Aux origines du Front National : le nationalisme révolutionnaire de François Duprat

duprat 2bis

Le dimanche 6 avril 2025, Marine Le Pen, candidate du Rassemblement National (actuellement hors d’état de se présenter à l’élection présidentielle de 2027), organise une manifestation visant à défendre sa propre personne. Elle se revendique de l’héritage de Martin Luther King et de sa lutte pour les droits civiques des Afro-Américains dans les années 1960 aux États-Unis. À cette occasion, il est opportun de rappeler l’apport fondamental de François Duprat (1940-1978), théoricien du nationalisme révolutionnaire, qui a joué un rôle déterminant dans la fondation du Front National en 1970.

Né en 1940 à Ajaccio, François Duprat s’engage dès 1958 au sein de Jeune Nation, puis en 1959 dans le Parti Nationaliste sous la direction de Pierre Sidos et Dominique Venner. En 1967, il contribue à la création du Rassemblement pour la Libération de la Palestine aux côtés de Maurice Bardèche, tout en dirigeant la revue Défense de l’Occident. Il collabore également au journal Rivarol. Dès janvier 1970, il rejoint le Front National lors de sa création et intègre son Bureau Politique en 1974, un poste qu’il occupe jusqu’à son assassinat en 1978. À partir de 1974, il diffuse les thèses du nationalisme révolutionnaire à travers les Cahiers Européens, publiant en 1976 un manifeste qui formalise ses idées au sein du Front National.

1. Les apports de François Duprat au Front National

Jusqu’alors centré sur une opposition statique au régime soviétique, le Front National évolue grâce à l’arrivée de François Duprat. Son nationalisme révolutionnaire enrichit l’idéologie du parti en introduisant de nouvelles thématiques politiques, permettant un bond qualitatif dans son analyse et une augmentation significative de son audience.

Critique de la colonisation culturelle par les États-Unis

François Duprat dénonce l’influence culturelle des États-Unis sur la France, amorcée après la Seconde Guerre mondiale via le Plan Marshall (1948). Ce soft power américain impose un modèle économique ultra-consumériste, conçu pour écouler les produits issus de la production de masse nord-américaine. Il critique également l’imposition d’un modèle culturel, illustré par la domination du cinéma américain dans les salles françaises, ainsi que la promotion de la démocratie libérale, qui condamne toute forme de nationalisme.

Critique de l’expansionnisme israélien et des loyautés nationales

François Duprat intègre au Front National une critique de l’« Entité Sioniste » en Palestine occupée. Fort de son engagement dans le Rassemblement pour la Libération de la Palestine (1967) et de son expérience au Centre d’études et de documentation des problèmes au Proche-Orient, en lien avec le Fatah et le FPLP, il condamne l’expansionnisme israélien. Il exprime aussi des doutes sur le sentiment d’appartenance nationale des membres de la communauté juive en France, suspectant une allégeance prioritaire à l’État hébreu.

Critique de l’immigration de peuplement

Après l’indépendance de l’Algérie en 1962 et les accords de 1968, la France recours à une immigration de travail issue de ses anciennes colonies. La loi de 1974 sur le regroupement familial transforme cette immigration en une immigration de peuplement. François Duprat constate que la France, ancienne puissance coloniale, est désormais en voie de « colonisation » par des populations extra-européennes. Il fait de la critique de l’immigration un axe central du discours du Front National.

Opposition au système financier

Sous la présidence de Georges Pompidou, ancien banquier chez Rothschild, la loi Pompidou-Giscard de 1973 interdit à l’État d’emprunter auprès de sa banque centrale, l’obligeant à se financer via les marchés financiers. Ce mécanisme engendre un endettement chronique de l’État, appauvrissant la nation au profit des intérêts bancaires. François Duprat y voit un « hold-up » organisé, exacerbé par la loi sur le regroupement familial et l’immigration massive qu’elle facilite. Cette situation alimente son opposition au « Système » et sa défense de l’identité du peuple français.

Adaptation de la propagande et fédération des nationalistes

François Duprat propose d’adapter la propagande du Front National aux crises économiques, culturelles et sociales que traverse la France. S’inspirant de Pierre Poujade, qui avait mobilisé des millions de Français autour d’un programme économique et social nationaliste, il prône une approche pragmatique pour rallier un public plus large, au-delà des seuls nationalistes convaincus. Il insiste sur l’encadrement des militants, leur formation doctrinale, le développement de l’implantation locale et l’engagement dans les milieux syndicaux pour sensibiliser les groupes sociaux réceptifs. Il appelle également à fédérer les différentes composantes nationalistes, condition essentielle pour peser dans la vie politique.

2. 1976 : Publication du Manifeste Nationaliste Révolutionnaire

En 1976, François Duprat publie son Manifeste Nationaliste Révolutionnaire, qui vise à tracer une voie française vers la révolution nationale. Ce texte ambitionne de répondre à la crise traversée par l’Europe en remettant en cause les valeurs sur lesquelles elle s’est reconstruite après la Seconde Guerre mondiale.

La Nation comme unité organique

Le manifeste place la Nation au centre de l’action humaine, conçue comme un ensemble organique et harmonieux, et non comme un agrégat traversé par des tensions internes, telles que l’antagonisme des classes sociales, qu’il juge préjudiciable à la cohésion nationale. L’État, expression de la volonté populaire, doit protéger le peuple des « parasites profiteurs » et des intérêts étrangers, tout en régulant les inégalités pour empêcher l’exploitation des plus faibles par les plus forts.

Une France sous domination étrangère

François Duprat considère la France comme une nation colonisée, manipulée par des lobbys qui contrôlent les médias et corrompent les élites dirigeantes pour exploiter le peuple. Le nationalisme révolutionnaire a pour mission de faire prendre conscience au peuple de cette domination. Il rejette l’opposition entre « bon » et « mauvais » capitalisme, estimant que ce système économique asservit la Nation. La reprise en main des secteurs stratégiques (banque, recherche, distribution, industries de pointe) est une priorité, sans compensation pour leurs détenteurs actuels, jugés illégitimes.

Décolonisation économique et culturelle

Le manifeste prône la récupération des richesses nationales pour mettre fin à l’influence étrangère sur l’économie et la culture. Cette « décolonisation » vise à stopper le « génocide culturel et biologique » du peuple français, en restaurant une organisation unie et cohérente de la Nation. L’État-nation, garant de la cohésion, doit disposer de moyens d’action étendus pour réguler l’activité économique et culturelle, tout en empêchant les éléments hostiles à cette cohésion d’exercer une influence.

3. Une organisation révolutionnaire inspirée d’autres modèles

François Duprat n’hésite pas à s’inspirer d’expériences révolutionnaires issues d’autres horizons idéologiques, sans craindre une « contamination » doctrinale. Il propose la création d’un parti révolutionnaire structuré, hiérarchisé, capable d’agir à la fois dans la légalité et dans la clandestinité. Composé de militants formés idéologiquement, ce parti mènerait un travail politique en milieu syndical, à l’image du modèle léniniste décrit dans Que faire ? (1902), qui prône un parti d’avant-garde de révolutionnaires professionnels.

Une alliance des classes nationales

François Duprat définit le « Peuple » comme un ensemble de catégories sociales sur lesquelles s’appuyer pour mener la révolution nationale :

  • Les ouvriers, en tant que producteurs de base.
  • Les paysans, petits propriétaires ou ouvriers agricoles attachés à la production.
  • La petite bourgeoisie, impliquée dans la distribution et les échanges économiques.
  • Les éléments nationaux de la bourgeoisie, participant à la gestion et à la direction de la production.

Cette vision évoque la « théorie des quatre classes » de Mao Tsé-Toung, qui unissait prolétaires, paysans, petite bourgeoisie urbaine et bourgeoisie nationale contre la bourgeoisie compradore pour se libérer du joug colonial.

4. L’héritage de François Duprat

François Duprat est assassiné le 18 mars 1978 dans l’explosion de sa voiture, un crime qui demeure non élucidé. Alors que Jordan Bardella, président du Rassemblement National, cherche à gagner en respectabilité en s’affichant aux côtés de figures comme Meyer Habib en Israël, il est éclairant de rappeler l’analyse de Christian Bouchet dans François Duprat, le prophète du nationalisme-révolutionnaire (2018, Ars Magna). Bouchet estime que, quels que soient les responsables de l’assassinat de Duprat, ils servaient les intérêts du « sionisme international ».

François Duprat ? Toujours présent !

Andréa.

Première parution : Jeune nation.

Retour en haut