à de grandes figures archétypales (âge d’or, sauveur, décadence, complot, etc.) et exalte des valeurs irrationnelles (la jeunesse comme valeur politique et métaphore de la civilisation, le culte des morts, etc.). Ils ne se déjugent pas et valorisent l’action violente de leurs militants mais ne considèrent positivement l’idée de Révolution qu’en tant qu’elle renvoie à l’idée d’un retour à l’Ordre qui est aussi une palingénésie communautaire. Enfin, ils rejettent l’ordre géopolitique en état. »

Voici donc la longue mais exhaustive définition de qu’est l’extrême-droite. Les problèmes que je souhaite soulever sont les suivants :

Tout d’abord, puisque la définition du terme composé « extrême droite » est supposée objective et non pas péjorative en elle-même (Lebourg écrivant dans le même passage que celui exposé plus tôt que cette expression n’avait « aucune plus-value morale ») alors pourquoi accepter le terme « extrême » ? Celui-ci signifiant ce qui, ou celui/celle qui va trop loin, qui est excessif, qui est manifestement déraisonnable, autant d’adjectifs qui ne relèvent pas d’autre chose que de l’appréciation subjective, et donc non-scientifique. Notons que l’historien ne pose jamais la question dans la suite de sa définition, ni même dans l’ouvrage tout entier.

Problème suivant : l’individu d’extrême-droite devrait être celui qui irait plus loin à droite que l’individu de droite. Testons cette théorie avec le monde réel : Le programme présidentiel de 2022 du Rassemblement national est-il plus à droite que celui de Les Républicains pour la même année ? C’est vrai sur le sujet de l’immigration, c’est faux sur les thématiques économico-sociales, pour ne prendre que ces deux exemples.

Troisième problème : être d’extrême-droite signifie-il toujours choisir des solutions de droite ? Autre exemple tiré de la réalité politique : Les nationalistes-révolutionnaires, classés parfois abusivement à l’extrême-droite, sont bien placés pour le savoir, eux qui se réclament historiquement de Proudhon et de Blanqui. Les choix économiques, le soutien à tel ou tel belligérant dans tel ou tel conflit, ou encore de modalités de l’action partisane ne sont en rien conservateurs, ni réactionnaires. Ernst Niekisch, que les NR considèrent toujours comme l’un de leurs « Grands Anciens », n’a-t-il pas appelé à une franche forme de lutte de classe, et ce pour lutter contre un certain capitalisme et non pour des raisons exclusivement culturelles, ce qui le rapprocherait de Marx sur le sujet ? Ainsi, le rejet de Niekisch du marxisme ne serait que partiel, ce qui permettrait de le classer hors de l’extrême-droite.

J’appelle non à rejeter totalement cette définition d’extrême-droite, mais à l’amender en rejetant non son contenu, mais si l’on veut l’étiquette posée sur le contenant.

La réflexion devant être menée jusqu’au bout, souvenons-nous des limites de toutes les terminologies, des nôtres d’abord, puis de celles des autres, et en particulier de celles de l’Ennemi, ensuite.

Vincent Téma, le 16/08/2023

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