Entretien avec Horia Sima

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D’après Codreanu le légionnaire doit devenir un « homme nouveau ». Cette terminologie a aussi été propre au fascisme, ce qui a poussé le professeur De Felice à considérer que le fascisme serait un dérivé de la Révolution française. Quelles sont les caractéristiques de l’homme nouveau légionnaire et sous quel aspect se différencie-t-il du fascisme ?

La terminologie d’ « homme nouveau » est très répandue dans l’histoire et parmi les grands réformateurs. L’expression est fréquemment employée depuis l’époque des premiers chrétiens ; elle a été adoptée aujourd’hui même par les communistes. Selon la presse d’au-delà du rideau de fer, tous les tyrans des pays subjugués proclament que le but de l’éducation communiste doit être la formation d’un « homme nouveau » qui corresponde à l’idéal marxiste, c’est-à-dire à un individu dont on a extirpé tout vestige de personnalité et de pensée libre.

Il est logique qu’on recoure à ce terme. Toute transformation politico-sociale d’une nation, à toute époque, suppose un effort soutenu en vue du changement de la mentalité courante. Donc, « l’ancien » et « le nouveau » se heurtent, entrent en conflit. Le résultat peut être, soit l’échec de l’entreprise téméraire devant la solidité de la vieille conception, soit la victoire de l’homme nouveau.

L’interprétation du professeur De Felice est forcée. Le fascisme n’a rien à voir avec la Révolution française. Il se peut qu’il existe certaines apparences, certaines coïncidences, mais l’esprit du fascisme est tout à fait autre et c’est cela l’essentiel. Le fascisme est une création révolutionnaire « anti-Révolution française ». Si quelque chose a pu inspirer Mussolini du dehors, alors il s’agit du nationalisme maurrassien lequel, par Corradini, s’est transmis au fondateur du fascisme.

Le fascisme est quelque chose de propre à l’Italie, une réaction spécifique du peuple italien en un moment de crise totale de l’État, Dans le fascisme s’est manifesté l’éternel nationalisme italien, qui explique tant le Risorgimento que le Movimento sociale italiano et dont émaneront par la suite d’autres impulsions de salut aux moments de péril mortel pour la nation.

Le fascisme n’est pas l’expression d’une classe, ainsi que certains veulent l’interpréter, mais l’expression de la totalité nationale. Dans le fascisme ont été représentées toutes les classes sociales, en commençant par l’aristocratie et jusqu’aux travailleurs les plus humbles. Les fascistes ont été avant tout les fils de la patrie et en seconde place, ils représentaient aussi certains intérêts professionnels.

Les caractéristiques de l’homme nouveau dérivent de ce qu’on a dit antérieurement. Il existe un faisceau ou un bloc de valeurs fondamentales : individu — nation — Dieu, et sur cette base s’élève « l’homme nouveau » légionnaire. Le légionnaire est avant tout conscient de l’existence de ces valeurs et de leur ordre hiérarchique ; il s’efforce de les réaliser dans son propre moi. Une fois bien ancré dans ces principes, une fois transformé spirituellement dans leur sens par l’éducation reçue dans le Nid (C’est le nom qu’on donnait dans la Garde de fer aux cellules de base du mouvement), il devient un agent de transformation du milieu social dont il fait partie. La révolution intérieure qui s’accomplit en lui, il la propage vers le dehors, en convainquant d’autres individus à adhérer au même type d’homme, Les nouveaux convertis, à leur tour, procèdent de la même façon. Ils s’efforcent de gagner d’autres éléments et ainsi le mouvement se propage, sous l’impulsion d’un dynamisme extraordinaire.

La différence entre l’homme nouveau légionnaire et l’homme nouveau fasciste consiste dans l’instrument éducatif par lequel s’opère le changement de mentalité du peuple. Mussolini avait le « culte de l’État ». Il croyait que l’État, par sa force collective, par son prestige, par ses buts impériaux, peut créer une nation de héros.

Corneliu Codreanu s’adressait à l’individu, à la partie positive de son âme. C’est cette partie qu’il cherchait à cultiver pour faire vaincre en lui l’homme inférieur, pour que l’individu devienne un héros, dans le sens d’une force créatrice au service de son peuple.

Dans le fameux article sur sa rencontre avec Corneliu Codreanu, Julius Evola a exposé fidèlement les différences qui existent entre le fascisme, le national-socialisme et le légionnarisme, ainsi qu’il les a entendues de la bouche du Capitaine lui-même.

Existe-t-il des relations de collaboration entre le Mouvement légionnaire et d’autres mouvements nationalistes européens ?

Une collaboration sur le terrain de l’action n’existe pas. Nous, en tant que réfugiés politiques, nous n’avons pas la liberté de manifestation dont jouissent les camarades d’Espagne, d’Italie ou d’Allemagne. Nous ne pouvons pas nous mêler des affaires internes des autres États. Notre statut de réfugiés nous empêche de participer à la vie politique des nations occidentales.. La seule collaboration possible pour nous est le domaine idéologique : échange d’informations, d’idées, publication de livres, de brochures et de revues. Enfin, notre collaboration à des publications nationalistes étrangères.

Pourtant, même dans ce domaine, celui de l’idéologie pure, nous nous heurtons à certaines difficultés. Les mouvements nationalistes européens ont leurs problèmes spécifiques qui ne coïncident pas toujours avec notre point de vue. Pour le Mouvement légionnaire, ainsi que pour tous les mouvements d’au-delà du rideau de fer, la priorité revient au combat contre le communisme, parce que nos pays se trouvent sous l’emprise de Moscou. Ce n’est qu’en détruisant le communisme mondial que nous pouvons espérer le salut de notre nation et celui de toutes les nations captives.

D’ailleurs, l’anti-communisme constitue une base ample de collaboration, dans laquelle nous pouvons nous retrouver tous, parce que le grand péril frappe à la porte des pays occidentaux aussi. Ce qui plus est un front anti-communiste généralisé, comme mesure suprême pour le salut de la civilisation occidentale, pourrait rassembler d’autres secteurs d’opinion, d’autres partis, qui ne professent pas expressément une doctrine nationaliste, mais qui sont conscients de la terrible menace de l’impérialisme communiste, patronné par Moscou.

Vous êtes entré dans la Légion de l’archange Michel » à l’automne 1927, quelques mois seulement après sa fondation. Qu’est-ce que vous a déterminé à vous rapprocher des légionnaires ?

Le Mouvement légionnaire a été précédé par une phase pré-légionnaire. En 1922 avait éclaté un grand mouvement estudiantin, et en 1923 avait pris naissance la Ligue de défense nationale chrétienne (LANC). De 1919 à 1926, Corneliu Codreanu a été sans arrêt sur les barricades, tant dans la lutte des étudiants que dans la lutte politique.

Les échos de cette lutte, ayant comme figure principale le Capitaine, avaient pénétré jusque dans les lycées. Il n’y avait pas un seul jeune élève qui n’ait eu d’admiration pour Corneliu Codreanu. On ne rêvait, une fois arrivé à l’Université, qu’à le chercher et à le suivre.

Ce fut mon cas aussi. Je ne suis pas entré dans le Mouvement convaincu par d’autres. Je me suis rapproché tout simplement de ceux auxquels je me sentais lié spirituellement. C’est plus tard que le Capitaine a mis en oeuvre les Fraternités de la croix qui avaient pour mission de préparer la jeunesse des lycées, pour qu’elle puisse être plus tard encadrée dans le mouvement.

Pendant la période précédant votre consécration à la tête du Mouvement Légionnaire, quelles fonctions aviez-vous remplies ?

Pendant ma période universitaire, j’ai milité dans les organisations d’étudiants, devenant en 1932 membre du conseil de l’Union nationale des étudiants chrétiens roumains. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été nommé professeur en province. En cette qualité, dans toutes les villes par où je suis passé, j’ai fondé des organisations légionnaires.

Il faut cependant savoir que dans le Mouvement légionnaire on ne procède pas dans l’organisation locale selon le système des partis. Le Capitaine ne nommait pas d’abord des chefs pour que ceux-ci se mettent ensuite à organiser politiquement l’aire qui leur avait été décernée. Il laissait toute l’initiative au légionnaire. Celui-ci choisissait tout seul pour ainsi dire « son territoire de travail », le milieu où il pouvait exercer son influence et son talent d’organisateur. Dès qu’il arrivait à certains résultats, il en rendait compte au Centre et ce n’est qu’à partir de cet instant que le Capitaine lui reconnaissait la position qu’il avait conquise par lui- même. Il le désignait comme « chef de nid », « chef de secteur », « chef de département » ou « chef de Corps légionnaire ». Pourquoi cette procédure ? Parce qu’avant d’avoir le droit d’exercer certaines fonctions dans le Mouvement, le légionnaire devait faire la preuve qu’il était apte à conduire une unité.

De cette manière, je suis passé ainsi par une série d’examens. J’ai mis en route une série d’organisations locales, avant d’être, en 1935, nommé chef de la région du Banat, province de l’Ouest du pays. La Roumanie entière était divisée en treize régions.

Après l’assassinat du Capitaine et de ses camarades de prison, le roi Caroll II a commencé une grande chasse aux légionnaires. Comment avez-vous échappé au massacre et comment le Mouvement légionnaire a-t-il pu survivre en tant que force politique organisée ?

Comme j’étais une personne peu connue à Bucarest, puisque, depuis 1930, j’avais milité uniquement en province, le commandement légionnaire secret de l’époque m’a chargé, après les arrestations massives d’avril 1938, de la réorganisation du Mouvement. J’avais réussi à m’enfuir de chez moi avant d’être envoyé dans un camp de concentration. Je suis immédiatement parti pour Bucarest, me mettant à la disposition du commandement légionnaire.

Après l’assassinat du Capitaine et la chaîne ininterrompue de tragédies qui a suivi, toute la police et la gendarmerie avaient concentré leurs efforts pour me capturer. On avait établi un prix de trois millions de lei pour ma capture. Le cercle de mes poursuivants se rétrécissait de plus en plus, au point qu’au début de février 1939 je me suis décidé à passer la frontière. C’était le moment crucial ! Trois heures après que j’eus quitté mon dernier refuge à Bucarest, la police est arrivée, sûre de m’avoir coincé. Cependant, j’étais loin dans un train à destination de l’Ouest. J’ai réussi à passer en Hongrie et après de nombreuses péripéties je suis arrivé à Berlin.

Le Mouvement légionnaire a survécu grâce au fait que, malgré les massacres, de nouveaux noyaux de résistance sont apparus dans les prisons, les camps de concentration, dans tout le pays et au-delà des frontières. Ces noyaux ne se sont pas organisés en dehors de la souche originaire. Ils se sont reconstitués en unités plus grandes, lesquelles à leur tour, ont repris contact avec le Commandement légionnaire suprême, dont le centre de gravité s’était déplacé alors à l’étranger.

La Légion est un organisme vivant et lorsqu’elle est atteinte, torturée, décimée, les survivants se regroupent et se réorganisent exactement selon les principes antérieurs. C’est le résultat de la solide éducation reçue par les légionnaires dans les nids. Ceci explique pourquoi l’ennemi se trouve toujours devant un front légionnaire compact et devant une force politique organisée. Même réduite au minimum de son existence, trois personnes, la légion reste présente dans l’histoire et continue sa mission. Elle ne peut pas périr !

Quel est le programme que vous proposiez dans la période de dyarchie avec Antonescu ?

Nous avions un programme simple et progressif :

a – En politique extérieure, l’encadrement de la Roumanie sans aucune réserve, dans la lutte anti-communiste des puissances de l’Axe.

b – En politique intérieure, des élections libres, avec la participation de tous les partis, pour la légalisation de la révolution légionnaire dans l’esprit de liberté. De toute manière, on aurait eu une majorité écrasante.

Le général Antonescu, au début, était d’accord avec mon plan. Pourtant, plus tard, sous l’influence de son entourage et des chefs des anciens partis, il y a renoncé. Les partis se rendaient compte qu’ils auraient essuyé une défaite retentissante au nom de la démocratie qu’ils n’avaient jamais respectée quand ils gouvernaient le pays.

La dictature en soi était plus commode pour Antonescu, car il n’avait pas de parti et il n’avait pas non plus le peuple de son côté. C’était un homme seul ! Et comme il avait déjà son plan de nous éloigner nous aussi du pouvoir, l’idée des élections ne lui souriait pas, et c’est pour cela qu’il l’a abandonnée.

c – En économie, on préconisait dans l’immédiat la limitation de la force du capital judaïque, qui avait accaparé 70 % des richesses nationales. Antonescu a même pris quelques mesures dans ce sens.

Cependant, notre intérêt primordial était dirigé vers la paysannerie, qui devait être sauvée de la misère et dotée de tous les moyens indispensables pour s’émanciper économiquement et devenir un corps politique éclairé et puissant qui ait son mot à dire dans la politique nationale.

Sur la rupture avec Antonescu et les faits qui ont suivi il existe des ,versions contradictoires. Quelle a été la cause de ce conflit ?

Il ne s’agit pas d’une seule cause. Il y en a eu plusieurs, qui en s’accumulant ont provoqué la rupture :

a – Antonescu ne comprenait du tout le Mouvement légionnaire. D’ailleurs, il n’avait pas été en bons termes avec Codreanu qu’il critiquait parce que celui-ci n’avait pas accepté sa direction politique. Il ne faut pas oublier que le général Antonescu a été le facteur principal de l’instauration de la dictature carliste, le 10 Février 1938. Il avait été ministre de la Défense nationale dans le gouvernement qui a supprimé l’ancienne constitution en ouvrant le chemin de l’arbitraire et du crime. Il est vrai qu’il ne figurait plus dans le second gouvernement de la dictature. Il était trop incommode pour le tempérament autoritaire du roi et. en dehors de cela, celui-ci n’avait plus besoin de lui. La dictature s’était implantée. Le Maure pouvait partir…

b – Antonescu était non seulement un homme extrêmement ambitieux. mais aussi il était atteint d’une maladie qui provoquait chez lui des accès de furie et de cruauté. Il ne voulait partager le pouvoir avec personne, bien qu’il n’eût pas de parti et par conséquent ne représentât rien dans le pays.

Il n’avait pas vu dans le Mouvement légionnaire une force nationale capable de relever la Roumanie, mais un simple allié temporaire dont il voulait se défaire, car à ses yeux d’ambitieux. le Mouvement lui semblait capable de freiner sa soif de puissance.

c – Les anciens éléments carlistes, les juifs et tous ceux qui ont été vaincus le 6 Septembre 1940, après une période de confusion et de silence, se sont regroupés autour du général, l’ont adulé et l’ont déterminé à nous attaquer.

d – Enfin, l’entourage du général Antonescu était entièrement hostile au Mouvement légionnaire. Son conseiller le plus intime, Mihaï Antonescu, appartenait au Parti libéral. Il y avait aussi dans cet entourage une série de femmes, agents de l’Intelligence Service et qui, jusqu’à la fin, ont transmis des secrets d’État même aux Soviétiques.

Dans ces conditions, on ne doit pas s’étonner de ce qui est arrivé ! Le général s’aimait lui-même plus qu’il ne se souciait du sort du pays. Ses prétendus amis et acolytes ont exploité son ambition démente et lorsqu’ils n’ont plus eu besoin de lui — le 23 Août 1944 — ils l’ont jeté aux fauves bolcheviques. Leur but de sortir de l’alliance avec l’Axe était atteint et ils se croyaient sauvés par le fait de sacrifier le général.

Pourquoi les Allemands ont-ils commis l’erreur de prendre position contre vous, les légionnaires, dans le conflit de janvier 1941, en déterminant ainsi d’une manière décisive la fin du conflit ?

Pour bien comprendre l’étrange attitude de l’Allemagne nationale-socialiste dans les événements de janvier 1941, il faut partir du moment de notre victoire du 6 septembre 1940. Cette victoire a été réalisée non seulement sans aucun appui de leur part, mais même contre leur volonté. Après que le roi eut cédé, tant dans la question de la Bessarabie que dans celle de la Transylvanie, le Reich vit dans le Mouvement légionnaire un obstacle pour la réalisation de ses buts impérialistes dans le Sud-Est européen.

La victoire du 6 septembre l’avait surpris et désorienté. Dans la conjoncture créée, il n’a pu faire autrement que de s’accommoder aux événements. C’est à partir de cet instant que les Allemands ont cultivé particulièrement l’amitié d’Antonescu, tandis que nous étions regardés avec méfiance. Je me réfère aux cercles gouvernementaux, ceux qui dirigeaient la politique extérieure de l’Allemagne. Nous jouissions de certaines sympathies dans le Parti et dans les SS, mais ces forces n’exerçaient pas une influence suffisante auprès de Hitler pour contrecarrer l’influence néfaste de Ribbentrop.

D’autre part, nous étions entrés aussi en conflit avec les Allemands sur la question économique. Les hommes d’affaires du Reich voulaient toujours être les principaux, profiteurs des biens des juifs. Ceux-ci, entrés en panique, vendaient partout leurs entreprises. Nous nous sommes opposés à ce que ces entreprises tombent dans des mains étrangères. Nous considérions qu’elles devaient rentrer dans le patrimoine national.

Les Allemands suivaient d’ailleurs une politique générale d’accaparement : ils voulaient mettre la main sur tout ce qui était important dans l’économie du pays. Ils nous traitaient déjà comme une future colonie…

Le Mouvement légionnaire ne pouvait pas admettre une pareille déchéance, tandis que le général Antonescu a mené une politique de duplicité. Au début, il s’était mis lui-même à la tête de l’action de roumanisation de l’économie nationale, pour céder peu après aux exigences allemandes, en nous présentant, nous, les légionnaires, comme intransigeants et chauvins !…

Enfin, il ne faut pas oublier que, dans la haute bureaucratie allemande, s’étaient infiltrés des agents anglo-saxons et soviétiques. La chose est bien connue aujourd’hui. Je rappelle seulement trois noms : amiral Canaris, général Halder, à cette époque-là chef du Grand état-major de l’armée, et Weiszacker, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères et main droite de Ribbentrop. Tous, ennemis du Mouvement légionnaire. Dans leurs rapports, ils chantaient les louanges d’Antonescu et présentaient la Légion sous des couleurs défavorables.

Lorsque, le 21 Janvier 1941, nous avons été attaqués, le général Antonescu ne s’est pas heurté uniquement aux légionnaires, mais au mur impénétrable de toute la population. Il a été littéralement suffoqué par cette résistance populaire. Dans la capitale, il ne tenait que quelques enclaves. A ce moment dramatique, quand il était sur le point de capituler, est venu l’ultimatum d’Hitler, par lequel il nous demandait de cesser toute résistance, nous menaçant de l’intervention de l’armée allemande qui se trouvait en Roumanie et qu’il avait déjà mise à la disposition d’Antonescu « pour rétablir l’ordre » que celui-ci avait intentionnellement troublé.

Après la victoire ,d’Antonescu vous vous êtes réfugié en Allemagne avec d’autres éléments légionnaires. Pourquoi avez-vous choisi justement l’Allemagne après ce qui s’était passé ?

L’explication est simple. Nous continuions à considérer les Allemands comme nos camarades et pensions que Hitler avait été induit en erreur lorsqu’il avait donné l’ordre à l’armée allemande d’intervenir en faveur d’Antonescu. Nous étions convaincus que si nous avions l’occasion de lui exposer le cours réel des événements, en lui montrant que c’étaient nous les victimes, que c’étaient nous qui avions été attaqués et que nous n’avions fait rien d’autre que défendre l’État d’une nouvelle usurpation, alors, selon toutes probabilités, il allait rectifier son attitude envers nous et demander à Antonescu de cesser la persécution.

Il est arrivé quelque chose de plus. Des éléments du Parti et des S5 se sont rendu compte de l’injustice qui nous touchait et sont intervenus chez Ribbentrop et Hitler pour demander que la situation antérieure soit rétablie. Leur effort a été vain ! Pourtant, ils ont obtenu quelque chose : l’approbation de sauver les cadres dirigeants du Mouvement. Par la filière des services spéciaux allemands de Roumanie et de l’armée allemande, une foule de légionnaires ont pu quitter le pays, éléments qui, une fois tombés entre les mains d’Antonescu, auraient été fusillés ou jetés dans les prisons. C’est cette attitude bienveillante de certains services allemands qui a déterminé beaucoup de légionnaires à prendre le chemin de l’exil.

Bien entendu, personne ne savait au juste quel sort nous était réservé en Allemagne. En général, on croyait que nous allions être traités comme réfugiés politiques et jouir de la liberté. Personnellement, j’ai été « invité » à aller en Allemagne avec toutes les garanties de l’hospitalité. Autrement, je n’aurais jamais quitté la. Roumanie, même au risque d’y être fusillé.

Cependant, une fois arrivé en Allemagne, nous avons pris connaissance de l’existence d’une convention entre les gouvernements roumain et allemand pour que nous soyons tous internés. Il était trop tard pour réagir d’une autre manière

Quelle a été votre condition politique en Allemagne pendant ce « séjour forcé » ?

Pendant les deux premières années (1941-1942) nous avons eu un statut de confinement, c’est-à-dire de domicile forcé : les cadres dirigeants et les anciens ministres à Berkenbrück, près de Berlin ; la masse des réfugiés légionnaires à Rostock. Toute activité politique et tout rapport avec la Roumanie nous ont été interdits, sous menace d’extradition.

De Janvier 1943 et jusqu’à la capitulation de la Roumanie le 23 Août 1944, nous avons été internés dans des camps de concentration : moi, à Oranienburg — les chefs légionnaires et les anciens ministres à Dachau — la masse des légionnaires à Buchenwald.

Que pensez-vous d’Adolf Hitler ?

Il faut reconnaître qu’il avait de grandes qualités. Il était homme de courage et de volonté, un excellent organisateur. Cependant, il avait aussi d’incomparables défauts qui l’ont perdu, en annulant toute sa force politique et militaire. D’abord. il n’était pas un stratège. Il n’avait pas la vision de la totalité de son champ de bataille. Il s’était fixé des buts qui dépassaient sa puissance de synthèse et ses forces de jugement.

Il n’est pas suffisant de disposer d’une force matérielle, il faut aussi savoir comment l’employer, dans quelles conditions et à quel moment, Hitler a confondu les succès partiaux obtenus au début grâce au poids de la force armée ou de la menace de cette force, avec le résultat global de la guerre. Dans son élan impétueux, il avait oublié ou n’avait pas voulu appliquer l’enseignement de Clausewitz que « la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. » Son système d’action de la politique était de frapper, d’employer la force là où il rencontrait une résistance. Cependant, même la force a certaines limites. Et à mesure que grandit le nombre des ennemis, elle a besoin de s’amplifier.

Ainsi s’explique le mépris qu’il manifestait à l’égard des mouvements nationalistes européens et de ses propres alliés, aussi que les erreurs monumentales qu’il a commises en Russie. S’il avait été un stratège, il n’aurait pas négligé l’aide qu’il pouvait recevoir des nations hétérogènes qui composent l’empire de l’URSS. Ainsi s’explique de même le traitement dépourvu de camaraderie qu’il nous a appliqué à nous, les légionnaires, seule organisation capable d’assurer la stabilité politique interne de la Roumanie.

Vers la fin de l’année 1942, vous êtes venu en Italie pour rencontrer Mussolini. Pourquoi cette rencontre n’a-t-elle pas eu lieu et pourquoi avez-vous été renvoyé en Allemagne ?

Ma venue en Italie a eu lieu avec le consentement de Mussolini, mais elle s’est produite à un mauvais moment — le 16 décembre 1942. C’était juste après le débarquement des Alliés en Afrique et la période du désastre de Stalingrad. Mussolini était plus que jamais dépendant de l’aide allemande. Antonescu, ayant eu écho de ma fuite et ne sachant pas où je me trouvais, a été pris de panique. Il croyait que j’étais rentré en Roumanie pour provoquer une révolution et le renverser.

Il a tout de suite demandé à Hitler de me trouver et de me ramener en Allemagne, sinon il allait retirer les armées roumaines du front, pour… « assurer l’ordre interne ». Hitler, à son tour, s’est adressé à Mussolini, lui demandant en des termes énergiques la « restitution du prisonnier », car mon séjour en Italie pourrait avoir des conséquences graves pour le front.

Ciano a conseillé à Mussolini de me rendre. Ainsi que la preuve en a été faite plus tard, Ciano n’avait aucun attachement pour les mouvements nationalistes, y compris le fascisme. J’ai été arrêté par Senise, chef de la police de Rome et rendu à Kappler, chef de la Gestapo d’Italie. Avec le premier avion j’ai été ramené à Berlin, accompagné par deux commissaires allemands.

Le 26 décembre, exactement dix jours après mon départ vers l’Italie, je franchissais la porte du siège central de la police allemande d’Albrechtstrasse, où le général Millier m’a communiqué que j’étais en état d’arrestation. J’y suis resté environ un mois, sous garde permanente et soumis à des interrogatoires interminables. Vers la fin du mois de janvier, j’ai été interné dans le camp de Buchenwald. En avril 1943 j’ai été transféré dans le camp de concentration d’Oranienburg, près de Berlin, où je suis resté jusqu’à la capitulation de la Roumanie.

Qu’est-il arrivé aux légionnaires restés en Roumanie sous la dictature d’Antonescu ?

Tous ceux qui se sont opposés au coup d’État du général Antonescu de janvier 1941, ont été déclarés rebelles, arrêtés et envoyés devant les tribunaux militaires. Certains ont été condamnés à mort et fusillés, tandis que la grande majorité ont reçu des peines de prisons allant de cinq à vingt-cinq ans d’emprisonnement. De fait, ces tribunaux ne jugeaient pas. Ils appliquaient le quantum de peine fixé par anticipation par la présidence du Conseil sur le dossier de chaque détenu. Après un simulacre de procès, on lisait la sentence donnée par le gouvernement. La justice avait été évincée de sa fonction.

Lorsque la Roumanie est entrée en guerre, certains des condamnés ont été « graciés » et envoyés au front pour « réhabilitation ». En réalité cette « réhabilitation » ne pouvait être obtenue que par la mort. Les commandants des régiments avaient reçu l’ordre d’employer les légionnaires pour les missions les plus dangereuses et cela d’une manière permanente jusqu’à ce que « la mort les élimine ».

Tous les légionnaires officiers ou gradés de l’armée avaient été préalablement dégradés ; ils n’avaient pas droit aux permissions réglementaires et ne pouvaient être évacués du front qu’en cas de blessures graves. Ils ne pouvaient recevoir aucune décoration, même s’ils avaient accompli des actes de bravoure extraordinaires. De plus, ils devaient être constamment gardés sous surveillance. Aucune « réhabilitation » n’a été prononcée par les autorités militaires avant que la famille du légionnaire n’ait reçu l’acte annonçant son décès.

Le général Antonescu a employé la forme la plus odieuse pour liquider ses adversaires : la guerre. Il connaissait, bien entendu, les sentiments des légionnaires, leur patriotisme ardent, leur désir de lutter sur le front contre les communistes. C’était, au fond, leur guerre à eux, pour laquelle ils avaient été préparés dans la Légion pendant des années. Et voilà, maintenant, que cet homme, ce général, devenu chef de l’État, hissé au pouvoir sur les tombes des légionnaires, qui savait bien que ceux-ci ne pouvaient pas déserter et ne pouvait pas ne pas faire leur devoir, transformait la guerre sacrée de la Légion en une guillotine pour ses membres !…

Plus tard, les légionnaires « graciés » ont été concentrés dans des bataillons spéciaux, appelé « Bataillons de Sarata (d’après la localité où ils étaient instruits), où, pour les humilier encore plus, Antonescu a donné l’ordre qu’ils soient mélangés avec les détenus de droit commun et les déserteurs remis au service. Ces unités, dîtes disciplinaires ou « de punition », étaient envoyées, à mesure qu’elles se constituaient, dans les zones les plus dangereuses du front, où elles étaient décimées peu à peu. De cette manière, des dizaines de milliers de légionnaires sont tombés, poursuivis par la haine féroce du général Antonescu. Certains d’entre eux, qui revenaient cependant indemnes de toutes ces missions de sacrifice, ont été fusillés à l’arrière pour que l’ordre de la « réhabilitation des légionnaires après leur mort » soit entièrement respectée…

Pour l’honneur de l’armée roumaine, il y a eu aussi des officiers commandant des unités sur le front qui n’ont pas accepté de s’associer à ces crimes ; certains ont même défendu les légionnaires. C’est grâce à ces officiers qu’une partie des légionnaires ont survécu. Cependant, la majorité d’entre eux ont laissé leur os dans les steppes de la Russie.

Après le 23 août 1944, vous avez constitué un Gouvernement national roumain à Vienne. Pendant les huit mois qui ont suivi jusqu’à l’effondrement de l’Allemagne, quelle a été l’action de ce gouvernement ?

Le plan initial du gouvernement allemand était d’organiser un nouvelle ligne de défense sur les Carpates, pour empêcher l’invasion du bassin danubien par les troupes soviétiques. La mission de notre gouvernement de Vienne était de constituer une nouvelle armée en Transylvanie laquelle, avec les restes de l’armée allemande échappée au désastre du 23 août, prendrait la défense des défilés des Carpates.

Ce plan cependant, n’a pas pu se réaliser à cause des Allemands mêmes qui ne disposaient pas, dans cet espace, de troupes suffisantes pour couvrir le front le temps nécessaire pour que nous puissions procéder à la mobilisation de la population transylvaine. En deux semaines, la Roumanie a été occupée et l’armée allemande a dû se replier en Hongrie. A cause de ce repli, nous n’avons pas eu le temps de pénétrer en Transylvanie et au Banat. Ainsi nous sommes devenus un Gouvernement sans pays, ayant son siège à Vienne.

Dans le cadre de ces conditions dramatiques, nous avons fait tout qu’il nous a été possible pour sauver la Roumanie et aider notre allié allemand. Avec les légionnaires libérés des camps de concentration, les Roumains se trouvant en Allemagne et les Roumains faits prisonniers par l’armée allemande, nous avons formé — sur la base du volontariat — une Armée nationale d’environ 12.000 hommes, avec trois régiments et d’autres unités spéciales, un de ces régiments a pris part aux engagements sur l’Oder contre les Russes jusqu’aux derniers jours de la guerre.

Une partie des légionnaires ont suivi des cours spéciaux et ont été parachutés en Roumanie, où ils ont jeté les bases du mouvement de résistance. Nous avons été sur le point de provoquer en Roumanie, avec l’aide d’une partie de l’armée roumaine du front occidental, un 23 août inversé, une révolte générale contre les armées soviétiques. Cette révolte, combinée avec une offensive allemande en Hongrie, aurait pu avoir comme conséquence l’écrasement des forces russes du bassin danubien et peut-être de repousser le front jusqu’au Dniestr. Malheureusement, ce plan grandiose, conçu par les légionnaires envoyés en Roumanie, a échoué à cause d’une trahison…

A Vienne, nous disposions d’une émission permanente à la Radio, dans le cadre de laquelle nous envoyions des messages, conseils, ordres, vers le pays. L’effet de cette propagande a été extrêmement puissant dans la population roumaine.

Au gouvernement de Vienne revenait aussi la tâche de la protection des réfugiés, problème lourd, car toute la population viennoise souffrait affreusement du froid et du manque de nourriture.

Dans ses Mémoires, le prince Sturdza, qui a été ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Vienne, se réfère à un accord qui aurait eu lieu entre le gouvernement roumain en exil et le gouvernement de Szàlasy au sujet de la résolution de l’épineuse question de la Transylvanie. Si l’existence d’un pareil accord était confirmée ne serait-elle pas une preuve de la possibilité dont disposent les gouvernements nationalistes de résoudre pacifiquement, dans le cadre du Nouvel ordre européen, des problèmes qui empoisonnent depuis longtemps les rapports entre les peuples ?

Le prince Sturdza avait fait une courte visite à Szombathely, où se trouvait le dernier siège du gouvernement de Szàlasy, en février 1945. Il a été reçu par le baron Yemeny, Ministre des Affaires étrangères. Pendant toute une nuit, sous le grondement des canons, car le front était proche, ils ont discuté de la tragédie qui menaçait les deux peuples et toute l’Europe.

Ils ne sont arrivés à aucun accord sur la question transylvaine. Ni l’un ni l’autre n’avaient aucun plein-pouvoir dans ce sens. D’ailleurs, ce n’était pas non plus le moment d’aborder cette question, alors que toute la Roumanie et la plus grande partie de la Hongrie se trouvaient déjà sous l’occupation soviétique.

Ce qui a rapproché ces deux hommes d’État était la conviction que les deux nations — si Dieu pouvait les aider à échapper à la servitude communiste — devaient tirer parti des souffrances et de l’histoire tourmentée du passé, pour éviter de nouveaux conflits dans l’avenir. Le prince Sturdza voyait l’élimination des rivalités millénaires entre les deux nations par la création d’une fédération danubienne, qui réunirait Roumains, Hongrois, Slovaques et éventuellement d’autres nations de la même aire géographique.

Naturellement, les mouvements nationalistes, par leur propre structure, sont infiniment plus sensibles au réglement pacifique des conflits entre les nations, parce que le nationalisme véritable implique le respect du droit d’existence des autres nations.

Après la victoire des Alliés, dans quelle situation s’est trouvé le Mouvement légionnaire ?

Lorsque les Russes se sont rapprochés de Vienne, le gouvernement et tous ses services se sont retirés à Alt Aussee, en Autriche. Cette localité de montagne a été notre dernier refuge. Au cours du mois d’avril 1945, tous les légionnaires et les autres Roumains qui se trouvaient sous l’autorité du gouvernement ont évacué peu à peu la localité, se répandant par petits groupes sur tout l’espace austro-allemand.

Quand les troupes américaines y sont entrées, elles n’ont plus trouvé personne. Moi, avec sept autres camarades, nous nous sommes enrôlés dans une unité de guerrilla, constituée sous le commandement de Skorzeny, qui avait reçu la mission de former une ligne de résistance dans le Dachauergebirge. Au début de mai, nous nous étions déjà dirigés vers les montagnes, lorsqu’est arrivé un courrier de Skorzeny nous annonçant la dissolution du groupe. Il se peut que l’occupation du territoire par les Américains et non par les Russes, ainsi qu’on le supposait, ait déterminé la décision de Skorzeny de renoncer à l’expédition.

A partir de ce moment, nous sommes entrés dans la clandestinité et la lutte pour survivre. Personnellement, avec deux camarades (Petre Ponta et Traian Borobaru), nous sommes passés en Allemagne qu’on a traversée dans toute son étendue pour arriver jusqu’à Freiburg. Cette odyssée a duré environ six mois, car on était obligé de marcher à pied. Ce n’est que vers la fin du voyage qu’on a pu se procurer des bicyclettes.

Au mois d’octobre 1945, nous sommes sortis de la clandestinité, nous imaginant être les seuls légionnaires restés encore en Europe occidentale. Nos autres camarades, nous les croyions recueillis par les Alliés et déjà livrés aux Soviétiques, ainsi que cela s’est produit avec d’autres groupes de réfugiés. Cependant, peu après nous avons découvert que les légionnaires, non seulement étaient libres, mais, dans les zones d’occupation, qu’ils s’étaient regroupés et avaient organisé des Comités d’entraide pour les réfugiés.

Si l’on se demande pourquoi on a fait une exception avec la Garde de fer, il faut chercher l’explication dans le fait que nous avons été enfermés dans les camps de concentration allemands. Il est vrai que le gouvernement de Vienne avait été constitué et que nous avions lutté jusqu’au dernier moment coude à coude avec les Allemands. On a jugé cependant que notre autorité s’était exercée en dehors d’un territoire précis, que nous n’avions pas participé directement à la déclaration de guerre, ni commis d’actes qui pouvaient être qualifiés par les vainqueurs de « crimes contre l’Humanité.

 

Propos recueillis par Maurizio Cabona (1977).
Horia Sima est décédé en exil, en Espagne le 25 mai 1993.

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