L’évolution parlementaire du fascisme hongrois

croix flechees

Cadre Historique

La Réforme électorale de 1922 avait liquidé la loi libérale de 1920 et établi une formulation particulièrement réactionnaire. Sur les 245 députés (le nombre augmentera légèrement ensuite), seuls 45 étaient élus à bulletin secret, dans les villes. Les 200 autres étaient élus « à main levée » et il n’y avait que 30 % d’électeurs, du fait d’un suffrage censitaire. En outre, un savant découpage électoral assurait des majorités massives du parti gouvernemental.

Celui-ci, appelé successivement Parti de l’unité (sous le comte Bethlen), Parti de l’unité nationale (général Gömbös) et enfin Parti de la vie hongroise, resta au pouvoir de la contre-révolution de 1919 au putsch de la Croix fléchée, en octobre 1944.

Déjà, sous Bethlen, en 1920, le parti, né de la fusion du   Parti chrétien-national, du     Parti des petits propriétaires (fusion complète en 1924) et du Parti des travailleurs de la terre, obtenait 79 % des voix.

Les autres partis comprenaient :

—   Le nouveau Parti des petits propriétaires, fondé par Ferenc, Nagy, le pasteur Zoltan Tildy et Gaston Gacil.

—   Le Parti national-libéral de Karoly Rassay, comprenant surtout la bourgeoisie juive des villes.

–   L’Union chrétienne, dissidente du Parti chrétien-national.

—   L’Union paysanne agraire, à la gauche des petits propriétaires, de P. Veres.

—   Le Parti social-démocrate d’Autal Ban, Szakasits et Arma Kethly.

—   Le Parti communiste était clandestin, ses chefs en exil ou en prison.

Les groupes fascistes ont formé une opposition très efficace et puissante après l’arrivée au pouvoir du général Gömbös, le 1-10-1932, malgré l’hostilité de Bethlen et des partis de gauche.

Le général Gömbös, écartant Bethlen, réorganise le parti gouvernemental, en s’appuyant sur l’organisation Tesz (Tarsadalmi Egyesületek Szüvetsége – Fédération des sociétés nationales), qui regroupe tous les groupes de droite, plus ou moins para-militaires, du type Les Hongrois réveillés. En 1923, Gömbös avait quitté le parti gouvernemental avec quatorze députés et créé le Parti des défenseurs de la race. Il se réconcilia avec Bethlen en 1928 et devint ministre de la guerre. Aux élections de 1935, le nouveau Parti de l’unité nationale obtient 171 députés sur 245 (et la quasi totalité des sièges à la Chambre haute, qui, depuis 1926, comporte 244 membres dont 220 élus par les municipalités et 24 nommées par le Régent, amiral Horthy de Nagybanya) et Gömbös restera chef du gouvernement jusqu’à sa mort à 49 ans, le 5 octobre 1936.

Les petits partis nationaux-docialistes – Défenseurs de la race, Parti NS des travailleurs hongrois, Parti NS des travailleurs et paysans hongrois – obtirent 2 sièges. La vraie campagne électorale où le fascisme va pouvoir montrer sa force aura lieu en 1939, au mois de mai. Un nouveau parti fasciste est alors en pleine ascension, le Parti de la croix fléchée (ex Parti de la volonté nationale : Nemzeti Akaratj Partja) de Ferenc Szalasi. Ce dernier est en prison depuis juillet 1938, mais son parti, grâce à une propagande ouvertement socialiste, rallie de plus en plus les masses populaires. Les pressions gouvernementales sont alors extrêmement fortes contre ceux qui veulent voter pour les Croix fléchées. La gendarmerie, toute puissante institution dans la Hongrie horthyste, arrête la veille du scrutin des milliers de Chemises vertes szalasistes, pour les empêcher de voter. Des fermiers sont menacés d’être chassés de leurs terres s’ils votent pour la Croix fléchée. Des pressions moins efficaces (le scrutin est, là, secret) ont lieu sur les ouvriers, dans les villes.

Tout paraît indiquer que la pression gouvernementale brisera l’élan de la Croix fléchée, comme elle a, jusqu’alors, réussi sans effort à briser les tentatives de la gauche et du centre-gauche.

Élections de 1935

245 sièges en jeu

—   Parti de l’unité nationale :     170 sièges

—   Petits propriétaires    : 23 sièges

—   Chrétiens-sociaux           : 14 sièges

—   Parti social-démocrate      : 11 sièges

—   Divers, NS, etc.    : 27 sièges

Le Parti de la volonté nationale de Szalasi a été interdit en avril 1937. Reconstitué sous le nom de Parti national-socialiste, il a été derechef interdit en 1938. Sous le nom de Parti hungariste, il est dissous le 24 février 1939 et prend part aux élections sous une nouvelle étiquette, celle du Parti de la croix fléchée.

Le 23-11-1938, Imredy, qui a essayé de créer un « fascisme hongrois », est battu au Parlement par 195 voix contre 94 du fait de la scission du parti gouvernemental (57 députés gouvernementaux votent contre lui avec l’opposition de gauche, les libéraux, quelques fascistes. Les nationaux-socialistes s’abstiennent lors du vote).

Élections de 1939

264 sièges en jeu

—   Parti de la vie hongroise (Magyar Elet Partja) : 186 sièges (+ 15 sièges pour le parti gouvernemental).

—   Parti de la croix fléchée (Nyilas Keresztes Partja) : 29 sièges avec 17 % des voix, du fait du découpage électoral (+ 29 sièges, principalement dans les villes).

—   Parti des petits paysans (Kisgazda Partja) : 14 sièges (- 9 sièges, gagnés par le parti gouvernemental, dans les campagnes, grâce à des trucages éhontés ou par les Croix fléchées).

—   Parti national-socialiste unifié hongrois (il regroupe après les élections les divers petits partis « fascistes de droite ») (Magyar Nemzetiszocialista Partja) : 11 sièges (+ 9, pris au parti gouvernemental et aux Libéraux dans les villes).

—   Libéraux : 5 sièges (— 7, pris par les partis de droite et d’extrême droite ; seuls les électeurs israélites restent fidèles au parti libéral).

—   Union chrétienne : 3 sièges (— 9 sièges. Le petit parti, allié du Parti de la vie hongroise s’effondre complètement, surtout au profit des Croix fléchées).

—   Parti social-démocrate : 5 sièges (— 6, au profit des Croix fléchées).

—   Parti paysan (Paraszt Partja) : 4 sièges (sans changement).

—   Défenseur de la race : 4 sièges (— 8 sièges).

—   Non partisan : 2.

— Volonté du peuple : 1.

Les groupes fascistes qui vont constituer le Parti national-socialiste unifié regroupent la majorité des élus des partis suivants : Front national :                      3 sièges, Front uni national-socialiste :        5 sièges, Front chrétien national-socialiste : 3 sièges.

Les Défenseurs de la race, anciens partisans de Gömbös, ne vont pas entrer dans le nouveau parti.

Le comte Festetics, chef du Parti national-socialiste, inclus, avec six autres petits partis, dans le Front national depuis le 17 octobre 1937, anime le rassemblement, avant d’être supplanté par le Comte Palffy, qui a comme thèmes :

  1. — Création d’une grande Hongrie, fondée sur une communauté populaire.
  2. — Purge radicale des juifs de toutes les entreprises et positions économiques entre leurs mains.
  3. — Élimination du capitalisme international du système bancaire hongrois.

Le Parti de la croix fléchée, pour son premier combat électoral, et dans les conditions précaires où il le livre, remporte un éclatant triomphe électoral. Ce triomphe est amplifié par le pacte qui l’unit rapidement au Parti national-socialiste unifié. À eux deux, les partis fascistes représentent 25 % de l’électorat et 40 députés, alors que l’opposition de gauche et de centre-gauche est écrasée.

Quel a été l’électorat des deux partis fascistes ?

Celui de la croix fléchée apparaît identique à celui des sociaux-démocrates et de l’aile gauche du Parti des petits propriétaires. Les cheminots et les postiers représentent un des noyaux ouvriers les plus importants de la Croix fléchée. Le syndicat Croix fléchée, par exemple, est majoritaire parmi les travailleurs de tramway de Budapest et y mène des grèves particulièrement dures. Surtout, la grande grève d’octobre 1940 qui sera la plus puissante revendication prolétarienne dans la Hongrie horthyste aura lieu parmi les mineurs et sera menée par le syndicat Croix fléchée, soutenu par les éléments « radicaux » de la Croix fléchée, malgré certaines réticences de la direction « droitière » du Parti, dirigée par Kalman Hubay (Szalasi venant tout juste d’être libéré et souffrant de crises nerveuses, attendant… des apparitions de la Vierge Marie, pour prendre des décisions politiques !).

Le Parti national-socialiste, au contraire, se limite à récupérer l’ancienne clientèle « aryenne » des Libéraux, c’est-à-dire la bourgeoisie industrielle et commerçante, souvent d’origine allemande. En effet, contrairement à une opinion généralement répandue, les Croix fléchées n’étaient, en aucune façon, en bon terme avec les Allemands.

Les rapports avec les Allemands

« Les Allemands trouvaient sans doute cette politique [pro-Croix fléchée] embarrassante, car les membres du Parti de la croix fléchée, quoique agressivement nazis, étaient des nationalistes magyars déterminés et beaucoup d’entre-eux étaient même anti-allemands » (Hungary — To be or not to be ?, Vamberry, p. 133. L’auteur est violemment hostile à la Croix fléchée). Un rapport de Veesenmayer, ambassadeur du Reich en Hongrie, en date du 30 avril 1943, montre quelle était l’opinion des Allemands sur les divers groupes nationalistes hongrois : « L’opposition nationaliste offre aussi, dans l’ensemble, un tableau peu réjouissant. Le mouvement de Szalasi, qui, autrefois, autorisait quelques espoirs, est devenu complètement insignifiant. Tant que Szalasi était en prison, un mythe s’était créé autour de sa personne et il était entouré de l’auréole du martyr politique. Le gouvernement l’a gracié et libéré d’une façon fort intelligente, et, depuis, les rivalités personnelles, la corruption et l’incapacité politique font qu’aujourd’hui il ne reste que peu de chose de ce mouvement que les meilleurs éléments ont abandonné. Les larges masses des adhérents, demeurés sans chef et écœurées par le spectacle repoussant des rivalités personnelles, se sont dispersées ou envisagent de rejoindre les rangs des socialistes extrémistes ou des communistes ». (La citation démontre l’ancienne puissance de la Croix fléchée sur les masses populaires, plus tard déçues par les crises internes du parti fasciste).

Les Allemands, tout en s’appuyant sur des officiers en retraite : Ruszkiczay, Ratz, Barabas, Temessy ou en activité : Szombathelyi, Szotjay, cherchent, pendant la guerre, des soutiens différents.

Ils misent aussi bien sur le Parti national-socialiste unifié que sur les partisans de l’ancien Premier ministre Bela Imredy (antisémite fanatique… mais dont l’ascendance juive, prouvée, a entraîné la démission).

Le PNSU fusionne d’abord avec les Croix fléchées en septembre 1940, malgré les protestations de l’aile gauche CF, faisant naître le Mouvement national-socialiste hungariste de la croix fléchée. Le mariage dure peu et en automne 1941, le PNSU et l’aile droite des CF font scission en recréant le PNSU ou passent au nouveau parti d’Imredy qui conclue un pacte avec les dissidents.

En effet, en automne 1940, une scission s’est produite au sein du parti gouvernemental (Magyar Elet Partja) ; Imredy s’en est retiré avec 26 députés et a lancé un nouveau mouvement : le Parti du renouveau hongrois (Magyar Mequjular Partja), ouvertement pro-allemand.

Les agents allemands poussent à la fusion de toute l’opposition nationale, mais Szalasi refuse les propositions d’Imredy.

La nouvelle structure du Parlement est alors la suivante (les élections ne pouvant être tenues du fait de la guerre en cours) : parti gouvernemental : 160 députés, opposition nationale : 66 (soit 26 du Parti du renouveau et 40 du PNS de la croix fléchée),

opposition de gauche : 34 députés.

Après la scission du PNS de la croix fléchée en 1941, la situation devient alors : parti gouvernemental : 160 députés, opposition nationale: 60 (soit 28 députés du Parti du renouveau, 13 du PNSU, 19 de la CF), opposition de gauche : 34 députés.

Quelques ralliements de députés imredystes au Parti de la vie hongroise interviennent au début de 1943, et la situation est alors la suivante : parti gouvernemental : 163 députés, opposition nationale : 57 (soit 25 députés du Parti du renouveau, 13 du PNSU, 19 de la CF), opposition de gauche : 34 députés.

Lorsque les Allemands, qui craignent un changement de camp de la Hongrie, envahissent le pays, les Croix fléchées se montrent hostiles à leur initiative, contrairement à ce qui est constamment écrit. Aussi, malgré les déclarations ultra-nationalistes du nouveau président du Conseil, le général Dame Sztojay, ancien attaché militaire à Berlin, à la chambre des Députés le 25 mai 1944 – « Nous entendons réaliser tous les objectifs théoriques et pratiques de la politique de droite et du racisme. Nous entendons amener la question juive à une solution radicale » – les Croix fléchées restent dans l’opposition.

Est alors constitué le nouveau gouvernement national : Premier ministre et Affaires étrangères : général Sztojay, Vice-Premier ministre : E. Racz (Parti du renouveau hongrois), ministre de l’Intérieur : Andor Jaross (PRH), Finances :   Remertyi-Schneller (aile droite du Parti de la vie hongroise), Industrie : L. Szasz (aile droite PVH), Commerce : Antal Kunder (PRH), Agriculture : Jurcsek (aile droite PVH), Justice et Instruction : S. Antal (aile droite PVH), Guerre : général Czatay. Autres ministres : Homan (PVH), Rakovszky (PVH), Schell (PVH), un secrétaire d’état PNSU : Endre et un secrétaire PRH : Bakry ; en mai 1944 : Imredy (PRH) devient ministre sans portefeuille. Le 7 août 1944, hostile aux tentatives de Horthy en vue d’un armistice séparé avec l’URSS, il démissionne avec les autres ministres de son parti. Le 29 août, Sztojay démissionne et est remplacé par un fidèle de Horthy, le général Lakatos.

Lorsque Horthy, le 15 octobre 1944, annonce la conclusion de l’armistice, il est capturé par les SS de Skorzeny, tandis que les Waffen SS allemands et Hongrois du Höherer SS und Polizeiführer (chef suprême de la SS et de la Police) Winckelmann, renforcés par les CF et les Anciens combattants du front de l’Est s’emparent de Budapest. Le colonel Nadas, sympathisant Croix fléchée, publie un appel sous la signature du chef de l’état-major, Vorüs, ce qui amène la 1ère division de cavalerie (dont le chef est pro-allemand) et la 10ème division d’infanterie (elle, débarrassée pourtant des éléments pro-allemands) à cesser le combat.

Le gouvernement de la Croix fléchée s’organise avec le concours d’une bonne partie des cadres de la nation.

Le Président du Parlement, Tasnady-Nagy (PVH), réunit les Chambres et fait proclamer Szalasi Nemzetveszetöechef de la nation »). Lukacs, chef du Parti de la vie hongroise (successeur de Vay) se rallie au nouveau régime.

Le gouvernement, intronisé par l’acte législatif du 2 novembre 1944, est ainsi composé : Vice-Premier Ministre : Szolosi, Intérieur : Vajna, Guerre totale : Kovarcz, Justice : Budinszky, Défense : général Beregfy puis général Hanney, Affaires étrangères : baron Gabor Kemény, Section de déjudaïsation : comte Serenyi puis Kelecsenyi, secrétaire d’État à l’intérieur : Anton Rajk (frère du chef communiste Lazlo Rajk).

Le Régime s’avère incapable de réaliser les réformes promises et de faire face à l’invasion soviétique. Après la résistance acharnée de Budapest (13 décembre 1944-13 février 1945), il est mis complètement hors de cause, malgré la création de plusieurs divisions Waffen SS hongroises, qui combattent aux côtés des forces allemandes. Au début d’avril 1945, les derniers lambeaux de la Hongrie nationale tombent aux mains des Russes, qui continuent leur marche victorieuse vers Vienne.

François Duprat

 

Retour en haut