Sombart et les juifs

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La participation juive à l’édification du capitalisme a été traitée par Sombart dans plusieurs de ses ouvrages. Outre « Les Juifs et la vie économique » (Lipsia 1911), Sombart a traité cette question, bien que d’une manière plus synthétique et plus résumée, dans « L’avenir des Juifs » (Lipsia 1912), dans le chapitre « Le bourgeois » (Munich-Lipsia 1913), dans l’article que nous avons publié dans l’anthologie de Sombart aux éditions « di Ar » [1], dans la deuxième édition du « Capitalisme moderne » (Munich-Lipsia 1916) et dans les éditions ultérieures du même ouvrage.

La présence d’un chapitre sur les Juifs comme véhicules de l’esprit capitaliste dans l’édition définitive du « Capitalisme moderne » – une étude de caractère historique, économique et sociologique sur la formation du capitalisme – revêt une valeur emblématique concernant les conclusions atteintes par l‘auteur de la recherche précédemment conduite sur le rôle des Juifs dans la vie économique, dont les résultats sont exposés d’une manière organique dans « Les Juifs et la vie économique » ; et ces conclusions sont résumées au début du chapitre mentionné, le 62ème du premier volume :

« Dans mon livre sur les Juifs, je crois avoir démontré que leur importance spécifique pour l’histoire moderne réside dans l’impulsion qu’ils ont donnée à cette forme de l’évolution capitaliste que j’appelle la commercialisation du monde économique, cette généralisation caractérisant le passage à l’époque du capitalisme avancé. L’importance particulière et décisive des Juifs doit donc être recherchée dans le fait que leur activité a accéléré le passage de la forme du capitalisme primitif à la forme du capitalisme avancé. » [2]

Dans « Les Juifs et la vie économique », Sombart a toutefois montré que leur rôle dans l’édification du capitalisme ne se borne pas à cette transition, mais se manifeste déjà dans les débuts de l’économie moderne, et cela chaque fois que la période proto-capitaliste présente avec une évidence particulière les formes d’activité économique caractéristiques des Juifs. L’impact de cette activité à l’époque du capitalisme primitif, surtout depuis que les courants commerciaux se sont transférés de la région méditerranéenne à celle de l’Europe du Nord, a essentiellement consisté, selon Sombart, dans l’importante participation quantitative des Juifs au volume des affaires, et plus encore dans la qualité de leur commerce qui portait sur les produits de luxe, sur les produits de grande consommation, sur les articles nouveaux qui révolutionnaient les procédés traditionnels. La participation des Juifs en tant qu’entrepreneurs s’est en outre exprimée dans leur rôle massif dans la colonisation de l’Amérique où ils avaient déjà débarqué fin 1492, et, en troisième lieu, dans la fonction des marchands juifs comme fournisseurs des armées durant les siècles de formation des Etats modernes.

Sombart ne se contente pas de souligner le rôle d’entrepreneurs des Juifs dans la formation du capitalisme, il considère qu’il faut prendre en compte leur activité dans le secteur des crédits, exercée et perfectionnée siècle après siècle par la pratique de l’usure. De fait, Sombart considère le crédit comme « une des plus importantes racines du capitalisme » [3] en ce sens que, en toute tranquillité et en toute objectivité, il attribue une matrice culturelle juive à la civilisation occidentale moderne, d’accord en cela avec le Juif Karl Marx dont il cite les affirmations célèbres (dans « Deutscher Sozialismus », Berlin-Charlottenburg 1934) : « L’esprit juif est devenu l’esprit pratique des peuples chrétiens », « les Juifs se sont émancipés dans la mesure où les chrétiens se sont transformés en Juifs », « la véritable nature des Juifs s’est réalisée dans la société bourgeoise » [4].

La différence entre Marx et Sombart, bien que tous deux étaient lucidement conscients de l’équivalence survenant progressivement entre mentalité juive et mentalité occidentale moderne, réside dans l’antithèse absolue de leurs jugements de valeur sur la civilisation capitaliste, sous le signe de l’usure. En effet, considérant les fondements et l’évolution de l’histoire, dont il déduit toutes sa construction idéologique, Marx y voit un facteur de progrès historique, c’est-à-dire un événement positif, dans l’expansion planétaire de la civilisation bourgeoise. A la différence de ses épigones « anti-impérialistes » et partisans du « Tiers-Monde », il approuve le colonialisme, approuvant par exemple la destruction des traditions par l’impérialisme britannique en Inde, ou quand il prend ouvertement parti pour les Etats-Unis dans leur guerre contre le Mexique ; dans un article paru dans la « Rheinische Zeitung », il condamne les « sauvages mexicains » et, d’une manière générale, tous les mouvements de libération latino-américains (« un misérable et une canaille », telles sont les injures dont Marx gratifie Simon Bolivar).

Sombart, au contraire, prend le contre-pied de certains zélateurs contemporains de l’expansion et de l’hégémonie mondiale de la « race blanche » et considère le colonialisme comme un facteur d’exportation de la décadence. Sa condamnation du phénomène colonialiste est donc claire et sans appel :

« Les Européens occidentaux ne peuvent offrir aux peuples subjugués que les valeurs problématiques de leur civilisation : des canons, de la poudre, des conduites d’eau, des W.C., des tramways, des machines, des téléphones, des constitutions parlementaires, etc. En même temps, ils détruisent des cultures de grande valeur en Afrique, en Amérique et en Asie. Ils se sont comportés comme des éléphants chez un marchand de porcelaine ; au lieu d’une diversité aux multiples couleurs, ils ont imposé la grise uniformité de leur inculture. Cette ère déplaisante de l’histoire humaine, comme il fallait s’y attendre, est terminée, la domination de la race blanche sur la terre touche à sa fin. Et cela non parce que les Européens occidentaux auraient reconnu leurs torts, mais parce que les autres peuples ont commencé à penser par eux-mêmes selon leur nature particulière. L’idée nationale se répand de plus en plus et trouve de nouveaux apôtres. » [5]

Et ainsi, au cours des années où Sombart formulait cette opinion, les « apôtres de l’idée nationale », si nous voulons user de cette expression approximative pour désigner les partisans des diverses formes traditionnelles, se sont inspirés de ce « socialisme allemand » dont l’économiste d’Ermsleben attendait un dépassement de l’« ère économique ». Et ainsi, lors de la tentative d’arrêter la diffusion contaminatrice du « foetor judaicus » et de sauver les régions de la terre que celui-ci n’avait pas encore empestées, les milieux les plus conscients et les plus représentatifs de l’hindouisme, de la tradition japonaise et de l’islam se joignirent à la guerre proclamée par le IIIè Reich contre les puissances asservies par l’usure, donnant ainsi au combat du national-socialisme le caractère d’une « guerre sainte » et transformant le duel inégal entre l’Allemagne et les Alliés en un combat entre le monde de la Tradition et le monde moderne.

Considérée à la lumière de son évolution historique, l’œuvre de Sombart – depuis le « Capitalisme moderne » jusqu’aux « Juifs » et à son célèbre essai anthropologique « De l’Homme » [6] –, même si ses horizons spécifiques peuvent paraître limités et partiels, prend la valeur d’un manifeste qui s’articule spirituellement de la même manière que le « Déclin de l’Occident », et annonce, avec des tons analogues quoique différents, le déclin du système instauré par l’homme faustien et, parmi les modèles alternatifs à l’Etat capitaliste – représentés à cette époque par l’Etat soviétique ou par l’Etat « völkisch » – choisit les solutions proposées par les partisans du deuxième modèle, reconnaissant à celui-ci une contribution rectificatrice.

L’ouvrage « Les Juifs » a exercé une influence importante sur les milieux « völkisch », comme le confirme un éminent chercheur juif, Mossé, qui écrit à ce propos :

« Les préjugés économiques, toujours prisés dans les milieux antisémites, reçoivent la consécration académique avec l’essai de Werner Sombart (…) Sombart n’a pas prononcé de condamnation des Juifs : son intention était simplement de formuler une analyse historique du développement du capitalisme ; mais les auteurs et les propagandistes du camp national-patriotique apprirent vite à se servir de son œuvre et à l’adapter à leurs fins. Cette œuvre correspondait, en gros, à l’image qu’ils se faisaient des Juifs comme des êtres incapables, déracinés, malhonnêtes, entremetteurs et spéculateurs, uniquement occupés à amasser de l’or et à saigner l’Allemagne. » [7]

En effet, « Les Juifs » constitua une importante œuvre de référence pour Theodor Fritsch – l’inventeur de la ville-jardin et qui, dans son « Manuel de la question juive » [8] – un texte qui connut quarante éditions et que les nationaux-socialistes considéraient comme l’œuvre d’un vieux maître – utilisa en divers points l’essai de Sombart sur les Juifs, afin de décrire leur rôle économique dans la société moderne ; et le livre de Fritsch ainsi que « Les Juifs et la vie économique » figurent parmi les titres les plus cités d’un opuscule de Dietrich Eckart, paru après sa mort, où certains ont cru déceler la source de la polémique antijuive de Hitler [9].

Néanmoins, on s’est refusé à définir l’œuvre de Sombart comme un « prélude intellectuel au nazisme » [10] et on a souligné les différences entre l’« idéologie du national-socialisme » et le « spiritualisme de forme romantique et religieuse d’un Sombart, c’est-à-dire d’un homme de culture et non d’action » [11] – comme si les théories dont est issu le phénomène national-socialiste n’avaient pas été élaborées par des hommes de culture. L’intention sournoise d’une certaine sociologie, surtout catholique [12], de récupérer et d’instrumentaliser certains aspects de la pensée sombartienne – une intention qui conduit à séparer artificiellement la « responsabilité » de Sombart de celle du national-socialisme – n’est certainement pas une méthode légitime. Au contraire, il faudrait examiner quelles tendances se retrouvent dans ce phénomène hétérogène que fut le national-socialisme, reconnu comme spirituellement apparenté à l’œuvre de Sombart, et quels éléments de cette œuvre ont influencé les diverses tendances du mouvement historique en question. Pour prendre un exemple : on ne saurait exclure que le jugement de Sombart sur le colonialisme, cité plus haut, s’il n’a pas été adopté par l’aile occidentaliste et anglophile du national-socialisme, ait contribué à la formation d’une position anticolonialiste dans la SS, puisque déjà à l’époque de l’affaire d’Ethiopie, l’organe officiel de l’Ordre, « Das Schwarze Korps », a très fortement critiqué l’initiative italienne, rejoignant ainsi les arguments de Sombart.

Un point dans lequel les récupérateurs précités se sont efforcés de voir une opposition totale entre Sombart et le national-socialisme est celui qui concerne la race – comme si les théoriciens nationaux-socialistes n’offraient pas une multiplicité d’opinions. D’après Rizzo, par exemple, Sombart présenterait « un formidable argument contre le racisme en observant que la population allemande est composée de cinq races différentes et d’un nombre non précisé de sous-races » [13] ; pour conforter sa thèse, le spécialiste en question cite le passage suivant du « Socialisme allemand » :

« on ne saurait scientifiquement prouver qu’une race donnée réside dans un seul esprit, ni qu’un esprit donné ne se rencontre que dans une seule race. Un esprit allemand chez un Nègre est possible, comme un esprit nègre chez un Allemand. On prouvera seulement que des hommes avec un esprit allemand sont beaucoup plus nombreux dans le peuple allemand que chez les Nègres et inversement. » [14]

Eh bien, quelle différence essentielle y a-t-il entre la politique de Sombart et la meilleure doctrine de la race, qui nie ou dépasse le racisme biologique matérialiste, pour voir dans l’homme un être qui n’est pas fait de son seul corps et qui considère enfin tous les éléments constitutifs de l’être humain ? Le « formidable argument contre le racisme » invoqué par Rizzo, Sombart l’a déduit de la classification anthropologique formulée par un auteur de premier rang : Hans F.K. Günther, professeur d’anthropologie sociale à l’Université de Fribourg qui en 1942 était présenté par Evola comme l’« un des racistes allemands les plus connus et les plus cités » [15]. Günther fournirait-il, lui aussi, un « argument formidable » contre le racisme ? Quant au passage précité du « Socialisme allemand », les points de vue qui s’y expriment correspondent exactement aux orientations les plus positives de la doctrine de la race susmentionnée. Nous demandons encore : quelle différence essentielle y a-t-il entre ces opinions et celles du psycho-anthropologue Ludwig Ferdinand Clauss ? Peut-on considérer Clauss, avec sa contribution rectificatrice apportée à la doctrine de la race, comme un adversaire du national-socialisme ?

L’idée – hérétique aussi bien pour le racisme « zoologique » que pour l’antiracisme démocratique – d’une « race de l’âme », qui se trouve à la base de la théorie de Clauss et qui est sommairement exprimée dans le passage cité plus haut, est capitale pour comprendre la notion sombartienne d’« esprit juif ». De même qu’il est possible de trouver « un esprit nègre chez un Allemand » et inversement, il est aussi possible de trouver un esprit juif chez beaucoup de « Goyim » :

« … les plus grands magnats de la finance mondiale sont du plus pur sang aryen et beaucoup des plus grands scandales boursiers ou bancaires sont liés à des noms non-juifs. » [16]

A l’origine la plus lointaine du capitalisme, les Juifs comptent moins comme individus ou comme réalité collective agissant sur l’histoire que comme idée platonicienne (Sombart appelle cela : « esprit ») correspondant à une tendance particulière de l’esprit (Sombart l’appelle « mentalité ») : c’est là la « race de l’âme » que Otto Weininger – « le seul Juif digne de vivre », selon un jugement du Führer – appelle « judaïté » : « Celle-ci – écrit-il – est possible chez tous les hommes et elle n’a trouvé dans le judaïsme historique que sa réalisation la plus grandiose » [17]. Cette idée se retrouve chez Sombart :

« Cet esprit (l’esprit juif, NDR) prend tout d’abord racine dans le peuple juif et se répand largement, car, comme on peut le supposer, il correspond à un caractère inné ou du « sang » très fréquent dans le peuple juif. » [18]

* * * * *

La judaïté n’est cependant pas, pour Sombart, la seule source de la mentalité capitaliste :

« Nous ne manquons pas à ce point d’esprit critique pour attribuer toutes les particularités de l’homme économique moderne à l’influence de la morale juive (si grande que celle-ci ait pu être). » [19]

A coté de l’esprit juif, d’autres facteurs ont agi, telles certaines philosophies, certaines religions et certaines Eglises, outre les acquis intellectuels et les facteurs techniques et psychologiques comme la jalousie sociale des bourgeois et d’autres forces – le Ressentiment de Nietzsche –, et aussi en premier lieu l’Etat, une entité qui ne saurait s’expliquer rationnellement, car :

« … la compréhension du sens de l’Etat entre dans le champ de la transcendance. » [20]

Le fait que Sombart s’efforcerait de ne pas souligner un seul de ces facteurs – même pas celui de l’esprit juif – mais aurait soin de mettre en lumière l’impact d’ensemble des divers facteurs conduit à établir une comparaison entre l’auteur des « Juifs » et l’auteur de « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ». En effet, Max Weber, en portant une attention particulière au rôle de l’éthique protestante dans la formation de la mentalité capitaliste, aurait pu aussi relever l’influence d’autres forces spirituelles. Au lieu de cela, Weber a établi un rapport de filiation quasi exclusif entre éthique protestante et mentalité capitaliste, ce qui a réduit l’importance du facteur juif, ramené à un apport moral limité fourni à la question ultime du puritanisme :

« Le judaïsme s’est trouvé du coté du capitalisme des aventuriers, orienté dans un sens politique et spéculatif ; son éthique était, en un mot, celle du capitalisme du paria ; le puritanisme a apporté l’éthique de l’industrie nationale bourgeoise et de l’organisation rationnelle du travail. De l’éthique juive, il n’a pris que ce qui lui était utile dans ces limites. » [21]

Un tel point de vue est confirmé par Weber dans son écrit sur la prophétie et l’éthique juive, où le capitalisme juif diffère nettement du protestant, lequel passe pour seul précurseur du capitalisme moderne. Le capitalisme des Juifs est considéré comme « typique d’un peuple paria », car :

« … il se trouvait aussi bien dans le commerce que dans l’usure, ainsi que dans les formes bannies par le protestantisme, c’est-à-dire dans le capitalisme d’Etat et dans le capitalisme prédateur ». [22]

Weber s’était promis d’analyser de manière approfondie le rôle joué par les Juifs dans le développement de l’économie occidentale moderne, parce qu’il n’était pas satisfait du traitement sombartien de la question. Mais le problème ne put pas être traité, à cause de la mort de Weber, survenue en 1920. Cependant, dans « Economie et société », un passage [23] revient sur ce sujet et explique comment est attribuée aux Juifs l’introduction de certaines formes d’activité économique en Europe, avant tout celle des emprunts.

En réalité, si nous faisons abstraction de l’attention particulière que Sombart et Weber portent respectivement à la judaïté et à l’éthique protestante, nous voyons que les théories formulées par les deux sociologues, malgré la prétention d’exclusivité observée chez Weber, peuvent très bien se compléter sans se nuire, et nous pouvons souscrire à l’affirmation de Rizzo selon laquelle :

« … les recherches de Weber sur les éléments pré-capitalistes dans la profondeur de la culture protestante et celles de Sombart sur les conséquences de la ‘chasse’ aux hérétiques se rejoignent et se complètent ; sur ce point, la description de Sombart prend l’aspect d’une ‘continuation’ de l’analyse de Weber ». [24]

Rizzo parle de chasse aux hérétiques, mais, pour éviter tout malentendu, il faut considérer que Sombart place les Juifs dans la catégorie des hérétiques :

« … les ‘hérétiques’ en Europe étaient en premier lieu les protestants (et les Juifs) ». [25]

Nous pouvons donc conclure que, dans le panorama composé par les études de Weber et de Sombart, les acteurs et les véhicules historiques de l’esprit capitaliste sont les étrangers, les hérétiques, les Juifs, les émigrants, les persécutés religieux, c’est-à-dire tous ceux qui, animés du désir d’une vie nouvelle et d’un esprit de revanche, se sont exprimés dans les possibilités individuelles d’une lutte continue dans un milieu hostile, et qui voient dans le pays où ils sont arrivés une terre étrangère, sans âme et désolée. Un tel milieu ne peut être ressenti que comme objet d’exploitation, comme un moyen de s’enrichir ; dès lors, on peut utiliser tranquillement les méthodes les plus basses, comme l’usure. Mais, parmi tous les « étrangers », les Juifs exercent cette méthode à titre de devoir religieux, comme le leur prescrit un verset du Deutéronome : « Prend l’intérêt des étrangers, mais non de ton frère, afin que Dieu, ton maître, bénisse tous tes actes sur la terre où tu poseras le pied et dont tu t’empareras ». [26]

Il est clair que l’étude de la contribution juive à l’édification du capitalisme n’est pas épuisée par l’ouvrage de Sombart « Les Juifs et la vie économique » ; dès lors, la présente traduction des « Juifs » invite à la continuation, à la mise à jour et à l’achèvement de la recherche sombartienne.

Cela ne signifie certainement pas que si le rôle du « peuple élu » est pleinement éclairci dans l’instauration du capitalisme, dans sa consolidation et son expansion, la signification complète du phénomène capitaliste soit automatiquement élucidée. Un tel phénomène peut ressembler à une équation à plusieurs inconnues, où la résolution d’une seule inconnue n’est pas encore celle de toute l’équation.

Le capitalisme représente le stade le plus ignominieux de la civilisation humaine, le degré le plus dégradant du processus de décadence humaine, le niveau inférieur de la dégénérescence, que Plotin décrit comme un « dieu dans la chair » (theos en sarki). L’action de l’« esprit juif » n’est sûrement pas la seule cause de la décomposition qui a conduit l’humanité occidentale à ce résultat ; il a plutôt opéré, pour employer une image adéquate, à la manière d’un levain.

Mais, par souci de précision, il faut encore dire que la décomposition dont le judaïsme fut l’agent historique s’est tout d’abord accomplie dans l’âme juive elle-même : les vicissitudes de l’histoire des « enfants d’Israël » le montrent clairement. On y constate une tendance irrésistible à se séparer de l’essence de la Tradition pour adhérer à une forme d’être toujours plus vide : une tendance qui trouve dans l’hypocrisie pharisienne son expression la plus évidente et qui justifie et explique le grand nombre de prophètes issus du peuple juif et dont la mission était de le corriger et de le ramener à l’enseignement primordial d’Abraham. A l’équilibre entre « l’esprit » et la « lettre » que celui-ci comportait, les Juifs ont préféré rompre cet équilibre aux dépens de l’esprit, et sont ainsi tombés dans un formalisme vide, dans une adoration de la coquille vide, dans une obéissance aveugle à une Loi qui n’est plus considérée comme un instrument de réalisation spirituelle, mais qui est objectivement réduite à un instrument de grossière cohésion sociale [27].

Si le capitalisme est donc en grande partie un produit de l’« esprit juif » – qui s’exprime dans le formalisme mentionné –, une authentique restauration de l’humain ne saurait se réaliser par un simple combat contre les effets ultimes, qu’il s’agisse de l’organisation capitaliste de l’économie ou des Juifs eux-mêmes. En d’autres termes, il est naïf de vouloir combattre le processus de décadence aboutissant à l’ignominie capitaliste par de simples mesures antijuives, si énergiques puissent-elles être ; les persécutions dont les Juifs ont eu à se plaindre représentaient tout au plus une opération superficielle laissant intacte la racine du mal – un mal dont la véritable origine réside dans l’esprit de négation anti-traditionnel.

Par conséquent une opposition efficace au capitalisme et à l’« esprit juif » ne peut se développer que là où l’on prend comme points de repère, pour la bataille à livrer, les enseignements de la Tradition. C’est seulement ainsi, en s’opposant à l’Anti-tradition sur le même plan méta-historique où celle-ci a sa racine, qu’il sera possible de rendre à l’homme sa fonction de représentant de Dieu sur la terre – une fonction que le processus de décadence historique a peu à peu érodée, pour aboutir au stade extrême de dégénérescence représenté par l’« ère économique » de Sombart, qui réserve à l’être humain un rôle unique : le rôle bestial de producteur et de consommateur d’objets, d’accumulateur et de trafiquant de choses matérielles.

Claudio Mutti.

Notes

[1] W. Sombart, « Metafisica del capitalismo », Padoue 1977.
[2] W. Sombart, « Il capitalismo moderno », Turin 1967, p. 286.
[3] Ibid., p. 304.
[4] W. Sombart, « Il socialismo tedesco », Florence 1941, p. 235.
[5] Ibid., p. 246.
[6] « Vom Menschen, Versuch einer geisteswissenschaftlichen Anthropologie », Berlin-Charlottenburg 1938.
[7] G.L. Mossé, « Le origini culturali del Terzo Reich », Milan 1968, pp. 207-208.
[8] « Handbuch der Judenfrage », Leipzig 1933. Le travail de Sombart sur « Les Juifs » est citée aux pages 54, 72 et passim, 290 et passim.
[9] Cf. Ernst Nolte, « Eine frühe Quelle zu Hitlers Antisemitismus », dans « Historische Zeitschrift », CXCII, 3 (juin 1961), pp. 584-606.
[10] F. Rizzo, « Werner Sombart », Naples 1974, p. 48.
[11] A. Cavalli, « Introduzione » à W. Sombart, « Il capitalismo moderno », cit. p. 48.
[12] A ce sujet, instructive semble être l’attention portée par Fanfani à l’œuvre de Sombart ; Cf. par exemple : A. Fanfani, « Introduzione allo studio della storia del pensiero economico », Milan 1960.
[13] F. Rizzo, op. cit., p. 59.
[14] W. Sombart, « Il socialismo tedesco », cit. p. 234.
[15] J. Evola, « Il mito del sangue », Milan 1942, p. 123.
[16] W. Sombart, « Il socialismo tedesco », cit. p. 235.
[17] O. Weininger, « Sesso e carattere », Rome 1956, p. 415. Pour une étude de la question juive basée sur la question de la judaïté, voir notre essai « Ebraicità ed ebraismo – I Protocoli dei Savi di Sion », Ed. di Ar ; Padoue 1976.
[18] W. Sombart, « Il socialismo tedesco », cit. p. 236.
[19] W. Sombart, « Il borghese », Milan 1950, p. 403.
[20] W. Sombart, « Il socialismo tedesco », cit. p. 214.
[21] M. Weber, « L’etica protestante e lo spirito del capitalismo », Florence 1977, p. 279.
[22] M. Weber, « Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie », Tübingen 1920, vol. III, p. 359. Cf. M. Weber, « Le sette e lo spirito del capitalismo », Milan 1977, p. 165.
[23] M. Weber, « Wirtschaft und Gesellschaft », Tübingen 1922, vol. I, p. 598.
[24] F. Rizzo, op. cit., p. 58.
[25] W. Sombart, « Il capitalismo moderno », cit. p. 276.
[26] « Deutéronome », XXIII, 21.
[27] Cet équilibre qui privilégiait la lettre devait nécessairement provoquer une réaction dans le sens opposé : la prédication de Jésus, à partir de laquelle se développa une religion qui substitua l’ordre spirituel à l’ordre social, avec l’inévitable conséquence d’une législation sociale qui ne correspondait plus aux exigences sociales. Avec l’Islam, enfin, on atteint un retour à la tradition primordiale (sous la forme du monothéisme d’Abraham), de sorte que la forme islamique rétablit l’équilibre entre l’« esprit » et la « lettre », en instituant une législation sacrée pour « ce monde » et en confirmant le rôle central de l’ésotérisme.

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