Les Jacobites dont l’histoire est quasi inconnue en France, furent-il les premiers contre-révolutionnaires européens, les précurseurs de Vendéens et des Chouans ? On peut l’affirmer sans risque d’erreur et estimer de même avec madame de Staël que « les révolutions dans les deux pays furent des symptômes du même mal » et que 1789 et 1793 furent des répétitions des révolutions anglaises de 1642 et de 1688.
L’Angleterre en révolution
La Grande-Bretagne n’échappe pas aux troubles religieux du XVIe siècle et ceux-ci s’y caractérisent par l’apparition d’une Église nationale – l’Église anglicane – et par une fragmentation en sectes du protestantisme. Par ailleurs, depuis 1603 et l’Union des couronnes, les Stuarts règnent sur l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande. Or, cette dynastie a le tort, aux yeux du Parlement britannique, de se revendiquer du droit divin et, aux yeux des protestants, devenus très largement majoritaires dans le pays sous diverses dénominations, d’être considérée comme favorable aux papistes. Cela aboutit à la première révolution anglaise en 1642, à une guerre civile opposant les royalistes et les parlementaires qui dure jusqu’en 1651 et qui est marquée par la décapitation du roi Charles Ier, le 30 janvier 1649, la suppression de la Chambre des Lords le 6 février de la même année et l’abolition de la royauté le 8 du même mois.
La monarchie est restaurée en 1660, mais Charles II, crypto-catholique qui règne jusqu’en 1685 est en bute à l’opposition du Parlement. La situation s’aggrave quand son frère Jacques II monte sur le trône. Lui est officiellement catholique et veut redonner la prééminence à ceux de sa foi alors qu’ils ne représentent plus qu’une proportion insignifiante de la population anglaise. S’en suit, en 1688, une seconde révolution, le renversement du roi légitime, l’appel à un souverain, étranger mais protestant, Guillaume d’Orange-Nassau, et le vote par le Parlement de l’exclusion des catholiques de l’ordre de succession au trône britannique.
Les insurrections
La résistance s’organise immédiatement et est marquée par quatre insurrections des royalistes (que l’on va nommer les jacobites) : en Irlande de 1689 à 1691 ; en Écosse en 1715 puis en 1719 avec Jacques III et en Écosse de nouveau en 1745-1746 avec le petit-fils de Charles II, Bonnie Prince Charlie (le futur Charles III). Comme on le retrouve en France en 1793, contre la bourgeoisie révolutionnaire urbaine se constitue une alliance entre les classes populaire et aristocratique et se rallient à la contre-révolution les populations ethniques périphériques (les Irlandais et les Écossais).
Les soulèvements sont écrasés et on voit apparaître alors, après la défaite de Culloden en avril 1746, le principe des colonnes infernales que l’on retrouvera en Vendée en 1793. Sous la direction du duc de Cumberland – qui y gagne le nom de Butcher Cumberland – elles mettent à feu et à sang les Highlands et y font plusieurs dizaines de milliers de victimes dans cette région alors pourtant fort peu peuplée. Fait notable qui montre la haine et le mépris des vainqueurs pour ceux qu’ils ont battu : de nombreux prisonniers – plus d’un millier – sont déportés en Amérique et y sont vendus comme esclaves dans les plantations de coton.
L’exil, les régiments irlandais et la maçonnerie écossaise
Durant tout le XVIIIe siècle, cinquante mille partisans des Stuarts, pour la plupart catholiques, choisissent, en plusieurs vagues, d’émigrer. Si certains s’illustrent dans le commerce maritime et jouent un rôle important sur la côte atlantique de l’Espagne à la Suède, la plupart choisissent la voie des armes et se mettent au service des souverains européens, principalement en France, mais aussi en Espagne, Prusse, Autriche et même en Russie.
Les complots pour restaurer la monarchie jacobite suscitent la création de sociétés secrètes qui se dissimulent au sein de la franc-maçonnerie alors florissante. Il en nait les rites chevaleresques (dont subsiste encore le Rite écossais rectifié) théorisés par le chevalier et activiste stuartiste Andrew Ramsay qui, dans un discours fait en loge le 26 décembre 1736, présente la franc-maçonnerie comme l’héritière des ordres de chevalerie de l’époque des croisades. Ces rites sont d’orientation aristocratique et contre-révolutionnaire et s’opposent aux rites de métier bourgeois et révolutionnaires.
Après le décès de Jacques III en 1766, une tentative d’insurrection en faveur de son fils Charles III fait long feu. Le nouveau roi décède sans héritier en 1788 et son frère cadet, qui est cardinal de l’Église romaine, lui succède sous le nom d’Henri IX. À sa mort, en 1807, la dynastie des Stuarts s’éteint et les droits au royaume passent à la famille de Sardaigne puis à celle des Wittelsbachs.
Le jacobisme eut une influence non négligeable sur le royalisme français durant et après la révolution. Si un jacobite, Gérard de Lally-Tollendal, est parmi les principaux soutiens de Louis XVI en 1792, d’autres, nombreux, rejoignent l’armée des Princes ou la Vendée militaire. Ils y transmettent l’idée que ce que vit la France n’est qu’une répétition de ce qu’a connu la Grande-Bretagne lors de ses deux révolutions, tant et si bien que la croyance en la similitude des faits devient une constante des légitimistes français, que ceux-ci s’enthousiasment pour les écrits de Walter Scott dont les traductions françaises sont alors un grand succès d’édition et que l’on estime que c’est leur lecture qui pousse la duchesse de Berry dans sa tentative malheureuse de soulever la Provence et la Vendée en 1832.
Entre politique et mémoire
L’idée jacobite ne disparait pas avec la fin de la dynastie et elle connait même une embellie dans le dernier quart du XIXe siècle. Il y a derrière cela un certain romantisme né de la lecture des romans de Walter Scott narrant les insurrections stuartistes, mais il y a aussi une volonté politique indéniable.
Il se crée ainsi, en 1872, avec la Légitimist Jacobite league of England, qui devient en 1891 la Legitimist Jacobite league of Great-Britain and Ireland, un véritable parti jacobite doté d’une presse non négligeable. Ce qui est marquant, c’est que ce parti se situe parfaitement dans une lutte de niveau général contre la subversion et qu’il le manifeste en organisant un soutien actif aux carlistes espagnols tant en assurant leur représentation diplomatique en Grande-Bretagne qu’en allant jusqu’à organiser un trafic d’armes en leur faveur lors de leur tentative de soulèvement de 1899. Certains de ses dirigeants affichent aussi leur sympathie pour les Boers lors de la guerre qui les oppose aux Anglais de 1899 à 1902.
Jusqu’à la première guerre mondiale, ce parti jacobite est actif et présente à plusieurs reprises des candidats aux élections législatives. Il a une influence particulièrement forte en Irlande et en Écosse où il influence le mouvement nationaliste naissant. Ainsi en sont membres le grand poète irlandais William Butler Yeats et John Pope Hennesssy, député nationaliste de Kilkenny, ainsi que le nationaliste écossais radical Theodore Napier.
Il existe toujours des structures jacobites, dont la plus importante est la Royal Stuart Society, mais celles-ci ne relèvent plus que du souvenir. Toutefois le terme de Jacobite ou de Neo-Jacobite est toujours utilisé dans le vocabulaire politique britannique et il désigne actuellement l’aile la plus à droite du Parti conservateur.
Un souvenir culturel sans influence politique
Si Walter Scott n’est plus guère lu, le souvenir de l’épopée stuartiste survit aussi bien dans des comptines enfantines (dans les années 1970, j’ai appris, en cours d’anglais, My Bonnie Lies over the Ocean que j’ai découvert bien plus tard avoir été composée en l’honneur de Bonnie Prince Charlie) que dans le folksong avec des chansons célèbres comme The Skye Boat Song et Ye Jacobite by Name, ainsi que dans des morceaux contemporains tels Crua Chan de Sumo ou Onzième Comte de Mar de Genesis. On en retrouve même trace dans une aventure de Docteur Who (Terror of the Zygons) et dans la série de fantasy Outlander de Diana Gabaldon.
Mais, si cela est sympathique ceci est cependant coupé de toute référence historique ou politique, tant et si bien que les musiciens du groupe de folk breton Try Yann peuvent connaître un succès avec Ye Jacobite by Name tout en militant… à gauche ! Prince Bonnie Charlie doit s’en retourner dans sa tombe.
Article rédigé pour Réfléchir et agir en juillet 2021.