L’antiaméricanisme de la droite radicale française n’est pas un fait récent. S’il ne s’est réellement cristallisé que dans les années 1930 et s’il ne devint endémique que quarante années plus tard, on en trouve cependant des traces dès le XIXe siècle, tant dans les récits de voyage du marquis de Morès que dans les œuvres d’anticipation du capitaine Danrit. Intuitive à ses débuts, théorisée ensuite par des auteurs comme Arnaud Dandieu ou Alain de Benoist, pour ne citer que les plus connus, l’hostilité à « l’Empire du mal » est telle que nombre de nationalistes européens considèrent que rien de bon n’a jamais vu le jour sur le sol des États-Unis.
Et pourtant, il existe une Amérique que nous pouvons aimer… Il se trouve en effet qu’à au moins trois moment de l’histoire des États-Unis, des hommes de là-bas ont réagi en Européens et non pas en Américains : lors de la guerre d’indépendance avec les loyalistes, lors de la guerre américano-mexicaine avec les San Patricios et lors des deux guerres mondiales avec les non-interventionnistes.
Les loyalistes ou la fidélité au roi
L’historiographie de la Révolution américaine et de la guerre d’indépendance est habituellement univoque. La plupart d’entre nous savent, pour l’avoir appris au lycée, que les élites des treize colonies et les pères de la Révolution américaine étaient imprégnées des idées des Lumières et que tout au long des années 1760-1770, les colons américains s’opposèrent à la couronne britannique d’une manière de plus en plus radicale. Cela jusqu’à ce qu’éclate la guerre qui vit, de 1775 à 1783, les insurgents, assistés de volontaires français, s’opposer militairement aux soldats de l’armée anglaise. Les faits, relatés de cette manière donnent une grande impression d’unanimisme et l’on imagine sans mal tout un peuple dressé derrière ses dirigeants naturels s’opposant à l’obscurantisme de la puissance coloniale. Or cela n’est qu’une image d’Épinal.
En réalité, on sait que près de 30 % de la population des colonies resta fidèle à la monarchie anglaise jusqu’au traité de Paris de 1783 et que nombre de ces loyalistes – c’est le nom qu’on leur donna – préférèrent, quand la guerre fut finie, choisir le chemin de l’exil plutôt que de vivre dans un État dont ils dénonçaient les fondements historiques et idéologiques.
Le fait que leurs adversaires de l’époque les désignent du nom de Tory est significatif de l’origine doctrinale, alors parfaitement perçue, de ces loyalistes. À savoir les thèses contre-révolutionnaires et antiparlementaires formulées par les royalistes anglais qui, durant la seconde partie du XVIIe siècle, luttèrent contre Cromwell puis s’opposèrent au renversement des Stuarts et à leur remplacement par la dynastie hanovrienne. Partisans des libertés concrètes, ils considéraient que seul un monarque puissant pouvait les protéger et ils estimaient que l’aboutissement logique de la démocratie parlementaire était la dictature de la populace, ce que résumait en ces termes, Mathers Byles, un de leurs chefs : « Qui a-t-il de mieux ? Être gouverné par un tyran résidant à trois mille milles de chez vous ou par trois mille tyrans qui vivent à un mille de votre demeure ? »
Par ailleurs, et ceci est particulièrement incorrect politiquement par rapport à l’histoire officielle, du fait de leur catholicisme ou de leur anglicanisme, les loyalistes étaient respectueux des autres ethnies et s’opposaient donc aux confiscation des terres des Amérindiens et à l’esclavage des Africains, alors que les insurgents se considérant, par un messianisme biblique, comme une sorte de « peuple élu », n’avaient que du mépris pour ceux qui n’étaient pas des white anglo-saxon protestants. Cela explique que les Noirs furent nombreux à s’engager sous les drapeaux loyalistes – environ 20 000 choisirent ce camp contre moins de 5 000 celui des insurgents – et qu’ils y formèrent même un régiment d’élite la Black brigade, un régiment de ligne le Royal ethiopian et un régiment du génie, tandis que d’autre s’engageaient dans les milices. Il est aussi symptomatique d’une vision du monde que les généraux loyalistes firent le nécessaire pour évacuer leurs soldats d’origine africaine à l’issue du conflit et leur permirent de rentrer en Afrique (où ils s’établirent en Sierra Léone) s’ils le souhaitaient alors que les insurgents rendirent à leurs maîtres les ex-esclavages qu’ils capturèrent. C’est pour une raison identique, car ils avaient clairement compris qui était leur ennemi, qu’environ 13 000 amérindiens choisirent de servir dans les milices loyalistes.
À l’issu de la guerre, 70 000 habitants des treize colonies choisirent l’exil, soient qu’il craignissent – à juste titre – pour leur vie, soient qu’ils fussent totalement ruinés par les confiscations dont ils avaient été victimes pour les punir de leur choix, soit qu’ils n’acceptent pas de vivre dans un État dont ils désapprouvaient tant l’existence que les lois. Comme l’a relevé l’historien Robert Palmer, en comparant les révolutions américaine et française, ce nombre est considérable. En effet, si la Terreur et la guerre civile n’entraînèrent en France que 5 émigrant par millier d’habitant, l’indépendance des États-Unis en fit quant à elle 24 pour mille habitants… C’est dire avec quelle violence et quelle hargne, le nouveau pays expulsa de son sol sa composante restée spirituellement et culturellement européenne.
Les San Patricios ou la fidélité à la foi
Dans les années 1830-1850, les États-Unis entreprirent de se rendre maître des territoires situés au Sud et au Sud-Est de leur frontière au dépend du Mexique. Le moment le plus important de cette expansion fut, dix années après que les colons anglo-saxons qui y résidaient aient déclaré leur indépendance, l’annexion du Texas en 1845. Elle fut la cause d’une guerre américano-mexicaine qui ne prit fin qu’en 1848.
Connaissant une pénurie d’homme de troupe qu’elle ne réussissait pas à combler en faisant appel à ses nationaux, l’armée américaine enrôlait alors, plus ou moins de force, les immigrants célibataires à leur descente des navires les amenant d’Europe. Ainsi, parmi les soldats qui combattaient contre les Mexicains, nombreux étaient ceux originaires d’Irlande d’où la « Grande famine » occasionnait une immigration particulièrement conséquente.
Ces soldats, à qui on avait promis la nationalité américaine et quelques arpents de terre à l’issue du conflit, eurent rapidement de multiples raisons de regretter leur présence sous la bannière étoilée. Tout d’abord, dirigée par des officiers WASP, ils devaient subir leur racisme ethnique et leur mépris religieux. Ensuite, la foi qu’ils partageaient avec les Mexicains les poussait à en être solidaires et à considérer comme inacceptable le comportement au combat de l’US Army caractérisé par des exécutions sommaires, des pillages et des viols.
C’est du fait de tout cela qu’un nombre important de soldats, menés par un lieutenant du nom de John Riley, choisirent de changer de camp et de combattre au côté des Mexicains catholiques contre les protestants américains. Ils formèrent le régiment de saint Patrick qui est, selon les termes de l’historien Peter Quinn, « le seul exemple dans toute l’histoire américaine d’une désertion de masse en temps de guerre pour se mettre au service de l’ennemi ». Exclusivement Irlandais à l’origine les San Patricios furent rapidement rejoints par d’autres déserteurs de religion catholique et de souche européenne : Français, Italiens, Polonais, Espagnols et Suisse. Au nombre de huit cents, ils s’illustrèrent dans les combats où leurs capacité d’artilleurs et leur ardeur firent des miracles.
Vaincu militairement, le Mexique dut accepter de signer, le 2 février 1848, le traité de Guadalupe par lequel il abandonna aux États-Unis, contre une indemnisation minime, le Texas, la Californie, le Nevada, l’Utah, le Colorado, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et le Wyoming, soit les deux tiers de son territoire national… Il n’oublia cependant pas les étrangers qui avaient servi dans ses rangs. Rendus à la vie civile en 1850, ceux-ci furent décorés, généreusement dotés de terres agricoles et reçurent la nationalité mexicaine. Ceux qui, par contre, avaient eu le malheur d’être capturés par les troupes yankees furent tous condamnés à mort et exécutés par pendaison.
Si aux USA, cet épisode fut dès l’origine totalement occulté (1) et y suscite toujours une très grande réticence, il fut l’objet au Mexique d’une glorification qui n’a jamais cessée. Chaque 12 septembre, anniversaire du jour où les San Patricios prisonniers furent pour la plupart pendus, leur souvenir est commémoré par des cérémonies officielles. À Monterrey et à Mexico, des rues portent leurs noms et une plaque apposée sur le Parlement mexicain relate en lettres d’or leur sacrifice pour une nation qui n’était pas la leur.
Les non-interventionnistes ou la fidélité au sang
Lors des deux guerres mondiales qui ensanglantèrent l’Europe au XXe siècle, malgré que leurs élites aient été bellicistes, les États-Unis ne se décidèrent que tardivement – en 1917 et en fin 1941 – à participer aux conflits. Parmi les raisons qui expliquent ce fait, il y a le militantisme extrêmement important du courant anti-interventionniste.
À partir de 1914, comme à partir de 1939, celui-ci fut porté dans les médias par des personnalités connues : George Viereck dans le premier cas, Charles Lindbergh dans le second. L’un et l’autre étaient de « nouveaux Américains » ou, comme on l’écrirait maintenant, des immigrés de seconde génération qui, de surcroît, n’avaient pas rompu avec la vieille Europe puisqu’ils y avaient, tous les deux, longuement séjourné. Viereck comme Lindbergh avaient la fidélité du sang et ils ne se concevaient pas comme des Américains, mais comme des Européens vivant en Amérique…
Si Charles Augustus Lindbergh est connu pour ses exploits aéronautiques, peu nombreux sont ceux chez qui le nom de George Sylvester Viereck évoque quelque chose. Pourtant, cet intellectuel brillant fut un poète renommé, un écrivain à succès et un proche de Sigmund Freud et d’Alfred Adler… Si son souvenir a été totalement occulté c’est qu’à l’orée des deux guerres mondiales il choisit le mauvais côté, celui des Empires centraux puis de l’Axe, et qu’il mit tous ses talents dans la balance, fondant des journaux, des maisons d’édition et concevant le slogan qui eut un important succès : « L’Europe aux Européens, l’Asie aux Asiatiques et l’Amérique aux Américains ». Pour ceci, il connut la prison, la ruine et fut effacé de l’histoire littéraire…
Des Américains ? Non, des Européens !
Le point commun à ces trois faits historiques, c’est que leurs auteurs, majoritairement, n’étaient pas réellement des Américains, ou du moins ils ne l’étaient pas encore devenu, soit qu’ils aient refusé d’entrer dans l’Union, soit qu’ils fussent des immigrés de fraîche date n’ayant pas rompu le cordon ombilical avec leur mère patrie. C’est sans doute ce qui fait que nous pouvons nous reconnaître en eux car le fonds psychologique et les réactions qu’il induit sont commun. C’est pour cette même raison qu’il n’a pas été traité d’une autre Amérique que nous pouvons aimer, celle de la guerre de sécession car si elle oppose deux Amérique, l’une agraire et aristocratique à une autre industrielle et bourgeoise, et si l’une de celles-ci nous est sympathique, elle n’en reste pas moins très éloignée de la vue du monde des natifs du vieux continent.
1 – Ce n’est qu’en 1915, soit près de soixante-dix ans après les faits, qu’un historien y fit pour la première fois une allusion.
Article rédigé pour Réfléchir et agir en décembre 2010.
Christian Bouchet