Le 30 octobre dernier, par 221 voix pour et 82 contre, le Sénat adoptait une proposition de loi déposée par Les Républicains hostile à l’écriture inclusive tant dans les textes officiels que dans les documents privés (actes juridiques, contrats de travail, mode d’emploi d’appareils électro-ménagers ou informatiques). La proposition votée attend maintenant son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, inscription qui n’est pas pour l’heure prévue. Il est toutefois cocasse d’apprendre que quelques jours auparavant, le 19 septembre, le groupe RN au Palais-Bourbon présentait sans grand succès une autre proposition de loi contre cette nuisance lexicale, linguistique et grammaticale.
Ces deux initiatives entendaient d’abord conforter et consolider une circulaire prise en 2017 par Édouard Philippe, alors Premier ministre, contre l’emploi du point médian sans pour autant avoir de valeur contraignante. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, signait en 2021 un décret opposé à l’écriture inclusive. Ces deux textes de portée administrative n’empêchent pas maintes universités hexagonales de se vautrer au quotidien dans l’écriture inclusive, cet acmée de la dysgraphie.
Au cours des débats au Palais du Luxembourg, la sénatrice LR de l’Aisne, Pascale Gruny, a considéré cette écriture monstrueuse comme « le résultat d’une démarche militante dictée par la doxa du temps présent ». Pour l’excellent sénateur Reconquête ! des Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier, cette fausse écriture « n’est rien d’autre qu’une écriture de l’exclusion, qui met la langue française en péril. Les malvoyants, les dyslexiques et les étudiants étrangers seront les victimes de ce saccage ». Le même jour, en visite à Villers-Cotterêts dans l’Aisne, commune picarde dirigée dès 2014 par le RN Franck Briffaut, militant frontiste exemplaire depuis 1977, Emmanuel Macron déclarait pour l’inauguration de la Cité internationale de la langue française que dans la langue de Molière, de Voltaire et de Charles Péguy, « le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin d’y ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets ou des choses pour la rendre lisible ». Est-il aussi direct à propos des nouvelles horreurs telles « celleux », « iel » ou « toustes » ? Non, puisque le célèbre « en même temps » persiste. Ainsi, en 2021, Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, disait-elle – on appréciera la délicatesse de la phrase – « que l’on dise que, potentiellement, on peut dire “ iel “, parce que ça enrichit la langue et c’est un pronom neutre, pourquoi c’est si choquant ? » Il est regrettable d’accepter ces monstruosités sémantiques, ces manifestations flagrantes de barbarisme et de solécisme. Le projet sénatorial du 30 octobre n’est que la neuvième proposition sur ce sujet depuis 2018…
Toujours en pointe dans la décadence, les élus socialistes s’indignent de ces initiatives législatives de rectification et/ou de correction linguistique de bon aloi qui constitueraient à leurs yeux « une attaque du camp conservateur contre la féminisation des noms, de l’égalité hommes – femmes ». Ancienne élue de l’Oise qui vient d’être hélas réélue sénatrice dans le Val-de-Marne, la socialiste Laurence Rossignol va encore plus loin. Pour elle, « le président de la République dit que le neutre est masculin. C’est vrai, mais le masculin, lui, est loin d’être neutre : il est viril, fondé sur des perceptions de la différence des sexes ». Égalitariste forcenée et négatrice de la différenciation sexuelle, cette impayable sénatrice songe à un monde uniforme, à une termitière, sinon à une fourmilière. On sait par ailleurs que JK Rowling, l’autrice progressiste de Harry Potter, est aujourd’hui menacée par des terroristes du troisième type parce qu’elle a osé affirmer qu’une femme est une personne qui a une anatomie et des organes… féminins. Non ! Pour ses détracteurs hallucinés, une femme est certainement un homme, porteur d’un utérus, ou l’homme est une femme pourvue d’un pénis. Jean Raspail a écrit en 1972 le prophétique Camp des saints. On oublie qu’il publia sept ans plus tard le visionnaire Septentrion, un récit haletant d’un groupe fuyant vers le Nord le raz-de-marée grandissant d’uniformité mortifère incarnée par les Rudeau…
Dans un entretien sur Téléfatras – pardon ! Télérama – mis en ligne le 31 octobre, Michel Launey, linguiste de profession, estime qu’« une partie de la communication écrite n’a pas pour fonction d’être lue à l’oral, donc ce n’est pas choquant tant que c’est compris. L’intérêt de l’écriture inclusive est d’ailleurs relevé par le Haut Conseil à l’égalité : les femmes ont par exemple tendance à moins postuler à une offre d’emploi écrite au masculin, plutôt qu’en écriture inclusive ». Bigre ! Tous craignent une hypothétique milice terminologique réactionnaire alors que, si rien n’est fait, adviendra une police des dictionnaires inclusive et politiquement correcte.
Il serait donc temps d’arrêter ce festival de sornettes et tordre le cou à la fallacieuse égalité entre l’homme et la femme qui n’existe pas. Entre ces deux sexes psycho-biologiques se noue en revanche une indispensable complémentarité. Cela ne signifie pas qu’à travail égal, une femme soit moins bien rémunérée qu’un homme. Cette triste réalité demeure un tort social inexcusable. Par ailleurs, la féminisation des noms n’est pas un problème insoluble, quitte à leur donner une nouvelle acception (chancelière ou ambassadrice). Par conséquent, puisons dans notre histoire du vocabulaire et restaurons « mairesse », « chevaleresse », « doctoresse », « défenderesse », « chasseresse », voire « écrivaine » ! Mais tolérance zéro pour « j’esmère » au lieu de « j’espère » ou « matrimoine » à la place de « patrimoine ». Et pourquoi pas « j’esparent 1 » et « parent 2 moine » ? La complémentarité accentue les saines différences. Le devoir aux différences tangibles s’impose à nous tous au moment où s’achève enfin l’ère de l’universalisme, y compris national.
Les tenants de l’universalisme sont dorénavant sur la défensive. Les universalistes républicains raisonnent encore avec un paradigme moderne désuet. Nous entrons dans un âge post-moderne tragique ou ultra-moderne cauchemardesque. La vieille boussole moderne n’indique plus le Nord habituel. Une autre doit montrer la nouvelle direction boréale. Face à l’hypertrophie du Moi individualiste surgit une approche qui peut se révéler révolutionnaire. Le sénateur du Rhône Étienne Blanc considère que « l’écriture inclusive trouve ses racines dans une idéologie qui affirme la prééminence des identités ». Certes, il ne précise pas que ces identités ne sont souvent que formelles, accessoires et contractuelles, des identités construites qui s’enflamment sous l’influence pernicieuse du wokisme, cet ethno-différencialisme qui a très mal tourné. La sénatrice Pascale Gruny s’écrie dans l’hémicycle que « c’est le communautarisme qui est dangereux ! ». Mathilde Ollivier, sénatrice Verte représentant les Français établis hors de France et benjamine de la haute-assemblée, lui rétorque que « c’est pour cela que nous défendons le point médian ».
Le point médian n’est finalement qu’un prétexte éclairant de la guerre de civilisation en cours entre les néo-égalitaristes wokistes, les universalistes républicains mal en point et les différentialistes bien trop minoritaires. L’affrontement se déroule donc pour ces derniers en état d’infériorité numérique et médiatique. Qu’importe puisqu’ils savent déjà que le printemps républicain se termine dans une impasse conceptuelle. Avant de vivre un été des identités enracinées, ils œuvrent à l’impérative émergence du printemps des communautés différenciées.
Salutations flibustières !
Georges Feltin-Tracol
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 92, mise en ligne le 14 novembre 2023 sur Radio Méridien Zéro.