Je n’ai jamais été membre de la Fane et pourtant, aujourd’hui, je témoigne dans un ouvrage qui lui est consacré. Pourquoi ? Parce que des années 1970 à la fin des années 1980, militant dans des organisations concurrentes, j’ai été un témoin attentif, et parfois fasciné, de ses activités, et de celles des Faisceaux nationaliste européens qui lui succédèrent, auxquelles j’ai parfois participé. De plus, étant provincial mon appréciation des choses n’était pas alors, pas plus qu’il ne l’est maintenant, vicié par les conflits, parfois violents, qui opposaient nos épigones parisiens d’où ma capacité à livrer un témoignage sans filtres émotionnels.
Au début des années 1970, mon positionnement politique est aussi marginal que confus. Issu d’une famille d’Action française, j’ai rejoint la Restauration nationale dès mes 14 ans, mais rapidement j’ai participé à la scission de la Nouvelle Action française où je vois, bien à tort, un nouveau Cercle Proudhon. Dans le même temps, je lis L’Action européenne de Pierre Clémenti, Le Devenir européen d’Yves Jeanne qui est Nantais comme moi et que je fréquente rapidement beaucoup, et je me lie avec Yves Bataille qui vient de quitter Ordre nouveau pour créer l’Organisation lutte du peuple.
En octobre 1972, divine surprise : je reçois en spécimen de prospection le numéro 20 de Notre Europe, le mensuel de la Fane qui vient d’être relancé. Je ne crois pas m’y être abonné, car lycéen à l’époque j’étais particulièrement impécunieux, mais je reçus cependant les 10 numéros de cette série qui se termina en août 1973. En analysant les choses rétrospectivement, je pense que son influence fut fondamentale sur moi. Sa lecture contribua à faire de moi un NR et un nationaliste grand européen. Je retrouvai Notre Europe un an plus tard, associée aux Cahiers européens de François Duprat auxquels je m’étais abonné dès leur tout début.
Je rejoignis ensuite les Groupes nationalistes-révolutionnaires de base et participai aux actions de son implantation nantaise (une demi-douzaine de lycéens, étudiants et jeunes travailleurs dont le leader, Dominique Welker, était un ancien militant trotskiste). L’assassinat de François Duprat nous obligea soudain à réfléchir par nous-même et à nous positionner. Il y eut dans notre groupe un schisme idéologique et stratégique, les militants se répartissant entre deux pôles incarnés l’un par Dominique Welker et l’autre par Arnaud de Perier (qui fera ensuite carrière au Front national et au Mouvement national républicain) et moi-même. Autant le premier était idéologiquement rigide et strictement NR, autant le second était consensuel et intégratif. Il en résultat que Dominique Welker devint l’homme de Jean-Gilles Malliarakis en Loire-Atlantique, alors qu’Arnaud de Perier et moi-même, tout en nous rattachant au Mouvement nationaliste-révolutionnaire, nous adoptâmes une attitude ouverte vis-à-vis des anciens membres des GNR qui choisirent une autre voie que le MNR.
Comme nous n’avions pas compris le soutien de François Duprat au Front national, nous nous étions tenus à l’écart de ce parti, nous apprîmes, sans surprise mais aussi sans en comprendre le sens politique, l’exclusion parfois « physique » du FN de nos amis parisien par Jean-Pierre Stirbois, que nous nous mîmes rapidement à nommer Stirbaum…
Désolé, et dans une incompréhension totale, nous apprîmes aussi les conflits violents entre anciens parteigenossen et personne ne nous cacha à l’époque que certains attentats parisiens visant des magasins « juifs » et revendiqués par la Fane étaient, en fait, effectués par des militants du MNR dans le but de faire disparaître la concurrence.
Un militant de la Fane qui appartenait au personnel roulant de la Sncf nous rendit visite à plusieurs reprises et nous fournit en rouleaux d’affiches. Ainsi, un soir, j’« empruntai » la voiture de mes parents et nous couvrîmes les murs des facultés nantaises de la fameuse « Ouvrier fasciste, rejoins nos rangs ». Comme nous avions concassé du verre pour le mêler à la colle nous eûmes le plaisir, le lendemain matin, de voir de nombreux gauchos les doigts ensanglantés…
Nous nous liâmes à la même période avec un angevin, Bernard Marillier[1]. Il m’impressionna car il avait forgé de ses mains un insigne de son parti qui s’adaptait comme pique à une hampe de drapeau. Avec lui, nous nous rendîmes, en juin 1979, en compagnie d’Yves Jeanne, à la fête de Diksmude. La Fane y constituait un groupe important qui défila en uniforme et oriflammes au vent. La même année, nous étions au 20 novembre à Madrid où nous rencontrâmes Yann et Minh Tran-Long ainsi que Jean-Yves Pellay. Comme celui-ci renseignait tant les sionistes que la presse, un article du Parisien libéré consacré à la Fane et paru peu après lui attribua, du fait de cette unique rencontre, une section à Nantes !
La dissolution de la Fane ne rompit pas nos liens. En 1981, après avoir rendu visite à Malliarakis rue de l’abbé Grégoire, nous allâmes en délégation apporter notre soutien sur son lit d’hôpital à Michel Caignet qui venait d’être vitriolé par un commando sioniste.
Mon dernier souvenir, date d’un peu plus tard. C’est donc l’époque des FNE. Un ancien militaire du nom de Jean-Pierre Guyon s’est installé en Bretagne. Il a pris contact avec Marc Fredriksen et il lui a fait bonne impression. Donc, il est nommé responsable du parti pour la Bretagne et on met à sa disposition le fichier des abonnés à Notre Europe. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que notre homme agisse avec une certaine prudence et avec discrétion, il n’en est rien. Il crée une Survival kompagnie SS, s’en proclame lieutenant et adresse à toutes les adresses du fichier une copie de celui-ci et une proclamation provocatrice. Inutile de dire que nous fûmes nombreux à nous inquiéter du fait auprès d’un Marc Fredriksen aussi surpris que confus.
Première conclusion : bien que je n’ai jamais été membre de la Fane, j’ai bien entendu été influencé par la lecture régulière de Notre Europe (à laquelle je donnai un seul papier : une note biographique consacrée à Francis Parker Yockey). Si elle n’a pas fait de moi un national-socialiste, elle a renforcé mon penchant internationaliste, ma conviction que notre patrie est plus idéologique que géographique.
Deuxième conclusion : même sans en avoir été membre, j’ai lié à cette période de nombreuses amitiés avec des militants de la Fane. Et c’est sans doute cela le plus important : des amitiés qui durent et qui dépassent les désaccords idéologiques marginaux pour s’appuyer sur l’essentiel.
Christian Bouchet
[1] Après des études brillantes, il devint un collaborateur fécond des éditions Pardès. Il participa avec moi à l’aventure d’Unité radicale et fut membre de son bureau politique.
Texte publié dans Les cahiers d’histoire du nationalisme n° 17 (à commander ici).