La voie hespérialiste

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Il est souvent jubilatoire de consulter le quotidien-phare du déclin journalistique en France. Dans son édition du 1er juin 2024, Le Monde s’intéressait à « L’Europe dans le viseur de l’extrême droite ». Bigre ! Mentionnant une réunion tenue à Bruxelles, les 16 et 17 avril derniers, à l’initiative de la National Conservatism Conference sur le thème de « Défendre l’État-nation en Europe », la journaliste Marion Dupont qualifie l’un des intervenants, David Engels, d’« essayiste néo-conservateur » !

A-t-elle au moins lu un seul ouvrage de cet historien belge qui a enseigné en   Pologne ? Bien connu des auditeurs de Radio Méridien Zéro, David Engels vient de publier en français Défendre l’Europe civilisationnelle. Petit traité d’hespérialisme (Salvator, 2024, 162 p., 18,50 €). Le président – fondateur de la Société Oswald-Spengler juge que les discours traditionaliste, réactionnaire, conservateur, nationaliste et identitaire n’opèrent plus. Il propose une synthèse dynamique de ces notions dans un nouveau modèle qui s’appuie sur le retour de la transcendance qu’incarnerait dans l’histoire de notre continent le catholicisme romain.

Cette référence au christianisme, en particulier catholique, surprend si l’on suit Marcel Gauchet pour qui « le christianisme est la religion de la sortie de la religion » dans Le Désenchantement du monde en 1985. Quand l’Église romaine tend vers l’humanitarisme, il faut craindre le pire. Le Figaro du 2 septembre 2015 rapportait que la veille, lors de sa rencontre avec Jacques Gaillot (1935 – 2023), ancien évêque d’Évreux et évêque jusqu’à sa mort de Parténia, principale figure du catholicisme français d’extrême gauche, le pape Bergoglio lui certifia en français que « les migrants, c’est la chair de l’Église ».

À quel catholicisme David Engels pense-t-il vraiment ? Celui issu du concile Vatican II ? Le catholicisme tridentin qui marqua la fin de l’enchantement des âmes ? Le catholicisme médiéval nourri d’une sève païenne comme le démontre Jacques Le Goff dans Le Dieu du Moyen Âge (Bayard, 2003) et qu’éradiqua la Réforme dite catholique ? La présente ambiguïté chrétienne romaine ne cessera qu’avec la formation d’un « euro-catholicisme » différencialiste qui emprunterait à l’Orthodoxie l’autocéphalie et la symphonie des pouvoirs spirituel et temporel.

David Engels désire s’extraire du cadre stato-national au profit d’un ensemble civilisationnel européen organisé dont la matrice serait le Moyen Âge occidental roman et gothique. Contrairement à Dominique Venner, l’auteur délaisse volontiers la dimension anthropologique de l’homme européen. Difficile dans ces conditions d’associer correctement regain chrétien et renouveau continental. Oui, tout combat politique comporte une part spirituelle, voire mystique, à la condition qu’il bénéficie d’une réelle adéquation avec les circonstances.

David Engels suggère le projet politique d’une confédération des nations européennes. « Nous avons […] besoin, écrit-il, d’une Europe assez forte pour protéger l’État-nation individuel contre la montée de la Chine, l’explosion démographique de l’Afrique, les relations difficiles avec la Russie et la radicalisation du Proche-Orient. Mais d’un autre côté, une telle Europe ne sera acceptée par le citoyen que si elle reste fidèle aux traditions historiques de l’Europe au lieu de les combattre au nom d’un universalisme multiculturel chimérique. » L’antiquiste qu’il est réclame par conséquent une « synthèse augustéenne [qui] porterait formellement les traits d’un retour aux origines de l’histoire occidentale tout en conservant les acquis matériels essentiels des temps modernes ». Ce sujet belge de langue allemande précise en outre que « l’exemple [qui] pourrait être mieux adapté pour ancrer à nouveau l’unité européenne dans l’histoire et l’identité [… est] celui du Sacrum Imperium, du Saint-Empire dont la plupart des nations européennes actuelles sont issues et dont la vocation primaire avait toujours été l’unité civilisationnelle dans la diversité subsidiaire tout en ancrant l’Europe dans une vision grandiose de sa mission transcendante ». L’héritage du Saint-Empire affecte en effet les traditions politiques des États d’Europe occidentale, latine et catholique, y compris la Grande-Bretagne, la France et la Pologne (avec sa République royale des Deux-Nations). L’auteur aimerait ainsi concilier Jean Bodin (1530 – 1596) et Johannes Althusius (1557 – 1638) dans une réflexion dialectique originale. Bien des arguments de Défendre l’Europe civilisationnelle rappellent ceux de Guillaume Faye et de son compatriote d’outre-Quiévrain Daniel Cologne. Ce dernier avançait au sein du Cercle Culture et Liberté dans les années 1970 un point de vue assez semblable.

Renouvellement inédit d’une pensée de droite, l’hespérialisme poursuit-il l’esprit faustien ? David Engels constate sur la longue durée européenne un élan vital permanent, une « quête effrénée d’absolu, ce désir d’atteindre et de dépasser l’horizon ». Dans La Parole d’Anaximandre de Martin Heidegger, le traducteur pour le public francophone, Wolfgang Brokmeier, inventait le néologisme d’« Hespérie » pour traduire Abend-Land au lieu d’Occident… Dans un encart, « Quand l’Occident a oublié la Grèce », de son célèbre article « Pour en finir avec la civilisation occidentale » paru dans Éléments n° 34 d’avril – mai 1980, Guillaume Faye écrivait que « l’Hespérie, c’est, comme l’indique la racine grecque, la terre du couchant. Mais il ne désigne pas l’Ouest, ni les régions occidentales du monde, mais bien plutôt un projet d’organisation du monde qui marquerait le couchant, c’est-à-dire l’accomplissement d’une vue-du-monde aurorale exprimée au VIIe siècle avant notre ère par le premier penseur européen ».

L’hespérialisme est donc plus qu’un conservatisme reformulé ou un énième plaidoyer en faveur d’une union de droite des peuples autochtones d’Europe. Il serait néanmoins profitable que David Engels médite sur les livres de Dominique Venner ainsi que sur les riches essais du philosophe – paysan Gustave Thibon. Ainsi pourrait-il fortifier et améliorer la voie hespérialiste de l’Europe, voie plus que jamais nécessaire en ces temps incertains pour tous les Européens originaires du monde boréal.

Salutations flibustières !

Georges Feltin-Tracol

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 122, mise en ligne le 5 juillet 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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