« En fait, la seule arme nouvelle qu’aurait pu utiliser Hitler, c’était la ‘révolution européenne’, la libération des peuples, notamment des Russes et des Ukrainiens, non leur asservissement. Mais Hitler n’était pas un révolutionnaire européen, c’était un pangermaniste et un raciste obtus. En refusant la carte du nationalisme, il s’est privé de son seul véritable atout pour inverser le cours de la guerre. Plus tard, le maréchal von Manstein écrira : ‘Nous avons perdu la guerre le jour de notre entrée à Kiev, en refusant de hisser le drapeau ukrainien sur la Lavra [= le parlement ukrainien]’. Les tentatives aussi prometteuses que celle de l’armée Vlassov se heurtent à Hitler : ‘Elle constitue une négation de toute sa politique. Le Führer, dira encore Manstein, tient à établir la domination allemande sur les espaces de l’Est et abattre définitivement la puissance russe, quel que soit son régime…’. Aveuglement mortel.
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Ayant conservé le souvenir du délitement de l’Empire habsbourgeois en 1918, il craignait que l’octroi de la moindre autonomie ne conduise d’éventuels alliés à retourner leurs armes contre le Reich. Il ne concevait avec les autres peuples que des rapports de domination et de soumission. Hitler était un jacobin allemand. (…)
Convaincu de l’infériorité des peuples slaves, ne concevant l’Ukraine et la Russie qu’à la façon de futures colonies dont les populations, si jamais elles étaient épargnées, devaient être réduite à une sorte de servage, Hitler n’avait jamais imaginé entrer en Russie en libérateur. C’est pourtant de cette façon que ses troupes furent d’abord accueillies. Les paysans qui les avaient reçues en leur offrant le pain, le sel et des fleurs, durent bientôt déchanter. Rien ne montre mieux l’aveuglement d’Hitler que l’histoire tragique du général Vlassov. (…)
D’une façon bien caractéristique, Hitler refusera toujours de rencontrer Vlassov. Jamais il ne songera à jouer la carte d’une Russie libre, alliée de l’Allemagne. Jamais il n’échappera au schéma de domination défini dans Mein Kampf. »
(Dominique Venner, Le siècle de 1914, 2006)
« Le rêve hitlérien était celui d’une grande Allemagne s’étendant sur l’ensemble du continent européen, adossée à un espace vital à l’Est. »
(Dominique Venner, Le siècle de 1914, 2006)
« Le prophète terriblement déterminé que révèle la lecture de Mein Kampf n’est pourtant pas inintelligent ni inculte, mais son esprit est enfermé dans un carcan d’indestructibles préjugés, aggravés par une extrême présomption. Alors que sa vision des choses accuse des carences évidentes, on sent qu’il refusera toujours ce qui ne vient pas de lui. (…)
L’obsession antisémite d’Hitler, qu’il faut bien qualifier de pathologique, lui tient lieu de critère absolu dans la relation ‘ami-ennemi’ qui est l’une des données fondamentales de toute politique étrangère. (…)
Tout en masquant les vrais antagonismes, sa focalisation sur les ‘Juifs’ et ses visées purement pangermanistes devaient lui attirer immanquablement l’hostilité active des communautés juives du monde entier et des Européens qui ne se sentaient pas allemands. Elle lui interdit de voir par exemple que l’Angleterre, qu’il croit être son alliée naturelle et raciale, redeviendra nécessairement l’ennemie acharnée de l’Allemagne dès lors que celle-ci retrouvera la première place sur le continent. De ce point de vue, l’interprétation mussolinienne des ‘peuples prolétaires’ était un peu plus fine, tout en restant néanmoins tributaire d’un impérialisme hors de saison.
La vision purement raciale perdait tout réalisme dès lors qu’elle devenait un absolu, niant par exemple les réalités nationales. Ce sera sur ces réalités qu’Hitler se cassera les dents. En dépit d’une communauté raciale au sens le plus vague du mot, il rencontrera les plus fermes résistances chez les Anglais, les Norvégiens et les Hollandais, et cela pour des raisons d’attachement national. Inversement, ses préjugés racistes transformeront les Russes en ennemis, alors qu’ils étaient prêts, après Barbarossa, à se rallier à un projet européen de libération du bolchevisme. (…)
Si l’on s’en rapporte à Mein Kampf, dont le programme sera appliqué à la lettre, pas un instant, le curieux révolutionnaire qu’est Hitler n’entrevoit l’opportunité d’offrir aux autres peuples européens un projet capable de rallier leur adhésion. La seule perspective qu’il leur accorde est la soumission au maître allemand, ce en quoi il sera d’ailleurs en rupture avec le sentiment de plus en plus européaniste des nouvelles générations de son pays.
Dans le domaine des moyens de la politique étrangère, il ne parvient pas à se hausser au-delà des impressions laissées par les guerres du passé. Il n’imagine pas qu’un ordre européen, par exemple, puisse s’établir par d’autres moyens que la violence. (…) Pour accomplir ce qu’il croit être sa mission, jamais il ne désigne dans son livre d’autres moyens que ceux de la contrainte et des armes. (…)
Ce surprenant prophète d’un réveil aryen en sera finalement le négateur et le fossoyeur. Négateur, puisqu’il se veut exclusivement un nationaliste allemand de l’espèce la plus étroite et la plus agressive. Fossoyeur, puisque dans sa courte vue et son impatience, il nie ce qui devrait logiquement s’inscrire dans la durée des siècles, choisissant de tout jouer sur une sorte de ‘quitte ou double’ apocalyptique qui ne laissera derrière lui que des ruines livrées à des ennemis triomphants. »
(Dominique Venner, Le siècle de 1914, 2006)