Le KKK des années 20, un fascisme de gauche à l’américaine

a mass klan initiation ceremony at stone mountain on july 23, 1948.

L’article qui suit fut publié pour la première fois dans le numéro 37 (été 1993) de Anarchy : A Journal of Desire Armed. L’auteur – un anarchiste de premier plan aux USA – y montre que le Klan des années 20 était une force radicale dans la politique américaine et qu’il ne négligeait pas des alliances avec les socialistes, les syndicalistes, les féministes et les mouvements d’extrême-gauche ! Une histoire fascinante d’un proto-tercérisme à l’américaine.

Dans cet article sont présentés quelques aspects étonnants du Ku Klux Klan des années 20, la seule période où celui-ci fut un mouvement de masse. On ne doit en aucune manière considérer ce travail comme une approbation de certains aspects de l’idéologie ou de l’action du Klan à cette période. Cependant, la nature risible du Klan contemporain ne doit pas nous faire oublier ce qui s’est passé il y a 70 ans, souvent d’ailleurs contre la volonté et l’idéologie du Klan lui-même.

Aux USA, le racisme est certainement un des phénomènes les plus crûment réifié. Le Ku Klux Klan des années 20 y fut un des deux ou trois plus importants – et le plus ignoré – mouvement sociaux du XX° siècle. Ces deux point sont l’indispensable préface au travail qui suit.

Écrivant au début de 1924, Stanley Frost définissait le Klan à l’apogée de sa puissance : «Le Ku Klux Klan est devenu la structure la plus importante, la plus vigoureuse et la plus active en dehors du monde des entreprises» (1). Suivant les sources, les effectifs du KKK varient en 1924 entre deux et huit millions (2).

Et cependant, la nature de ce mouvement a été largement inexplorée ou incomprise. Dans la littérature plutôt mince sur le sujet, le phénomène KKK est habituellement décrit simplement comme du «nativisme». Dans le lexique des historiens orthodoxes, le terme fait référence à un racisme irrationnel et arriéré supposé endémique dans les classes pauvres et peu-éduquées qui  referait surface épisodiquement et avec violence. Le livre d’Emerson Loucks The Ku Klux Klan in Pennssylvania : A Study of Nativism est un exemple typique de cette vision des choses. Sa préface débute ainsi : «Le renouveau du KKK et son histoire mouvementée ne sont qu’un des chapitres du nativisme américain», le premier chapitre porte le titre « Les débuts du nativisme » et dans la conclusion de l’ouvrage nous apprenons que «Le nativisme a montré qu’il était éternel» (3).

Kenneth Jackson, dans son livre The Ku Klux Klan in the City, a été un des rares commentateurs à dépasser la thèse du nativisme et à remettre en cause les stéréotypes habituels concernant le Klan. Il affirme ainsi que «L’Empire Invisible des années 20 n’était ni majoritairement sudiste, ni rural, ni suprêmatiste blancs, ni violent» (4). Carl Degler corrobore le non-sudisme : «De manière significative, la seule loi dont on est sur qu’elle fut votée sous la pression du Klan est la loi scolaire d’Oregon. L’Etat le plus sous l’influence du Klan était celui de l’Indiana et celui qui comptait le plus grand nombre de membres du KKK était celui d’Ohio. D’un autre côté, dans certains Etats du sud comme le Mississippi, la Virginie ou la Caroline du Sud le Klan était à peine présent» (5). Les statistiques de Jackson montrent clairement que le Klan a sa base sociale dans le nord des USA et non pas dans le sud, puisque seulement un Etat du sud, le Texas, est présent parmi les huit Etats comptant le plus grand nombre d’adhérents (6). De même tout son livre montre que le Klan est un phénomène urbain et que les dix principales zones urbaines avec la plus grandes présence klaniste sont majoritairement industrielles et sont toutes, sauf une, dans le nord. Il s’agit, par ordre décroissant de Chicago, Indianapolis, Philadelphia-Camden, Detroit, Denver, Portland, Atlanta, Los Angeles-Long Beach, Youngstown-Warren et Pittsburgh-Carnegie (7).

L’idée du KKK comme d’une organisation essentiellement raciste est de la même manière remise en cause par Jakson, de même que par Robert Moats Miller : «Dans de nombreuses  zones où le Klan était puissant, la population noire était insignifiante, et il est probable que même si aucun noir n’avait vécu aux USA, une structure du type du Klan serait cependant apparue» (8). Et Robert Duffus, écrivant pour le numéro de juin 1923 de World’s Week, concède que «Si la situation raciale contribue à un état d’esprit favorable au klanisme, curieusement elle n’est pas  déterminante dans son développement» (9). Le Klan en fait tentait d’organiser la «division des couleurs» en Indiana et dans d’autres Etats à l’étonnement de l’historienne Kathleen Blee (10). Degler, qui considère à tord que le vigilantisme constitue le coeur de l’action du Klan admet que ses violences – quand elles avaient lieu – «étaient plus souvent dirigées contre des protestants blancs et anglo-saxons que contre des membres des minorités» (11).

Cela nous amène au quatrième et dernier point de la thèse de Jackson, c’est à dire que le Klan n’était pas foncièrement violent. De nouveau ses conclusions semblent valides malgré les images habituelles d’un Klan adepte de la terreur et du lynchage. Les émeutes raciales de 1919, à Saint Louis, Chicago et Washington eurent lieu avant que le KKK ne fut implanté dans ces villes (12) et en 1920 quand le Klan atteint le maximum de sa puissance, le nombre de lynchage aux USA était tombé à la moitié de la moyenne annuelle d’avant la guerre (13) et a une fraction encore plus faible de la moyenne de ceux qui eurent lieu dans l’immédiate après-guerre. Preston Slosson a ainsi pu écrire : «Par une curieuse anomalie, tandis que le Ku Klux Klan renaissait, la vieille coutume américaine du lynchage disparaissait presque totalement» (14).

Une lecture des journaux conservateur Literary Digest et libéral The Nation pour les années 1922-1923 permet de relever divers procès  dans lesquels le Klan est accusé de violences qu’il n’a pas commises et est privé de ses droits de manière inconstitutionnelle (15). Ses adversaires comprennent souvent les establishments des Comtés ou des Etats, et sont loin d’être des victimes impuissantes et débonnaires.

Si le Ku Klux Klan, alors n’est ni sudiste, ni rural, ni raciste, ni violent, quelle est donc la véritable nature de cette étrange force qui a acquis si rapidement et si spontanément tant de pouvoir au début des années 20 et qui a décliné si vite a partir de 1925 ? La réponse « nativiste » orthodoxe avance qu’il s’agit juste d’un exemples des efforts futiles, sans suite, périodiques, irréfléchis  et réactionnaires des classes sociales inférieures pour s’opposer au progrès. Un « néo-nativisme » prenant en compte les travaux de Jackson admet même  que le racisme et la violence ne sont pas déterminant tout en maintenant le point de vue récurrent sur la volonté de restaurer une version droitiste du passé.

Mais une étude sérieuse et approfondie du Klan fait douter de la véracité de ces thèses car le militantisme et les activités progressistes ont souvent précédé, coïncidé ou suivi des campagnes importantes du KKK et ont inclus les même participants. L’Oklahoma, par exemple, connu en environ dix années  la montée en puissance puis le déclin de la plus importante section du Parti Socialiste et la création d’un des Klan les plus puissants (16). Dans le Comté de Williamson, en Illinois, lors d’une grève dans une mine de charbon, une foule d’émeutiers racialement mélangés tuèrent vingt non-grévistes.  Les autorités locales supportaient les mineurs et refusèrent de poursuivre aucun des participants à ce qui fut nommé le « Massacre d’Herrin » et qui terrifia les USA. Dans les deux années qui suivirent, Herrin et le reste du Comté de Williamson devinrent une place forte du Klan (17). En 1929, les grèves violemment réprimées des ouvriers du textile du piedmont sud des Appalaches, une des luttes ouvrières les plus dure du XX° siècle, eurent lieu dans des villes où le KKK avait une force extrêmement importante (18). Les ouvriers de l’entreprise de pneumatique d’Akron qui furent les premier à utiliser de manière massive, au tout début des années 30, la technique revendicative du sit-down étaient en bonne partie membre de l’importante section du KKK de cette ville (19), ou venaient des Appalaches où le Klan était également fort. En 1934, le Southern Tenant Farmer Union, un syndicat multiracial et très militant fut constitué et eut à subir les violence des milices des grands propriétaires et l’indifférence des ouvriers des villes, or les plus actifs de ses membres étaient d’anciens klansmen (20). De même, on a observé que les plus militants des membres de l’United Auto Workers étaient des membres du KKK (21).

La clef de tous ces exemples d’une loyauté apparemment disparate est une. Comme je vais le montrer, non seulement certains klansmen avaient déjà des idées sociales avancées quand il rejoignirent l’Empire Invisible, mais de surcroît utilisèrent celui-ci comme un véhicule pour des changement sociaux radicaux.

La montée du Klan commence avec l’importante dépression économique de l’automne 1920. Dans le sud, des fermiers désespérés organisés sous la bannière du KKK  tentèrent de faire remonter le prix du coton en restreignant les volumes mis en vente. « De l’automne 1920 à l’hiver 1922, des bandes cagoulées écumèrent les campagnes exigeant des entrepôts et des sociétés d’égrenage du coton qu’ils ferment jusqu’à ce que les prix remontent et mettant le feu aux sociétés qui refusaient et passaient outre » (22). Ce furent ces actions qui lancèrent le Klan au niveau national.

La direction du KKK « désavoua et en apparence désapprouva » (24) cet activisme économique agressif et il est intéressant de noter qu’il y eut des tensions et des oppositions entre les dirigeants et les simples membres. En 1933, dans une Maison des Syndicats dans le Sud, Sherwood Anderson questionna un journaliste local sur l’utilisation du Klan dans les luttes économiques : «  Cette Maison des Syndicats était utilisée autrefois par le Ku Klux Klan et je demandais au journaliste : – Combien de ces travailleurs du textile appartenaient au KKK ? – Un grand nombre, me répondit-il. Il pensait que le Klan avait été une arme pour les travailleurs quand les USA étaient si prospères »(25). Les dirigeants du Klan ne mirent jamais l’accent sur son côté socialement contestataire, mais ce fut pourtant celui-ci qui attira principalement ses membres, plus que le patriotisme, la religion ou la fraternité (26).

Cela ne veut pas dire qu’il n’y eu pas une multiplicité de raison à la montée en puissance du Klan. Il y avait alors un sentiment largement répandu que la « Glorieuse croisade » de la première guerre mondiale avait été une escroquerie. La monotonie et l’ennuie des vies enrégimentées des travailleurs jouait aussi. Jouant sur cette dernière frustration, un journal du KKK appelant à le rejoindre publia en grand titre : « On ne nous autorise qu’à être des spectateurs. Cette vie tiède nous tue » (27). Il n’est pas étonnant qu’un activisme politique progressiste et social ait résulté de ces sentiments. Comme Stanley Frost le remarqua en 1924 : « Le Klan semble être l’une des manifestations d’une insatisfaction des conditions de vie locales et nationales – le coût de la  vie élevé, les injustices sociales, les inégalités … » (28) ou comme l’indique en passant Arthur Schlesinger Jr. dans un texte sur Huey Long, « Malgré ses sympathies pour les pauvres blancs, il ne rejoignit pas, comme Hugo Blank en Alabama, le Klan » (29).

On a souvent fait référence aux activités du Klan comme allant dans le sens d’une « réforme morale » et cette orientation semble avoir été fréquente. Des articles comme « Sous la cagoule blanche : la régénération de l’Oklahoma » et « Les réformeurs qui chevauchent de nuit » parus à l’automne 1923 dans The Outlook rendent compte de cette motivation du Klan (30). Ils content comment le Klan s’oppose aux gangs du crime organisé et combattent le vice et la corruption politique en Oklahoma et en Indiana, semble-t-il avec un minimum de violence. De même le Klan s’opposa sur une grande échelle aux trafiquants d’alcool, et il faut rappeler ici que la prohibition de la vente de l’alcool était largement soutenue par le mouvement ouvrier qui voyait dans la consommation de l’alcool une cause de déchéance des travailleurs et d’affaiblissement de leurs luttes. De fait le Klan attaqua à de nombreuses reprises explicitement les débits clandestins de boisson et les intérêts de leur propriétaire comme des moyens d’asservissement des travailleurs.

C’est du point de vue de la « réforme morale » qu’un autre stéréotype concernant le KKK – celui de sa totale intolérance morale – tombe. Charles Bowles, le candidat du Klan qui rata de justesse le poste de maire de Détroit en 1924, était un divorcé (accessoirement il était aussi en faveur de la création d’emplois publics pour les chômeurs). On ne peut nier que l’anti-catholicisme était un argument important du Klan dans de nombreuses régions, comme par exemple en Oregon, mais cela venait du fait que le Klan considérait que « l’Eglise Catholique était un obstacle majeur dans la lutte pour l’accession des femmes à l’égalité et au droit de vote » ! (31).

Margaret Sanger, la pionnière du contrôle des naissances, fit une conférence aux femmes du Klan à Silver Lake (New Jersey). Une invitation qu’elle n’accepta qu’avec réticence. Elle craignait que si elle « prononçait un seul mot, comme avortement, étranger au vocabulaire de ces femmes, elles aient une crise d’hystérie ». En fait le contact fut bon et la soirée fut un grand succès. Le débat s’éternisa tant que l’orateur rata son train pour repartir et elle reçu par la suite plusieurs autres proposition de conférences similaires (32).

Il existe un lien entre la « réforme morale » et des réformes plus fondamentales. « Je me demande si il n’y aurait pas un rapport entre l’évidente immoralité de cette ville et l’évident mécontentement des travailleurs » écrivit Whiting Williams en 1921 (33). Il répondit par l’affirmative en écrivant que le vice dans la cité résulte de l’insatisfaction à l’usine. Et beaucoup de membres du Klan montrèrent souvent plus d’intérêt à combattre ce qu’ils considéraient comme les causes de l’immoralité que leurs manifestations.

Hiram Evans, un des dirigeants du Klan, admit en 1923, dans un des rares entretien à la presse qu’il accorda, qu’il « il a un sentiment qui se répand largement parmi les membres du Klan que les actions du gouvernement fédéral des dernières années ont montré une faiblesse indiquant la nécessité d’une réforme fondamentale » (34). En 1923, une lettre de lecteur publiée par The New Republic précisait ce besoin de changements profonds. Ecrite par un opposant au Klan, elle portait le titre « Pourquoi le Klan ? » et indiquait : « Premièrement, dans toutes les classes il y a un scepticisme grandissant au sujet de la démocratie, spécialement dans sa version américaine. De nombreux Américains ne croient plus à la justice des tribunaux, ils estiment qu’un pauvre a peu de chances face à un riche, que de nombreux juges achètent leur charge ou y sont placés par des lobbies. La jeune génération sort des écoles prête à jouer son rôle de citoyen, mais avec la conviction que l’on ne peut rien contre le système et que celui-ci est également corrompu. Il en est de même dans les usines où les travailleurs constatent, comme les mineurs en Virginie Occidentale, que l’Etat est du côté des patrons » (35).

Dans les livres publiés sur le Klan, la tendance prévaut de ne pas traiter de sa base sociale ou de la définir comme petite-bourgeoise. Cela permet à John Mecklin dont le Ku Klux Klan : A Study of  the American Mind (1924) est considéré comme un classique, d’écrire que « Le klaniste de base est plus en sympathie avec le capital qu’avec les travailleurs » (36). En fait cela revient à se baser sur l’étude des dirigeants et non pas de la base militante. William Simmons, D.C. Stephenson et Hiram Evans qui dirigèrent le KKK dans les années vingt étaient un pasteur, un marchand de charbon et un dentiste, mais les simples membres étaient loin d’être aussi « petits bourgeois ».

Kenneth Jakson admet partiellement l’erreur en définissant le Klan comme un « mouvement de la strate inférieure de la petite bourgeoisie » (37) une affirmation vague qu’il corrige rapidement en écrivant « Le principal soutien du Klan venait des ouvriers non-syndiqués des grandes entreprises et des grandes usines » (38).

Pour revenir sur le sujet des attitudes socio-politiques des membres du Klan, des preuves évidentes confirment ma thèse d’un état d’esprit radical. Au printemps 1924, le magazine The Outlook organisa un sondage sur les préférences politiques de ses lecteurs. 1.139 se déclarèrent en faveur du KKK, parmi ceux-ci 490 étaient d’origine républicaine, 97 démocrate et 552 indépendante. 243 des sondés ayant répondu en faveur du Klan étaient des femmes et parmi les 700 de ceux-ci qui avaient indiqué leur profession, 290 étaient des ouvriers spécialisés et 115 des  manoeuvres, les autres étaient des employés des chemins de fer, des paysans et des commerçants. Et ces sondés prenaient largement parti – dans des pourcentages allant de 80 à 90 % – pour des mesures radicales comme la nationalisation des transports, des aides de l’Etat aux agriculteurs, un soutient du prix du blé par l’Etat, des droits égaux pour les femmes, la fin du travail des enfants, une loi anti-lynchage, la création d’un bureau fédéral d’aide aux chômeurs, des aides à l’éducation, la nationalisation des mines, etc.

The Outlook, de toute évidence pas satisfait des résultats de son sondage, caractérisa les membres du Klan comme des individus « voulant aller de l’avant, adeptes du radicalisme et du progressisme ». Le Klan déclina rapidement dans les années qui suivirent le sondage et cela donna raison à l’éditeur de The Outlook qui précisait que ce sondage était le seul réalisé qui donnait une idée de l’opinion réelle des membres du KKK (42).

Cela permet de comprendre, par exemple, comment il fut possible pour le Klan et le Parti Socialiste de former une alliance électorale en 1924 à Milwaukee pour faire élire John Kleist, un socialiste et un klansman à la Cour Suprême du Wisconsin (43). Robert O. Nesbitt perçoit, dans le Wisconsin « une tendance des socialistes d’origine germanique, dont les pires opposants étaient le clergé catholique, à rejoindre le Klan » (44). Le populiste Walter Pierce fut élu gouverneur de l’Oregon en 1922, par des agriculteurs protestataires soutenus par le Klan et le Parti Socialiste. Les candidats du Klan promettaient de réduire les impôts de moitié, de réduire le coût des communications téléphoniques et d’aider les agriculteurs en détresse (45). Une étude récente sur le Klan de LaGrange en Orégon montre qu’il « joua un rôle important dans le soutien aux grévistes » durant la grève nationale du personnel des chemins de fer en 1922 (46).

En fait, malgré l’idée que l’on a actuellement d’un KKK anti-travailleurs, le Klan n’était pas infréquentable pour les militants ouvriers. Un article d’août 1923 du World’s Work décrit l’importante sympathie des travailleurs du Kansas pour le Klan durant la grève nationale du personnel des chemins de fer en 1922 : « Ils se précipitent en grand nombre dans les rangs du Klan » (47).

Charles Alexander qui a écrit le réputé The Ku Klux Klan in the Southwest, bien qu’il souscrive à la thèse du KKK comme structure anti-ouvrière confesse son incapacité à apporter des éléments  en faveur de celle-ci et il admet qu’il n’a découvert que deux cas d’affrontements entre le Klan et des syndicalistes (48). Ecrivant sur l’Oklahoma, Carter Blue Clark admet que « les violences contre les Industrial Workers of the World ou les groupes de radicaux urbains ou ruraux étaient rares » (49) et si il recense 68 incidents violents dans lesquels le Klan est partie prenante, seulement deux opposent le KKK à des syndicalistes ou à des progressistes.

L’étude de Goldberg sur le Klan dans le Colorado montre que « malgré que dans les grèves des mineurs de 1921, 1922 et 1927, le rôle des mineurs d’origine étrangère fut important, jamais le Klan n’invoqua le péril rouge ». Durant la grève dirigée par les Industrial Workers of the World en 1927, le Klan de Canon City forma même une alliance avec l’IWW contre leur ennemi commun, l’élite dirigeante (51).

Virgina Durr, qui fut une des dirigeante du Progressive Party d’Henry Wallace en 1948 se souvenait du Klan des années vingt dans la région de Birmingham : « Les syndicats étaient anéantis … Ainsi le Ku Klux Klan fut constitué alors comme une sorte de syndicat clandestin. Cela peut paraître impossible à ceux qui ne l’ont pas vécu, il vont dire – Le Klan était contre les syndicats. Eh bien non, c’est faux, il les soutenait » (52).

Gerald Dunne a découvert que « 90 % des syndiqués de Birmingham étaient par ailleurs membres du KKK »(53) et que le Klan dans l’Etat s’attaquait violemment à l’Alabama Power Company et à l’influence des banques tout en faisant campagne pour un contrôle par les citoyens des projets de l’Etat et pour l’assurance médicale gratuite (54).

Dans les années vingt, la direction de l’United Mine Workers, corrompue et inerte, était présidée par l’autocratique John L. Lewis. Les syndiqués membres du Klan – bien que la double appartenance fut interdite par le syndicat en 1921 – formèrent une coalition avec les éléments de gauche au congrès de 1924 afin de lutter pour la démocratie dans le syndicat : « Ainsi les radicaux, avec l’aide des membres de l’Ordre à la cagoule, tentèrent d’enlever à Lewis le pouvoir de nommer les responsables locaux » (55). Bien que cette tentative échoua, « ses partisans dirigés par Alexander Howat et soutenus par les membres du Ku Klux Klan qui exerçaient un efficace lobbying sur la convention, réussirent à mettre lors d’un premier vote sur cette question Lewis en minorité » (56). Bien que les dirigeants des syndicats leurs aient interdit l’adhésion à ceux-ci  de nombreuses sources montrent que de nombreux syndiqués étaient aussi membres du Klan. McDonald et Lynch par exemple estiment que en 1924, 80 % des adhérents du Dictrict 11 de l’UNM (Indiana) étaient aussi au KKK. Une étude des votes lors du congrès de 1924 de l’UNM va dans ce sens. Les zones où le KKK était puissant comme l’Indiana, l’Illinois et la Pennsylvanie furent ceux qui donnèrent le plus de vote opposés à Lewis (58).

Le récit oral de Aaron Barkham, un mineur de Virginie Occidentale, est une illustration parfaite  du Klan comme véhicule de la guerre de classe et de la raison de sa dénonciation par les dirigeants de l’UNM. En raison de son importance, il mérite d’être cité en entier :

« Vers 1929, dans le comté de Logan, en Virginie Occidentale, des briseurs de grève vinrent avec des armes a feu et attaquèrent les réunions syndicales. L’UNM s’effondra et n’eut rapidement plus d’existence. Il ne recommença à exister qu’en 1949. Ainsi certains mineurs se liguèrent et formèrent un groupe local du Ku Klux Klan.

Le Ku Klux Klan était le véritable maître de la cité. Il était la loi. Il garda son plein pouvoir jusqu’en 1932. Mon père en fut un des dirigeants jusqu’à son décès. L’entreprise fut obligée de faire appel à l’armée pour tenter, en vain, de briser le KKK. Le syndicat et le KKK étaient alors la même chose.

Le super-intendant de la mine eut l’idée de durcir la discipline. Il fut enfermé avec dix autres cadres supérieurs dans un wagon frigorifique. Ils ne furent pas tués, mais ils ne revinrent pas. Une autre fois, les klanistes donnèrent le fouet à un contremaître et le chassèrent du comté. Ils lui donnèrent douze heures pour le quitter avec sa famille.

L’UMW avait un délégué syndical pour la mine, c’était un juriste. Ils l’accusèrent de trahir les intérêts des travailleurs et le couvrirent de poix et de plume.

Le Ku Klux Klan était formé pour défendre ceux qui voulaient vivre décemment, les noirs comme les blancs. La moitié du personnel de la mine était de race noire. Les noirs exerçaient les mêmes responsabilités que les blancs, ils recevaient la même paie. Le pasteur de notre communauté aussi était membre du Klan. Le Klan était la seule protection que les travailleurs avaient (59) ».

Pourquoi est-ce que les rares études dont on dispose sur le Klan donnent-elles une vision si différentes de celui-ci ? Principalement parce qu’elles ont refusé de l’étudier à la base et de le considérer comme un phénomène historique. Bien sur, on ne peux pas écrire que le Klan des années vingt était exempt de bigoterie ou d’injustice. Il y a de la réalité dans la description du Klan comme un moment de populisme aigri, de désillusions fermentées. Mais il est aussi exact que quand de nombreux individus du Sud et du Nord rejoignirent le KKK, ils ne le firent pas par sauvagerie raciste.

Le retour à une relative prospérité et des dissensions internes entraînèrent le déclin du KKK après 1925. Donald Crownover dans son étude sur le Klan dans le comté de Lancaster en Pennsylvanie montre les efforts vains pour créer des structures qui s’opposent à la prévarication régnant à la direction de l’Empire Invisible et qui entraîna son effacement et sa réduction à une structure politique parodique et caricaturale (60).

John Zerzan

traduit par Albert Jacquemin.

Notes :

1 – Stanley Frost, The Challenge of the Klan (New York, 1969), p. 1.

2 – Entre cinq et six millions est probablement l’estimation la meilleure. Morrison et Commager parlent de six millions dans The Growth of the American Republic (New York, 1950), vol. II, p. 556. Jonathan Daniels pense qu’il y avait 100.000 adhérents au Klan en 1921 et 5.000.000 en 1924, in The Time Between the Wars (Garden City, New York, 1966), p. 108.

3 – Emerson Loucks, The Ku Klux Klan in Pennsylvania : A Study of Nativism (New York, 1936), pp. vi, 1, 198.

4 – Kenneth Jackson, The Ku Klux Klan in the City, 1915-1930 (New York, 1967), p. xi.

5 – Carl Degler, A Century of the Klans : A Review Article, Journal of Southern History (November 1965), pp. 442-443.

6 – Jackson, op. Cit., p. 237.

7 – Ibid., p. 239.

8 – Robert Moats Miller, The Ku Klux Klan, in The Twenties : Change and Continuity, John Braeman, Robert H. Bremner et David brody, ed. (Columbus, 1968), p. 218.

9 – Robert L. Duffus, How the Ku Klux Klan Sells Hate, World’s Week (June, 1923), p. 179.

10 – Kathleen M. Blee, Women of the Klan (Berkeley, 1991), p. 169.

11 – Degler, op. cit., p. 437.

12 – William Simmons, dirigeant du Klan en 1921, témoigna, sans être contredit, que les émeutes raciales du lendemain de la guerre à Washington, East St Louis et Chicago eurent lieu avant qu’il n’y ait un seul membre du Klan dans ces villes. Voir Hearings Before the Committee on Rules : House of Representatives, Sixty-Seventh Congress (Washington, 1921), p. 75.

13 – Daniel Snowman, USA : the Twenties to Viet Nam (London, 1968), p. 37.

14 – Preston W. Slosson, The Great Crusade and After (New York, 1930), p. 258.

15 – Voir Literary Digest : Quaint Customs and Methods of the KKK (August 5, 1922); A Defense of the Ku Klux Klan (January 20, 1923), spécialement les pages 18-19; The Klan as the Victim of Mob Violence (September 8, 1923), p. 12; The Nation : Even the Klan has Rights (December 13, 1922), p. 654.

16 – Voir de Garin Burbank, Agrarian Radicals and their Opponents : Political Conflicts in Southern Oklahoma, 1910-1924, in Journal of American History (June 1971).

17 – Voir de Paul M. Angle, Bloody Williamson (New York, 1952), spécialement les pages 4, 21, 28-29, 137-138.

18 – Voir d’Irving Bernstein, The Lean Years : A History of the American Worker, 1920-1933 (Baltimore, 1966), pp. 1-43.

19 – Jackson, op. cit., p. 239. Akron arrivait en huitième position dans les villes des USA pour le nombre d’adhérents du KKK.

20 – Voir de Thomas R. Brooks, Toil and Trouble (New York, 1971), p. 368 et de Jerold S. Auerbach, Labor and Liberty : The LaFolette Committee and the New Deal (Indianapolis, 1966), p. 38.

21 – Irving Howe et B.J. Widick, The UAW and Walter Reuther (New York, 1949), p. 9.

22 – John Higham, Strangers in the Land (New York, 1968), pp. 289-290.

23 – Donald A. Crownover, The Ku Klux Klan in Lancaster County, 1923-1924, Journal of the Lancaster County Historical Society (1964, n° 2), p. 64.

24 – Higham, op. cit., p. 290.

25 – Sherwood Anderson, Puzzled America (New York, 1935), p. 114.

26 – Neil Herring, militant progressiste des années vingt, lettre à l’auteur, March 25, 1975.

27 – Miller, op. cit., p. 224.

28 – Frost, op. cit., p. 270.

29 – Arthur M. Schlesinger, Jr., The Politics of Upheaval (Boston, 1960), p. 45.

30 – Stanley Frost, Night-Riding Reformers, The Outlook (November 14, 1923); Behind the White Hoods : the Regeneration of Oklahoma, The Outlook (November 21, 1923).

31 – Robert K. Goldberg, Hooded Empire : The Ku Klux Klan in Colorado (Urbana, 1981), p. 23.

32 – Margaret Sanger, An Autobiography (New York, 1938), pp. 366-367.

33 – Frost, op. cit., p. 86.

34 – Idem.

35 – Marry H. Herring, The Why of the Klan, The New Republic (February 23, 1923), p. 289.

36 – John Moffat Mecklin, The Ku Klux Klan : A Study of the American Mind (New York, 1924), p. 98.

37 – Jackson, op. cit., p. 240.

38 – Ibid., p. 241.

39 – Pink Ballots for the Ku Klux Klan, The Outlook (June 25, 1924), pp. 306-307.

40 – Ibid., p. 306-307.

41 – Ibid., p. 306.

42 – Ibid., p. 308.

43 – Jackson, op. cit., p. 162.

44 – Robert O. Nesbitt, Wisconsin : A History (Madison, 1973), p. 467.

45 – Georges S. Turnbull, An Oregon Crusader (Portland, 1955), p. 150. Promises and Lies, Capital Journal (Salem, October 31, 1922).

46 – David H. Horowitz, The Ku Klux Klan in LaGrange, Oregon, in The Invisible Empire in the West, ed. Shawn Lay (Urbana, 1992), p. 195.

47 – Robert L. Duffus, The Ku Klux Klan in the Middle West, World’s Work (August, 1923), p. 365.

48 – Charles Alexander, The Ku Klux Klan in the Southwest (Louisville, 1965), p. 25.

49 – Carter Blue Clark, A History of the Ku Klux Klan in Oklahoma. Ph.D. Dissertation (University of Oklahoma, 1976), p. 115.

50 – Ibid., p. 147.

51 – Goldberg, op. cit., pp. 122, 146.

52 – Virginia Durr, Entretien avec Susan Trasher et Jacques Hall, 13-15 mai 1975, University of North Carolina Oral History Project.

53 – Gerald T. Dunne, Hogo Black and the Judicial Revolution (New York, 1977), p. 114.

54 – Ibid., pp. 116, 118, 121.

55 – Cecil Carnes, John L. Lewis (New York, 1936), p. 116.

56 – Ibid., p. 114.

57 – David J. McDonald et Edward A. Lynch, Coal and Unionism (Silver Spring, Md, 1939), p. 161.

58 – United Mine Workers of America, Proceedings of the Twenty-Ninth Consecutive and Sixth Buennal Convention (Indianapolis, 1924), p. 686.

59 – Studs Terkel, Hard Times (New York, 1970), pp. 229-230.

60 – Crownover, op. cit., pp. 69-70.

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