En 1978, parut à Paris, une brochure au titre explicite : Homosexualité et pédophilie. Publiée dans la collection Débats et documents des éditions La Commune, elle était l’œuvre de militants des Comités communistes pour l’autogestion, une organisation trotskiste issue de la fusion, en 1977, de groupes scissionnistes de la Ligue communiste révolutionnaire (l’ancêtre du NPA d’Olivier Besancenot) et du Parti socialiste unifié.
S’agissait-il d’une dénonciation de ces perversions au nom de la pureté marxiste ? Pas le moins du monde. À cette époque, via la tendance Politique et quotidien au sein des Groupes de libération homosexuels, les trotskards draguaient les activistes gays. S’agissait-il alors d’une distanciation ? D’un texte visant à montrer qu’il ne fallait pas confondre l’un et l’autre, et que si une de ces pratiques était acceptable l’autre ne l’était pas ? Que nenni ! L’opuscule tout au contraire affirmait que l’homosexualité et la pédophilie étaient liées et que l’intérêt du texte – destiné à « éduquer les militants et sympathisants des CCA, afin de faire disparaître dans nos rangs les préjugés » – était qu’il constituait la première « réflexion théorique et politique sur la pédophilie élaborée par des pédophiles ».
Le chapitre central de la brochure était constitué par un travail de synthèse rédigé par le Front d’action et de recherche pour une enfance différente qui dressait un bilan de « la réalité et de l’actualité des pratiques pédophiles. » On y apprenait que la situation faîte aux pédophiles dans les sociétés évoluées d’Occident s’apparentait… à l’esclavage et que « les amoureux des enfants [étaient] victimes d’un génocide, c’est-à-dire d’une destruction en masse. » La pédophilie y était considérée comme révolutionnaire car « la pratique amoureuse avec les enfants, défi permanent à l’autorité de la famille, est réellement déstabilisante » en constituant une « transgression des rapports sociaux dominants », et l’on assurait les pédophiles que leur seule solution était la révolution car « l’option révolutionnaire est un outil précieux » permettant qu’ils comprennent « leur aliénation par les mécanisme sociaux », et car « la pensée matérialiste est la seule à même d’offrir à l’amoureux des enfants les moyens de sa propre démystification ».
On pourrait estimer que cette brochure ne porte pas à conséquence et qu’elle n’est qu’un texte délirant d’un groupuscule marginal. Mais ce serait bien mal connaître la mouvance trotskiste. Aucun texte n’y est publié s’il ne représente la position officielle de l’organisation qui l’édite et les CCA furent une structure qui eut une vie courte mais par laquelle transitèrent nombre de cadres importants du trotskisme que l’on retrouva par la suite à Libération, comme Maurice Najman ; au Parti socialiste comme Gilles Casanova ; à la LCR (devenue depuis le NPA) comme Robi Morber, Patrick Worms, Christophe Ramaux ou Didier Leschi. Il se peut d’ailleurs que ce soit à l’influence de ces derniers que l’on doive, en février 1981 ; la publication dans le n°114 de L’Étincelle, le bulletin intérieur de la Ligue communiste révolutionnaire, d’une motion dénonçant la répression des « désirs réciproques » des adultes et des enfants et prônant un « accord aussi bien dans le mouvement homosexuel que dans le mouvement révolutionnaire sur la suppression de toute loi réprimant une relation adulte-enfant réciproquement consentie et donc sur la suppression de la notion de majorité sexuelle. »
À ce qu’on sait, le NPA, issu en droite ligne de la Ligue communiste révolutionnaire, n’est jamais revenu sur cette motion ni n’a critiqué l’engagement de certains de ses anciens dans les très pro-pédophiles Comités communistes pour l’autogestion. Il a préféré oublier…
Il est vrai que faire autrement aurait nécessité trop de reniements tant le trotskisme est étroitement lié à la promotion en France, à partir des années 1960, de toutes les perversions et inversions. L’individu qui joua alors un rôle central dans cette opération de pourrissement était un bisexuel avoué du nom Boris Fraenkel. Ayant participé à la fondation de l’Organisation communiste internationale, il rejoignit par la suite la LCR. En 1995, il connut une brève notoriété en révélant qu’il avait été « l’officier traitant » de Lionel Jospin dans la période où celui-ci était un trotskiste infiltré dans l’appareil du Parti socialiste. Dans les années 1960, Boris Fraenkel fut, en France, dans le cadre des Centres d’éducation pédagogiques, l’un des premiers militants pour l’homosexualité et la liberté sexuelle. Collaborateur de l’éditeur François Maspero, que l’on retrouvera lui aussi par la suite à la LCR, il animera la revue Partisans et traduira en français les œuvres de Wilhelm Reich dont, en 1966, La Lutte sexuelle des jeunes. En 1967, il sera l’organisateur, à l’Université de Nanterre, d’une conférence intitulée « Jeunesse et sexualité » qui eut un fort retentissement et que l’on considère habituellement comme constituant les prémices de la révolution de Mai 1968…
Son compère en édition, François Maspéro, ne s’arrêta pas en si bon chemin et fut aussi l’éditeur des livres d’un certain Daniel Guérin, qui avait été, à la fin des années 1930, très proche de Léon Trotski avec lequel il eut une longue et fameuse correspondance. Passé du trotskisme au communisme libertaire notre homme eut la plume féconde. Il doubla ses livres Homosexualité et révolution et Essai sur la révolution sexuelle, de multiples articles parmi lesquelles nous retiendrons, dans les colonnes du n°39 de L’Étincelle, « Le mouvement ouvrier et l’homosexualité » et surtout dans le n°4 de Marge (novembre 1974) « Pour le droit d’aimer un mineur ». Ce même Daniel Guérin fut, en 1971, un des fondateurs du Front homosexuel d’action révolutionnaire. Un des principaux faits d’armes de ce groupuscule fut la publication, en mars 1973, d’un épais numéro spécial de la revue Recherches titré « Trois milliards de pervers ? » L’ouvrage est si scandaleux que sa réédition en version numérique, effectuée en 2003, est précédée de cette mise en garde : « Vous entrez dans un espace de publication aux limites, dont la lecture est fortement déconseillée aux mineurs et aux personnes sensibles. Nous prions les adultes de tenir les enfants et adolescents à l’écart de ces pages. » et expurgée de son chapitre IV, consacré… à la pédophilie dont l’auteur principal était un certain Guy Hocquenghem. Lui aussi avait été, un temps, militant trotskiste au Jeunesses communistes révolutionnaires… Il décéda du Sida en 1988. Une maladie qui emporta, le 12 janvier 2010, Daniel Bensaïd, un autre ancien membre des Jeunesses communistes révolutionnaires et de la Ligue communiste révolutionnaire qui était devenu un théoricien de premier plan du mouvement trotskiste mondial, le stratège principal du Nouveau parti anticapitaliste et le mentor de ses dirigeants.
Article rédigé pour Nation presse magazine en janvier 2010.