Vive le Roi, à bas le Bourgeois : La Terreur blanche de 1815

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La Terreur blanche ? Qui, en 2023, sait encore ce que c’est que la Terreur Blanche ?

Un mot sur l’expression d’abord : Elle a été forgée par les historiens libéraux du XIXe siècle pour en faire un équivalent monarchiste de la Terreur de 1793. Cette conception fallacieuse a été balayée par les historiens modernes depuis.

On peut noter que la mémoire de cet évènement a beaucoup souffert de l’usure du temps. Et pour cause : les référents idéologiques de cette époque ont presque disparu. Il faut dire que bien peu d’entre nous se disent encore bonapartistes ou monarchistes. Qui plus est, si l’on demande à un militant de l’Action française ou de France bonapartiste s’il a connaissance de cet épisode de m’histoire de France, il vous répondra probablement que non, cet évènement ne fait pas partie de sa mémoire historique. Le premier pourra vous parler de Vendée ou de chouannerie sans doute. Le second d’Austerlitz, d’Iéna ou de Wagram. Mais aucun des deux ne parlera de la Terreur Blanche.

Pour bien comprendre ce mouvement il nous faut revenir quelques années avant 1815. Tout commence, si l’on peut dire, vers 1810. A cette époque, la France achève une décennie de croissance économique certaine, à laquelle succède une période de récession, qui atteint son apogée en 1811 et 1812. Éprouvées par le blocus continental sensé réduire à néant l’économie de l’ennemi britannique, les soieries du sud de la France, les corderies, les ateliers de construction navale, la tabletterie, la faïencerie sont en crise. Des disettes frappent plusieurs régions de France. Le Sud-est connaît même des pluies excessives. La misère explose : une ville de 41 000 habitants comme Nîmes voit 11% de sa population réduite à la mendicité. En 1813 le secteur de la soie à Nîmes laisse près de 75% de ses ouvriers au chômage.

Le malaise social est avivé par l’annonce des défaites impériales, en Russie d’abord, puis en Espagne et en Allemagne. Au fur et à mesures que les armées alliés se rapprochent des Pyrénées, les populations civiles sont de plus en plus touchées par les réquisitions en tout genre et les mouvements de troupe. Les habitants du Midi cherchent parfois à échapper à la conscription. La tension entre Napoléon et Pie VII alors retenu prisonnier, ne fait rien pour apaiser les tensions dans un pays encore majoritairement catholique.

Face à un pouvoir impérial de plus en plus contesté, l’alternative monarchique semble apparaître plus crédible que le retour à la république. Le Midi est une terre profondément « bourbonienne », et les cris, les placards et les proclamations se multiplient pour réclamer le retour de Louis XVIII en France. A Toulouse par exemple on envoie des lettres anonymes (accompagnées d’une cocarde blanche aux fonctionnaires de la ville) où il est écrit : « Choisissez entre l’honneur et l’infamie ».

La masse des textes de l’époque véhiculent un petit nombre d’idées : le retour du roi signifierait la fin des guerres, des libertés anciennes, de la prospérité et l’assurance du triomphe de la « vraie religion ».

Vont se constituer des réseaux de militants entretenant le contact avec Louis XVIII via l’un de ses plus farouches partisans, le comte de Blacas. Le Midi connaît plusieurs tentatives d’insurrections qui échouent selon Pierre Triomphe, historien et auteur d’un ouvrage sur le sujet, en raison de « l’incapacité des dirigeants et du faible nombre d’individus prêts à risquer leur vie dans une telle aventure. »

Si les royalistes locaux ne parviennent pas à agir correctement, le neveu du roi, Louis, duc d’Angoulême, parvient lui à mettre Bordeaux de son côté. Il y débarque et reçoit le soutien des autorités municipales. Le duc diffuse des messages enjoignant aux soldats impériaux de le rejoindre, dont voici un extrait : « Soldats, J’arrive, je suis en France, dans cette France qui m’est si chère : je viens briser vos fers, je viens déployer le drapeau blanc, ce drapeau sans tâche que vos pères suivaient avec transport ; ralliez-vous braves Français et marchons tous ensemble au renversement de la tyrannie. » Nous sommes en 1814 et la défaite militaire de l’Empereur est désormais certaine. Les puissances victorieuses sont maintenant convaincues que Louis XVIII dispose d’un soutien véritable populaire en France, et qu’ainsi envisager la Restauration monarchique semble être une politique crédible.

Le retour du roi fut pendant quelques semaines un moment de communion nationale. Pierre Triomphe affirme « L’adhésion de la population se donne à voir à travers de multiples manifestations festives. Elles permettent à la royauté de s’incarner dans la personne de Louis XVIII : on vante les vertus d’un roi sage, juste et bon, père de ses sujets. » et « L’ampleur prise par ces réjouissances singularise le Midi par rapport au reste du territoire français. » La surreprésentation des femmes dans ce mouvement est notable. Toujours selon Triomphe, les femmes « contribuent à l’effacement temporaire des clivages sociaux. »

Cependant, il ne faut pas plus de quelques mois pour que cette belle unanimité ne vole en éclats. La fin de l’Empire n’a en effet pas mis fin aux anciennes rancœurs. Les royalistes dominent la vie politique, et ils le font savoir : les bustes de l’Empereur sont brisés, les drapeaux tricolores arrachés. Triomphe y voit d’abord un rejet de la centralisation parisienne. Certaines violences s’exercent contre les agents de l’État, notamment les agents du fisc.

Les royalistes historiques avaient promis au Midi, grand producteur et consommateur de vin, qu’il n’y aurait plus de taxe sur les boissons. Cela n’empêchera pas Louis XVIII de maintenir l’impôt impérial préexistant. L’opposition au roi va commencer à se reconstituer à partir de cette date, tant cet impôt est impopulaire. De nombreux protestants, auparavant acquis à l’Empire, commencent à rendre public leur rejet de la monarchie. L’opposition entre émigrés et acquéreurs de biens nationaux avive également les tensions. Un décalage va naître entre le roi, soucieux de réconciliation nationale, et une partie de son entourage, nostalgique de l’Ancien Régime. Face aux royalistes, républicains et bonapartistes font cause commune.

Le 1er mars 1815, une terrible nouvelle parvient alors depuis le golfe Juan : Napoléon est de retour sur le continent. Des volontaires se pressent pour rejoindre l’armée, et tenter de l’arrêter dans sa remontée vers Paris. Ils y a en plus de 10 000 en trois semaines. Peine perdue, ils ne sont pas assez nombreux, et les régiments tournent casaques et rejoignent Napoléon, lequel finit par arriver à Paris.

Les représailles contre les volontaires royalistes sont nombreux lors des retours : il y a des destructions de bien, des agressions multiples entre « patriotes » et monarchistes.

La Terreur Blanche proprement dite commence à la fin des Cent Jours. Ceux que l’on nomme les « Verdets » (parce qu’ils portent une cocarde verte, signe de soutien au comte d’Artois, frère du roi et plus intransigeant que son frère) se soulèvent. Ces partisans plus radicaux que leur monarque s’en prennent aux biens, aux personnes aussi. Et ils tuent. Ils exercent une répression contre des républicains radicaux, des bourgeois protestants, des mamelouks, des bonapartistes, et des officiers célèbres comme le général Ramel et le maréchal Brune, qui paye là ses provocations lorsqu’il parlait de « punir Marseille », parce que la cité phocéenne s’était soulevée contre l’empereur pendant les Cent Jours.

Dans le Midi, la Révolution avait été « une promotion bourgeoise et protestante » telle que l’a analysé l’historien André-Marie Tudesq. Réaction royaliste anti-républicaine et anti-parisienne, voilà ce que fut la Terreur blanche.

Des bandes de royalistes, constituées en majorité d’ouvriers des villes, et menés par des chefs tels que les Vauclusiens Nadaud et Fontagnier, et les Gardois Truphémi, Servan, Graffan, Quatretaillons, et de loin le plus célèbre d’entre eux, Trestaillon, immortalisé par un poème d’Hugo dans Les Châtiments.

Des opérations de pillage ont lieu, et Pierre Triomphe rappelle que ces opérations « ne sont menées que par un petit nombre d’individus, » individus qui disposent par ailleurs du soutien d’une large partie de la population. L’historien souligne également le fait que le nombre de femmes était très important au sein de cette population favorable au roi.

Tout ce qui naît finit par mourir. La Terreur Blanche est née d’un désir de revanche sociale, de retour à la monarchie, de « méridionalisme », d’hostilité pas toujours permanente au protestantisme. Elle avait durée de juin à novembre 1815. C’est par la main des agents du roi qu’elle cessera.

Lorsque commence la Seconde Restauration, le gouvernement a d’autres préoccupations que les évènements du Sud, il lui faut en effet consolider la dynastie. D’abord lent à agir, il décide finalement de mettre en place une « loi d’exception ». C’est la fin de la Terreur populaire, et le début de la Terreur légale. Le préfet du Vaucluse compte même sur l’aide des armées étrangères, qui occupent alors la France, pour arrêter les bandes royalistes.

Le nombre exact de victimes de la Terreur n’est pas connu avec certitude. Mais un consensus est établi, selon lequel moins de 700 personnes ont perdu la vie lors de ces évènements.

Le petit peuple en colère de cette époque a eu des successeurs : il s’agit du mouvement politique de la Montagne Blanche. Né au lendemain des Trois Glorieuses, méridional lui aussi, ce mouvement démocratique, favorable au retour de la branche aînée des Bourbons, constitué de tacherons, d’ouvriers et d’artisans, opposé à Louis-Philippe et à la bourgeoisie est alliée ponctuellement aux républicains. Il est mené par Henri de la Rochejaquelein et l’abbé de Genoude.

Chose intéressante, il semblerait bien que, conformément à certains témoignages contemporains de 1815, dont celui du procureur de Toulouse, un partie des chefs de bandes royalistes aient été d’anciens sans-culottes. Un historien nous révèlera peut-être un jour si cela est vrai ou non.

La grande leçon à retenir de la Terreur blanche est bien sûr que les révoltes populaires contre l’ordre bourgeois ne sont pas l’apanage exclusif des radicalités de gauche, qu’elles peuvent prendre une forme inattendue, et ce sans être pleinement « réactionnaires ».

Vincent Téma, le 25/07/2023

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