« II n’a rien appris des leçons du passé récent celui qui s’illusionne aujourd’hui à propos des possibilités d’une lutte purement politique à laquelle ne ferait pas contrepartie une nouvelle qualité humaine afin que soient d’abord créées, à l’intérieur et chez chacun, les prémices de cet ordre qui devra ensuite s’affirmer aussi à l’extérieur ».
« Jusque dans la vie commune doit être suivie une discipline apte à rendre réalisable l’inutilité de tout sentimentalisme et de toute complication affective. A leur place, le regard lucide et l’acte adéquat. Comme pour le chirurgien, au lieu de la compassion et de la pitié, l’intervention qui résout. Comme chez le guerrier et chez l’homme de sport, au lieu de la peur, de l’agitation irrationnelle devant le péril, la prompte détermination de tout ce qui est possible, en propre, de faire.
Pitié, peur, espérance, impatience, angoisse sont toutes des éboulements de l’esprit, qui s’en vont nourrir des pouvoirs occultes et vampiriques de négation. Prend la compassion : Elle ne change rien du mal d’autrui, mais elle trouble ton esprit. Si tu le peux, agis, assume la personne de l’autre et communique-lui ta force. Sinon détache-toi. De même pour la haine : haïr dégrade. Si tu le veux, si une justice le veut en toi, abats, tronque, sans que ton esprit s’altère ».
« Le christianisme avec la transcendance de ses pseudo-valeurs, gravitant toutes dans l’attente du Royaume qui n’est pas de ce monde, brisa la synthèse harmonieuse de spiritualité et de civisme, de royauté et de sacerdoce, que le monde antique connaissait. L’abrutissement politique moderne n’est qu’une extrême conséquence de cette antithèse et de cette scission, créée par le christianisme primitif et mise en forme dans l’essence même de ce christianisme primitif.
Prise en elle-même, en son profond mépris pour tous les soucis mondains, la prédiction de Jésus ne pouvait conduire qu’à une seule chose : rendre impossible, non seulement l’Etat, mais encore la société elle-même ».
« L’idéal du chef domine l’histoire du monde. Combien cela est vrai, c’est ce que démontre, par exemple, le fait que le bolchevisme, qui, parti des masses, a élevé un fastueux monument sépulcral portant le nom, point de la masse, mais d’un homme : Lénine ».
« Le caractère sacré de la guerre, c’est à dire la possibilité de justifier spirituellement la guerre et toutes ses nécessités, au sens le plus élevé du terme, constitue une tradition : elle est quelque chose qui, toujours et partout, s’est manifesté dans le cycle ascendant de toute grande civilisation; alors que la névrose de la guerre, les déplorations humanitaires et pacifistes, et aussi la conception de la guerre comme triste nécessité et phénomène purement politique ou naturaliste – tout ceci ne correspond, au contraire, à aucune tradition; c’est une élucubration moderne née d’hier, aux marges de la décomposition qui devait caractériser une civilisation libérale et matérialiste ».
« Quant à l’anticonformisme, la première nécessité est une conduite décidément antibourgeoise delà vie. En sa première période, Ernst Jünger ne craignit pas d’écrire :
« Mieux vaux être un délinquant qu’un bourgeois » ; nous ne dirons point qu’il convient de prendre à la lettre cette formule, toutefois une orientation générale s’y trouve indiquée. Dans la vie quotidienne, on devra aussi prendre garde aux pièges constitués parles affaires sentimentales, avec mariage, famille et tout ce qui appartient aux structures subsistantes, d’une société que l’on reconnaît comme absurde. C’est là une pierre de touche essentielle».