« Le député sortant travailliste, le très progressiste baron Patrick Gordon Walker (1907-1980) était un partisan résolu de l’immigration en même temps qu’un vieux routier du socialisme britannique. Le Parti travailliste, que les sondages donnaient gagnant au niveau national, après 13 ans de domination électorale du Parti conservateur, avait prévu d’en faire le ministre des Affaires étrangères. Les mouvements d’extrême droite se mobilisèrent, le NSM comme le GBM de Tyndall et le BNP. Le couple Jordan se déplaça dans sa circonscription pour mener une virulente campagne sur le thème : « Si vous voulez un n…e pour voisin, votez travailliste ». Françoise Dior et Colin Jordan apparurent porteurs d’une pancarte « Walter Gordon le candidat du mélange racial » à côté d’un de leur partisan grimé en Africain, tandis qu’un autre membre du NSM déguisé en singe tenta d’aller déposer sa candidature. Le candidat conservateur, Peter Griffiths (1928-2013), interrogé pour savoir s’il cautionnait le slogan lancé par le NSM répondit : « Jamais je ne condamnerai un homme qui a dit cela, j’estime que c’est une manifestation du sentiment populaire ». Malgré la victoire nationale du Parti travailliste, dans sa circonscription ouvrière de Smethwick, Gordon Walker fut largement battu par son concurrent conservateur avec une marge de 5 points dans un district qui comptait le taux le plus élevé d’immigrants récents en Angleterre : 47,6 % pour les conservateurs contre 42,6 % pour les travaillistes. Cependant, le baron travailliste sera provisoirement nommé ministre des Affaires étrangères, dans l’attente d’une élection partielle réparatrice… Le Premier ministre travailliste Harold Wilson (1916-1995) décrivit cette campagne comme « tout à fait sordide » et les membres du Parti conservateur furent stigmatisés pour avoir utilisé les slogans de Colin Jordan. D’ailleurs ce dernier n’hésita pas, dans Coventry Express, à s’attribuer une partie des mérites de la victoire du candidat conservateur : « Durant les douze derniers mois, nous avons été très occupés à Smethwick et nous pensons vraiment qu’en concentrant tous nos efforts dans cette localité, nous avons eu une incontestable influence sur les résultats.»
« Cette évolution du paradigme de l’extrême droite, passant clairement à un combat offensif contre l’immigration de couleur plutôt qu’à un discours antisémite peu productif électoralement, n’est pas soulignée à l’époque mais elle apparaît essentielle. Une nouvelle opportunité se présente rapidement car le Parti travailliste (le Labour) parvient à convaincre le révérend Reginald Sorensen, qui vient d’être réélu avec plus de 50 % député de Leyton, district populaire au nord-est de Londres, d’accepter sa nomination à la Chambre des Lords pour qu’il démissionne, provoquant ainsi une nouvelle élection partielle, afin de permettre à Walker de redevenir parlementaire et se justifier son poste de ministre.
En janvier 1965, Gordon Walker est donc candidat cette fois à Leyton à l’est de Londres. Le NSM utilisera les mêmes procédés et les mêmes thèmes que dans l’élection précédente, auprès d’un électorat tout aussi populaire. Dès le 4 janvier 1965, premier jour de la campagne, lorsque le candidat travailliste arrive à Leyton, il découvre l’immeuble de son QG de Grange Park Road tagué de croix gammées. Le mouvement extrémiste mènera des opérations violentes contre sa permanence et contre ses conférences de presse, provoquant une nouvelle fois sa défaite et sa démission du poste de ministre. Pendant le rassemblement final, Colin Jordan avait tenté d’escalader la tribune et avait été sérieusement frappé après avoir lancé au candidat cette diatribe : « Vous n’êtes qu’un répugnant traître racial ! Pourquoi n’allez-vous pas vivre avec les Noirs si vous les aimez tant ? ». Les militants du NSM, du BNP et de l’Union Movement de Mosley se mobilisent une nouvelle fois lors de rassemblements du candidat travailliste en lançant des slogans comme : « Renvoyez les Noirs chez eux ! » (« Send the Blacks back ! »). Le 12 janvier 1965, jour de clôture des candidatures, Colin Jordan et Françoise Dior se présentèrent à la mairie de Leyton, accompagnés par leur candidat : un membre du NSM grimé en Noir et porteur d’une pancarte où il était indiqué : « Walker Gordon, the Race-mixing candidate, Make Britain Black ! ». Évidemment, cette candidature provocatrice fut rejetée par l’administration. Le but n’était pas de faire quelques points en matière électorale mais de promouvoir l’action du NSM : les journaux britanniques comme le Daily Telegraph ou The Sun le nouveau quotidien détenu par Rupert Murdoch (1,3 million d’exemplaires) rapportèrent ces faits et Jordan déclara : « Rien ne m’arrêtera pour conserver la Grande-Bretagne blanche. Tous les moyens sont justifiés pour préserver notre race et notre nation. » Les actions parfois violentes du NSM amenèrent une nouvelle fois la défaite du travailliste : le ministre fut battu avec 42,4 % contre 42,9% au conservateur Ronald Buxton.
Extrait de Franck Buleux, Françoise Dior ou le crépuscule d’une Walkyrie que l’on peut acheter en cliquant ici.