Le gouvernement de Michel Barnier passera-t-il l’hiver ? Les Français n’ont pas fini de subir les effets désastreux de la dissolution du 9 juin 2024 tant la situation politique devient instable, explosive et intenable. Or la tripartition du champ politicien en blocs antagonistes ne se retrouve pas dans un parlement balkanisé.
Bien qu’élu au suffrage universel indirect par les élus locaux et nationaux, le Sénat compte aujourd’hui huit groupes (la majorité avec 131 Les Républicains et 57 membres de l’Union centriste, 64 socialistes, 22 macronistes du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, 19 Indépendants – République et territoires plutôt macroncompatibles, 18 communistes, 16 élus divers-gauche du Rassemblement démocratique et social européen et 16 Verts) sans oublier les quatre non-inscrits (3 sénateurs RN et le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier, qui vient de lâcher Reconquête !). Ce quatuor bénéficie de plus de prérogatives que leurs homologues députés.
La nouvelle Assemblée nationale se caractérise déjà par le plus grand nombre de groupes sous la Ve République : onze ! Ce morcellement ne provient pourtant pas du choix des électeurs, mais plutôt d’un changement irréfléchi du règlement intérieur sur la constitution des groupes parlementaires. Jusqu’en 1988, ce règlement stipulait un minimum de trente députés pour former un groupe. Entre 1986 et 1988, le Front national de Jean-Marie Le Pen disposait grâce à la proportionnelle de trente-cinq membres. Tout au cours de cette courte législature, Charles Pasqua, alors bras armé officiel de Jacques Chirac, ne cessa de vouloir débaucher les élus frontistes afin de provoquer la fin du groupe FN. Sans succès fort heureusement ! En revanche, en mai 2016, le groupe Vert – le premier de l’histoire du Palais-Bourbon – a disparu à la suite de virulentes dissensions internes entre partisans et adversaires de la présidence de François Hollande.
Alors que certains politiciens réclamaient l’élévation du seuil de trente à quarante, voire cinquante députés dans l’espoir d’empêcher le FN d’avoir un groupe, en 1988, Michel Rocard, nouveau Premier ministre socialiste, accepta d’abaisser le seuil à vingt députés. Il s’assurait ainsi de la sympathie des centristes en dissidence ouverte avec le groupe UDF (Union pour la démocratie française giscardienne). En 2009, le seuil s’abaissa encore à quinze députés seulement !
En le restaurant à son étiage historique, à savoir trente députés, trois groupes n’existeraient plus : les 16 de l’Union des droites pour la République d’Éric Ciotti; les 17 élus de la Gauche démocrate et républicaine (dont une douzaine de communistes) et les 22 de Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT). Trois autres s’approcheraient de la barre fatidique : les 33 députés d’Horizons du maire du Havre, Édouard Philippe; les 36 démocrates centristes du maire de Pau, François Bayrou, et les 38 membres du groupe Vert dans lequel grenouillent six élus de Génération.s de Benoît Hamon et cinq Insoumis critiques envers le lider maximo Jean-Luc Mélenchon. Quant aux sept non-inscrits, outre un centriste et un divers-gauche, on relève la présence d’un ancien macroniste de gauche, Sacha Houlié, de l’ancienne vice-présidente du Mouvement pour la France, la Vendéenne Véronique Besse, et de deux anciens LR, l’Alsacien Raphaël Schellenberger et le néo-chiraquien du Lot, Aurélien Pradié. Ce dernier refuserait dorénavant de serrer la main d’Éric Ciotti au nom de la tolérance et du vivre-ensemble bien sûr. Signalons enfin la présence de l’ex-RN Daniel Grenon écarté de son groupe à la suite de médisances médiatiques.
L’actuelle configuration de l’Assemblée nationale exprime la prédominance des intérêts personnels et des tactiques partitocratiques. Éric Ciotti et ses amis ne souhaitaient pas rejoindre le groupe RN en tant qu’apparentés d’autant qu’ils divergent sur plusieurs points cruciaux, en particulier sur la fameuse réforme bancale des retraites. Éric Ciotti a en outre refusé d’intégrer dans son groupe libéral-conservateur sécuritaire trois députés aujourd’hui apparentés RN que la direction mariniste perçoit comme des fidèles de Marion Maréchal : Thibaut Monnier, élu de la Drôme, cofondateur de l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP), Eddy Casterman (Aisne) et Anne Sicard, députée du Val-d’Oise. Cette ancienne actrice dans quelques films de Marie-Cheyenne Carron s’occupe du fonds de dotation de l’Institut Iliade. Il est exact qu’à l’aune des critères du wokisme ambiant, cette responsabilité ne convient pas aux belles âmes qui préfèrent Raphaël Arnault, député de Vaucluse et chef de file des rageux de la Jeune Garde antifasciste de Lyon…
Dans son édition du 16 septembre dernier, les Dupont et Dupond de Libération associés à un troisième larron ont signé un article fielleux sur l’Institut Iliade. Ni Anne Sicard, ni les responsables de l’Iliade n’ont répondu aux questions sournoises du trio malfaisant. Bravo ! Ils ont eu raison. Discuter avec ces gens-là est une grande perte de temps. Un silence méprisant vaut toutes les meilleures argumentations.
Dans ce contexte fragmenté, difficile donc de voir clair alors que s’affirment les rivalités. Le bloc national RN – ciottiste n’est pas uni. Il compte des bardello-marinistes, des ciottistes et des marionistes. Le Nouveau Front pseudo-populaire se divise en quatre groupes dont 72 Insoumis et 66 socialistes. La majorité présidentielle macroniste se fracture dans la perspective lointaine de la présidentielle de 2027, sauf si s’accélère l’échéance capitale. Les 97 députés macronistes se préparent au duel interne pour la présidence du parti Renaissance entre Élisabeth Borne et Gabriel Attal sous le regard des démocrates et d’Horizons qui organisent, eux, la future course à l’Élysée. À l’initiative de Nicolas Sarközy, la Droite républicaine de Laurent Wauquiez (47 députés) cherche non sans mal à s’associer au bloc central avec un Premier ministre savoyard dont la nomination irrite l’aile gauche de la Macronie.
Michel Barnier et ses ministres vont très tôt connaître la menace des motions de censures diverses et variées. L’Élysée et Matignon font face à un incroyable bourbier politique qu’il va falloir supporter et gérer avant une nouvelle dissolution à moins que la France ne connaisse d’ici là une élection présidentielle anticipée qui ne résoudrait rien ou l’application des pouvoirs exceptionnels. Du chaos hexagonal ne sortira au final qu’une satrapie postmoderniste.
Salutations flibustières !
Georges Feltin-Tracol
• « Vigie d’un monde en ébullition », n° 126, mise en ligne le 24 septembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.