Vers une crise dans la mouvance identitaire ? Guillaume Faye contesté par sa base.

guillaume faye jeune

Il y a eu plusieurs Guillaume Faye. Le para-NR de ses débuts, le journaliste déjanté de la presse du Système, le Faye final dérivant vers des positions totalement opposées à celles de sa jeunesse. Nous nous souvenons de sa première phase et nous nous en revendiquons, mais il n’est pas inutile de critiquer sa  dernière. Pour ce faire, le remise en ligne de cet article de 2003 ne sera sans doute pas inutile.

Il y a déjà un nombre respectable d’années, le refrain d’une chanson alors en vogue affirmait : « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». A voxnr, pour avoir critiqué, les premiers, certaines icônes de la mouvance identitaire, relevé la faiblesse de leurs raisonnements et annoncé comment ceux-ci pouvaient aboutir à bien des reniements, nous n’avons pas, bien sûr, été exécutés mais nous nous sommes attirés des inimitiés féroces et persistantes. On jugera donc de notre satisfaction, quand nous voyons des revues phares de la défense de l’identité reprendre nos critiques avec de deux à quatre années de retard (1).

Résumons la situation. Au tournant du millénaire, le courant identitaire a eu les yeux de Chimène pour deux essayistes, étroitement liés par l’amitié et l’idéologie, Alexandre del Valle et Guillaume Faye.

On ne pouvait alors ouvrir un journal de la mouvance sans lire un texte de l’un ou de l’autre, voire des deux, l’un renvoyant, de plus, fréquemment l’ascenseur à l’autre (2). Si notre « outing » d’Alexandre del Valle, révélant ses liens étroits avec la droite sioniste ultra, eut pour effet de le faire totalement disparaître de notre galaxie politique, Guillaume Faye resta, lui, considéré comme le grand, pour certains le seul, « idéologue nationaliste » de sa génération.

Nous avions beau faire ressortir l’incohérence et le danger de ses arguments, montrer comme ses thèses étaient en définitive démobilisatrices, ironiser sur les débouchés concrets d’un catastrophisme qui se réduisaient à l’abonnement à un mensuel de faits divers, nous avions un peu l’impression de prêcher dans le désert. Mais on nous entendait cependant et, petit à petit, dans les deux organes qui avaient été les plus favorables à Alexandre del Valle et à Guillaume Faye – Terre et peuple et Réfléchir et agir – on a senti le discours se modifier puis s’inverser totalement (3).

Non à la dérive sioniste !

Dans Terre et peuple, le premier craquement a incontestablement lieu dans le numéro 7/8 (été 2001). Pierre Vial est obligé de publier une mise au point dans laquelle il affirme « je rassure donc les inquiets : je ne suis pas devenu sioniste ». De même, signes pour ceux qui savent lire entre les lignes, les numéros 7/8 et 9 publient des entretiens avec Michel Marmin et Alain de Benoist pourtant voués aux gémonies par Faye dans ses ouvrages.

Dans le numéro 10 de TP, Pierre Vial contredit totalement Guillaume Faye dans son éditorial en le concluant sur ces phrases « certains prétendent s’opposer à l’immigration africaine en combattant l’islam. Ils se trompent, volontairement – par crainte d’être diabolisés – ou involontairement – par manque de conscience idéologique » puis, dans un long dossier intitulé Ni Jihad, ni McWorld Pierre Vial définit la croisade contre l’islam comme « un simplisme [qui] a eu [un] grand succès car il est gage de confort intellectuel pour les esprits systématiques » et conclut son papier en refusant de choisir entre « les fous d’Allah et l’Occident jouisseur, ventripotent et veule ». Dans le même dossier Eric Delcroix dénonce dans les acharnés de l’anti-islamisme « certains de nos proches, qui ne sont pas guéris des réactions subalternes atlantistes ». Il considère ensuite que la formule fayenne « L’islam est l’ennemi, l’Amérique seulement l’adversaire » est « d’une part indicible et d’autre part inopérante » et, après avoir expliqué comment l’Europe découplée des USA peut coexister avec l’islam, conclut son texte sur un « non à la dérive sioniste » sans ambiguïté.

Toujours dans ce même numéro 10, Michel Thibault, un cadre connu du Grece, sous le titre Pour une coopération euro-arabe démonte les thèses de del Valle et de Faye tout particulièrement celle sur « l’islam responsable de l’immigration (…) conçue comme une arme contre les peuples européens, une colonisation sans armée, la guerre des ventres ». Il lui oppose ces réflexions basées non plus sur le fantasme mais sur la réalité politique et économique : « Faut-il (…) mélanger islam et immigration ? Les Maghrébins, les Turcs qui arrivent massivement en France seraient-ils plus acceptables s’ils étaient catholiques ? Bien sûr que non, car ce qui est criminel, c’est de vouloir changer l’équilibre ethnique en France et en Europe contre l’avis de la majorité de la population, c’est ignorer l’esprit de territorialité inhérent à tout être humain. La « délocalisation de population » est un des principaux aspects de la mondialisation, elle est organisée en multinationales par les différentes organisations patronales européennes. (…) La plupart des organisations patronales européennes demandent l’ouverture totale des frontières, et le patronat suisse allié à l’extrême-gauche a été jusqu’à appeler à voter contre un projet de loi visant à limiter l’immigration ».

Le débat rebondit dans le numéro 12 de Terre et peuple. Faye qui y « persiste et signe : le danger majeur, selon lui (4), n’est pas américain » est immédiatement contredit par Olivier Chalmel qui avec un raisonnement semblable à celui de Thibault s’interroge sur les liens entre immigration et islam. Puis le rédacteur en chef de TP pose une série de questions fondamentales : « n’avons-nous pas intérêt à maintenir à court terme ces populations dans leur culture d’origine, y compris religieuse, si nous voulons à moyen terme les faire quitter notre territoire » ? « et si l’intégrisme musulman n’était que le dernier sursaut violent d’une inéluctable normalisation à venir du monde musulman » ?, « l’islam est-il un tout monolithique » ?, « l’anti-islamisme doit-il nous conduire au sionisme » ? Chacune de ces question compte… En effet, elles remettent en cause, l’une après l’autre, des thèses clefs du discours de Guillaume Faye !

La guerre ethnique ? Rien d’autre qu’un fantasme !

Rebelote dans le numéro 14 de TP. Faye répond à Chalmel, puis Chalmel répond à Faye, ensuite Vial analyse les ouvrages de del Valle et prend – d’une manière plus modérée qu’on aurait pu le souhaiter – ses distances vis-à-vis de celui-ci… Mais ce qui est plus intéressant c’est son aveu : « Je suis arrivé à un stade de ma vie où, n’ayant plus forcément beaucoup de temps devant moi, j’ai décidé de dire ce que je pense ». Or ce qu’il pense c’est que « la guerre ethnique de résistance et de reconquête, c’est évidemment enthousiasmant dans l’atmosphère électrisé d’un meeting » mais c’est aussi un fantasme impossible à réaliser faute de matériel humain (5). Cet aveu mérite d’être souligné car l’attente de la guerre ethnique inéluctable était bien un des points communs les plus caricaturaux de Faye et de Vial… Pierre Vial reconnaît maintenant ce dont nous l’accusions hier : il s’agissait d’esbroufe pour faire vibrer son public ! Il est plus que vraisemblable que Faye soit dans la même démarche mais qu’il se refuse, lui, à l’avouer…

Enfin, dans le numéro 16 de Terre et peuple Bernard Marillier entre à son tour dans la danse avec un long article (trois pages dans une revue qui en compte quarante-quatre) où il conteste, point par point, les éléments centraux du discours de Faye. Morceaux choisis : « Il est certain que ce n’est pas l’islam qui encourage des millions d’afro-maghrébins à venir en Europe » ; « l’épicier arabe du coin ou le « jeune » de banlieue rêvent-ils du Khalifat universel et en est-il un agent ? On peut en douter (…) force est de reconnaître que l’islam militant ne touche qu’une infime minorité des immigrés, minorité certes organisée et active, mais minorité quand même, et qui est destinée, de par sa nature, à le rester ». Dans les paragraphes suivants de son papier, Bernard Marillier conteste un autre « mythe fayen », celui de l’Eurosibérie en y faisant ressortir une contradiction interne de taille : l’Eurosibérie est multiethnique et multireligieuse (la composante musulmane y est importante…) !

Dans ce même numéro, Olivier Chalmel prend pour motif une lettre de lecteur pour enfoncer de nouveau le clou. Après avoir posé quelques questions auxquelles il regrette que personne dans le camp identitaire ne cherche à apporter de réponses (« Puisque des population non européennes sont sur notre sol (…) vaut-il mieux qu’elles se maintiennent dans leur cultures-mères, y compris religieuses, ou qu’elles se fondent dans une « citoyenneté française » ? Vaut-il mieux que ces allogènes épousent des femmes de chez eux ou des femmes de chez nous ? (..) Est-il préférable ou non d’entretenir des relations d’intérêt réciproque avec nos voisins ? » ), il montre que cette absence de réponse est liée à l’usage d’un « mot magique » la Reconquista. Et il développe comment celle-ci est un mythe incapacitant (assez semblable dans son fonctionnement au « sursaut du pays réel » ou à la « révolte de la majorité silencieuse » que nous connûmes dans les années soixante à quatre-vingts) : « De mon point de vue, celle-ci n’est pas une stratégie de conquête du pouvoir mais un refuge – « astiquons nos fusils en attendant le jour où… attendons le sursaut » -, elle n’est pas la mise en œuvre d’actions révolutionnaires (culturelles, associatives, politiques, syndicales, etc.) afin de faire évoluer les mentalités mais une posture impolitique ». On ne saurait mieux dire !

La volte-face de Réfléchir et agir

Ayant changé récemment d’équipe de rédaction, Réfléchir et agir y a gagné en régularité et en qualité. Comme pour Terre et peuple, la position adoptée vis à vis des thèses de Guillaume Faye a varié d’une approbation sans réserve a une critique non dissimulée.

Dans le numéro 9 de l’été 2001 déjà, Eugène Krampon (pseudonyme du directeur de la publication, Eric Fornal) remet en cause la possibilité d’une révolution armée. Ecrivant avec justesse : «La France est une nation fatiguée de héros de comptoir », il a un an et demi d’avance sur Pierre Vial pour déclarer que la guerre ethnique n’aura pas lieu faute de combattants ! (6). Mais a-t-il compris qu’en écrivant cela, il remet en cause un des noeuds de la pensée de Faye : « l’affrontement inévitable » ?

Quoi qu’il en soit, rebelote dans le numéro 13. Eric Werner interviewé peut dire que la distinction de Faye entre ennemi prioritaire (l’Islam) et adversaire (les USA) ne lui convient pas et que pour lui l’ennemi prioritaire est l’Amérique sans qu’aucun membre de l’équipe du journal ne s’en émeuve. Dans ce même numéro, Frédéric Canfranc enfonce le clou, pour lui « la convergence des catastrophes n’est nullement certaine ». Deux pages plus loin, un certain Alfred Montrose donne franchement dans l’hérésie. Il n’hésite pas, en effet, à écrire : «La récente dérive de Guillaume Faye vers une islamophobie hystérique est pour le moins inquiétante. L’islam, même dans sa version la plus sectaire et la plus extrémiste, n’est pas le danger majeur pour nos peuples européens » (7). Puis, il ajoute : « Nous lui devons l’immense joie qui fût la nôtre le 11 septembre en voyant s’écrouler comme un château de cartes les symboles impudents de la finance cosmopolite. Fondamentaliste ou non, l’islam est plutôt un allié objectif contre notre seul ennemi mortel : le monstrueux système capitaliste dont les outils financiers sont à New York, les cerveaux à Tel Aviv ».

Plus fort, dans le numéro 14, l’éditorial non signé précise « le choc des civilisation est, en effet, une réalité. D’un côté les forces du chaos du capitalisme, de l’autre les peuples du monde qui refusent la domination du marché. L’unique ennemi c’est le capitalisme ! ». On croirait lire des partisans d’Alain de Benoist ou de Christian Bouchet, nullement des groupies de Guillaume Faye !

Cette impression est renforcée par un papier intitulé Choc des civilisations : attention aux mots ou il est reproché aux identitaires « de reprendre cette expression commode et d’en adopter, souvent par anti-islamisme, la vision géopolitique » (8).

On en est là dans l’immédiat et on se prendrait à attendre avec impatience le prochain RA pour voir comment va évoluer encore la ligne du magazine.

L’impasse identitaire

Nous devons battre notre coulpe et reconnaître nos erreurs. Vis à vis des völkisch nous avons sans doute péché par simplification idéologique. Puisque nous avons coutume de parler d’une seule voix et de nous tenir à une doxa claire, nous n’avions pas pensé que la pluralité des opinions pouvait exister au sein de ce courant et qu’une lutte idéologique pouvait s’y mener.

C’est avec plaisir que nous constatons que la voie de la raison semble avoir triomphé et que les idées les plus dangereuses ou les plus caricaturales semblent être maintenant passée de mode.

Fort bien, mais, malheureusement, il n’est pas certain que cela solutionne grand chose.

Il est en effet frappant de constater, en lisant attentivement tant Terre et peuple que Réfléchir et agir, de l’absence de perspective politique. Olivier Chalmel lui même n’hésitant pas à parler de « l’impasse identitaire » qui les empêche de prendre en compte l’existence d’alliés objectifs.

Et encore, c’est sur les marges de TP que l’on rencontre les initiatives les plus politiques, que l’on trouve encore un soupçon de désir d’agir sur le réel par l’intermédiaire de mouvements régionalistes.

Pour le reste, le refus de la politique, donc de l’action sur le réel, semble général que ce soit Vial qui n’a plus à proposer (dans le numéro 14 de TP, page 29) qu’une sorte de « camp des saints », un « communautarisme identitaire » ou que ce soit l’équipe de Réfléchir et agir qui se gargarisme d’élitisme et envisage comme solution ultime la constitution « d’un ordre » !

Décidemment Olivier Chalmel à bien raison : les identitaires sont dans une impasse. Contestant leur idéologue d’hier, ayant perdu leurs refuges politiques (et les prébendes électorales afférentes…), sans illusion sur leur avenir, ils font penser à ces derniers homme de Nietzsche. Ceux qui se serrent les uns contre les autres pour se réchauffer. C’est à cela que sert la communauté !

Lionel Placet

Note : 1 – cela prouve au moins une chose : on nous lit et nous faisons réfléchir. Une autre preuve en est donnée par le numéro 38 de la revue flamande Nationalistische Agenda qui consacre un long dossier à la musique, dossier tournant autour d’une problématique définie pour la première fois par notre collaborateur Luc Mincheneau dans le numéro 1 de la nouvelle série de Résistance…
2 – Ainsi dans le numéro 6 d’Offensive (le magazine du Renouveau étudiant) Alexandre del Valle, interviewé conseille de lire les « remarquables » ouvrages de Guillaume Faye tandis que ce dernier, dans La Colonisation de l’Europe (paru en 2000) se déclare « en accord absolu avec Alexandre del Valle ».
3 – Pour nos lecteurs qui voudraient juger sur pièce du débat, nous leur conseillons de se procurer les collections de Terre et peuple (BP 1095, 69612 Villeurbanne cedex) et de Réfléchir et agir (99bis, avenue du général Leclerc, 75014 Paris).
4 – Terre et peuple n° 12, page 12. On appréciera le « selon lui » qui désengage l’équipe de rédaction de son collaborateur le plus lu…
5 – Pierre Vial prône en conclusion du même papier un « communautarisme identitaire ». Le choix du terme « communautarisme » n’est sans aucun doute pas innocent quand on sait que tant del Valle que Faye tirent à boulets rouges sur le … communautarisme de la Nouvelle droite !
6 – Cette opinion ne semble pas partagée par tout la rédaction de RA si l’on en croit une intervention de Pierre Gilieth sur le forum internet du site Défense de la patrie. Cette plume importante de Réfléchir et agir y envisageait, en effet, une résistance armée. Mais il est vrai que la description qu’il en faisait était plus proche du Ragnarök que de la Reconquista…
7 – Quelques lignes plus bas Montrose, évoquant Faye , écrit: « à l’époque où l’anti-islamisme primaire n’avait pas encore obscurci son acuité visuelle » !
8 – Mais la division de la rédaction de RA, transparait de nouveau dans une chronique consacrée à Avant-guerre de Faye. En contradiction avec les autres articles du numéro, l’auteur de la notule précise : « seuls les pays du Tiers-monde, majoritairement musulmans, sont une menace ».

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