Article de Roland Gaucher publier dans le n°10 de Résistance, l’organe d’Unité radicale.
L’affaire du drapeau blanc
Cette série débute au lendemain de la guerre perdue par la France contre l’Allemagne en 1870.
L’empire s’est effondré. La monarchie voit remonter sa côte. Le comte de Chambord a des chances, non négligeables, de revenir sur le trône.
Oui, mais … Il doit choisir entre le drapeau tricolore et le drapeau blanc. Il reste fidèle à ce dernier. Résultat : plus question d’accéder au trône.
Aujourd’hui, si l’on procédait à un sondage, quelle serait la proportion des partisans du drapeau blanc à fleurs de lys : 0,1 % ?, 0,2 % ?, 0,3 % ? Un drapeau tricolore avec en son centre une tête de nègre ferait nettement mieux.
Le suicide de Boulanger
Au milieu des années 1880, une coalition qu’on pourrait qualifier de nationale-populiste se dessine : elle rassemble des anciens communards, des disciples de Blanqui et de Proudhon, et des éléments de l’armée dont le chef de file est le général Boulanger. De celui-ci, Jules Ferry, qui est alors Ministre de la Guerre, dans une lettre adressée à son frère le 2 juillet 1886, dresse ce portrait : « Les républicains doués de quelque bon sens assistent avec stupeur aux cabrioles de ce général à la bolivienne, démagogue, audacieux, orateur séduisant, politicien infatué, comédien dangereux (…) Une immense vanité, une suffisance pyramidale, un prurit de parole et de popularité : ce n’est que la moitié du personnage. L’autre moitié est faite d’une rare intelligence mise au service d’une ambition sans limites. Il a un plan bien conçu et bien suivi. »1
Écarté du pouvoir, Boulanger suscite autour de sa personne une très forte coalition anti-parlementaire. En 1888, le coup de force est dans l’air.
Cette conspiration n’aboutit pas. Craignant d’être arrêté, Boulanger ca s’enfuir en Belgique et finir par se tuer sur la tombe de sa maîtresse. Les causes de cette décomposition restent mystérieuses. Ce qui fait défaut, en la circonstance, c’est peut-être l’inexistence d’une organisation clandestine, qui se manifestera au siècle suivant avec une structure – au demeurant très imparfaite – la Cagoule.
Cette situation, qui unit des forces de gauche, des milieux prolétariens et des nationalistes, débouchera sur une victoire. Mais en Argentine !, avec l’union du couple Peron et des syndicats argentins.
L’impréparation de Déroulède
Autre tentative, lamentablement manquée, celle de Déroulède. Tué à la guerre de 14, Déroulède a été, certes, un combattant héroïque. Mais il fut aussi un conspirateur raté. Le 23 février 1899, lors d’un défilé militaire, accroché à la bride du cheval du général Roget, il tente en vain d’entraîner celui-ci et ses troupes vers l’Elysée. Echec total.
En pareil cas, il semble élémentaire d’avoir pris contact discrètement avec le général et de s’être assuré de son accord. Ce qui n’est pas un gage de certitude, car le militaire, se confiant à d’autres personnes, peut très bien changer d’avis. Dans l’opération Déroulède, on trouve une improvisation effarante et aussi un côté spectaculaire, bravache, très « extrême-droite ».
Quand Maurras garde son sang-froid
Plus de trente années passent. Nous sommes dans les journées de février 1934. Et ici il faut raconter un épisode significatif, évoqué par Lucien Rebatet. Maurras, dans son cabinet de travail, reçoit une vieille admiratrice fort distinguée. Surgit dans la pièce un de ses collaborateurs de l’AF :
« Maître, l’émeute est dans la rue ! On tire sur la foule ! Il faut faire quelque chose ! »
Le maître se cabre. Dévisage l’importun. Et de sa voix de sourdingue, lui lance :
« Je n’aime pas qu’on perde son sang-froid ».
Et reprend de plus belle son entretien littéraire.
Dans une pareille période, on n’imagine pas un instant Lénine, Staline ou Trotski, se comportant de la sorte.
Inutile de dire que Rebatet, pour avoir rapporté cet épisode, est haï par tous les disciples de Maurras.
Dans cette période que fait le colonel de la Rocque, qui est à la tête d’un mouvement en principe très combatif, celui des Croix de Feu ? Rien. Peut-être est-il occupé à compter la subvention que lui versait à l’époque André Tardieu.
La divine surprise
Sautons quelques années. L’Armistice vient d’être signée en 1940. L’Assemblée Nationale porte au pouvoir le Maréchal Pétain. Maurras écrit dans l’AF un éditorial où il parle de « divine surprise ».
Divine surprise, peut-être. Mais l’AF sera incapable d’en tirer parti. On trouvera à Vichy un certain nombre de représentants de l’AF dont le plus célèbre est Xavier Vallat. Un jeune journaliste de l’AF nommé Arfel2 obtiendra même la francisque. Mais en définitive, il n’est pas question que le Comte de paris obtienne les rênes du pouvoir, et celui qui mène le jeu à Vichy est un vieux politicard de la III° : Pierre Laval.
Vive le général de Gaulle
Et nous voici en 1958 : une nouvelle occasion va s’offrir, lors de la guerre d’Algérie, celle du mai ( ?) 58. Une énorme manifestation rassemble des unités de l’Armée et les Pieds-Noirs. Le général Salan, commandant en chef, prononce un discours musclé. Tout semble en place pour un coup de force.
La veille dans une feuille confidentielle, un journaliste fort bien informé a écrit : « A partir de minuit, l’armée cessera d’obéir … »
Oui, mais il y a dans l’entourage immédiat de Salan un gaulliste nommé Delebecque, qui martèle avec force : « Criez vive de Gaulle !, mon général, criez vive de Gaulle ! ».
Salan revient au micro. Et clame : « Vive le général de Gaulle ! »
C’est fini ! Du moins dans une perspective de révolution nationale. De Gaulle revient au pouvoir. Grâce à Salan. Un an après celui-ci n’est plus rien. Et l’Algérie Française est liquidée. La dernière tentative de riposte, l’OAS, organisation clandestine improvisée, échouera.
Le ratage du Front
Terminons cette série de rendez-vous manqués avec l’histoire d’une dernière péripétie : celle, pour le Front National, des européennes de 1999.
Fin novembre 1998, un sondage accorde aux candidats du Front 16 % des suffrages. Les instituts de sondage minimisent en général les chances du Front. Pas nécessairement parce qu’ils procèdent à un truquage mais parce que, dans certaines zones peu sûres, beaucoup de gens ne veulent pas dire pour qui ils voteront.
Ce sondage, notons-le, intervient quelques jours avant la crise qui, débutant en décembre, va disloquer le Front.
Si le Front était resté uni, il aurait très bien pu faire 18 %. De toute façon, il aurait été la deuxième force électorale du pays, précédant nettement un RPR très divisé. Pasqua et de Villiers auraient été distancés par cette formation. Et peut-être leur tamdem, hâtivement constitué, se serait-il disloqué.
Le Front, pour autant, aurait-il pris le pouvoir, légalement ou illégalement ? Nul ne saurait l’affirmer. Mais avec les scandales financiers de la MNEF, de la ville de Paris, avec les manifestations des paysans contre les Etats-Unis et la mondialisation, avec les attentats en Corse et les scandaleux cafouillages du Ministre de l’Intérieur, un formidable boulevard d’agit-prop se serait ouvert devant lui.
Les médias n’auraient pas pu passer le FN sous silence. Aujourd’hui, le FN et le MNR sont expédiés aux poubelles de l’histoire.
Ajoutons enfin qu’une victoire électorale du FN en France aurait vraisemblablement renforcé le score de Haider en Autriche et de Blocher en Suisse, et aurait peut-être eu des incidences en Allemagne de l’Est.
Quand on additionne ces échecs successifs, il est impossible de croire qu’ils sont le fait du seul hasard. Ils résultent d’une série de carences de « l’extrême-droite ». Carence de l’organisation, carence de stratégie, carence d’une analyse froide des perspectives ; exaspération d’ambitions individuelles, parfois forcenées ; règlement de compte entre chapelles d’une « Famille d’esprits » qui ne mérite que ce jugement : « Famille, je vous hais ! »
L’école trotskiste
A tout ceux qui se sont interrogés sur ce gâchis, particulièrement le dernier en date, souvent dramatique. Il faut comparer les résultats obtenus par le plus faible (numériquement) des groupuscules trotskistes, le PCI de Boussel, dit Lambert. Électoralement, il est beaucoup plus faible que la Ligue Communiste de Krivine ou que Lutte Ouvrière d’Arlette Laguiller.
Oui, mais ses dirigeants, qui ont le sens de l’organisation et du secret, se sont fortement implantés à Froce Ouvrière. Ils ont pris en main la MNEF avec des hommes comme Cambadelis, Le Guen. Et formé Jospin, qui, quoi qu’il en dise, sort de leur école.
Ce travail d’« entrisme » et de « noyautage » est à prendre en considération. A l’« extrême-droite », je ne vois aucune chapelle qui en soit capable.
Le malheur pour Boussel-Lambert, qui aurait réussi – m’assure une source bien informée – à sérieusement infiltrer le Grand Orient, c’est que les hommes qu’il a formé, lorsqu’ils débouchent sur le pouvoir, les Le Guen, Cambadélis, Jospin, virent de bord et se transforment en adeptes du mondialisme et de la sociale-démocratie.
Trotski doit s’en retourner dans sa tombe.
Roland Gaucher
Notes : 1 – Cf. Frédéric Monier, Le complot dans la République, Stratégie du secret de Boulanger à la Cagoule, La Découverte, pp. 28-29.
2 – NDLR : Jean Madiran.