Article paru dans le n°7 de Résistance (1998), l’organe d’Unité radicale.
L’islamophobie rabique de certains nationalistes les a entraîné à ne voir dans le drame serbe qu’un conflit entre l’Islam et l’Europe, cela malgré que l’UCK soit laïque et marxiste et qu’un Etat islamiste comme l’Iran ait dénoncé l’agression. Nous ne nions pas que le conflit ait un substrat religieux, mais ce n’est pas l’essentiel et s’axer entièrement sur celui-ci est pour nous une lecture erronée des faits. Les Kosovars seraient-ils catholiques ou protestants, est-ce que la situation serait différente ? Non bien sûr. Le seul véritable combat ne se joue donc pas contre l’Islam albanais ou bosniaque, mais contre les USA et ses tirailleurs sénégalais de l’OTAN. Le véritable enjeu n’est pas une appartenance religieuse, mais la défense de l’intégrité de l’Europe et de l’indépendance de ses peuples.
Ainsi donnons nous la parole ci-dessous à Claudio Mutti, militant NR européen de premier plan et converti à l’Islam de longue date, qui nous explique pourquoi il soutient le peuple serbe.
Épée de l’islam ou Grand Satan ?
Parmi les mérites qui doivent être reconnus à l’Imam Khomeyni, il y a celui d’avoir indiqué de la manière la plus claire l’ennemi principal, non seulement de l’Islam, mais de toutes les civilisations et de tous les peuples du monde, « l’ennemi de l’Homme », si nous voulons utiliser la définition coranique du diable qu’une célèbre poésie palestinienne a appliquée à l’entité sioniste. D’ailleurs, quelle différence substantielle y a-t-il entre celle-ci et la superpuissance impérialiste administrée par les Cohen et les Albright ?
En désignant les USA comme le « grand Satan », Khomeyni jeta les fondements d’une doctrine qui assignait une fonction principale à la lutte contre l’impérialisme des Etats-Unis et faisait passer au deuxième plan les controverse existant entre musulmans et non-musulmans. Par conséquent, Saddam Hussein, contre lequel la République Islamique d’Iran a dû mener une guerre longue et difficile, représentait un « petit Satan » avec lequel l’Iran aurait pu établir une entente. L’auteur de ces lignes, de fait, eut l’occasion d’assister aux manifestations de joie qui eurent lieu en Iran lorsque l’armée irakienne occupa le Koweit. Avant que les déclarations officielles définissent une ligne condamnant l’action de Saddam, nous avons entendu des pasdarans et des besijis, qui s’étaient battus plusieurs années sur le front contre les Irakiens, exprimer le voeux que l’armée de Bagdad puisse continuer sa marche jusqu’en Arabie Saoudite. Par ailleurs, on sait que, pendant l’agression yankee contre l’Irak, les militants iraniens du Parti de Dieu exprimèrent à plusieurs reprises leur désaccord avec la ligne neutraliste suivie par le gouvernement de Téhéran et demandèrent en vain une plus grande solidarité avec l’Irak agressé par le « grand Satan ». Pour les révolutionnaires iraniens, les Etats-Unis étaient l’ennemi principal et il fallait aider tous ceux qui combattaient contre eux.
Dans l’ex-Yougoslavie, le soit-disant Islamisme radical, dans sa majeure partie inspiré, soutenu et contrôle par les milieux saoudiens, n’a certainement pas appliqué la leçon de Khomeyni. En Bosnie, il était clair dès le début que le dessein du « grand Satan », parti à la conquête de l’Europe ex-communiste, consistait dans l’utilisation des Croates et des Musulmans contre les Serbes, cela afin de créer un protectorat américain au cœur des Balkans. Les yankees savaient qu’ils ne devaient pas se soucier du projet, assez irréaliste, d’« Etat islamique » prôné par Alija Izetbegovic. Au delà de ses proclamations théoriques, ce dernier avait clairement manifesté son orientation objective lorsque à Washington, il rendit hommage au Musée de l’« Holocauste », c’est à dire au temple de l’«ennemi de l’Homme », un geste qui au point de vue islamique équivaut à un véritable acte d’idolâtrie. La démonstration que la politique de Sarajevo servait les intérêts sionisto-yankees était confirmée par le fait que parmi les plus enthousiastes supporters d’Izetbegovic, il y eu les Glucksmann et les B-H Lévy, tandis que parmi ses « bienfaiteurs » il y avait Georges Soros. La vitriolante définition de « Islam made in USA », que l’Imam Khomeyni avait inventée à propos des petits rois bédouins, pouvait aussi s’adapter à l’Islam d’Izetbegovic.
D’ailleurs, les gouvernements du monde musulman qui collaborèrent le mieux avec les USA à aider Izetbegovic furent ceux d’Ankara et de Riyad. Le premier parce que le projet américain assigne à la Turquie le rôle de chien de garde des intérêts yankees dans les Balkans, le deuxième pour répandre en Bosnie l’influence wahhabite et y détruire ce qu’il y restait d’Islam traditionnel. Il n’est pas inutile de rappeler que la classe politique turque a été formée à l’école du sécularisme occidentaliste et anti-islamique de Kémal Ataturk et de ses successeurs, tandis que la secte wahhabite au pouvoir en Arabie Saoudite est considérée comme hétérodoxe par les plus prestigieux guides spirituels de la communauté islamique mondiale.
Par des pays gouvernés par des pseudo-élites sécularisées ou islamiquement hétérodoxes (Turquie, Arabie Saoudite et petits Etats pétroliers, Pakistan, Afghanistan), les Etats-Unis visent à créer une « ceinture musulmane » qui puisse emprisonner la Russie et toute l’aire orthodoxe. Ce dessein, évidemment, ne prévoit pas que l’Islam doive prévaloir sur l’Orthodoxie. Il vise – et c’est en cela il est vraiment « diabolique » – à utiliser l’Islam contre l’Orthodoxie, mais d’une façon telle qu’entre les deux aires s’établisse un certain équilibre. Divide et impera.
C’est dans cette lumière qu’il faut considérer l’appui américain aux sécessionnistes du Kosovo, appui qui se manifeste dans un évident soutien aux terroristes de l’UCK, et éventuellement dans une aide à la création d’une « Grande Albanie ».
Le monde islamique serait vraiment aveugle et suicidaire, s’il tombait dans le piège qui lui a été préparé et s’il prenait position contre la Serbie au nom de la solidarité avec les « frères » du Kosovo. Faisant cela, non seulement il combattrait des musulmans (d’ethnie albanaise, turque, slave, etc.) qui au Kosovo, en Serbie et au Monténégro restent loyaux vis à vis de l’Etat yougoslave. Plus grave encore, il se trouverait du même côté que le « grand Satan » … Il est d’ailleurs significatif, à cet égard, que dans le monde musulman ne se sont prononcés contre la Serbie que les habituels gouvernements fantoches des USA (Egypte, Jordanie, Arabie Saoudite et les émirats du Golfe Persique) tandis que les foules libanaises brûlaient des serpillières étoilées et que l’Irak ne cachait pas sa sympathie pour la Serbie.
Au XIX° siècle, Konstantin Leontiev, théoricien du byzantinisme orthodoxe et ambassadeur du tsar en Turquie, prônait l’action solidaire de l’Islam et de l’Orthodoxie contre l’assaut anti-traditionnel mené par l’Occident sécularisé. Il y a vingt ans, l’intelligentsia mondialiste a exprimé son inquiétude face a l’intérêt que de telles idées éveillaient dans certains milieux russes (intellectuels, politiques, militaires, religieux).
Dix ans après, le poignard américain a pénétré dans le cœur des Balkans, là où convergent et se touchent trois composantes de l’Europe : la catholique et mitteleuropéenne, la byzantine et slave, la musulmane et balkanique. Dans le microcosme balkanique, en effet, les musulmans sont l’avant-garde historique d’un Islam européen autochtone qui arrive jusqu’au Caucase, les Serbes sont la pointe du monde orthodoxe et les Croates représentent la culture catholique.
Il est très clair que la guerre en Bosnie a eu pour but de saboter l’entente entre l’Allemagne et la Russie, laquelle, selon Kissinger, représentait l’éventualité la plus dangereuse pour l’hégémonie mondiale américaine. Il est clair aussi que, selon les desseins du « grand Satan », l’affrontement entre Musulmans et orthodoxes devrait s’étendre, et ainsi en d’autres régions de l’Eurasie, les fidèles de l’Islam et de l’Orthodoxie seraient impliqués dans des guerres inter-ethniques uniquement profitables au pouvoir mondial.
Carl Schmitt raconte, dans un de ses ouvrages, une fable des Slaves du Sud : « Deux petits rats étaient de féroces ennemis, et cherchaient à se nuire le plus possible. Un jour, un chat dévora l’un des deux rats. L’autre considéra alors le chat comme son ami et allié, et alla lui rendre visite pour le remercier. Ainsi il fut lui aussi dévoré par le chat … »
Claudio Mutti