Un entretien retrouvé. En 2009 Kemi Seba répondait à un NR. Que pensait-il alors ?

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Entretien réalisé pour Flash en septembre 2009.

Comment un jeune noir comme vous en est-il venu à défendre les thèses que vous développez ?

Mon histoire est à la fois simple et complexe.

Simple parce qu’elle s’inscrit, je pense, dans le parcours collectif global des afro-descendants de la deuxième génération nés en France qui ont connu au grès du temps, des époques et des régions, un certain nombre de situations difficiles. Pour certains, le racisme a été plus que présent dans leur histoire et dans leur parcours. Ça a été mon cas.

Complexe, parce que j’ai eu un regard qui m’a permis d’avoir de la hauteur. En effet, même si cela va faire maintenant douze ans que j’habite en banlieue, je n’y suis pas né. Je suis un fils d’intellectuel africain. Mon père était un médecin qui a malheureusement mal commencé sa carrière en ouvrant un cabinet dans un coin raciste. De ce fait, alors que sa profession libérale aurait dû lui permettre de structurer sa famille, dès le début de sa carrière il a connu les dettes. À la suite de quoi mes parents se sont séparés et j’ai été baladé au gré des temps entre ma mère et mon père. J’ai plus vécu avec ma mère pour différentes raisons, ce qui fait que je n’ai pas été influencé par les idées mitterrandiennes, socialistes, voire gauchistes, de mon père.

Où j’ai grandi, le racisme s’est présenté à moi d’une telle façon que ça m’a permis très tôt de comprendre qui j’étais et où je devais aller.

Il y a deux choix, il y a deux types de noirs. Il y a ceux qui, quand ils vivent le racisme, disent : « S’il vous plait, aimez-moi ; s’il vous plaît, je veux être apprécié de vous ; s’il vous plaît, je suis un être humain comme vous. » Il y a les autres, et je crois que je fais partie de cette seconde catégorie, qui estime qu’il est plus que nécessaire, lorsque l’on ne vous aime pas de faire comprendre à votre interlocuteur que s’il ne vous aime pas vous ne l’aimez pas non plus.

C’est dans cette démarche là que je me suis installé.

Je me souviens, à titre anecdotique, de ma première fouille. Elle m’a permis de comprendre que l’histoire du rapport de classe n’avait rien à voir dans le parcours et le paradigme qui était le nôtre. J’avais trois ans et demi. On était dans un petit village. Mon père, qui était à l’époque encore interne en médecine, était venu y faire une garde. On est parti faire des courses dans ce lieu où les gens à l’époque n’avaient sans doute encore jamais vu de Noirs de leur vie. J’exagère peut-être en disant cela, mais dans le vécu c’est comme cela qu’on l’a traduit. On a été fouillé avec ma mère. J’avais moins de quatre ans, il y avait mon petit frère qui marchait à peine, ma mère était une femme qui avait une grande classe, pas du tout un profil de voleuse. Ce qui m’a marqué, c’est qu’on m’a demandé de montrer mes poches pour prouver que je n’avais rien volé, comme si, à cet âge-là on pouvait être dans une démarche de vol, de surcroît accompagné par sa mère. Quand on est sorti du magasin, ma mère m’a expliqué que la cause de cette fouille était que nous étions des Noirs, que certains n’acceptaient pas cette différence, mais qu’il ne fallait pas en tenir compte et leur montrer au contraire que nous étions des êtres humains. C’était le discours de mes parents, un discours républicain. C’est un discours, au fur et à mesure que le temps a passé, plus j’ai grandi, auquel je n’ai pas adhéré.

Je vivais toujours dans des petits villages, parce que nous étions baladés de droite à gauche. Je vivais dans des endroits où nous étions les seuls Noirs, il y avait juste parfois quelques rebeus. J’étais le seul Noir, or j’étais toujours celui qui était le plus fouillé, celui qui était le plus contrôlé, celui qui était le plus bousculé par la police, à chaque fois qu’il y avait un regroupement de jeunes à la campagne. Alors que tous mes potes fumaient, je ne fumais pas – je n’ai jamais touché une cigarette de ma vie -, j’avais une hygiène de vie parfaite, mais j’étais cependant celui qui était le plus contrôlé pour vérifier si je n’avais pas de shit ou d’autres substances illégales. Cela alors même que ma situation sociale, même si je ne vivais plus avec mon père, aurait soi-disant dû me procurer, si on respecte une analyse en termes de classe, une certaine protection contre ces préjugés. Ce n’était pas le cas. J’ai très tôt compris que quand tu es Noir, que tu sois riche ou pauvre, de la classe moyenne ou du prolétariat, tu es avant tout Noir et que le fait d’être Noir est un ghetto à part entière.

De par mon histoire familiale, je suis arrivé en région parisienne, dans le 92, à quatorze ans. Lorsque j’ai découvert Château d’eau, Château rouge ou Chatelet, pour moi ce fut mon pèlerinage en Afrique. Le seul fait d’être à Château d’eau, là où les autres allaient se faire coiffer, j’étais avec les miens. Je restais devant la vitre du coiffeur et j’écoutais Papa Wemba, les musiques de l’époque, le rap que j’ai découvert alors. Très tôt, à cette époque, j’ai compris qu’il était nécessaire que toutes les expériences personnelles que j’avais vécues soient cristallisées et magnifiées pour servir à défendre les intérêts de ce que j’estimais être mon ghetto, qui était ceux qui avaient la même couleur de peau que moi. Et j’ai porté depuis là cette fierté parce que c’est de l’extérieur que j’ai compris qui j’étais à l’intérieur.

Cela, quelqu’un qui n’est pas Noir, qui n’a pas connu le parcours personnel que j’ai vécu, peut ne pas comprendre la démarche qui est la mienne. Mais quand j’entends des abrutis, des imbéciles, qui nous parlent de lutte des classes en disant que les histoires de race ça n’a rien à voir, qu’on est tous de race humaine, je considère que dire qu’on est tous d’une seule race humaine c’est des bullshits pour moi. Il y a le phénotype qui nous différencie et je l’ai vécu. C’est ce phénotype qui fait que le continent africain est considéré aujourd’hui comme le rebut de l’humanité, c’est ce phénotype qui fait qu’en Australie les aborigènes ont été considérés comme des sous-hommes, c’est ce phénotype qui fait qu’aux Philippines les négritos ont été considérés comme des sous-hommes, et je pourrais continuer ad nauseam. Donc, j’ai vraiment été préparé je pense à la destinée, au travail qui est le mien, même si ce que je fais aujourd’hui va au-delà de mes espérances, et l’impact, le retour qu’on en a vis-à-vis d’un certain nombre de personnes va au-delà de mes espérances. Mais avant même de rentrer dans le militantisme, j’ai été jeté hors de chez moi, on va dire que c’est vraiment là que je l’ai connu lorsque j’étais âgé de 19 ans par rapport à mes idéaux politiques. À partir de là, le combat qui a été le mien a été fusionné avec la vie que je menais, et aussi un peu comme Bouddha qui sort de son palais, même si ce n’était pas un palais, mais j’ai toujours bien vécu, je n’ai jamais manqué de rien, j’ai toujours eu l’amour de ma mère qui était là pour me montrer que je pouvais être quelqu’un de grand, de bien. Lorsque j’ai dû me débrouiller tout seul c’est là qu’il y a eu le groupe d’étude de la Nation of Islam, j’ai commencé à apprendre, ça a été mon école, même si j’ai interrompu ce parcours pour voler de mes propres ailes : Parti kémite, Tribu Ka, puis les organisations qui ont été interdites successivement par le gouvernement, mon parcours et mon combat d’aujourd’hui s’expliquent par la réalité que j’ai vécue et que j’ai connue. Il faut comprendre qu’il y a un problème de race dans le monde dans lequel nous vivons et ce n’est pas en les effaçant, ce n’est pas en disant on est tous pareils que les blessures seront gommées. Le Brésil en est le meilleur exemple. C’est le pays le plus métissé, mais c’est aussi le pays où les peaux noires sont les plus discriminées au monde. Et ceux qui connaissent un petit peu cette société savent de quoi je parle. C’est toujours la strate la plus bronzée qui sera la plus discriminée. Aujourd’hui, un Arabe, quelqu’un qui a la couleur de peau d’un Arabe sera plus discriminé au Brésil quelqu’un qui a la couleur de peau blanche comme un Français de souche ou un Anglais, et ça c’est quelque chose qu’on ne peut nier et c’est pourquoi je dis qu’on doit tenir compte de cette problématique réellement et quand on me dit qu’il faut être républicain, que le communautarisme ça ne veut rien dire, je réponds arrêtez vos bullshits avec moi. Il y a une réalité aujourd’hui qui fait que certaines personnes sont considérées comme des sous-hommes et je pense que la solution in fine est que chacun puisse être avec sa famille et c’est à mon sens la seule solution pour que le racisme disparaisse.

Vous êtes parallèlement passé d’un suprématisme noir à une forme d’ethno-différentialismes et du kemitisme à l’islam. Pourriez-vous nous expliquer ce qui a motivé cette évolution aussi bien politique que religieuse ?

Pour commencer, il faut savoir que même à une époque où j’ai pu tenir un discours qui a été bien plus radical, bien plus extrémiste qu’aujourd’hui par rapport aux races, jamais ma démarche n’a été suprématiste. Vous savez quand on commence jeune, il y a la fougue, il y a l’énergie, il y a la colère de ce qu’on a pu vivre, on nous parle du racisme dans les années 1960 aux États-Unis alors que le racisme existe ici, ce qui fait que quand je suis arrivé j’étais, c’est comme ça qu’on m’a connu et je ne le regrette pas, j’étais une boule de feu qui tirait sur tout ce qu’il y avait autour de lui, ça avait été aussi mon expérience du bitume durant ces longues années que j’y ai passées où j’ai usé un certain nombre de mes semelles et ça a été surtout l’expérience de mon vécu dans les différentes campagnes face à ces gens-là qui a fait que mon rapport aux gens était un rapport de « Tu m’as attaqué, je te réponds », ce n’était pas un suprématisme, c’était le fait de dire il fallait que l’on réalise ce que nous sommes non pas en écrasant les gens mais en mettant chacun à sa juste place. Quand je disais, et je le dis encore aujourd’hui, que nous sommes le premier homme, ce n’est pas du suprématisme, c’est la réalité. Et pourquoi a-t-on du mal à reconnaître que mama Africa est la base de tout et que l’homme noir était le premier homme, l’homme originel de cette terre et que de cet homme-là découlent tous les hommes et là je ne parle pas de Darwin, je parle d’une réalité historique, même si on veut aller chercher dans la paléontologie, je pense qu’on pourra trouver des éléments qui iront dans le sens de ce que je dis, ce n’est pas du racisme même si je l’ai exprimé d’une manière tellement véhémente que ça a pu paraître comme du suprématisme. Il y a eu une variation de fréquence, j’ai parlé haut et là j’ai baissé le volume de ce que je disais tout en disant aujourd’hui en réalité toujours les mêmes choses.

Pour ce qui est du passage du kemitisme à l’islam, les gens ont mis un grand sac que l’on appelle le kemitisme et dedans on peut trouver des gens qui vont prier des statues, des gens qui marchent de profil comme les Égyptiens et tu vas trouver des gens, ça a toujours été ma démarche philosophique, qu’on appellera atoniens. Quand on parle d’atonisme on parle de monothéisme. Il est dit dans le Coran que chaque nation a reçu un messager, la nation noire, la nation africaine a reçu un messager, un homme parmi tous ces gens qui étaient polythéistes, Akh-en-Aton qui est venu leur rappeler à l’époque qu’ils devaient se soumettre à l’Unique. « Seigneur vivant, il n’y a pas d’autre Dieu que toi », c’est une phrase qui a été dite 1 350 ans avant la période du Christ. Plutôt que de passer du kemitisme à l’islam, j’ai compris que ce message qu’avait reçu Akh-en-Aton, il était marqué dans le Coran et il y a des noms de messagers qui ont été écrits et d’autres qui n’ont pas été inscrits. Mais quand on dit que chaque nation a reçu un messager, j’ai compris que des gens comme Zarathoustra, même si ensuite ceux qui s’en sont inspirés n’ont pas forcément adopté le message de la bonne façon ce qui fait qu’après on croit que ce qu’il dit n’est pas en adéquation avec le message pharaonique, mais des gens comme Zarathoustra, Mani, Akh-en-Aton, bien longtemps avant la naissance du prophète Mohammed – que la paix soit sur lui – des gens comme Issa/Jésus, des gens de l’ancien temps, même si par la suite ils ont été divinisés et adorés, alors que ce n’était pas le but du message, des gens comme Ouziné, sont des personnes qui ont été porteurs de message et j’ai compris qu’il était nécessaire de les lier. C’est ce que j’ai compris en prison : que c’était cela le véritable humanisme ; et en ce sens-là en effet je suis passé de ce qu’on va appeler du kemitisme à l’islam, mais le fond est toujours le même. J’ai prié, et je prie aujourd’hui, et je croyais et je crois aujourd’hui en ce message de soumission à l’Unique en partant de mon propre paradigme évidemment. C’est pour cela que vous ne me verrez pas changer de nom comme on me l’a proposé. Mais Kemi Seba c’est mon nom, c’est mon nom africain, c’est le nom de la matrice africaine, kemito-nubienne, qui est la mienne et je ne changerai jamais ce nom, c’est ce nom qui me donne ma fierté, c’est le nom par lequel je suis appelé, que j’ai décidé de prendre pour me relever, ça a été le nom de ma rédemption et de ma résurrection. On me dit parfois, « T’as pas le style du muslim », est-ce que Issa avait le même style que Mahomet ? Est-ce Akh-en-Aton avait le même style que Mahomet ? Soyons sérieux, à chaque période, un style, une région, une conception, mais même message de soumission à l’Unique, c’est ma démarche. Moi je suis un homme Noir, nul ne me changera, mais je suis un homme Noir soumis à l’unique et qui a une démarche de fraternité. Pour ce qui est de la démarche qui est la mienne et qui est la mienne plus que jamais aujourd’hui, j’ai relié un certain nombre d’éléments que je pensais devoir séparer à une certaine époque et c’est cela qui m’a fait entrer dans le message de soumission à l’unique qui n’a pas été engendré, qui n’engendre pas, le miséricordieux et le bienfaiteur, voilà, comprenne qui pourra.

Depuis la création de la Tribu Ka vous êtes en butte à une répression qui ne faiblit ni ne cesse. Pourriez-vous nous la résumer et nous dire à quoi vous l’attribuez ?

Celui qui m’a probablement le plus inspiré depuis que j’ai commencé ce combat, Ali Abdul Mohammed, disait que lorsque l’État vous attaque alors que vous dites défendre votre peuple et que vous êtes face à un oppresseur qui vous attaque, chaque attaque que vous recevez est une médaille d’honneur. C’est ce que j’ai compris et aujourd’hui en France, le nombre de coups que nous prenons politiquement ne sont que des réponses au message de propagation qui sont des coups que nous donnons quotidiennement à l’État. Plus on est attaqué et plus cela prouve, et je le vois quotidiennement, je le vois dehors, dans les quartiers, dans chaque endroit où je suis, le nombre de fois où des gens viennent à notre rencontre, des gens que je n’avais jamais rencontré, que je n’avais jamais vu auparavant, qui viennent nous saluer, qui nous passent la paix, qu’ils soient chrétiens, qu’ils soient musulmans, qu’ils soit rastafaris ou qu’ils soient athées, qu’ils soient mes frères africains, qu’il soient mes frères musulmans ou qu’ils soient mes frères indépendamment de leur couleur de peau, cela atteste la dangerosité de notre message, ou du moins de sa portée en terme de propagande et de son intensité. Internet a joué un grand rôle dans cela et la diabolisation n’a même pas jouée tant que cela car quand ils essaient de nous diaboliser, on sait déjà ce que l’on fait ; ce qui fait que quand les gens entendent n’importe quoi sur nous, ils savent très bien que si on est autant attaqué, alors qu’on ne nous voit pas tous les jours à la télévision, c’est peut-être quelque part que notre message dérange. Donc les coups que nous prenons, je les accepte car je sais que nous en donnons beaucoup aussi, je pense même qu’on en donne plus qu’on en reçoit.

Je suis debout, comme je l’ai dit lors de mon dernier procès, moi je ne vais pas mourir ici, mais je plains ce pays d’être l’otage d’une autre nation comme tout le monde le voit aujourd’hui.

Lors des dernières élections européennes, vous avez refusé de soutenir la Liste antisioniste de Dieudonné. Pourquoi ? Quels sont vos points communs et de divergences avec lui ?

Ma position vis à vis de Dieudonné est simple Dieudonné est un frère et j’ai pris la décision depuis un certain temps de ne plus le critiquer. Cela n’a pas été mon cas à mes débuts, auparavant lorsque j’avais des désaccords avec tel ou tel frère de ma communauté, j’avais comme habitude de le dire publiquement, je le dis moins aujourd’hui. On vieillit. Dieudonné est un frère, c’est un ami, s’il est en danger j’attends qu’il me le dise, il sait que je peux lui assurer une certaine protection du fait d’un certain nombre de frères et de sœurs qui pourraient le protéger dans un certain nombre d’endroits pour qu’il ne soit plus dans les situations où il a été lorsqu’il a été tabassé par les autres tafioles de la LDJ. Maintenant Dieudonné a un projet qui n’est pas le mien et qui ne sera jamais le mien. Son projet de métissage n’est pas le mien. Pour lui il n’y a pas de clivage de couleur et tout ce qui s’en suit. Il dit qu’il faut aller au-delà de ça. Moi aussi je vais au-delà, mais je vais au-delà en les reconnaissant, c’est là différence fondamentale entre lui et moi. Certains appellent cela de l’ethno-différencialisme, mais ce n’est peut-être même pas le bon terme, de l’ethno-pluralisme ou de l’ethno-diversité, c’est ce qui rend l’humanité belle. Pour reprendre le Coran, il est dit que si Dieu a fait des couleurs différentes, il y a des raisons pour cela qu’il connaît mieux que quiconque. Des raisons pour lesquelles il nous a différenciés. Il aurait pu faire de l’humanité un seul peuple mais il a fait beaucoup plus pour qu’on puisse mieux se connaître ce qui ne veut pas dire oublier ce qui nous différencie. Dieudo n’est pas dans cette démarche-là, il se sent français et républicain, pas moi. Moi, par mon passé je ne peux pas me sentir français. Il y a au Sénégal, chez cheikh Anta Diop des gens qui se reconnaissent dans le combat que nous menons, qui le respectent profondément ; il y a en Côte d’Ivoire dans l’entourage de Laurent Bagbo des gens qui apprécient profondément ce que nous faisons, le message de défiance vis à vis des autorités, moi ça me touche et c’est ce qui montre que ma démarche moi, elle est plus d’être vers le panafricanisme, l’anti-impérialisme et l’antisionisme que d’être antisioniste tout en étant un bon français, avec des français de toutes les couleurs, moi ce message je n’y crois pas, je ne crois pas à ces foutaises, je sais que cela peut choquer un bon nombre de personnes et que je gagnerais à tenir un discours du style on est tous français, Obama ceci, Obama cela, de l’obamania antisioniste. Mais moi ça ne m’intéresse pas. Désolé, je ne suis pas là pour la popularité mais pour dire la vérité, ma vérité. Elle plait ou elle ne plaît pas, c’est un autre sujet. Avec Dieudonné on a des différences idéologiques fondamentales. Je pense qu’il a changé aussi sur un certain nombre de sujets ces derniers temps. Moi aussi, j’ai grandi, même si je n’ai que 28 ans.

Le Mouvement des damnés de l’impérialisme que vous dirigez comprend des branches panafricaines, panarabes et européennes, pourquoi ? N’est-il pas difficile de faire ainsi cohabiter des militants dont les projets peuvent être sur certains points contradictoires ?

C’est une très bonne question que vous posez là, car là vous parlez du réel. Mais c’est le réel de l’humanité, l’humanité est diversifiée et on n’a pas d’autre choix. C’est pour cela que je dis que le MDI est probablement la plus belle aventure politique que j’ai connue parce que dedans, contrairement à ce que certains imbéciles ont pu croire, ce n’est pas United color of Benetton ; non ! le but du MDI est de montrer qu’on peut être uni malgré nos différences. On a, j’ai envie de dire, magnifié nos différences. Il y a une branche panafricaine, une branche panarabe et une branche paneuropéenne. Ces branches-là ont des différences, elles sont composées de gens qui n’étaient pas faits pour se parler au départ. Ce sont parfois les plus extrêmes que l’on a fait venir, que l’on a fait se rencontrer, et aujourd’hui ils sont là, dans un mouvement qui avance. Il y a pu y avoir des frictions par le passé, je ne le nie pas, mais la force du MDI c’est d’avoir transcendé ces différences pour avoir pu construire quelque chose de très solide aujourd’hui, auquel se sont greffées des personnalités aussi importantes que Serge Thion ou Ginette Skandrani. C’est difficile mais c’est l’histoire de l’humanité. On n’a pas d’autres choix aujourd’hui, le MDI c’est pour moi un laboratoire d’idées et un laboratoire d’échange visant à nous préparer à quelque chose dans lequel on sera installé dans quelques dizaines d’années. Parce que moi je ne compte pas, à 50 ou 60 ans, être encore à la tête du MDI, en France, ce n’est pas ça le projet. Mon but, c’est de préparer des leaders pour leurs pays respectifs. Dans un autre ordre d’idées la Fédération des étudiants d’Afrique noire et des Antilles en France a préparé un certain nombre d’étudiants à devenir des diplomates. Ce n’est pas cette direction que je prends car je ne veux pas de ce genre de diplomatie là, mais je veux former un certain nombre de leaders qui prendront des responsabilités pour aider les pays dont ils se revendiquent et on en prend vraiment le chemin, en ce qui concerne la branche panafricaine, et avec la branche panarabe aussi, si dieu le veut.

Vous avez été crédité, à une période de votre combat, de liens avec divers individus et groupes marginaux de la mouvance identitaire européenne. Vous venez d’annoncer le ralliement au MDI de personnalités issues du mouvement écologiste et de l’extrême gauche. Est-ce que cela correspond à un changement de cap dans vos relations ?

Les rapports que j’ai pu avoir avec l’extrême droite, c’est du flanc, du vent, de la fantasmagorie sur lesquels ont voulu surfer un certain nombre de journalistes. Il n’y a pas de problème, je m’inscris dans une dynamique simple qui est la dynamique du nationalisme, de ce qu’on appelle le black nationalisme ou le nationalisme afro-diasporique qui est que tout militant de la cause noire à l’intérieur de la diaspora se doit d’être toujours dans une démarche panafricaine et d’unité avec nos semblables d’ethnie noire et contrairement à ce que racontent certains imbéciles qui opposent les Noirs selon les États et les ethnies. Je suis un nationaliste afro-diasporique, avant d’être ce que j’espère de tout mon cœur, un panafricain de vie et d’actes très prochainement. Je n’ai que vingt-huit ans, on peut me laisser le temps. Mais pour finir de répondre à votre question quant aux liens que j’ai avec des gens d’extrême gauche comme Serge Thion et Ginette Skandrani. Moi je n’ai jamais été contre le fait de parler avec l’extrême gauche, mais cela dépend de quelle extrême gauche on parle. Car il y a une extrême gauche paternaliste, vous savez ces gens qui vous disent oui on est tiers-mondiste, on est avec vous, mais en réalité la seule chose qu’ils veulent c’est de piloter votre combat et si on commence à parler de négritude ils nous disent, les histoires de race tu oublies, tu mets cela de côté, c’est la classe qui prédomine, arrête avec tes histoires de Noir, lis Franz Fanon n’écoute pas Farrakhan, et quand j’entends ces gens-là c’est des coups de poing dans la gueule ou des coups de latte qu’il faudrait leur mettre, je le dis clairement. Et c’est pourquoi cette extrême gauche besanceniste ou antifasciste qui sont les plus grands clowns de l’univers, qui sont les tirailleurs du lobby en disant « Attention, attention, antisémitisme » à tout bout de champ, ils crient, alors qu’on ne les entend pas beaucoup parler par rapport au fascisme institutionnel réel qu’il y a et qui fait que des Noirs et des Arabes soient considérés comme des sous-hommes dans cette société. Ça tu ne les entendras jamais parler dessus. Alors ces gens-là sont mes ennemis, je le dis clairement au même titre que les impérialistes sionistes. D’un autre côté, il y a des gens qui font du travail et Ginette Skandrani, on peut dire tout ce que l’on veut mais elle a été cofondatrice des Verts, c’est quelqu’un que j’aime, je le dis clairement, c’est une femme blanche, c’est une aînée, une mamie blanche comme dirait l’autre, je l’aime, je n’ai aucun problème à le dire. Quelqu’un comme Serge Thion, on se connaît depuis un certain temps, c’est quelqu’un qui a marché avec Amilcar Cabral, quelqu’un qui a été avec le FLN, quelqu’un qui a été avec l’ANC, quelqu’un qui a rencontré les Blacks Panthers. Désolé, c’est quelqu’un dont je me sens proche si vous voulez parler d’une extrême gauche vraiment anticoloniale et non pas de l’extrême gauche qui est en réalité les matons de la rue, les matons de la banlieue, les matons qui ne veulent pas que le débat se racialise, qui ne veulent pas que le débat s’ethnicise, parce que le jour où le débat va s’ethniciser, chaque ethnie va demander des comptes à l’ethnie qui est au-dessus de toutes, qui nous domine, qui nous étouffe et qui nous asphyxie. Parmi les ethnies asphyxiées, il y a les Noirs, les Arabes et aussi les Blancs, et il y aura une ethnie que je ne nommerai pas à qui on demandera des comptes. Moi je suis de ceux qui veulent ethniciser le débat et je ne m’en cache pas. Et ceux qui sont contre sont des gens qui sans le vouloir participent au mondialisme tel qu’il est aujourd’hui, ceux qui veulent gommer ces différences.

On vous a attribué des liens avec divers pays progressistes d’Afrique et l’intention de conseiller à certains de vos militants d’y faire retour. Est-ce exact ? Plus précisément envisagez-vous à terme une campagne comme celle du Back to Africa de Marcus Garvey.

Pour être clair sur ce point, sans non plus donner trop de détails parce que cela pourrait compromettre notre futur, oui il y a des liens clairs et nets, il y en a qu’on montre et d’autres qu’on ne montre pas. En Côte d’Ivoire, il y a des gens dans l’entourage du président Bagbo, chez les patriotes, qui nous regardent avec sympathie, qui considèrent que l’on secoue le cocotier et que l’on dérange les intérêts de l’impérialisme. Il y a des gens au Sénégal aussi, dans les proches de cheikh Anta Diop qui voient ce que nous faisons, qui voient notre évolution et qui aujourd’hui, malgré la démonisation, malgré les rumeurs de nazisme noir et tout ce qui s’en suit, comprennent que tous ceux qui ont été un jour taxé de nazisme ont ensuite marqué l’histoire. Ils me soutiennent, il y a beaucoup de soutien. Un certain nombre des nôtres ont été en Afrique ne serait-ce que pour faire des repérages et pour préparer le terrain, que ce soit au Burkina Fasso, ou que ça soit au Sénégal ou au Ghana. Certains membres de la branche panafricaine se sont déplacés soit dans le cadre de leurs études, soit parallèlement à leur vie professionnelle, et ont profité de cela pour préparer un certain nombre de choses, certaines démarches associatives. Moi je le dis, à titre personnel et aussi à titre collectif, mon avenir est sur le continent africain. Maintenant, je regarde attentivement les choses qui se font, parce que je ne veux pas partir là-bas pour ne rien faire ou pour être un sous-fifre. Cela ne m’intéresse pas. Je ne réclame pas non plus un poste de premier plan mais je veux apporter une vision afro-diasporique des choses, humblement et donner une vision panoramique qui peut permettre parfois de transcender les différences tribales qui existent dans un certain nombre de pays d’Afrique. Je ne pense pas seulement à moi, c’est une démarche dans laquelle nous nous installons. Moi je me vois, avec les miens, avec mon équipe, je le dis clairement, si Dieu le permet, si les choses se concrétisent, très prochainement sur le continent africain avec des responsabilités.

Je le dis toujours, Marcus Garvey c’est mon grand-père, mon père étant Jalid[1] ou le ministre Farrakhan. Le meilleur exemple de campagne qui puisse être effectué c’est le départ de soi-même. Je pense que si je réussis, si je pars sur le continent et qu’avec mon cerveau, avec ceux qui sont autour de moi, on réussit à mener un travail fort, le back to africa n’aura même pas besoin d’être proclamé. Tous ceux qui sont ici et qui nous apprécient déjà se diront : ils ont réussi à effectuer ce qu’ils avaient programmé.

Ce que je veux apporter, c’est mon modèle, c’est de constituer dans les pays où nous avons des sollicitations, une démarche qui soit proche de celle des patriotes en Côte d’Ivoire, pour soutenir le Président du pays où l’on sera. C’est ma démarche. Je pense qu’il y a un slogan meilleur que back to africa, c’est go to africa mais avec des responsabilités et non pas pour y passer des vacances. Si je dois rentrer en Afrique, j’y rentrerai en vainqueur. C’est pour cela que depuis un certain nombre d’années la propagation d’idée n’est là que pour me servir de CV. Cet anti-impérialisme que nous appliquons à la lettre, cet antisionisme que nous proclamons à la lettre a pour but de consolider nos bases, d’être une formation, comme un service militaire, notre carrière n’a pas encore commencée politiquement parlant. Notre but c’est que les panafricains ou les panarabes se forment pour que dans nos pays d’origine on soit encore plus fort et ce qui est fort, c’est qu’à notre âge, des gens comme cheikh Anta Diop ne faisaient pas le bruit que nous faisons, n’étaient pas connus comme nous le sommes. Des gens comme Aimé Césaire commençaient à être connu mais ils n’avaient pas l’audience que nous avons. Audience qui n’est pas négligeable en région parisienne comme ont pu le constater les journalistes qui nous ont accompagné.

On dit qu’un certain nombre de rappeurs, et non des moindres, s’inspireraient de votre combat. Est-ce exact ?

Dès mes 14 ans, quand je suis arrivé en région parisienne, je me suis initié au rap. J’ai été bercé dedans, c’est ma musique, c’est celle qui me fait vibrer. Le rap a toujours été pour moi une valeur qui m’a permis de rêver, ça m’a donné de la fierté, il y a certaines revendications que j’entendais qui m’ont données de la dignité. Après, chacun voit la digité où bon lui semble. Après, il y a les caricatures du rap et dans le rap français il y en a malheureusement beaucoup.

Pour répondre à votre question, il y a des rappeurs qui apprécient ce que l’on fait, il y en a beaucoup qui viennent nous voir, malgré la démonisation et malgré les manœuvres des tafioles antifascistes qui vont voir les rappeurs et qui leur disent que nous sommes des nazis noirs, des ségrégationnistes, etc. Mais je ne les citerai pas pour ne pas compromettre leur carrière. Certains font leur Kemi Seba out et disent publiquement qu’ils apprécient ce que l’on fait, comme Disiz la Peste, Mac Tyer, Mystic, Mac Kregor. Ils ont leurs idéaux propres, cela ne veut pas dire que l’on est d’accord sur tout.

C’est vrai que le rap est un bon baromètre de notre audience dans les quartiers, c’est évident.

Dans dix ans, comment – et où – vous imaginez-vous ?

Court et simple : pas à animer un cercle de réflexion, un think tank, parce qu’alors j’aurais perdu. Dans dix ans j’ose espérer que j’aurai des responsabilités politiques dans un pays africain, des responsabilités auprès de la jeunesse, dans le panafricanisme ou quoique ce soit de ce style qui puisse me permettre de donner une autre image, de reviriliser un certain nombre de frères qui ont perdu leur dignité parce qu’ils ont été émasculés par l’impérialisme occidental. Pour dire les choses telles qu’elles sont, soit par l’impérialisme occidentalo-sioniste.

Mais si dans dix ans vous me voyez à la tête d’un think tank, d’un cercle de réflexion, ici en France, franchement jetez moi des cacahouètes parce que je l’aurai mérité et je dirai « Merçi bwana ». Mais je pense que dans dix ans je ne serai plus là, je pense que dans très peu de temps même je ne serai plus là. J’ai fait le tour de la France, j’ai formé, l’audience que l’on a est inespérée, notre but est de propager des idées, on va au-delà de ça, on a donné des coups, on en a donné plus qu’on en a pris, la preuve est que l’État en est réduit aujourd’hui à interdire judiciairement à certains de nos membres de se rendre dans certains quartiers afin que notre idéologie ne s’y répande pas plus.

Dans dix ans je ne serai plus là et mon équipe non plus. Mais il en restera dont le projet n’est pas de partir, il y en a qui préfèrent aider leur pays de manière diasporique.

[1] Jalil Abdul Muntaqim membre du Black Panther Party et de la Black Liberation Army. Accusé d’avoir tué un officier de police, il fut emprisonné de 1971 à 2020. Dans sa prison, il écrivit nombre de textes théoriques sur le nationalisme noir.

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