Ramiro Ledesma Ramos : itinéraire d’un non-conformiste

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Notre combat actuel ne prend de sens que s’il est mis en perspective. Si nous sommes des « nostalgiques de l’avenir », nous savons aussi nous souvenir de notre passé et de ceux qui l’ont écrit.

C’est pour cette raison que nous publions ci-dessous une traduction de la préface qu’à donné Erik Norkling à la seconde édition du roman qu’écrivit Ramiro Ledesma Ramos durant les années 1923-1924, et dont la première édition fut publiée à madrid en 1924 sous le titre El Sello de la muerte (Le Sceau de la mort).

Il n’est en effet pas inutile de revenir sur l’itinéraire intellectuel et militant du fondateur des JONS (Juntes d’offensive nationale-syndicaliste) que notre camarade Juan-Antonio Llopart avait présenté dans le numéro 3 de l’ancienne formule de Résistance, en mars 1998, comme étant un véritable national-bolchevick, défenseur à la fois des valeurs de l’Espagne et de sa dimension européenne ; liant également le destin de la nation à l’idée socialiste de juste distribution des richesses. A une époque de pseudo contestation du mondialisme par le gauchisme, maladie sénile du communisme, et de la dilution des nations européennes dans la magma de l’économie libérale, il est nécessaire de rappeler la pureté de l’engagement de Ramiro Ledesma Ramos , authentique révolutionnaire et ennemi du système. Ayant donné pas mal de fil à retordre à la bourgeoisie espagnole, y compris aux tendances droitières présentes dans la Phalange, sa personne et sa doctrine peuvent nous servir de repère dans notre action.

Puisse son souvenir nous éclairer et troubler le sommeil repu des bourgeois complices, de droite comme de gauche !
Yves Bessagne

« Nous autres, croyons plus salutaire ce flot de grèves parce qu’il contribuera à déséquilibrer les faux équilibres. D’autre part, ce sont des mobilisations révolutionnaires, dont notre peuple a aujourd’hui besoin plus que jamais. La bataille sociale, à base de grèves et de collisions avec la réaction parlementaire, peut nous fournir l’occasion d’affrontements décisifs. Face aux bourgeois timorés qui s’effr&ient; du courage du peuple, nous applaudissons à l’action syndicaliste, qui renoue pour le moins avec les vertus guerrières et héroïques de la race ».
Ramiro Ledesma Ramos, cité dans Fascismo rojo, Colectivo Karl-Otto Paetel, Valencia, 1998.

Ramiro Ledesma Ramos naît à Alfarz de Sayago (Zamora) le 23 mai 1905, fils d’un maître d’école sans ressources excessives, mais d’une vaste formation culturelle. A seize ans, à peine, il déménage à Madrid où il travaillera comme fonctionnaire des Postes, recevant diverses affectations durant quelques années, jusqu’à ce qui soit définitivement nommé dans la capitale. Son origine sociale, de la classe moyenne inférieure, le marquera profondément ; il se sentait éloigné des luttes sociales de la décennie des années vingt.

Autodidacte, il n’aura pas une famille nantie qui le soutient, ni un nom qui l’introduit dans le Madrid de la dictature primoriveriste. Lui, il étudie et lit intensément tout ce qui lui tombe sous la main, la philosophie française en particulier. Rapidement, s’efforçant de se surpasser, il commence à s’intéresser aux philosophes allemands dont il apprend la langue dans leurs propres livres. Son habileté dans la langue de Goethe atteindra un tel degré qu’il traduira en espagnol divers travaux de philosophie qui seront publiés à Madrid. Cet aspect sera sans aucun doute une des spécificités qui fait que, lorsqu’il se lancera dans l’arène politique, il ne pourra pas partager la vision méridionale du fascisme, préférant la sobriété du national-socialisme quoique, en toute honnêteté et en vérité, il soit difficile de la classer dans ce courant idéologique.

Encore adolescent, il avait manifesté des préoccupations littéraires. Il écrivit entre 1923 et 1925 divers textes mineurs. Le Vide, Le Jeune suicidaire et L’Echec d’Eve sont les titres de quelques uns de ces travaux conservés mais jamais édités. Son premier livre voit le jour en 1924, il est publié aux Editions Reus de Madrid grâce à une contribution financière de son oncle, c’est son roman autobiographique Le Sceau de la mort. C’est un texte aux claires références existentialistes et irrationalistes, conséquence de sa pensée (Ramiro étudie Nietzsche, Bergson, Kierkegaard) qui le conduira à rompre avec le mouvement positiviste et rationaliste de l’époque. Ces lectures et sa vision philosophique marqueront sa future trajectoire politique, autant éloignée du naturalisme que du traditionalisme espagnol. On affirme toujours que ce roman est le résultat de l’influence de Unamuno sur Ramiro Ledesma, cependant il est plus proche des attitudes « barojianas » (L’Arbre de la science) qui s’abreuvaient aux mêmes sources rebelles et irrationalistes. Peu après, la même année, il écrit Le Quichotte de notre temps, cette fois comme un hommage au vieux maître de Salamanque, Unamuno, ayant déjà modifié substantiellement son style et sa vision. Ce texte restera inédit jusqu’à ce que Thomas Borras le publie en 1971, tout en le censurant légèrement.

En 1926, il s’inscrit à l’Université de Madrid, à la Faculté de Philosophie et de Lettres, cursus qu’il finira en 1930, en plus de celui en Sciences exactes (qu’il n’arrivera pas à terminer, se lançant dans le combat politique en 1931). Ce sont des années studieuses (qu’il n’interrompra même pas durant les longs mois de son service militaire qu’il accomplit entre août 1926 et octobre 1927) et avec l’aide de Ernesto Gimenez Caballero et de César Arconeda, secrétaire de la Gazette littéraire, et voisin de Ramiro, il s’initiera à la pensée philosophique la plus subtile de l’époque. Il tressera là, dans ces cénacles de discussion, une amitié avec beaucoup de ceux qui seront ultérieurement ses plus proches collaborateurs politiques mais aussi avec la fine fleur de la pensée espagnole. S’ouvriront à lui les portes de la Gazette littéraire et de la prestigieuse Revue de l’Occident, ainsi que celle d’autres revues avantgardiste dans la culture et la philosophie de l’époque. Dans l’Athénée de Madrid, Ramiro, a à peine vingt ans, est une figure consacrée, une promesse intellectuelle admirée par tous. Ortega y Gasset devient son maître principal en l’introduisant dans le monde complexe de la philosophie allemande. Il lit ainsi Ottogaard, Hegel, Scheler, Meyerson, Richert, Hartmann, Heidegger, Fichte, etc. Son attirance pour les mathématiques lui sera d’une grande utilité pour la philosophie ainsi que sa maîtrise de l’allemand. Il traduit et introduit en Espagne, nombre d’auteurs comme Einstein, Heidegger, Scheler et comme les écoles de la phénoménologie et de la gestalttheorie. Ses écrits, compliqués pour les profanes, sont élaborés et d’une grande hauteur intellectuelle, bien qu’éloignés de toute politique. La liste des travaux publiés entre 1928 et 1930, sous la plume d’un jeune fonctionnaire des postes, impressionne non seulement les profanes mais aussi les experts en la matière.

Pendant qu’il étudie et s’immerge dans le monde de la philosophie (et des mathématiques, ne l’oublions pas), il découvre les mouvements avantgardistes en littérature et en art. Avec ses compagnons de La Gazette littéraire et surtout grâce à Gimenez Caballero, Ramiro participe de ce nouveau courant faisant irruption et qui désire détruire « le vieux monde » de l’art afin de promouvoir les avant-gardes en Espagne. Comme en Italie, où le futurisme de Marinetti s’alliait avec le fascisme pour détruire les fondations d’un pays décadent, ces jeunes en Espagne réclamaient une sortie artistique à la crise sociale de la Restauration canoviste. Ainsi, on comprend que de l’art à la politique active, il n’y ait eu qu’un pas. Beaucoup de membres de La Gazette littéraire devinrent communiste, d’autres fascistes. C’est le reflet d’une époque et d’une génération rebelle qui se plongera dans le tourbillon de la guerre civile. La profonde amitié qui les unissait autour de l’art et des lettres s’engloutira dans la faille profonde séparant les deux Espagnes auxquelles se référait Machado et qui fut une triste réalité.

L’année 1931 est décisive dans sa vie. Il a vingt-cinq ans et par un revirement radical, ce qui fut une prometteuse trajectoire intellectuelle se convertit en activisme et en militantisme politique, quoique cette tendance pût déjà s’entrevoir dans certains de ses écrits antérieurs. Un grand intellectuel s’était-il mutilé au profit du caractère éphémère de la politique ? S’il n’avait pris cette décision cruciale, le Ramiro philosophe serait peut-être aujourd’hui un personnage consacré dans les encyclopédies. Ce « tout pour le tout » franchit le pas du Ramiro philosophe au Ramiro politique. Il n’avait pas de doute, il avait été contaminé, comme tant d’autres de sa génération, par ce que Mussolini appela « la maladie du XXe siècle », le fascisme.

Politiquement, Ramiro comme doctrinaire est presque aussi important, et beaucoup plus connu, que pour sa fonction intellectuelle. Il assoira les bases de l’idéologie nationale-syndicaliste que feront leurs, ensuite, la Phalange espagnole et, au moins de façade le franquisme. Tout d’abord avec La Conquête de l’Etat (en 1931), un hebdomadaire aux profondes réminiscences malapartiennes, ensuite avec les Juntes d’offensive nationale-syndicaliste (JONS), Ramiro Ledesma tentera de donner une forme politique à sa pensée philosophique (en 1932-1933). Durant la II République, Ramiro Ledesma assoie les fondements idéologiques, donne les consignes, les mots d’ordre et les symboles, qu’il apportera avec lui à la Phalange de José Antonio Primo de Rivera, le fils du dictateur, lorsque fusionneront en 1934, leurs formations politiques respectives.

Il est également intéressant de noter les relations que Ramiro Ledesma eut avec les groupes non-conformistes français des années trente et l’influence qu’ils exercèrent sur sa pensée politique. Nous nous référons aux contacts avec les groupes Ordre nouveau, la revue Plan et tout le réseau d’intellectuels non-conformistes qui durant cette décennie innovaient dans le monde de la culture et de la politique française. Aucun biographe de Ramiro n’a encore étudié cette relation. Ramiro Ledesma Ramos peut être considéré comme le représentant espagnol de ce courant que l’universitaire suisse Armin Molher a appelé la Révolution conservatrice. On comprend par ce terme, le groupe de jeunes intellectuels sortis de la crise de la Première guerre mondiale (en Espagne de la dictature primoveriste) qui en Allemagne, Italie, France, tentèrent de conjuguer le nationalisme avec la nécessité d’une révolution sociale. Evidemment, cela recouvre un spectre complet et vaste, trop vaste même pour l’évoquer ici. Les plus actifs représentant de ce groupe prédécesseur du national-socialisme et du fascisme italien, finirent par s’unir à l’un ou l’autre camp, beaucoup à celui du communisme mais également beaucoup à celui du fascisme. Se mirent en relief, ceux que l’on a appelé les nationaux-bolchevicks, situés entre le fascisme et le communisme, dont l’idéologie nationale-révolutionnaire ne réussit pas à atteindre une implantation sociale. A cause du langage politique ramiriste, quelques-uns uns ont tenté de l’assimiler à ce groupe, mais sans donner de preuves de cette relation, en se servant seulement de leurs intuitions. Aujourd’hui nous pouvons affirmer, sans l’ombre d’un doute, grâce à la documentation en notre possession et qui sera rendue publique, d’ici peu, dans un travail que nous préparons, que Ramiro Ledesma eut des relations avec les nationaux-révolutionnaires européens, et que ce fut le résultat de sa conception sorélienne de la politique. Vision également très proche de celle des anarcho-syndicalistes de Angel Pestana en Espagne, qui a été constamment revendiquée par les secteurs du national-syndicalisme les plus sensibles au problème social. S’il y eut quelqu’un qui sut interpréter Georges Sorel et le syndicalisme révolutionnaire découlant du socialisme révisionniste, ce fut bien Ramiro Ledesma.

Ramiro était-il alors fasciste ? Il évita toujours l’utilisation excessive de cette étiquette, qu’il ne rejetait pas par ailleurs, mais ce fut lui-même qui fit remarquer que le fascisme n’est rien d’autre  » dans son aspect le plus profond que le projet d’incorporer au support ou à la substance historique de l’Etat national les couches populaires les plus larges » et qu’en conséquence c’était une conception innovante de la société, capable d’affronter le marxisme et le parlementarisme bourgeois, et qu’il le percevait avec une sympathie plus qu’évidente. Nous ne pouvons le définir uniquement comme tel, mais il fut sûrement le représentant le plus authentique que posséda l’Espagne de ce courant de pensée politique, et celui qui fut le moins influencé par le traditionalisme réactionnaire du XIXe siècle. C’est un autre aspect, complètement distinct, de se perdre en considération sur la question de savoir s’il aurait pris le même chemin que beaucoup d’intellectuels de la Révolution conservatrice européenne, abandonnant le fascisme lorsqu’il découvrirent la mainmise sur celui-ci par les courants droitiers.

Déçu par la trajectoire, qu’il considère comme excessivement réactionnaire, de la Phalange, et pour des questions de stratégie propagandiste, il se sépara de ce parti au début de 1935 et commença sa dernière étape politico-intellectuelle. Sa trajectoire philosophique vitale était absolument incompatible avec la vision politique de José Antonio de Rivera et des autres dirigeants phalangistes beaucoup plus proches des positions traditionalistes de la pensée nationaliste espagnole, quoiqu’ils eussent une évolution intéressante et adéquate à ce moment. C’est dans ces deux dernières années de sa vie qu’il écrivit son fameux Discours aux jeunesses de l’Espagne, authentique précis de l’idéologie révolutionnaire et radicale qu’il avait commencé à rédiger en 1934, tout comme Fascisme en Espagne ? qu’il signera du pseudonyme qu’il utilisait dans la revue des JONS, Roberto Lanzas. Dans ce livre, le dernier qu’il publiera avant de mourir, il passe en revue la trajectoire des groupes fascistes espagnols (le groupe de La Conquête de l’Etat, la Phalange, les JONS) étant le meilleur guide pour comprendre leur échec et analyser les causes ayant engendrée l’incapacité à imposer une formation au ton fasciste en Espagne. C’est déjà un Ramiro déçu par les réalités espagnoles mais continuant à militer dans l’activisme politique.

Maintenant seul, après avoir abandonné la Phalange, il édite La Patrie libre, un hebdomadaire autour duquel il prétendit regrouper les jonsistes hors de la discipline phalangiste, mais après quelques rares numéros, il dut suspendre sa publication à cause du manque de fonds. Durant l’été 1936, il décide de se lancer à nouveau dans l’aventure journalistique et fonde Notre révolution, dont il ne sortira qu’un seul et unique numéro, au début de juillet 1936. Il reste alors moins d’une semaine avant que n’éclate la guerre civile.

Durant l’été de 1936, Ramiro Lesdesma Ramos est détenu dans le Madrid républicain et le 29 octobre, exécuté par des miliciens du Front populaire et jeté dans une fosse commune à Araveca, dans la banlieue de la capitale. Diverses versions de sa mort ont circulées, quoique toutes se rejoignent pour souligner son courage devant la mort lorsqu’il fut fusillé, et finalement assassiné pour ses idées. Lorsque son maître Ortega y Gasset prit connaissance de l’événement, il ne put que s’exclamer en frémissant : « Ils n’ont pas tué un homme, ils ont tué un entendement ! »

Mythifié sous le franquisme, mais par-dessus tout censuré de manière voilée (l’Eglise catholique alla jusqu’à demander qu’il soit inscrit « à l’index des auteurs prohibés »), Ramiro Ledesma sera considéré comme l’un des fondateurs du national-syndicalisme dans la propagande du système. Il était officiellement dans le Panthéon des héros phalangistes, mais malheureusement l’intérêt pour l’analyse de son œuvre était rare.

Ainsi ce n’est qu’en 1941 que l’on permit à Santiago Montero Diaz, un universitaire galicien, ami de jeunesse de Ramiro Ledesma et son principal défenseur dans l’Espagne franquiste de publier ses écrits philosophiques, qui ne furent d’ailleurs pas le moins du monde remarqués.

La même année, Ximenes de Sandoval, biographe passionné de José Antonio Primo de Rivera, commençait le travail de harcèlement et de démolition de la mémoire de Ramiro Ledesma, tandis que rapidement d’autres suivaient avec le consentement des médias officiels. Sa figure reste toujours reléguée à l’ombre de l’omniprésent José Antonio Primo de Rivera, beaucoup plus adaptable à l’idéologie du Nouvel Etat du généralissime Franco. Ce n’est que vers la fin du franquisme que des auteurs comme Sanchez Diana ou Tomàs Borras tentèrent de sauver l’héritage de Ramiro Ledesma, mais sans grand succès.

Durant l’époque de la transition, quelques dirigeants phalangistes désirèrent revendiquer le Ramiro politique mais peu connaissaient le Ramiro philosophe, en conséquence ils interprétèrent mal le Ramiro politique. L’un est inséparable de l’autre. Cependant, et pour cela nous leur serons toujours reconnaissant, la famille Ledesma réalisa un important effort de publication de ses travaux durant ces années. De plus, une nouvelle édition largement diffusée de ses écrits philosophiques vit le jour grâce à la maison d’édition Tecnos de Madrid en 1983. Cependant, le Ramiro philosophe continue encore d’être méconnu, tant par les historiens que par ceux qui s’intéressent à cette période de la pensée politique espagnole.

Erik Norling

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