Un capot bleu tordu, un morceau du moteur et les deux roues avant : c’est pratiquement tout ce qui a été retrouvé de la GS de François Duprat. 37 ans, agrégé d’histoire, le numéro 2 du Front national était enseignant au CES de Caudebec, à quelques kilomètres de la localité où il habitait : Le Trait.
Tous les détails semblent avoir été donné sur ce meurtre sordide. Pourtant nulle part on ne s’est intéressé à la victime.
Nous l’avions rencontré, il y a quelques mois. Dans sa maison en faux pans de bois, c’est sa femme qui nous avait accueilli. Aujourd’hui, Jeanine Nicolet (son nom de jeune fille qu’elle avait utilisé lors des dernières législatives), est veuve. Blessée grièvement à la jambe et au côté droit, brûlée en plusieurs endroits, elle a déjà pu donner quelques détails aux enquêteurs. Notamment réduire à néant l’hypothèse d’un pseudo paquet qui aurait contenu une bombe. On remarquera la facilité avec laquelle la presse sérieuse avait repris l’information.
Dans cette affaire, la presse une fois de plus, n’a pas tenu son rôle. Travaillant à l’aide de ragots et de sources non contrôlées, les journalistes n’ont pratiquement rien fait : l’extrême-droite ne paye pas. Mieux vaut un immigré ou un gauchiste. Nous avons tenté de mener notre enquête sur place et dans les milieux droitistes. Voici nos résultats.
L’explosion a eu lieu à 8 heures 40 et non à 8 heures 50 comme les journaux l’ont rapporté. Le véhicule a effectivement été pulvérisé dans un rayon de plus de cinquante mètres. La route nationale 182 longue la Seine. À l’endroit de l’attentat, la voiture a franchi la route, sauté un premier talus, un second et les restes ont atterri à proximité d’une ligne de chemin de fer. Soit une trentaine de mètres de dénivellation. Les rares témoins ont vu la voiture sauter à plusieurs mètres de haut ; on juge de la force de l’explosion. Rien à voir avec les deux kilos de plastique dont certains ont parlé.
Nous avons pu contacter l’une des personnes présentes quelques secondes après l’explosion. Elle nous a déclaré avoir vu des « sortes de pétards » partir en l’air, « comme des balles ». Personne non plus n’a parlé de cela.
L’une des hypothèses les plus en vogue (elle arrange la presse, la gauche et le pouvoir) est celle du règlement de compte entre mouvements de droite. Cette hypothèse n’est pas valable. Qu’on nous cite un seul exemple où des personnes mythomanes d’extrême-droite ont su employer une arme plus raffinée que le coktail molotov ! Même si Duprat n’était pas aimé par certains – notamment par le PFN auquel il reprochait sa politique d’ouverture (et dont Duprat, sans doute mal informé, racontait un peu n’importe quoi) – cette inimitié n’était pas suffisante pour expliquer un tel acte. On notera également, la haute considération dans laquelle sont tenus Les Cahiers européens depuis la disparition de Duprat. Avant, pur ces journaux, il s’agissait d’un torchon. Maintenant, il est un objet de référence destiné à envenimer les relations dans la droite nationaliste.
On se garde évidemment de parler des périodiques qu’il éditait : Revue d’histoire du fascisme, Année zéro (avec la hache bipenne). Et autres livres qu’il écrivait : six titres parus et fort controversé (notamment pour l’extrême-gauche dont il était issu, L’Internationale révolutionnaire étudiante, et pour les nostalgiques Les Campagnes de la Waffen SS). Évidemment, le synopsis sur L’Argent et les partis (à paraître chez Alain Moreau) qui a été publié par Libération (23 mars 1978) n’est pas pour lui faire des amis. Néanmoins, tout ce qui est raconté, les gens bien informés le connaissent, au moins dans les grandes lignes. Aussi, inutile de chercher dans cette direction.
Meurtre exécuté par l’extrême-gauche ? La chose paraît possible. Les sources de financement de Rouge et de la Ligue sont peu connues. Duprat apportait un peu de lumière. Il aurait pu aussi s’intéresser à Lutte ouvrière et à ses liens avec le pouvoir (affaiblissement du PCF, très nombreux candidats, etc.) Bien qu’un très étrange monteur-offset de Libé (présenté comme journaliste dans les autres journaux de gauche…) et lié aux Brigades rouges ainsi qu’au CRISE (mouvement gauchiste ayant préparé une étude sur l’extrême-droite en France jamais diffusée) se soit intéressé à François Duprat, il semble une nouvelle fois que cette hypothèse soit dénuée de fondement. L’extrême-gauche est tellement noyautée par les RG que les assassins auraient déjà été interpellés, même si les assassins, une fois arrêtés sont libérés ou condamnés à de courtes peines (ainsi pour les NAPAP, responsables du meurtre de Tramoni et de plusieurs attachés d’ambassade à Paris).
Ce dont on a parlé à mots couverts (et que nous ne reprenons pas à notre compte, refusant tout procès, même si nous avons notre idée sur la chose), est les liens de Duprat avec les Renseignements généraux, la DST et la majorité. Exclu plusieurs fois de mouvements dont il avait été l’un des fondateurs pour vente de voix (parfois à plusieurs niveaux du même mouvement) suivant certains militants d’extrême-droite, Duprat avait à coup sur de bons contacts dans la majorité : il connaissait bien Bassot (député UDF), Madelin (député UDF et responsable de la campagne des RI) et bien d’autres ; tous anciens d’extrême-droite. Sans reprendre la fiche diffusée à de nombreux journaux et reprise dans la presse à propos d’un dossier Hudson DP 71.76.37 (dossier Duprat) indiqué E2, c’est-à-dire « manipulation », on peut penser que si des services spéciaux ou des polices parallèles ont été impliqués dans l’attentat, on ne retrouvera d’abord rien ( le pouvoir ayant intérêt à étouffer l’affaire), ou bien des faux coupables. De toute façon, il est nécessaire de se serrer les coudes à droite.
La dernière hypothèse, et peut-être la plus plausible, serait celle du Mossad. Ancien PSU, François Duprat était resté un antisioniste fervent. Connaissant plusieurs personnalités du monde arabe et notamment d’une fraction dure de l’OLP, il avait participé à la création du Rassemblement pour la libération de la Palestine très activement ainsi qu’aux premiers Comités France-Palestine (en liaison avec le Parti populaire syrien). Dans certains milieux, on raconte que plusieurs GNR ont combattu dans les camps palestiniens, notamment au Liban.
Il était également le diffuseur exclusif pour la France des brochures de l’Historical Review Press dont notamment Six millions de morts le sont-ils réellement ? Et bien d’autres titres à la limite de l’antisémitisme. Les Israéliens et autres commandos du souvenir n’ont peut-être pas apprécié ce dynamique défenseur du peuple palestinien.
De toute façon, le coup a été remarquablement monté. On savait qu’il était myope, qu’il ne conduisait pas, où se trouvait sa voiture, qu’il ne la rentrait pas le soir, etc. Les enquêteurs pensent de plus en plus que seul François Duprat était visé et non sa femme seulement blessée dans l’attentat.
Cette affaire scandaleuse non seulement par son caractère meurtrier mais aussi par le black-out qu’à fait la presse sur elle, ne sera peut-être pas enterré : le procureur de la République est arrivé à Rouen, il y a moins de quatre mois. C’est l’ancien procureur de l’affaire de la CFT à Reims…
Emmanuel Ratier
Balder, avril 1978. Quand Emmanuel Ratier écrit cet article, il est partagé. D’un côté, il est membre du PFN et par définition est anti-Duprat, de l’autre, comme il le dit très bien dans l’émission de Méridien Zéro qui fut consacrée à celui-ci, il est fasciné par le coté graphomane et encyclopédiste de François Duprat.