Une droite radicale dans la Résistance

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Nationaliste, antiparlementaire, anticommuniste, corporatiste, défilant en uniformes, la Légion nationale belge a pu apparaître comme un calque du fascisme mussolinien. Elle s’en est pourtant distanciée et sous l’occupation allemande, son chef Paul Hoornaert ainsi que nombre de ses membres sont morts pour la cause alliée (1922-1944)

2 février 1944. A la prison pour travaux forcés de Sonnenburg (aujourd’hui Słońsk en Pologne), Paul Hoornaert rend son dernier souffle, vaincu par la maladie, les mauvais traitements et la sous-alimentation. Dix-huit mois auparavant, à Aix-la-Chapelle, un tribunal militaire allemand l’a jugé en tant que responsable d’une organisation qui « poursuivait des buts germanophobes » . Quinze de ses hommes ont été condamnés en même temps que lui, dont sept ont été fusillés.

Ce chapitre tragique de l’histoire de la Résistance ressemble à bien d’autres, avec une particularité. C’est que l’organisation ainsi décimée fut en son temps considérée comme « fasciste » et le serait encore plus au nôtre. Il s’agit de la Légion nationale belge, dont le parcours vient d’être retracé par Lionel Baland [1], « un écrivain » , ainsi qu’il se présente, qui a tiré amplement profit de travaux antérieurs mais aussi de sources de première main (presse surtout, dossiers de l’armée belge…).

Les bases de la Légion ont été jetées au printemps 1922 à Liège par Alphonse et Henry Graff, père et frère de José, un officier des forces d’occupation belges en Allemagne, assassiné le 23 mars de la même année. A la douleur de la perte s’ajoutera l’indignation suscitée par la grâce finalement accordée aux criminels allemands après leur procès par la justice militaire belge. Résolument patriote, dénonçant l’ingratitude envers ceux qui se sont sacrifiés, le nouveau mouvement démarre avec quelques centaines d’anciens combattants de la région, mais déborde assez vite du berceau liégeois, absorbe des organisations similaires ou rivales et devient, en 1924, la Légion nationale belge sous le contrôle d’Hoornaert, docteur en droit, alors avocat-conseil de la société métallurgique d’Ougrée-Marihaye.

Les premiers engagements du jeune chef ont eu pour cadre la démocratie chrétienne, tendance Sillon (Marc Sangnier). Collaborant à son organe liégeois La Dépêche, il y a attaqué lourdement l’Action française. C’est la Grande Guerre, au cours de laquelle il s’est distingué, montant en grade et gagnant de  nombreuses décorations,  qui a fait de lui un nationaliste belge, convaincu que le combat contre « les Boches » doit se poursuivre contre les ennemis intérieurs du Roi et de la patrie. « Pour nous, mes camarades, la guerre continue » , écrira-t-il dans ses souvenirs de 14-18 publiés en 1937: « Vous n’avez ni l’argent, ni la presse, ni le nombre » dans ce pays qu’on vous a « pourri jusqu’aux moelles » , où « l’iniquité crie jusqu’au ciel » et « la richesse s’accumule dans les mains immondes » (cité pp. 46-47).

Antiparlementaire et anticommuniste, maintenant une grande défiance à l’égard de nos voisins de l’Est, la Légion évolue vers la revendication d’un « ordre nouveau » , nettement affirmée dans son programme remanié de 1935. Dans Le redressement national, publié en 1929, Paul Hoornaert a laissé transparaître son inspiration maurrassienne (discrète, condamnation vaticane oblige), sans oublier le catholicisme social de ses débuts. A un directoire qui manquerait de cohésion ou à une dictature trop dépendante de la vie du dictateur est préférée « la monarchie absolue et héréditaire, assistée de conseillers techniques, voire d’un parlement purement consultatif » (p. 111). Parmi les idées-forces, bien dans l’air du temps, figure le corporatisme étendu au domaine législatif. Une brochure de 1934 formule le souhait que « conjointement avec le gouvernement, les chambres corporatives légifèrent sur les intérêts généraux du pays » (cité p. 40).

Le nationalisme séparatiste flamand est bien évidemment dénoncé et directement affronté par les sections de Gand et d’Anvers. Le 16 décembre 1929, les légionnaires anversois font face à « plus d’un millier de séparatistes antibelges et de rouges, armés de matraques, de bouteilles et de projectiles de toute espèce » , relate l’organe du mouvement (cité p. 87). Celui-ci n’en fait pas moins droit à la demande d’un statut pour la langue de Gezelle dans l’administration et l’enseignement, y compris supérieur. Quant à « la défense contre l’invasion et la domination juive » , elle est prônée tout en rejetant les méthodes en vigueur dans l’Allemagne nationale-socialiste. Il s’agit avant tout de protéger par des lois les intérêts nationaux contre l’afflux d’émigrants juifs. En janvier 1939, la Légion rappelle dans son périodique plusieurs déclarations de son leader selon lesquelles « la solution du problème juif ne résidait pas dans la violence physique, mais bien au contraire dans la rénovation politique et sociale d’un ordre nouveau. La solution, dit-il, ce n’est pas de tuer ou de persécuter les juifs. Il faut dissiper l’atmosphère qui favorise leur domination » (cité pp. 100-101).

Organisée géographiquement en zones, fédérations, sections, sous-sections et cellules ainsi qu’en fronts sectoriels (de l’industrie et du travail, agraire, des sciences et des arts, de l’action féminine…), la formation dispose en outre de « sections de protection » appelées régulièrement à échanger des arguments frappants avec les adversaires politiques. Le style des membres surtout, avec leurs uniformes, leur sigle, leur salut, leur cri de ralliement, leur service d’ordre musclé…, paraît à bien des égards calquer le modèle mussolinien. Un modèle qui, au moins jusqu’au début des années  ’30, séduit de larges pans de l’opinion et suscite des épigones un peu partout en Europe.

Dès 1927 pourtant, « la Légion met en veilleuse son admiration pour Mussolini » bien que nombre de jeunes, notamment, lui soient favorables (p. 111). En 1938, le rapprochement entre le Duce et le Führer transforme la prise de recul en rupture totale. « Par leur faute, par leur aveuglement obstiné, les Italiens ont perdu toutes les sympathies qu’ils avaient jadis en Belgique » , écrit Hoornaert (cité p. 138). Si celui-ci a été présent au congrès international des organisations d’ordre nouveau, réuni à Montreux en 1934, il en est revenu convaincu qu’ « il n’y a pas d’internationale fasciste » et que « les principes universels » s’appliquent « dans le cadre intangible des patries, selon les nécessités et les conditions particulières de chacune d’entre elles » (cité p. 132). Loin de Rome comme de Berlin, donc, le meneur belge pourra par contre célébrer sans réserve la victoire en Espagne du Movimiento nationaliste et catholique du général Franco, dans les rangs duquel des légionnaires sont allés combattre.

Sur le plan électoral, c’est peu dire qu’on n’a pas affaire ici à une locomotive. Aux législatives de 1925, les listes présentées dans les arrondissements de la province de Liège récoltent 4184 voix, sans aucun élu. « La Légion nationale menant, au cours des deux à trois mois précédant le scrutin, une campagne dure – Henry Graff tire à boulets rouges sur les catholiques, les libéraux et les socialistes –, déclenche une contre-campagne, note Lionel Baland. De plus, les électeurs comprennent difficilement que la Légion nationale, qui dénonce le parlementarisme, s’engage sur la voie électorale » (p. 77). Les tentatives ultérieures seront aussi peu couronnées de succès. Le recrutement se révèle plus gratifiant: de 2000 à 7000 adhérents au début des années ’30, dont 1500 Jeunes Gardes nationalistes.

Arrivent la guerre et la deuxième occupation allemande. En cohérence avec ses prises de position antérieures, Paul Hoornaert refuse toute collaboration. Il n’a pas eu de mots assez durs pour dénoncer l’attitude de Vidkun Quisling, « un prétendu « chef national »  » , qui a formé en Norvège un gouvernement aux ordres de l’ennemi (cité pp. 141-142). L’anticommunisme ne peut être une justification pour le patriote: « Lorsque deux bêtes fauves se battent et que l’une a sa patte sur votre corps, l’on souhaite d’abord la mort de la plus menaçante » (cité p.161). Les membres de la Légion tentés de suivre les rexistes sur la voie d’un engagement pronazi – « une infime minorité » (p. 160) – la quittent ou en sont exclus.

Mais faut-il agir ? Dans un premier temps, Hoornaert entend préparer ses hommes à combattre les ennemis du pays (communistes, nationalistes flamands, rexistes…), mais seulement après la fin du conflit et la libération du territoire. Certains veulent aller plus loin et mener des opérations clandestines en soutien à la cause des Alliés. C’est le cas du Bruxellois Fernand Dirix, qui passe pour le principal lieutenant du chef. Celui-ci finit par adopter cette option et en juin 1941, un accord est conclu avec la Légion belge, future Armée secrète.

Le choc en retour arrive dès le mois d’août. La Légion nationale est interdite d’activité par Eggert Reeder, chef de l’administration militaire pour la Belgique et le Nord de la France. Les entraînements, les contacts, les écrits, les dépôts d’armes n’échappent pas longtemps à la police de sécurité du Reich. Fernand Dirix est arrêté avec d’autres soldats de l’ombre et condamné à huit mois de prison par le conseil de guerre allemand le 22 octobre. La répression ne s’arrêtera plus par la suite. Hoornaert sera arrêté avec beaucoup d’autres, une première fois pour être relâché peu après, la seconde, le 24 avril 1942, pour être plongé dans l’enfer des déportés classés Nacht und Nebel ( « Nuit et Brouillard » )…

Selon Alain Colignon, quelque 500 légionnaires nationaux participent effectivement à la Résistance, soit dans le groupe Hoornaert-Dirix rattaché à l’Armée secrète, soit au sein du Mouvement national royaliste, soit – ce qui est plus singulier – dans les rangs du Front de l’indépendance noyauté par le Parti communiste [2]. Jacques Willequet (cité pp. 180-181) a chiffré pour sa part, sur la base d’informations fournies par Dirix, les pertes de la Légion à dix-sept fusillés, quatre pendus, deux décapités, dix assassinés, trente-six morts en détention et autant de morts au combat en 1944. Ils sont ainsi 105 au total à avoir payé de leur personne, prouvant que l’aspiration à un régime autoritaire ne conduisait pas nécessairement à épouser l’idéologie nazie, et certainement pas à trahir la patrie.

[1] La Légion nationale belge. De l’Ordre nouveau à la Résistance, Nantes, Ars Magna, (coll. « Le devoir de mémoire » ), 2022, 240 pp. Les conclusions du tribunal sont citées p. 169.

[2] Article « Légion nationale » , dans le site du Centre d’études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines (CegeSoma), https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/legion-nationale.html (en libre accès).

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