Naissance et développement du fascisme Hongrois

croix flechees

I

Le Révisionnisme Hongrois

Le Traité de Trianon, imposé à la Hongrie le 4 juin 1920, démembrait l’ancien Royaume de saint Étienne en l’amputant des deux tiers de son territoire :

Le rattachement de la Slovaquie à la nouvelle Tchécoslovaquie entraînait la perte de 700.000 Hongrois bientôt en butte aux tracasseries des Tchèques.

La Cession de la Croatie amenait le passage sous le joug serbe de 500.000 Hongrois qui allaient être traités avec une particulière dureté par le Régime yougoslave.

Le pire cependant consistait dans la cession de la Transylvanie et d’une partie du Banat (le reste revenant à la Yougoslavie) à la Grande Roumanie : plus de 1.300.000 Hongrois devenaient sujets roumains et ne cesseraient plus d’être persécutés par un pouvoir désireux avant tout de leur faire perdre leur cohésion ou, à défaut, de les chasser de leur pays natal.

Une telle amputation ne pouvait être admise par le peuple hongrois et le révisionnisme de Budapest devint un facteur permanent d’instabilité dans toute la région danubienne.

Le slogan révisionniste « Nem, Nem, Soha » (Non, non, jamais) devint le plus populaire dans toute la Hongrie et celle-ci resta en mauvais termes avec les États successeurs, qui constituèrent contre elle l’Entente balkanique ou « Petite entente ».

L’Antibolchevisme

La proclamation de la République (16 novembre 1918) amena au pouvoir le comte Karolyi qui s’efforça de constituer un gouvernement socialiste modéré. Devant l’invasion étrangère (Roumains, Tchèques et Serbes se ruant à l’assaut du pays) et prit d’une sorte de vertige suicidaire, Karolyi abandonna le pouvoir au communiste Bela Kun, qui proclama le 21 mars 1919, la République Hongroise des soviets. Le gouvernement soviétique se maintint en faisant appel au sentiment national : une Armée rouge improvisée refoula les Tchèques et pénétra en Slovaquie ; d’autres formations tinrent tête aux Serbes et aux Roumains. Mais un gouvernement contre-révolutionnaire se forma à Szeged sous la protection de l’armée française ; dupé par les alliés, Bela Kun vit les Roumains marcher sur Budapest (qu’ils pillèrent atrocement) et prit la fuite après cent trente-trois jours de dictature (1.581 exécutions pendant la « Terreur Rouge »). L’Archiduc Joseph fut nommé Régent mais, devant le refus des alliés dut céder la place à l’amiral Horthy. Une « terreur blanche » se déchaîna alors, faisant des milliers de victimes, en particulier parmi les juifs, qui avaient soutenu en masse Bela Kun.

Dès lors, l’anticommunisme fut le facteur-clé de tous les partis et l’organisation clandestine du PC ne réussit jamais à recruter plus de quelques centaines de membres, très souvent membres des minorités non-hongroises. Quant aux socialistes, ils perdirent assez rapidement les fortes positions qu’ils avaient dans les villes.

L’Antisémitisme

À la différence des États successeurs, le problème des minorités ethniques ne se posait plus guère en Hongrie.

En 1930, sur 8.688.000 habitants, seuls 687.797 parlaient des langues non hongroises soit 7,9 %. Parmi eux, seul le groupe allemand avait une importance notable : 478.630 Allemands (5,5  %), 108.819 Slovaques (1,2   %), 27.683 Croates (0,3 %), 16.221 Roumains (0,2 %), 7.031 Serbes (0,1 %), 20.564 Bounievatz, Chokatz [des peuples slaves du sud] (0,2 %), 30.259 Divers (0,4 %).

Sur 155 districts administratifs, seuls 4 étaient à majorité allemande, dans la Hongrie méridionale. Mais si le problème ne se posait pas au niveau des langues, il en était tout autrement lorsque l’on abordait le problème juif.

Le recensement de 1930 donnait les résultats suivants sur le plan religieux : 5.836.000 catholiques 65 % (dont 201.000 uniates), 1.671.000 calvinistes, 479.000 luthériens, 420.000 citoyens de religion mosaïque, des orthodoxes et divers.

Ce chiffre, déjà important en lui-même (4 % de la population totale), ne donnait d’ailleurs pas le chiffre réel de juifs vivant en Hongrie. Il fallait y ajouter les centaines de milliers de juifs incroyants, convertis aux diverses religions chrétiennes ou ayant simplement du sang juif. En 1935, on estimait le nombre de juifs à 550.000 plus 200 à 300.000 convertis et demi-juifs, soit 8 à 10 % de la population. Ce pourcentage important devenait : 40 % dans le commerce et la finance, 50 % chez les avocats et juristes divers, 30 % chez les médecins (plus encore chez les pharmaciens et dentistes).

L’antisémitisme, traditionnel dans l’Europe danubienne, renforcé par des considérations économiques et par le souvenir de la terreur rouge de Bela Kun était l’un des facteurs dominants de la vie politique hongroise.

Les Problèmes Agraires.

La Hongrie, n’ayant pas effectué de véritable réforme agraire, resta pendant l’entre-deux-guerres une nation de type féodal, plus asiatique qu’européenne, où une poignée de grands propriétaires s’opposait à des masses faméliques de paysans sans terres.

Sachant qu’en Hongrie, à l’époque, il est impossible de nourrir une famille avec cinq arpents de terre, que les salaires des ouvriers agricoles, déjà déplorablement bas, baissent de 40 à 50 % entre 1928 et 1935 (contrecoup de la crise mondiale) et que les ouvriers agricoles n’arrivent à travailler qu’à 60 ou 70 % de leur capacité, voilà qu’elle était, en 1930, la répartition sociologique des travailleurs agraires :

— ouvriers agricoles : 955.000,

— ouvriers ayant moins de 1 arpent de terre en propre : 271.000,

— ouvriers et fermiers ayant de 1 à 5 arpents :  1.070.000,

— journaliers horticoles : 23.000,

— terrassiers : 27.000,

— domestiques agricoles et leur famille : 600.000.

Total : environ 2.500.000 (soit plus de 60% de la population agricole).

— propriétaires ou fermiers possédant 5 à 10 arpents (à peine de quoi vivre) : 604.000,

— propriétaires ou fermiers possédant de 10 à 100 arpents (morcellement constant, niveau de culture peu satisfaisant) : 600.000.

Total : environ 1.200.000.

Soit 3.700.000 ruraux qui n’arrivent même pas à une modeste aisance.

— propriétaires de 100 à 1.000 arpents (classe décimée par la crise et en diminution constante) : 30.000 personnes soit 7.300 propriétaires et leurs familles)

Total : 30.000

Soit 30.000 ruraux qui ont un revenu correct mais qui éprouvent de grandes difficultés, du fait de la crise.

— grands propriétaires (plus de mille arpents) : 526.

46 % des terres dont 35 % des terres arables sont aux mains d’un groupe infime alors que plus de 1.200.000 petits propriétaires ont 11 % des terres arables !

Outre ce monstrueux déséquilibre, on peut noter l’aspect arriéré de la répartition des groupes de la population active : agriculture : 51,8 %, industrie : 21,7 %, commerce, banque : 5,4 %, services publics, professions libérales : 5 %, retraités : 4,2 % (du fait des expulsions massives d’anciens fonctionnaires hongrois des pays successeurs), employés transport : 3,9 %, domestiques : 2,3 %, mines : 1,3 %.

Il n’y a que 2.880.000 citadins contre 5.810.000 ruraux et seule Budapest avec un million d’habitants (1,4 million pour le Grand Budapest) fait figure de grande ville ; seules deux autres villes dépassent les 100.000 habitants(Szeged : 135.000, Debreczen : 117.000). Juifs et Allemands vivant surtout dans les villes, on voit leur importance dans celles-ci.

De plus, si industries et mines constituent 23 % de la population active, c’est parce que l’on incorpore aux 300.000 employés de l’industrie et de la mine 170.000 artisans et employés de l’artisanat et 160.000 artisans sans employés. En fait la grande industrie n’existe qu’à peine ; quant à la classe moyenne, souvent d’origine juive ou allemande, elle ne représente que 10 % de la population.

La Hongrie apparaît ainsi comme un pays foncièrement anticommuniste, ardemment révisionniste, tenté par l’antisémitisme, où la réforme agraire, toujours refusée, est d’une nécessité absolue. Ainsi devient plus compréhensible le caractère raciste, agraire, prolétarien et ultra- nationaliste du fascisme hongrois (il faut ajouter le facteur religieux, dû à l’intense foi qui anime beaucoup de Hongrois).

II

L’évolution politique de la Hongrie.

Après l’écrasement de la République soviétique hongroise le nouveau régime met quelques temps à se stabiliser d’autant qu’à deux reprises l’ancien Empereur Charles tente de remonter sur le trône de Hongrie : le 27 mars 1921 (tentative brisée par la mobilisation de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie) puis en octobre de la même année (où l’attitude d’Horthy et la mobilisation tchèque suffisent à faire avorter ses projets).

L’Assemblée est élue en janvier 1920 au suffrage universel et nomme Horthy régent de la couronne de saint Étienne. Le Bloc comprend les trois premiers partis de la liste ci-dessous.

Les résultats sont les suivants :

— Parti chrétien-national (comte Bethlen) 100 députés divisés en deux fractions dont l’un celle de l’ex-Premier ministre d’août-novembre 1919, Istvan Friedrich, est plus modérée que celle de Bethlen.

— Parti des petits propriétaires (Kisgazda Partja), chef : Nagyanadi-Szabo : 110 députés.

— Travailleurs de la terre : 5 députés.

— Libéraux : 5 députés.

— Sociaux-démocrates : 25 députés (les SD, dirigés par Peyer, Buchinger, Farkas, Kethly, obtiennent à Budapest 42,8 % des voix ; ils n’auront plus que 25,4 % des voix dans la capitale dès 1925).

Dès juillet 1920, le Parti chrétien-national, le Parti des petits propriétaires et les Travailleurs de la terre concluent un pacte d’unité d’action. À la mort de Nagyatadi-Szabo, en 1924, les trois partis se fondront en un seul mouvement, le Parti de l’unité.

En 1921, Bethlen devient Premier ministre, poste qu’il conservera, non sans difficultés, jusqu’en 1931. En janvier 1922, le comte Klebelsberg, ministre de l’Intérieur, propose une nouvelle Constitution ouvertement réactionnaire. Celle-ci liquide le suffrage universel, établit une sorte de suffrage censitaire (30 % de la population seulement a le droit de vote) les hommes peuvent voter s’ils ont plus de 24 ans, les femmes plus de 30 ans. Les 10 % d’illettrés sont éliminés d’office. Devant la résistance des éléments de gauche et modérés, la nouvelle Constitution ne pourra être adoptée qu’en 1925.

Les élections de 1922 ont donc lieu selon les modalités de 1920, ce qui désavantage d’autant plus le bloc gouvernemental que le groupe le plus à gauche du Parti chrétien-national, dirigé par Istvan Friedrich, a fait sécession sous le nom de Parti chrétien économique.

Les résultats sont les suivants :

— Parti chrétien-national : 75 députés.

— Petits propriétaires : 71 députés.

— Travailleurs de la terre : 4 députés.

Bloc gouvernemental: 150 sièges.

— Parti chrétien économique (Friedrich) : 40 députés.

— Sociaux-démocrates : 25 députés.

— Libéraux : 10 députés.

— Union agraire (Parastz Partja) : petit mouvement paysan de gauche, dissidence des Petits propriétaires, dirigée par P. Veres : 10 députés.

— Indépendants : 10 députés.

Le Parti libéral, presque exclusivement composé de bourgeois israélites, animé par K. Rassay, est soutenu par une presse puissante et possède de considérables appuis financiers.

Le demi-échec du bloc gouvernemental va dégénérer en crise du fait de l’action des éléments extrémistes du Parti chrétien-national, inquiets devant ce qui leur paraît être une grave poussée à gauche. C’est le général Gömbös qui va animer la révolte de la fraction extrémiste du parti gouvernemental.

 Naissance du fascisme hongrois

Lors de la révolution rouge, une certain nombre de Magyars d’extrême droite s’était réuni dans une organisation para-militaire les Hongrois réveillés (Move). Un jeune officier d’état-major, Julius Gömbös, en prend la direction ; violemment antisémite et anticommuniste, il est aussi hostile aux Habsbourgs qui ont persécuté le peuple hongrois et est donc opposé à une restauration de la monarchie (ce qui lui permettra plus tard de collaborer avec Horthy, qui est bien décidé à ne céder le pouvoir à personne). Élu député du Parti chrétien-national, Gömbös se heurte à de nombreuses reprises au comte Bethlen. Il exige un numerus clausus des juifs et, ne l’obtenant pas, se retire du parti gouvernemental avec quatorze autres députés. Il crée alors le Parti des défenseurs de la race et fait fusionner les divers groupes para-militaires nationalistes, dont le Move, dans l’organisation Tesz (Fédération des sociétés nationales).

Le parti de Gömbös réclame des mesures antisémites et, aussi, une réforme agraire de plus en plus exigée par les paysans. En 1924, pour enrayer les poussées, à gauche comme à droite, Bethlen promulgue une réforme agraire, qui n’est qu’une tromperie.

Gömbös s’appuie aussi sur le courant littéraire  raciste-chrétien, dont l’un des représentants les plus prestigieux est Dezso Szabo, qui impose le culte du « paysan hongrois » dans son Village Emporté (1919). D’autres romanciers, tels Sandor Sik et Iazlo Mecs, soutiennent les efforts de Gömbös, avant de se rallier plus tard à un fascisme plus extrémiste.

Les populistes, comme les poètes Jazsef Erdelyi et Istvan Sinka, prônent une troisième voie, opposée à l’Allemagne et à l’Union Soviétique. Après avoir soutenu Gömbös, ils se rallieront massivement au Mouvement de la croix fléchée.

La nouvelle constitution réactionnaire, bien que combattue par la droite et la gauche, ayant été adoptée, va assurer la victoire permanente du pouvoir. D’autant que le vote oral qui intéresse 200 députés sur 245 (les autres étant élus dans les villes au scrutin secret) permet toutes les pressions et toutes les manipulations. Les élections de 1926 cependant, du fait de la puissance de Gömbös, n’assurent pas une victoire totale au Parti unifié de Bethlen.

— Parti de l’unité : 150 députés.

— Parti chrétien économique : 35 députés.

— Sociaux-démocrates : 14 députés. (effondrement dans les campagnes, maintien dans les villes).

— Libéraux : 10 députés.

— Union agraire : 5 députés.

— Indépendant : 5 députés.

—Défenseurs de la race : 26 députés.

L’opposition reste donc forte et Bethlen comprend qu’il va lui être très difficile de s’opposer encore longtemps à la montée de Gömbös, qui entend de plus en plus être les Mussolini de la Hongrie. Pour lui va jouer, encore, le phénomène habituel : la droite va essayer de l’amadouer en lui donnant une place de ministre, moyennant des concessions de forme. En 1928, un accord est conclu entre Bethlen et Gömbös, qui devient ministre de la Guerre, tout en conservant l’indépendance de son parti qui a le vent en poupe.

Mais certains fascistes ne tardent pas à reprocher à leur ancien chef sa propension à se rallier au régime réactionnaire, en paraissant abandonner son programme radical-national. Zoltan Böszörmeny, fonde les Croix falquées qu’il transforme, au début de 1931, en une formation nationale-socialiste présentant des candidats aux élections, le Parti hongrois ouvrier national-socialiste. Les élections de 1931 voient une avance considérable de l’extrême droite regroupée en grande partie autour de Gömbös et un net recul du parti de Bethlen.

— Parti unifié : 120 députés.

— Petits propriétaires (ces derniers, sous la direction de Gaston Gaal ont reconstitué leur parti, estimant le Parti unifié trop réactionnaire) : 11 députés.

— Parti chrétien : 30 députés.

— Sociaux-démocrates : 16 députés.

— Union agraire : 10 députés.

— Libéraux : 14 députés.

— Indépendants : 2 députés.

— Défenseurs de la race (Gömbös) : 41 députés.

— Parti hongrois ouvrier national-socialiste: 1 député.

La victoire de Gömbös le pousse vers le pouvoir ; il déclenche une violente campagne en sa faveur et fait tomber le gouvernement Bethlen qui n’a plus de majorité ; le comte Julius Karolyi ancien membre du  Gouvernement blanc de Szeged lui succède en bâtissant une fragile coalition avec les Défenseurs de la race, le 24 août 1931. Le gouvernement Karolyi se maintient vaille que vaille jusqu’au 21 septembre 1932.

Pendant ce temps, l’unique député national-socialiste, Zoltan Mesko, a rompu avec son parti ; avec l’aide du Comte Palffy et du Comte Festetics, ancien ministre de la Guerre chrétien-national, il forme le Parti national-socialiste des ouvriers et paysans hongrois, en 1932. Le parti recrute d’assez nombreux militants qui portent la chemise verte, la croix fléchée de saint Étienne à quatre flèches et ont comme slogan : Batorsag (courage). En novembre 1933, Mesko, enhardi par la victoire nationale-socialiste en Allemagne, fera mettre la croix gammée comme insigne sur les drapeaux du parti mais le Parlement votera aussitôt l’interdiction de la svastika comme emblème politique en Hongrie.

Le nouveau parti entreprend de regrouper les divers petits groupes nationaux-socialistes qui commencent à prospérer dans le pays. Dès 1932, les deux principaux mouvements nationaux-socialistes fusionnent en un Parti national-socialiste unifié (Egyesült Nemzeti Szocialista Partja), qui publie sa charte politique dans un livre écrit par Palffy : Az Egyesült Nemzeti Szocialista-partaja Programja (Le programme du PNS Unifié).

D’autres formations national-socialistes prolifèrent tels que le Front chrétien, le Mouvement chrétien national-socialiste, le Rassemblement raciste national-socialiste, qui se font une concurrence acharnée. Mesko, lui-même, mécontent du fait que Palffy et Festetics dirigent souverainement le PNSU, fait sécession et lance un Front chrétien national-socialiste.

Toute cette agitation sert Gömbös qui, éliminant Karolyi, devient enfin Premier ministre le 1er octobre 1932. Il apparaît bientôt que Gömbös aspire à diriger totalement le pays. Malgré les réticences du Régent, il impose un sévère numerus clausus aux Juifs, dans le commerce, les professions libérales et l’Université, de 20 %, d’abord, puis bientôt de 6 %. Il transforme l’organisation de jeunesse officielle Levente en une formation para-militaire, dont il fait l’un de ses principaux soutiens. Surtout, malgré les protestations de Bethlen qui fait sécession avec ses amis modérés, Gömbös s’empare du Parti unifié et le réorganise avec l’aide de ses alliés du Tesz. Le Parti devient le Parti de l’unité nationale, dont Gömbös établit le programme en 95 points, programme antisémite et révisionniste. Gömbös se présente en leader populaire, se fait acclamer par les étudiants et ne tarde pas à se rapprocher de l’Italie fasciste puis de l’Allemagne hitlérienne. Mais il se voit contraint par le Régent d’accepter un certain conservatisme, tant en politique extérieure où sa sympathie pour l’Allemagne est freinée par Horthy, que sur le plan intérieur : la réforme agraire promise n’est toujours pas réalisée et l’antisémitisme reste limité. Du coup, une fraction importante de son ancien parti refuse de fusionner avec le Parti unifié, et garde le nom de Défenseurs de la race.

Pour faire contre-poids à Gömbös qui tend de plus en plus à jouer les Hitler ou les Mussolini, Bethlen se rapproche de Tibor Eckhardt, nouveau chef du Parti des petits propriétaires, et même des sociaux-démocrates. Quant à l’ancien Parti chrétien économique, son chef le transforme en Union chrétienne et accepte de faire front commun contre Gömbös aux élections.

Les élections de 1935 donnent cependant la victoire au général Gömbös :

— Parti de l’Unité Nationale : 131 députés (dont seuls 25 ont fait partie de l’ancien Parti unifié).

— Groupe dissident de Bethlen : 30 députés.

— Petits propriétaires : 24 députés.

— Libéraux : 7 députés.

— Indépendants (plusieurs rejoignent les libéraux après les élections) : 8 députés.

— Sociaux-démocrates : 11 députés.

— Union chrétienne : 14 députés.

— Union agraire (prend, peu après, le nom de Parti paysan) : 4 députés.

— Défenseurs de la race : 12 députés.

— PNSU : 2 députés (Festetics à Enying, Baloogh à Debreczen).

— Front chrétien NS : 2 députés (Mesko et Hubay, qui fera vite sécession).

Mais tandis que Gömbös voyait la victoire électorale couronner ses efforts, un petit parti fasciste naissait, dirigé par l’ancien major Ferenc Szalasi.

III

Le Mouvement de la Croix fléchée

Szalasi, cas assez fréquent en Hongrie où le nationalisme est plutôt culturel et religieux que racial, était d’origine mêlée (arménien, slovaque, allemand et hongrois) et son nom patronymique était Szalasian avant sa magyarisation. On peut penser que l’ancien officier avait été impressionné par la réussite rapide de Gömbös et qu’il entendait suivre la même voie que lui. Mais Szalasi était bien décidé à aller jusqu’au bout de son programme et à ne pas tomber dans le modérantisme et le conservatisme comme était en train de faire le Premier ministre.

Très mystique et catholique fervent, Szalasi souhaitait construire un Ordre militaro-religieux, plus qu’un parti politique de type classique (le cas était fréquent en Europe Orientale ; il suffit de penser à la Garde de fer roumaine ou au Zbor yougoslave). Mais avant de se lancer dans l’action politique, il entendait d’abord éclaircir ses idées et donner les grandes lignes de force de son action future. Aussi, en 1933, va-t-il publier son premier livre, essentiellement consacré aux problèmes d’édification d’un État nouveau et d’une société plus moderne que la Hongrie féodale. Ce fut A Magyar Allam Felepitesenek Terve (Plan d’organisation de l’État magyar).

Le livre fut accueilli avec faveur par les fascistes de Hongrie, car il était la première tentative de synthèse des propositions diffuses déjà répandues par les petits groupes ultra-nationalistes.

Surtout Szalasi rompait ouvertement avec le conservatisme droitier, dont restait imprégné le mouvement fasciste malgré les appellations populaires des différents partis nationaux-socialistes.

Pour donner une structure aux nombreux hongrois qui s’étaient tournés vers lui, Szalasi fonde, au printemps de 1935 son propre parti : Le Parti de la volonté nationale (Nemzeti Akaratj Partja). Il publie en même temps son ouvrage principal : Cel és Követelések (But et revendications), où il développe ses conceptions nationales et sociales.

Sur le plan national, tout en soutenant les revendications territoriales de son pays, il expose le thème du co-nationalisme ou nationalisme vertical. Ce co-nationalisme réside dans l’abandon du nationalisme agressif et dans son remplacement par une entente entre les divers nationalismes, par un refus de tout impérialisme.

Sur le plan social, Szalasi insiste principalement sur le fait que l’État national-socialiste doit être avant tout un État au service des travailleurs. Aussi écrit-il dans ce livre :

« Il y a deux voies pour atteindre les travailleurs de la nation, la vieille idéologie et la nouvelle idéologie. Si l’une est acceptée, l’autre disparaît automatiquement et cesse d’exister

 (…)

 Tandis que les agriculteurs pratiquent le national-socialisme, les travailleurs doivent être gagnés par lui et convertis spirituellement ; lorsqu’ils l’auront accepté, ils le mettront volontairement en pratique. Ceci est un des principes de base de notre mouvement des travailleurs.

 (…)

 L’Histoire a prouvé bien des fois que toute idéologie qui a été acceptée par la classe ouvrière a, à la fin, obtenu au moins un succès temporaire et est devenue un système de travail utilisable pour un temps. Ceci est un autre de nos principes de base.

Les agriculteurs et la population rurale en général, adoptent habituellement un nouveau système graduellement. Les ouvriers sont plus radicaux : quand ils sont désappointés ou désenchantés, par un système en usage, ils tendent à le détruire complètement et ils consacrent tous leurs efforts à la nouvelle idéologie ou mode de vie créées par eux. Aucun effort n’est perdu dans le stade transitoire parce que chaque homme sait, croît et proclame que la nouvelle idéologie sera un gain de puissance pour tous. Ceci est un autre de nos principes de base…

Alors que le socialisme agraire est égocentrique et que la plus grande satisfaction qui peut lui être accordée est la socialisation de la terre, le socialisme ouvrier embrasse tout, contient la population entière et bénéficie à la nation tout entière. Le socialisme ouvrier c’est le national-socialisme.

 Ceci est la voie correcte car le paysan est le fondement de la nation, il la défend et la fortifie ; mais l’ouvrier est le constructeur de la nation, il la forge, la bâtit et l’enrichit en utilisant les ressources matérielles, morales et spirituelles de la nation. Le paysan quoique insatisfait du présent système, serait prêt à continuer à l’accepter si son sort était amélioré. L’ouvrier est insatisfait et sait que l’idéologie marxiste a fait faillite pour l’élever, aussi est-il prêt et désireux d’accepter quelque chose de nouveau et de meilleur. Il en a assez du système existant, en qui il avait cru trouver le chemin du bonheur et de la prospérité.

 (…)

  Notre Mouvement hungariste combat pour gagner la coopération des ouvriers magyars à notre idéologie hongroise national-socialiste.

 (…)

 Notre tâche n’est pas si difficile car l’ouvrier en a assez de l’idéologie marxiste ; non parce qu’il accepte déjà le national-socialisme mais parce que cette idéologie s’est montré incapable de satisfaire ses aspirations. Les travailleurs voient que partout où le capitalisme a été remplacé par l’idéologie marxiste, le marxisme a, lui aussi, échoué ; tandis que là où le capitalisme a été remplacé par le national-socialisme et c’est en cela que résidera l’échec final du marxisme, les travailleurs ont obtenu leur accomplissement spirituel, moral et matériel. Tout ceci nous conduit au fait que le capitalisme international, point culminant du libéralisme, et le marxisme ont toujours été complémentaires, qu’ils n’ont jamais été ennemis, de telle façon que l’on peut dire que le marxisme découle naturellement du libéralisme. Aussi est-il logique que la chute du capitalisme entraîne celle du marxisme. Il en résulte que si nous parvenons à liquider le libéralisme en tant qu’idéologie en action, nous interdirons automatiquement au marxisme d’exister.

 (…)

 Nous devons assurer aux travailleurs une vie stable, un statut appréciable dans la nation, leur rendre leur dignité en tant que bâtisseurs de la nation. Ils doivent recevoir une équitable part des bénéfices moraux, spirituels et matériels de notre système national. Si nous leur transmettons notre idéologie hungariste, nous en ferons alors de vrais bâtisseurs de la nation, l’un des plus forts piliers de nos structures national-socialistes.

(…)

 Dans le combat du Mouvement hungariste, au nom de la patrie et de la nation, l’ouvrier obtiendra sa vraie place dans la société, place qui lui est due (…) la plus grande force de notre Mouvement hungariste national-socialiste est qu’il tient pour égaux tous ceux qui travaillent pour la nation, par leurs mains ou par leur cerveau.

 (…)

 Nous, par ailleurs, extrayons le socialisme de l’étroit “socialisme de classe” qui était le privilège unique de la classe ouvrière, et nous le transplantons à toutes les couches de la société, à la nation tout entière. (…) Les travailleurs, en tant qu’ouvriers nationalistes magyar, pourront occuper la place qui leur est due au sein du système national-socialiste.

 Le national-socialisme donne aux travailleurs une nouvelle idéologie : le socialisme national. Il représente à parts égales le social-nationalisme et le national-socialisme ; il prouve à tous que le socialisme et le nationalisme peuvent coexister, qu’ils ne sont pas “l’eau et le feu”. Il renverse l’aspect international du marxisme et permet de construire une communauté nationale.

Nous avons bâti les structures spirituelles de notre mouvement afin que les travailleurs hongrois puissent trouver en lui leur nouvelle idéologie. Nous sommes convaincus que cette nouvelle idéologie sera finalement acceptée non seulement par nos travailleurs mais par tous ceux qui vivent dans des pays où le national-socialisme existe mais ne leur a pas encore offert une idéologie semblable.

Dans notre national-socialisme, la base de la réalité spirituelle, morale et matérielle est l’hungarisme. Le socialisme national forme les classes laborieuses de notre nation dans la pratique du national-socialisme. Le principe de nationalisme coopératif ou co-nationalisme définira le type de nos relations avec les autres nations nationales-socialistes. Les éléments juifs perdront leur leadership sur le monde ouvrier. Notre mouvement annule actuellement et détruit effectivement le marxisme en éliminant sa source, le libéralisme, et son inspiration spirituelle : la franc-maçonnerie.

Ensuite nous installerons l’idéologie éternelle : les nations spirituellement, moralement et matériellement développées par le national-socialisme respecteront les droits de chaque nation, coopéreront et se compléteront pour former une unité territoriale progressiste et pacifique » (But et revendications, chapitre : « Le national-socialisme et les travailleurs »).

On peut se rendre compte à la lecture de ces quelques pages que Szalasi présentait une doctrine extrêmement différente de celle des autres mouvements fascistes :

1 — Sur le plan national, son nationalisme était pacifique, avec peu d’accents chauvins, malgré l’intense patriotisme qui l’animait. Seul, peut-être, de tous les grands chefs fascistes de l’époque, il n’apparaissait pas comme un nationaliste grand-Hongrois mais bien comme un partisan d’une sorte d’internationale des nationalismes.

2 — Sur le plan social, alors que les autres mouvements ultra-nationalistes s’adressaient surtout à la classe paysanne, chauvine, conservatrice et antisémite, Szalasi tente de conquérir la classe ouvrière au moins autant que le monde rural. Rapidement, il allait faire la preuve que son socialisme national était capable de rallier à son mouvement de notables fractions de la classe ouvrière. Le recul constant des sociaux-démocrates allait être causé en grande partie par l’irruption des hungaristes dans les bastions urbains industriels du parti marxiste. Ainsi allait se confirmer un « fascisme de gauche » puissant et original (quoique ayant de nombreux points communs avec la Garde de fer), « fascisme de gauche » dont la seule existence contredit d’une façon efficace la plus grande partie des définitions classiques (spécialement marxistes) du phénomène fasciste.

Le mouvement de Szalasi va d’autant plus vite se développer que l’expérience Gömbös apparaît comme un échec. Echec dû, non seulement aux oppositions que rencontre Gömbös (Bethlen fait alliance avec les Petits propriétaires et au début de 1936, fait même cause commune avec le petit Parti légitimiste de Sigray et Makray), mais surtout au mauvais état de santé de Gömbös. Dès avril 1936, celui-ci est mourant et provisoirement remplacé par le ministre de l’Agriculture, Daranyi ; Gömbös meurt le 6 octobre de la même année, ayant raté sa tentative de rénovation « nationale-raciste » de la Hongrie, et Daranyi, homme fort modéré, lui succède.

IV

Le déferlement nationaliste

Sous le faible gouvernement Daranyi, l’agitation ultra-nationaliste s’amplifie constamment et l’on se rend vite compte que le Parti de la volonté nationale de Ferenc Szalasi est déjà le plus dynamique et le plus efficace. Très vite, le Parti de Szalasi élargit son audience ; ses militants s’infiltrent dans les syndicats contrôlés par les sociaux-démocrates, les désagrègent de l’intérieur, puis créent de nouveaux syndicats nationaux-socialistes. Ces syndicats ne sont d’ailleurs en aucune manière des syndicats jaunes. Bien au contraire, ils organisent de grandes grèves revendicatrices et sont infiniment plus actifs que les vieux syndicats marxistes, d’autant que, le communisme étant hors la loi, seuls les sociaux-démocrates, gens rassis et bureaucratisés, peuvent s’opposer aux partisans de Szalasi. Faute d’enthousiasme, il leur est bien difficile de freiner l’ascension de l’hungarisme, d’autant que Szalasi commence à compter, en outre, de nombreux soutiens dans les campagnes. Les Chemises vertes nationales-socialistes, se répandant dans le monde rural, incitent les paysans à réclamer le partage des terres. Or, dans les campagnes, la social-démocratie est inexistante et les deux partis agraires s’adressent surtout aux propriétaires ; il reste donc l’énorme masse des ouvriers agricoles qui, malgré les pressions exercées par les grands propriétaires, commence à se tourner vers le Parti de la volonté nationale.

Tandis que le ministre des Affaires étrangères, Kanya, tout en restant en bons termes avec Rome et Berlin, ne fait plus aucun pas dans leur direction, ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas de réclamer leur soutien pour les revendications hongroises, Kolman de Daranyi s’efforce d’enrayer la menaçante agitation nationaliste.

L’incapacité du Parti de l’unité nationale, d’ailleurs très divisé, à lutter politiquement contre les groupes fascistes l’amène à engager le combat sur un plan policier contre le seul mouvement révolutionnaire d’extrême droite, le Parti de Szalasi. Les autres mouvements extrémistes sont en effet plus nationaux-conservateurs qu’autre chose et ne s’en prennent qu’en paroles aux institutions du pays. Pour Szalasi et ses partisans, il en va tout autrement, d’autant que de nombreux éléments gauchisants, attirés par la propagande révolutionnaire du mouvement, commencent à y entrer en masse. Brutalement, en avril 1937, le Parti de la volonté nationale est interdit et ses avoirs et sièges saisis ; Daranyi voudrait même aller plus loin et arrêter Szalasi et ses lieutenants mais il hésite car il craint une relance de l’agitation.

Profitant de la faiblesse du gouvernement, Szalasi, presque aussitôt, reconstitue son organisation sous l’appellation de Parti national-socialiste (Nemzeti Szocialiste Partja) et relance son action, d’autant que le Parti dispose désormais d’un quotidien : Magyarsag (Le Peuple hongrois), dirigé par le principal adjoint de Szalasi, Kalman Hubay, remarquable organisateur et chef de l’aile droite du Parti national-socialiste.

Devant la puissance du Parti national-socialiste, les organisations fascistes, atteintes d’une véritable hémorragie au profit des formations de Szalasi, tentent de se grouper pour faire pièce à ce dernier.

Le 17 octobre 1937, sept mouvements extrémistes se rassemblent en un Front national, sous la direction de Festetics, Palffy et Rajniss.

Le Front national est ainsi composé : Parti national-socialiste unifié,     Front chrétien, Mouvement chrétien national-socialiste, Rassemblement national, Rassemblement raciste national-socialiste, Mouvement populaire nationaliste,    Organisation des défenseurs des chrétiens de race.

En fait, seul le Parti national-socialiste unifié dispose d’effectifs quelque peu importants, et le nouveau Front national s’avère bien vite incapable de faire jeu égal avec les forces de Szalasi, toujours plus nombreuses. Ces dernières contrôlent dès la fin de 1937 les syndicats des cheminots, des tramways de Budapest, des postiers ainsi que certains syndicats de mineurs. Les effectifs du parti dépassent largement les 100.000 membres, ce qui place le PNS en tête de tous les partis pour le nombre des militants réels (et non des adhérents symboliques comme ceux du Parti de l’unité nationale). Le mécontentement se développe considérablement dans les campagnes comme dans les quartiers ouvriers. Pour couper l’herbe sous le pied aux agitateurs nationalistes, le gouvernement décide alors de donner une satisfaction tangible aux classes sociales les plus pauvres. Ce pourrait être la réforme agraire, mais celle-ci se heurte à une opposition si forte que, de 1936 à 1938, c’est tout juste si 47.000 arpents sont expropriés et distribués à 8.600 familles, chiffre dérisoire et sans effet. Ce sera donc (ce qui coûte moins cher et est moins difficile !) une réforme électorale. Le gouvernement présente, le 30 décembre 1937, un projet de loi qui abolit le suffrage censitaire, établit le vote secret, mais, en même temps, limite considérablement le vote des femmes, (l’exemple allemand, où les femmes ont voté massivement pour Hitler, inquiètent probablement les dirigeants hongrois) et instaure le vote plural favorable au gouvernement. Le projet est voté par le Parlement en janvier 1938, après plusieurs jours de discussions houleuses.

Le Régent est de plus en plus préoccupé par la montée du nationalisme ; il estime que la Hongrie a besoin d’un Premier ministre à poigne pour la briser, d’autant que la Roumanie vient de montrer qu’une dictature de droite était le meilleur moyen de détruire les chances de succès d’un mouvement fasciste. Aussi fait-il démissionner Daranyi au début de mai 1938 et nomme-t-il Premier ministre Bela Imredy. Ce dernier a été ministre des Finances du gouvernement Gömbös du 1er octobre 1932 au 6 janvier 1935 ; il a été ensuite président de la Banque nationale jusqu’à sa nomination au poste de Premier ministre. Nationaliste et antisémite, membre un temps des Défenseurs de la race, très proche de Festetics et Palfy, c’est aussi un ultra-conservateur, qui déteste Szalasi et ses hommes. Pour lui, ce mouvement est une sorte de « bolchevisme blanc » aussi néfaste que le vrai ; il entend « canaliser » le nationalisme hongrois pour le rendre acceptable aux classes possédantes. Il est acquis à l’idée de réformes sociales, à condition que celles-ci ne touchent pas à l’essentiel de la puissance des « élites » hongroises. Par l’antisémitisme, il espère diriger dans le sens souhaité l’ardeur des jeunes fascistes. Si ceux-ci refusent la voie fixée, Imredy, homme d’autorité, se sent de taille à les écraser sans pitié. Comme Imredy le déclare peu après à Constantin de Grundwald qui l’interrogeait sur son attitude à l’égard des mouvements nationaux-socialistes : « L’idée nationale et l’idée de justice sociale se manifestent aujourd’hui dans le monde entier sous les formes les plus diverses, de la plus noble à la plus grotesque ». Bien entendu, les conceptions d’Imredy sont nobles et celles de Szalasi grotesques, au moins aux yeux du banquier, qui entame aussitôt la lutte contre le Parti national-socialiste et contre les juifs, afin de battre Szalasi sur son terrain.

À la première occasion, Imredy interdit le Parti national-socialiste, lancé dans une intense campagne, sous le slogan « Szalasi 1938 » (c’est-à-dire « le pouvoir pour Szalasi en 1938 »). Il défend sous peine de poursuites judiciaires toute prestation de serment aux chefs politiques (Szalasi comme Codreanu recevant des serments de type religieux), toute participation de fonctionnaires ou d’officiers à l’activité de partis politiques et toute propagande « anticonstitutionnelle » (ce qui est assez large pour permettre toutes les interprétations). Surtout, Imredy, en ce mois de juillet 1938, où les suites de l’Anschluss troublent une Hongrie qui a désormais une frontière commune avec le IIIeme Reich, ne se limite pas à dissoudre le parti de Szalasi. Il fait condamner ce dernier à trois ans de travaux forcés pour « actes subversifs » et pratique une répression sans faille contre les militants hungaristes, dont le nombre ne cesse de s’accroître.

Tandis que Szalasi, emprisonné, devient l’objet d’une sorte de culte, son adjoint Kalman Hubay réorganise le mouvement autour de son journal. Imredy, qui a des contacts avec lui, paraît avoir voulu jouer Hubay contre Szalasi, en estimant que le premier, beaucoup moins révolutionnaire que le second, serait plus malléable. D’ailleurs Hubay, sans ordre de son chef, prend des contacts avec le Front national et paraît, un moment, tenté par la perspective d’un front commun de l’opposition nationale. Finalement, Hubay, se pliant aux ordres de Szalasi, forme un Mouvement hungariste, simple reconstitution du parti interdit.

Imredy, lui, organise ses partisans, anciens amis de Gömbös, au sein du Parti de l’unité nationale, en un Mouvement de la vie hongroise, qui reprend tous les thèmes des anciens Défenseurs de la race.

Encore jeune (46 ans) et autoritaire, Imredy, très orgueilleux, se heurte souvent à ses collègues du gouvernement (Kanya, ministre des Affaires étrangères, Keresztes-Fischer, ministre de l’Intérieur, placés là par Horthy pour le surveiller) et du Parti gouvernemental (Lukacs). Il entame une violente campagne antisémite et s’efforce d’imposer un numerus clausus : les Israélites ne doivent pas dépasser 6 % des membres des professions libérales, ils ne doivent pas être plus de 12 % dans le commerce et l’industrie. Mais l’action antisémite du Premier ministre ne tarde pas à se heurter à un obstacle de taille : le manque de personnel qualifié apte à remplacer les juifs éliminés.

Par exemple, on recense (avec de nombreuses fraudes, bien entendu) 42.200 Juifs dans le commerce, l’industrie et les finances ; 12.652 doivent céder leur place à des Hongrois. Or, on ne trouve que 8.824 candidats, dont 2.000 sont si incompétents que des cours spéciaux doivent être établis pour leur permettre d’assurer tant bien que mal leur travail.

Comme en Roumanie, au temps très bref du gouvernement national-chrétien de Goga et de Cuza, la vie économique est désorganisée par la politique antisémite d’Imredy. Les juifs font pression sur Horthy, sur de nombreux députés gouvernementaux et sur certains ministres. Le comte Bethlen mène une active campagne contre le Premier ministre dont l’attention est bientôt accaparée par les problèmes extérieurs.

En effet, la tension ne cesse de grandir entre la Tchécoslovaquie et l’Allemagne, du fait du problème des Sudètes. La Hongrie s’y intéresse fort du fait des revendications du pays sur la Slovaquie et sur la Ruthénie Subcarpatique. À mesure que la menace de guerre se rapproche, l’Allemagne souhaite connaître la position de la Hongrie en cas de guerre. Imredy est favorable, si nécessaire, à une intervention armée aux côtés du Reich, d’autant que la Pologne, seule amie de l’État magyar en Europe Orientale, fait savoir à Imredy qu’elle attaquera la Tchécoslovaquie dès le début des hostilités germano-tchèques. Le Régent, au contraire, se montre beaucoup plus réticent, tout en rappelant fréquemment à Hitler la fraternité germano-hongroise dans les tranchées de la première guerre mondiale.

Le sentiment nationaliste hongrois s’exaspère et le 21 septembre 1938, au moment où la guerre paraît inévitable, une formidable manifestation anti-tchèque a lieu place de la Liberté, à Budapest. 200.000 Hongrois s’y massent aux cris de « Vive Hitler, vive Imredy, mort aux juifs, mort aux Tchèques ! ».

Une pseudo « Brigade volontaire », composée d’unités camouflées, opère en Slovaquie et en Ruthénie pendant sept semaines, de la fin de septembre au début de novembre 1938. Malgré le succès de la Conférence de Munich, qui écarte provisoirement la guerre, il s’agit pour la Hongrie d’obtenir une part des dépouilles de la Tchécoslovaquie. Les menaces hongroises sont parallèles à la mobilisation polonaise, qui faillit provoquer une guerre ouverte entre Varsovie et Prague. Finalement, le premier arbitrage de Vienne, le 2 novembre 1938, effectué par l’Allemagne et l’Italie, entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie, rétrocède à Budapest 11.830 kilomètres carrés, peuplés de 862.742 habitants, dont 764.915 Hongrois. Quoique les revendications hongroises soient loin d’être complètement satisfaites, c’est cependant un grand succès pour Bela Imredy, qui commence ainsi à « effacer Trianon de l’Histoire ».

Mais pendant ce temps, l’opposition intérieure s’est déchaînée contre Imredy, dont la position paraît bien vite moins assurée. Bien que président en titre du Parti de l’union nationale depuis mai 1938, Imredy le contrôle de plus en plus mal et se replie sur son Mouvement de la vie hongroise, animé par Marton et Mecser, autour du journal Uj Magyansag (Le nouveau peuple hongrois), mais qui ne compte que 94 députés sur les 131 du parti gouvernemental. Bethlen a l’appui des 30 députés de son groupe, des libéraux, juifs d’origine, des sociaux-démocrates, du Parti paysan et d’une trentaine de députés du Parti de l’union nationale. Dans le pays les hungaristes ne désarment pas et s’en prennent avec violence à Imredy, en réclamant la libération de leur chef emprisonné.

Bela Imredy, menacé de tous côtés et qui sentant que le Régent sabote en sous-main sa politique, ne se résout pas à s’avouer vaincu. Il prépare toute une série de nouvelles mesures antisémites, lorsqu’un coup de tonnerre éclate. Le farouche antisémite Imredy a du sang juif dans les veines ! (il semble que le Premier Ministre n’était pas au courant de ce détail) ; il chancelle sous le coup. Le 23 janvier 1939, il se présente devant le Parlement et est battu par 115 voix contre 94.

Décompte des voix :

Pour Imredy : 94 députés du MVH-PUN.

Contre Imredy : 115 députés soit Groupe Bethlen : 30, Chrétiens : 7, Dissidents PUN : 27, S-D. : 11, Libéraux et divers : 12, Petits propriétaires : 24, Paysans : 4.

Abstentions : 36 députés soit Chrétiens : 7, Défenseurs de la race : 12, Nationaux-socialistes : 3, Indépendants : 4, PUN : 10.

Abandonné par une bonne partie de ses anciens partisans, Imredy finit par capituler et remet sa démission à Horthy le 15 février 1939. Il est remplacé le lendemain par le très modéré comte Pal Teleky et il est si abattu qu’il accepte peu de temps après la fusion du groupe Bethlen, du Parti de l’union nationale et de son propre mouvement en un parti unifié, le Parti de la vie hongroise (Magyar Elet Partja) où il ne va jouer aucun rôle pendant plus de dix-huit mois.

Tandis que le « fascisme parlementaire » d’Imredy s’effondre aussi rapidement, le « fascisme populaire » des camarades de Szalasi devient un danger immédiat et tangible pour le personnel dirigeant de Budapest. Après Imredy, Teleki s’y attaque selon la méthode devenue rituelle. Dès sa prise de pouvoir, le 24 février 1939, il interdit le Mouvement hungariste. Les élections sont prévues pour mai 1939, ce qui doit logiquement empêcher les hungaristes d’y participer, et briser l’élan du mouvement.

Le calcul de Teleky va être déjoué par l’habileté de Kalman Hubay qui utilise, lui aussi, cette proximité des élections pour tourner l’interdiction en lançant aussitôt un nouveau parti. Ainsi naît le Parti de la croix fléchée (Nyilas Kereszkes Partja), qui profite du formidable impact populaire de Ferenc Szalasi, vers qui se tournent avec espoir des centaines de milliers de Hongrois, spécialement ceux qui appartenant aux classes les plus pauvres.

Tous les partis se lancent avec fureur dans la campagne électorale que l’on considère comme devant être décisive.

Mais de graves événements se produisent aux frontières de la Hongrie ; le 15 mars, après quelques semaines de crise, la Tchéco-slovaquie (le tiret marquant la récente structure fédérale du pays) se morcelle, la Slovaquie proclame son indépendance malgré des tentatives diplomatiques des Hongrois pour aboutir à une union fédérale Hungaro-Slovaque. Pour la Ruthénie Subcarpatique, il en va tout autrement ; ce minuscule pays, sous la direction théorique de Mgr Volosin, est devenu la place forte du nationalisme ukrainien. Le chef militaire de l’OUN (Organisation militaire ukrainienne) Chuvevich (le futur chef de l’UPA Armée de libération de l’Ukraine), organise une petite armée ; certains chefs de l’UNDO (Organisation ukrainienne de Pologne) se rendent à Uzhorod la capitale, à la grande inquiétude de Varsovie et de Moscou, qui craignent que la Ruthénie Subcarpatique devienne le « Piémont » ou la « Prusse » d’une future « Grande Ukraine ». Comptant sur l’anti-bolchevisme de Hitler, Mgr Volosin se précipite à Berlin pour demander la protection de l’Allemagne, après avoir proclamé l’indépendance du pays. Mais Hitler est déjà en négociation avec Staline et paraît lui avoir offert la liquidation de l’État ukrainien comme gage de ses intentions pacifiques et de son abandon de tout projet sur l’Ukraine. Aussi refuse-t-il l’offre de Mgr Volosin, qui perd tout espoir de sauver son pays ; le 18 mars, un corps d’armée de la Honved (Armée hongroise) entre en Ruthénie et avance vers Uzhorod, malgré l’héroïque résistance des milices ukrainiennes. Il faudra plusieurs semaines à la Honved pour briser totalement la résistance des nationalistes ukrainiens. Finalement, le 4 avril 1939, le nouvel État Slovaque de Mgr Tiso et la Hongrie signent un protocole de délimitation des nouvelles frontières hungaro-slovaques, tandis que la Ruthénie est annexée purement et simplement. Cette fois-ci, Budapest s’empare de plus de 11.000 kilomètres carrés, peuplés de 650.000 habitants (dont moins de 150.000 Hongrois, avec une grosse majorité d’Ukrainiens). Surtout, Pologne et Hongrie ont la frontière commune rêvée depuis la fin de la guerre mondiale et le démembrement du Royaume de saint Étienne.

Les élections de mai vont se produire après cet éclatant succès de la politique hongroise qui, sans rien risquer, et au prix de pertes infimes, a récupéré en deux fois 23.000 km2 et plus de 900.000 Hongrois (sur les 1.500,000 habitants de ces régions). Elle a, certes, perdu l’occasion de reprendre, sous une forme camouflée, la Slovaquie, mais, malgré cet échec, le bilan est incontestablement très positif.

Pour ces élections, le nombre des sièges à la chambre des députés a été porté de 245 à 264 et la partie s’annonce serrée, quoique le parti gouvernemental, grâce au découpage des circonscriptions, soit, de toute façon, assurée d’une très large majorité.

Le point essentiel est de savoir si la vague nationale-socialiste sera contenue et si le Parti de la croix fléchée va, ou non, prendre le dessus sur les autres mouvements fascistes, en bref de savoir si le fascisme hongrois va demeurer respectueux de la hiérarchie sociale et des structures réactionnaires de la Hongrie ou, au contraire, va devenir une force révolutionnaire, contestant la Hongrie des grands propriétaires terriens, sur laquelle règne Horthy, le roi sans couronne.

Les résultats des élections, malgré les fraudes, les procédés d’intimidation (tel que l’arrestation préventive des militants Croix fléchée la veille du scrutin et leur libération le lendemain des élections, afin de les empêcher de voter, méthode classique de la gendarmerie hongroise, fort pratiquée dans les petits villages), montrent aussitôt, à côté du maintien attendu des positions gouvernementales, l’extraordinaire succès de Szalasi, toujours emprisonné :

— Parti de la vie hongroise : 186 sièges (l’accroissement des sièges du parti gouvernemental est surtout dû à l’augmentation du nombre total des députés ainsi que, dans une moindre mesure, du repli des libéraux et de l’Union chrétienne, en pleine décomposition, et de l’échec des Petits propriétaires).

— Parti de la croix fléchée : 29 députés(avec près de 17 % des voix); le succès du parti est particulièrement net à Budapest, Debreczen, Szeged, Kesckemet, Pecs, ainsi que dans les campagnes les plus pauvres. Dans les villes, les Croix fléchées écrasent le Parti social-démocrate, qui s’effondre ; à la campagne, ils progressent aux dépens de l’Union chrétienne et des Petits propriétaires ; en outre, il bloquent de façon sensible la montée escomptée des autres mouvements fascistes.

— Parti des petits propriétaires : 14 députés (les pertes du parti sont dues à la fois au parti gouvernemental et aux Croix fléchées. Ces derniers l’ont privé de la fraction de petits fermiers et ouvriers agricoles qui votaient auparavant pour lui, en tant que défenseur des intérêts des « petits » face aux grands propriétaires fonciers).

— Parti social-démocrate : 5 députés (les élections marquent la chute brutale des sociaux-démocrates qui ont perdu en 15 ans les 3/4 de leur électorat et qui s’avèrent balayés par la progression des Croix fléchées, qui les ont déjà débordés dans le domaine syndical).

— Libéraux (Parti des citoyens libres) : 5 députés (les pertes des libéraux sont d’origines diverses ; certains électeurs juifs, rayés des listes électorales par Imredy, n’ont pas retrouvé leur statut d’électeur et leurs votes font défaut au parti de Rassay ; d’autres électeurs israélites terrorisés par la montée du fascisme et de l’antisémitisme, votent pour le parti gouvernemental, meilleure barrière à la prise du pouvoir par les Croix fléchées. Les quelques électeurs « aryens » des Libéraux font défection et votent pour les partis droitiers).

— Parti paysan : 4 députés (le parti de Verres continue à regrouper une petite fraction de la paysannerie pauvre et, ayant largement entamé l’électorat des autres partis agraires, répare ainsi les pertes subies du fait de la concurrence des Croix fléchées, dont la propagande a particulièrement visé cette couche sociale).

— Front chrétien national-socialiste : 3 députés (le parti de Mesko est le seul mouvement fasciste, mis à part celui de Szalasi, a obtenir un net succès, puisqu’il triple sa représentation parlementaire, à vrai dire fort réduite ; ses voix ont été obtenues parmi les paysans aisés, les fermiers et une fraction de la bourgeoisie des villes).

— Front national : 3 députés (l’échec de Palffy, de Festetics et de Rajniss est très net ; leurs effectifs parlementaires progressent à peine, de 2 à 3, alors que leurs espoirs d’une progression massive étaient très grands ; la région de Debreczen reste la base de leur mouvement qui n’a pas réussi à s’implanter en Hongrie Occidentale).

– Front uni national-socialiste : 5 députés (la nouvelle organisation nationale-socialiste n’obtient qu’un nombre limité de sièges malgré l’appui de l’ancien parti de la minorité hongroise de Slovaquie de A. Jaross, qui anime le Front uni et lui fait obtenir ses quelques succès dans les régions reconquises sur la Tchécoslovaquie).

— Défenseurs de la race : 4 députés (les continuateurs du parti de Gömbös s’effondrent complètement, plus du fait de la concurrence des petits partis nationaux-socialistes que de celle des Croix fléchées, qui ne s’adresse pas spécialement au même électorat).

— Union chrétienne : 3 députés (effondrement complet du parti de Friedrich qui perd les 3/4 de son électorat résiduel ; une bonne partie de cet électorat paraît avoir été récupérée par le Parti de la vie hongroise, le reste passant aux Croix fléchées).

— Volonté du peuple : 1 député (petit parti fasciste constitué par des dissidents droitiers des Croix fléchées, qui n’obtient aucune audience populaire).

— Non partisans, indépendants : 2 députés (en général, les indépendants étaient assez proches des libéraux ; les 2 députés dans ce cas sont, cette fois-là, plus près du parti gouvernemental).

Après ces élections qui marquent ainsi le succès du mouvement de Szalasi mais aussi celui du parti gouvernemental qui dispose d’une très large majorité, d’intenses efforts sont faits par les divers mouvements fascistes pour s’unifier, afin de faire pièce aux Croix fléchées, tandis que ces dernières ont un net pouvoir d’attraction sur certains députés nationaux-socialistes élus sur d’autres listes.

Palffy et Festetics entame des négociations avec les divers groupes fascistes et reforment, sur une base plus large, l’ancien Parti national-socialiste unifié qui dispose de 11 députés (FN, FUNS, FCNS). Deux députés des Défenseurs de la race et le député de la Volonté du peuple rejoignent les Croix fléchées. Du fait de la montée victorieuse des Croix fléchées, l’opposition nationale a supplanté l’opposition de gauche et de centre-gauche, et trois blocs se partagent dès lors l’Assemblée :

  1. — Le Bloc gouvernemental : 191 députés(186 du PVH, 3 de l’Union chrétienne, 2 indépendants).
  2. — L’opposition de gauche et de centre-gauche : 28 députés(14 Petits propriétaires, 5 Libéraux, 5 SD, 4 Paysans).
  3. — L’opposition nationale : 45 (2 Défenseurs de la race, 11 PNSU, 32 CF (29 + 2 DR + 1 Volonté du peuple).

L’Opposition de gauche tenta alors de former un mouvement commun pour bloquer l’avance des Croix fléchées. C’est ainsi, qu’écartant les bourgeois juifs du Parti des citoyens libres, les trois partis populaires : SD, Paysans et Petits propriétaires, constituent juste après les élections un Front de marche contre les Croix fléchées, afin de leur disputer la classe ouvrière, les travailleurs agricoles et les petits fermiers. Ce Front de marche n’a qu’un succès très limité, tandis que le parti de Szalasi (que Teleki s’obstine à ne pas gracier) continue à se développer, il met même sur pied des « milices à chemise verte » de type para-militaire et peut compter sur la sympathie agissante de nombreux jeunes officiers, en dépit de toutes les interdictions administratives. On peut légitimement penser que les Croix fléchées sont à la veille de se lancer dans une action de type putschiste, d’autant qu’affluent dans leurs rangs (comme toujours dans ce cas) impatients divers, ambitieux, voire éléments plus que douteux, qui n’envisagent guère de se maintenir dans une timide opposition légaliste (d’autant que les divers groupes nationaux-socialistes viennent de grouper plus de 25 % des voix et que leur ascension paraît devoir se poursuivre longtemps encore). Mais Hubay persiste à se maintenir dans une prudente réserve et entame des négociations avec le Parti national-socialiste unifié en vue d’une possible fusion entre les deux forces principales de l’opposition nationale. Bela Imredy, qui commence à refaire surface, suit avec beaucoup d’attention ces projets et encourage les chefs du PNSU à accepter les propositions de Hubay, il pense probablement arriver à diriger en sous-main le nouveau et puissant Parti unifié, tout en écartant Szalasi de la direction effective de son propre mouvement. On commence alors à parler d’un gouvernement de Front National Imredy, Palffy, Hubay, tandis que s’approche rapidement une nouvelle guerre mondiale.

L’Allemagne, allié dans les faits sinon juridiquement, de la Hongrie, se prépare à entrer en guerre contre la Pologne, meilleure amie de Budapest. Aussi, dès le 29 juillet 1939, Teleki envoie à Hitler une lettre dans laquelle il lui signale que son pays : « par suite de considérations morales, ne saurait entreprendre aucune action militaire contre la Pologne » Lorsque la guerre éclate, les Allemands, qui utilisent le territoire slovaque comme base de départ d’une offensive de débordement de Cracovie (avec le soutien de trois divisions slovaques), demandent, le 9 septembre 1939, dans une lettre adressée par Ribbentrop au comte Csaky, ministre des Affaires étrangères de Teleki, la possibilité pour la Wehrmacht d’utiliser la voie ferrée de Kassa (Kosice) pour l’acheminement de matériel et d’hommes. Le même jour, la Hongrie refuse et Horthy donne l’ordre à la Honved d’être prête à saboter la voie ferrée au cas où les Allemands décideraient de l’utiliser en usant de la force. Les rapports entre le IIIe Reich et la Hongrie fraîchissent beaucoup, d’autant que les Hongrois accueillent très libéralement les dizaines de milliers de soldats et de civils polonais qui se réfugient sur son sol. Budapest, de plus, fermera les yeux sur les multiples « évasions » de soldats polonais se réfugiant en Syrie ou à l’Ouest pour y reconstituer une armée polonaise (comme l’indique le général Maczek, chef de la Brigade motorisée polonaise, lui et ses hommes ne rencontrèrent aucune difficulté pour quitter la Hongrie et rallier la France puis, après la débâcle de 1940, la Grande- Bretagne, où ils devaient former la célèbre 1ère  Division blindée polonaise).

Cependant les succès allemands transforment complètement la situation de l’Europe Orientale ; par une bizarrerie de l’Histoire, la Hongrie, qui ne fait rien pour le Reich et gardera jusqu’en mars 1944 une réserve boudeuse à son égard, profite au maximum des victoires germaniques.

Si, craignant l’expansion soviétique, elle ne bouge pas lorsque, en fin juin 1940, Moscou exige de la Roumanie la cession de la Bessarabie et de la Bukovine du Nord, en suggérant à Budapest de se joindre à la curée, la Hongrie reprend ses revendications territoriales quelques semaines après. Sous la menace d’une action militaire, Bucarest accepte le principe d’une négociation qui, à la suite de l’intervention germano-italienne (les Italiens soutenant fidèlement leurs amis hongrois), est conclue par le deuxième arbitrage de Vienne, le 30 août 1940.

Bien que la Hongrie réclame : « la création d’un nouvel État Transylvain au sein duquel les éléments allemands, hongrois et roumains seraient dirigé avec des droits égaux » (espérant sans doute que le nouvel état tombe rapidement sous son protectorat, du fait de la décomposition rapide de la Grande Roumanie), l’accord consacre la division de la Transylvanie :

—   43.500 km2 avec 2.185.546 habitants (dont 1.123.216 Hongrois et 916.690 Roumains) sont cédés à la Hongrie avec les vieilles villes de Nagyvarad et de Kolozsvar (Cluj), dans la Transylvanie du Nord.

—   60.000 km2 et 3.000.000 d’habitants (environ 2.000.000 de Roumains, 500.000 Hongrois et près de 500.000 Allemands) restent dans les frontières de la Roumanie (il s’agit de la Transylvanie du Sud).

Alors que les Roumains considèrent l’accord comme un Diktat, qui entraîne aussitôt la chute du roi Carol, les Hongrois ne sont guère satisfaits, les extrémistes réclamaient la Transylvanie tout entière et reprochent à Horthy de laisser plus de 500.000 frères de race sous le joug des Roumains, joug encore plus dur car les Roumains sont exaspérés par l’humiliation subie. Toujours est-il que loin de résoudre la querelle pendante hungaro-roumaine, l’arbitrage de Vienne la renforce ; désormais Roumains et Hongrois ne vont plus rêver que d’en découdre, alors que le sort va les faire devenir alliés. Des alliés bien singuliers et difficiles pour le IIIe Reich qui les a rangés sous sa houlette. Tandis que se reconstitue lentement une Grande Hongrie, une intense agitation secoue le pays, sur le plan social autant que sur le plan politique.

Sur le plan social, la libération de Szalasi, à l’automne de 1940 est suivie d’une formidable explosion : la grande grève des mineurs d’octobre 1940, organisée et conduite par le syndicat Croix fléchée. Cette grève, la plus longue et la plus dure, menée par le prolétariat hongrois, voit des milliers de Croix fléchées mis en prison, des centaines de mineurs licenciés. La gendarmerie et la troupe occupent les mines, tandis que des incidents sanglants éclatent entre les mineurs et les forces de l’ordre. Des sabotages se produisent et la grève devient totale, les mineurs exigeant d’importantes augmentations de salaires (de l’ordre de 40 à 60 % selon les catégories). Le gouvernement, poussé par les capitalistes désireux de défendre leurs intérêts directement menacés, s’oppose avec violence à la grève. Finalement, l’impact de la grève est tel (car les postiers se mettent en grève, les syndicats des employés des tramways et des chemins de fer, aux mains des Croix fléchées, font de même) que les propriétaires, poussés par Teleky qui craint un mouvement révolutionnaire, cèdent et accordent de substantielles augmentations de salaires.

La campagne a aussi bougé et des grèves d’ouvriers agricoles ont éclaté tandis que les revendications agraires deviennent de plus en plus violentes.

Sur le plan politique, l’agitation n’est pas moins grande : Imredy, de plus en plus hostile à Teleki, qu’il accuse de gaspiller la chance inespérée que représente l’amitié allemande pour agrandir le territoire hongrois, décide de faire scission du parti gouvernemental. Un faible nombre de ses amis ayant été accepté sur les listes du Parti de la vie hongroise pour les élections de 1939, il n’entraîne avec lui, à l’automne de 1940, que 26 députés, avec qui il lance un nouveau parti extrémiste de droite : le Parti du renouveau hongrois (Magyar Megujular Partja), avec l’actif soutien, y compris financier, de l’ambassade allemande, et des agents du SD, qui poussent à la constitution d’un bloc uni de l’opposition nationale.

Cette opposition nationale est déjà en voie d’unification ; profitant de l’exclusion du Parlement pour menées subversives de plusieurs députés Croix fléchées (membres de l’aile gauche du parti), Kalman Hubay a considérablement renforcé sa position au sein du mouvement, ce qui lui permet de relancer les négociations en vue d’une fusion des mouvements nationaux-socialistes. À ce moment, après exclusion du Parlement et démissions du parti, le groupe parlementaire Croix fléchées ne compte plus que 23 députés (3 ont été exclus et 6 ont démissionnés), tandis que le Parti national-socialiste unifié conserve ses 11 députés. Quant aux autres petits partis, ils suivent désormais Imredy, au sein d’un groupe parlementaire commun représentants l’aile modérée du parti.

Malgré la violente opposition de l’aile gauche des Croix fléchées, qui ne veut pas fusionner avec les « réactionnaires » du PNSU, Hubay arrache à son parti l’accord à la fusion des deux organisations. Ferenc Szalasi, qui est hostile à un tel accord, est provisoirement éliminé, du fait d’une dépression nerveuse l’ayant frappé en prison, et ne parvient pas à s’y opposer d’une façon efficace.

En septembre 1940, au moment même où les syndicats Croix fléchées se préparent à se lancer dans une puissante action revendicative, leur parti et le PNSU constituent un mouvement unique : le Parti national-socialiste hungariste de la croix fléchée (Magyar Nemzeti Socialista Nyilas Kerezste Partja), fort de plus de 250.000 membres (dont les 4/5ème proviennent des partisans de Szalasi) et de 34 députés.

Dès que le nouveau parti est formé, K. Hubay, Palffy et Festetics, qui paraissent alors avoir complètement supplantés Szalasi, reprennent contact avec Bela Imredy pour constituer un grand parti nationaliste, qui pourrait, en attirant à lui certains députés gouvernementaux, parvenir au pouvoir, en accord avec le Régent. Les Allemands, qui détestent Szalasi et se méfient considérablement des Croix fléchées, poussent activement à la fusion, qui servirait d’excellent moyen de chantage sur Horthy et ses ministres, peu favorables à un alignement inconditionnel sur le Reich. Ainsi, les ultra-nationalistes et les modérés anglophiles étant exclus, les germanophiles prendraient en mains les destinées de la Hongrie, pour le plus grand profit du IIIe Reich.

Mais Szalasi ne veut à aucun prix d’une collaboration avec son ennemi mortel Imredy, l’homme qui l’a fait condamner et mettre en prison.

Hubay, circonvenu par les Allemands, est incapable de lui faire accepter l’idée d’une fusion et la manoeuvre d’Imredy échoue complètement. Ce dernier va cependant poursuivre ses intrigues pour faire éclater le PNS de la croix fléchée, en attirant à lui les éléments de droite du parti.

Mais des événements très graves ne tardent pas à survenir ; l’orage éclate d’abord au Sud de la Hongrie, en Yougoslavie. Celle-ci s’était rapprochée de Budapest et avait conclu, le 12 décembre 1940, un traité « d’amitié éternelle » et de « paix constante » avec la Hongrie. Le Régent Paul avait repris l’ancienne politique de Stoyadinovitch, qu’il avait pourtant mis en prison, et s’était montré disposé à adhérer au Pacte Tripartite, soulevant ainsi une crise grave au sein du gouvernement Tsvetkovitch (démission des ministres de la Justice, de l’Agriculture et de l’Instruction publique, le 20 mars 1941). Le 25 mars 1941, la Yougoslavie adhère au Pacte mais le 27, le général Simovitch fait un coup d’état, liquide la régence, intronise roi le jeune Pierre II, et forme un nouveau ministère qui répudie le Pacte. Malgré la conclusion d’un pacte d’amitié entre la Yougoslavie et la Russie Soviétique, le 5 avril 1941, l’Allemagne attaque le pays dès le lendemain. Or, le 1er avril, le Reich a demandé à la Hongrie d’attaquer la Yougoslavie (comme veut le faire la Bulgarie et l’Italie). Plutôt que d’accepter, le comte Teleki se suicide le 3 avril et Bardossy, son ministre des Affaires étrangères (Csaky étant mort en janvier 1941) lui succède aussitôt, en cumulant les deux postes. Ne se sentant pas gêné par le pacte d’amitié hungaro-yougoslave, Bardossy lance à l’attaque de la Yougoslavie la IIIème armée hongroise. En quelques jours, l’armée yougoslave s’effondre et la Hongrie obtient une part appréciable des dépouilles des pays vaincus : à l’Ouest, le petit triangle de territoire compris entre la Drave et la Muj, le Muraköz ; à l’Ouest, la Baranya, entre la Drave et le Danube et la Bacska, entre le Danube et la Tisza.

Les Hongrois auraient voulu en outre annexer le Banat yougoslave, mais le général Antonescu concentra plusieurs divisions dans le Banat roumain et annonça que l’entrée du premier homme de la Honved dans le Banat yougoslave donnerait le signal de la guerre hungaro-roumaine.

De ce fait, les Allemand, qui voulaient ménager Antonescu, dont ils auraient besoin dans le cadre de leur future guerre contre l’URSS, intervinrent et occupèrent provisoirement la région, nouvelle pomme de discorde entre Hongrie et Roumanie.

La Hongrie, malgré ce dernier mécompte, pourrait estimer que son adhésion au Pacte Tripartite (le 20 novembre 1940) lui avait valu des avantages substantiels.

Tout ceci n’empêchait pas Horthy et le gouvernement Bardossy de poursuivre, dans la mesure du possible, la politique du comte Teleky, et de rester dans des dispositions finalement peu favorables à l’Allemagne, ce qui soulevait la violente querelle d’Imredy et des amis du clan national-socialiste, mais qui était fort bien accepté par Ferenc Szalasi et ses collaborateurs les plus fidèles. Le moment décisif arriva plus vite que prévu ; le 22 juin 1941, la Wehrmacht attaqua l’URSS. Aussitôt les militaires hongrois proclamèrent, soutenus par l’aile droite du Parti de la vie hongroise (L. Szasz, S. Antal, Tasnady-Nagy), par Imredy, par Palffy et Hubay (mais Szalasi n’y est pas favorable, malgré son anti-bolchevisme, car il craint que la guerre ne permette à l’Allemagne de supprimer l’indépendance nationale), que la Hongrie doit se joindre à l’Allemagne. Les Roumains participant activement à la guerre, les nationalistes hongrois avaient peur que le Reich, après sa victoire, ne rende à la Roumanie la portion de Transylvanie annexée par Budapest. Dès le 23 juin, le chef de l’état-major, le général Werth (Volksdeutsche) demande l’entrée en guerre, soutenu par son adjoint Szombathelyi (de son vrai nom Knaus, autre Volksdeutsche). Horthy tergiverse et s’efforce d’éviter la guerre, mais le 26 juin, les ville de Kassa et Munkacs dans le nord du pays sont bombardées par des avions inconnus, que la Honved déclare être des avions russes. Le 27, la Hongrie se déclare en état de guerre avec la Russie Soviétique, mais, plus tard, on estimera qu’il s’agissait d’avions de la Luffwaffe camouflés, agissant peut-être en accord avec l’état-major hongrois.

Le Gouvernement hongrois n’envoie cependant que de faibles forces en Russie, alors que la Roumanie se lance à fond dans la croisade contre le bolchevisme. Dans le pays, Imredy fait une campagne, fracassante contre le gouvernement et exige l’envoi d’une forte armée vers le front de l’Est, où les divisions allemandes collectionnent les victoires et avancent rapidement vers Moscou.

Parallèlement, Imredy s’efforce de faire éclater le PNS de la croix fléchée, en misant sur les tensions qui opposent son aile gauche à son aile droite. Ses efforts ne vont pas tarder à être couronnés de succès et, à l’automne de 1941, Palffy, Festetics et Kalman Hubay font sécession. Le Parti national-socialiste de la croix fléchée éclate en plusieurs tronçons :

1 — Les éléments les plus réactionnaires, sous la direction de Jaross, passent directement au Parti du renouveau hongrois (quelques milliers d’adhérents et 2 députés).

2 — La majorité de l’ancien PNSU et de l’aile droite du Mouvement hungariste reconstituent le Parti national-socialiste unifié (20.000 adhérents et 13 députés). Le PNSU conclut aussitôt un pacte d’unité d’action avec le Parti du renouveau hongrois et accepte de se placer sous le leadership d’Imredy.

3 — Les fidèles de Szalasi réforment le Parti de la croix fléchée et se renferment dans une hostilité absolue à l’encontre du « traître » et d’Imredy (120.000 adhérents, 19 députés).

Plus de la moitié des militants du parti unifié ont refusé de rejoindre l’un des camps opposés et cessent de faire de la politique, quand ils ne commencent pas à prêter l’oreille aux propos de l’opposition de gauche, quand ce n’est pas aux appels du Parti communiste clandestin.

Le mouvement national-socialiste est terriblement touché par la scission et perd tout dynamisme ; sa chute ne profite d’ailleurs pas à Bela Imredy, dont toutes les intrigues échouent les unes après les autres, Horthy continuant de faire une confiance entière à Bardossy, du moins pour quelques temps. En effet, Bardossy, quoique avec plus de modération qu’Imredy, fait le même pari que ce dernier : il croit en la victoire de l’Allemagne et entend agir en fonction de cette hypothèse.

Horthy, lui, ne croit pas en la victoire du Reich et souhaite dégager la Hongrie du conflit ; aussi limoge-t-il Bardossy, dès qu’il voit que l’URSS réussit à faire face à la Wehrmacht et que les USA se joignent à la coalition alliée. Le 10 mars 1942, Kallay le remplace et entreprend aussitôt d’avoir des contacts avec les Occidentaux tout en muselant l’opposition de droite. Les pressions allemandes lui imposent cependant l’envoi en Russie d’une armée entière, la IIème armée qui, en janvier 1943, est anéantie, son IIIème CA s’étant rendu presque sans résistance. De plus, les USA déclarent la guerre à la Hongrie 5 juin 1942 (la Grande-Bretagne les a précédés le 6 décembre 1941). Kallay essaie de freiner la marche vers l’abîme, il déclare le 21 novembre 1942 : « Le pays ne recherche aucun agrandissement territorial. C’est la nécessité qui l’a obligé à prendre les armes ».

Après le désastre de Stalingrad et la disparition quasi complète de la IIème armée hongroise, Horthy rencontre Hitler le 4 mai 1943 et refuse d’envoyer de nouvelles forces sur le front de l’Est. Pour se débarrasser d’Imredy et de la gauche qui l’attaquent pour des motifs différents, le gouvernement renvoie sine die le Parlement le 4 mai 1943.

Kallay multiplie les déclarations d’indépendance, qui sont autant d’attaques camouflées, contre l’Allemagne. Ainsi le 27 août 1943 : « Ne comptons que sur nos propres forces et pratiquons une politique exclusivement hongroise ».

Mais les Allemands, qui ont vent des efforts des petits États pour se retirer du conflit ne l’entendent pas ainsi. Alors que les Russes se rapprochent de plus en plus de la Hongrie, Hitler convoque le Régent et, le 18 mars 1944, la délégation hongroise refuse les exigences allemandes. Le lendemain, quatre divisions Waffen SS et cinq divisions de la Wehrmacht envahissent le pays.  Kallay s’enfuit à la légation de Turquie ; les mouvements de gauche regroupés dans le Front de l’indépendance, après avoir juré de résister par les armes, ne font rien. Imredy et le PNSU acclament l’initiative des Allemands, que Szalasi refuse d’approuver. Les Allemands arrêtent Eckhardt (chef des Petits propriétaires) et Peyer (social-démocrate) et commencent à installer leurs forces de police dans le pays. Le SS Obergruppenführer Winckelmann devient Höherer SS und Polizeiführer (chef suprême des SS et de la Police) à Budapest, où arrive Eichmann, chargé d’organiser la déportation des juifs que le Régent a protégé jusque là.

Le gouvernement Kallay s’étant désintégré, les Allemands imposent à Horthy un gouvernement Sztojay. Le général Dome Sztojay (ancien attaché militaire à Berlin) est un germanophile notoire, un ami d’Imredy et un fanatique adversaire de Szalasi. Le nouveau gouvernement est formé le 23 mars 1944, avec le concours des partis suivants :

—   Parti de la vie hongroise avec L. Szasz (ministre de l’industrie) et S. Antal (justice et instruction publique), membres de l’aile droite du parti, Remenyi-Schneller (finances) et Jurcsek (agriculture), agents de l’ambassadeur du Reich, Weesenmayer ; Homan (sans portefeuille, ministre de l’économie par intérim), Rakovzky (santé et travail), Schell (communications et travaux publics), centristes du PVH et fidèles soutiens du Régent ; le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, Fay, est dans le même cas et est chargé par Horty de surveiller Szotjay.

—   Parti du renouveau hongrois : A. Jaross (ministre de l’Intérieur), A. Kunder (commerce), E. Racz (Vice- premier ministre), Baky (secrétaire d’état chargé des mesures antisémites). Le chef du Parti du renouveau devient, en mai, ministre sans portefeuille puis ministre de l’Agriculture.

—   Parti national-socialiste unifié : Endre (secrétaire d’État aux affaires juives). Le PNSU s’est montré réticent à l’égard du nouveau gouvernement et n’a délégué qu’un seul de ses membres.

Quant aux Croix fléchées, Szotjay prend des mesures contre eux et dissout l’organisation ultra-nationaliste des Touraniens, aussi anti-allemands qu’anti-soviétiques, il commence en même temps une grande campagne antisémite qu’orchestrent les extrémistes du PRH et du PNSU. Baky et Endre, soutenu par le lieutenant-colonel de gendarmerie Ferenczy et le SS Hauptsturmführer hongrois Uldi « empoignent » la population juive par dizaines de milliers et les livrent aux services d’Eichmann.

Le 19 juin 1944, Jarass proclame : « L’élément de base de la politique hongroise est la collaboration étroite avec l’Allemagne ».

Horthy, lui, multiplie les contacts avec les Occidentaux et avec les Russes, tandis que son deuxième fils, Nicolas, entretient des contacts avec les partis de gauche, les communistes et tente d’entrer en rapport avec les partisans titistes (le fils aîné du Régent, Stephan Horthy, nommé vice-régent, s’est tué en avion en août 1942). Les interventions suisses et américaines, celles du Vatican, amènent Horthy à s’opposer aux déportations des juifs et à se heurter aux Allemands et à leurs auxiliaires hongrois. Furieux, Endre, Baky et Ferenczy préparent un coup de force contre le Régent au début de juillet 1944, avec, semble-t-il, le soutien d’Imredy et de Palffy. Horthy réagit avec vigueur à la concentration d’unités de gendarmerie autour de Budapest ; il fait converger des unités de choc de l’armée vers la capitale, réduit les attributions d’Endre et de Baky, se réconcilie provisoirement Ferenczy et prépare l’éviction des extrémistes du gouvernement. Le 7 août, tous les ministres du Parti du renouveau hongrois démissionnent, Imredy en tête, devant le refus d’une « solution finale » du problème juif, Horthy, qui estime la situation militaire désespérée, va se débarrasser ensuite de Szotjay.

La trahison de la Roumanie prend de vitesse Horthy et menace gravement la Hongrie ; le Régent se décide à accélérer les événements, bien que des troupes allemandes arrivent pour défendre le territoire hongrois, tandis que Bela Teleki, chef des Hongrois de Transylvanie, lance un appel aux armes contre les Russo-Roumains.

Le 29 août, Horthy démissionne d’office Szotjay et nomme, le 30, le général Vitez Ceza Lakatos comme chef d’un nouveau cabinet où Csatay conserve le ministère de la guerre et où le maréchal Henyey devient ministre des Affaires étrangères. Il s’agit pour le gouvernement Lakatos d’essayer de conclure un armistice avec les Russes avant que ces derniers n’envahissent le pays. Le 6 septembre, la Hongrie déclare la guerre à la Roumanie ; le 8, lorsque Lakatos propose l’amnistie, par une singulière bizarrerie, seuls les trois ministres militaires veulent cesser le combat, tous les autres ministres y sont hostiles. Lakatos, désavoué par ses collègues, veut démissionner mais Horthy le maintient au pouvoir. Le Régent poursuit ses contact avec les alliés, et, le 22 septembre. Le général Naday confère à Naples avec l’anglais Honvie, sans résultat. Le baron Aczel Ede se rend secrètement à Moscou et, à la fin septembre, le maréchal Laszlo Farago, le comte Ceza Teleki et von Szent-Ivanyi franchissent les lignes du VIème CA (von Farkas) pour conclure un armistice avec les Soviétiques.

Horthy se prépare à l’épreuve de force.     Il confère le 11 octobre avec Tildy (Petits propriétaires) et Szakasits (S-D), pour avoir le soutien des partis de gauche. Le 15 octobre, il nomme le général von Farkas chef de la zone de Budapest, le charge de constituer un nouveau gouvernement et amène dans la capitale la Ière DC et la 10ème DI plus deux autres divisions d’infanterie à proximité immédiate. Le même jour, Radio-Budapest diffuse une proclamation du Régent annonçant la demande d’armistice. Aussitôt, les Allemands réagissent : les commandos SS de Skorzeny (qui ont enlevé le fils du Régent dans une échauffourée où Clages, chef du SD à Budapest a trouvé la mort), les bataillons de police de Winkelmann et la 24 Panzer Division entrent en action et capturent le Régent.

En même temps, Szalasi, qui, depuis quelques semaines, estime que le danger soviétique est plus grand pour l’indépendance nationale que celui représenté par l’Allemagne, donne l’ordre aux Croix fléchées de s’emparer du pouvoir. Il veut aussi éviter que les Allemands ne remettent le pouvoir à leurs amis Imredy, Bardossy, Palffy ; les Croix fléchées désarment les unités de la Honved avec l’aide de la gendarmerie (Ferenczy changeant de nouveau de camp) et de l’association des Anciens combattants du front de l’Est. Un appel de Vorös, chef d’état-major, en fait rédigé par le colonel Nadas, sympathisant Croix fléchées, fait cesser le combat aux forces loyalistes. Dès le lendemain, le Régent lança un appel annulant la demande d’armistice et demandant au peuple et à la Honved de faire confiance à Szalasi pour défendre l’indépendance de la nation.

Un violent discours de Szalasi, prononcé après une suite de marches militaires hongroises, autrichiennes et allemandes, annonce que la Hongrie continuera la lutte jusqu’à la victoire finale et que le programme social des Croix fléchées allait être appliqué dans les délais les plus brefs.

En même temps, des combats de rue opposent les milices Croix fléchées (Nyilas) à des groupes juifs et à des militants de gauche ; c’est ainsi que le colonel Norbert Orendi, de la gendarmerie, capture Bacjisv Szilenski, officier de réserve et seul chef énergique du Parti des petits propriétaires. Le 22 octobre, après qu’un soulèvement de gauche ait été écrasé et que Miklos Daluoki (Ière armée) et Veress (IIème armée) soient passés aux Russes, le nouveau gouvernement, dirigé par Imredy, imposé par les Allemands, mobilise tous les juifs mâles dans le Service du travail.

Le 25 octobre, tous les partis politiques sont interdits ; le PNSU, le PRH et le PVH fusionnent avec les Croix fléchées, qui deviennent le Parti unique.

Le Président de la Chambre des Députés, le membre du PVH, Tasnady-Nagy, réunit les chambres le 2 novembre et, avec le soutien de Lukacs, chef du Parti de la vie hongroise, et de l’archiduc Albrecht, fait voter une motion intronisant Szalasi comme « Conducteur de la nation » (Nemzet Veszetöe) et approuver la politique du gouvernement Imredy.

Le 4 novembre, tous les biens juifs sont confisqués ainsi que les propriétés des « traîtres » qui doivent être distribués aux paysans sans terres.

Les chefs de l’opposition de gauche et des amis du Régent passent devant le « Tribunal des règlements de comptes », qui les condamnent à mort. Dans le gouvernement, un homme se dégage, le chef du clan extrémiste des Croix fléchées, le Ministre de la « Guerre totale » Kovarcz. Ce dernier s’oppose à Szalasi, qui veut stopper les déportations de juifs et, tout en mobilisant la nation, donner la priorité aux réformes sociales.

Lorsque Kovarcz exige la liquidation du ghetto de Budapest, avec le soutien d’Imredy (84.000 juifs y vivent encore), Szalasi s’y oppose fermement et fait intervenir Winkelmann, dont les SS bouclent le ghetto et interdisent tout raid des extrémistes. Le nouveau gouvernement lève dix nouvelles divisions (dont deux Waffen SS), mais quitte la capitale dès le 22 novembre 1944, ce qui fait très mauvaise impression sur la population.

Radio-Budapest diffuse sans cesse l’hymne des Croix fléchées, Ebredj Magyar (Debout Hongrois), lance le slogan Kitartos (Résistance) et rappelle le souvenir des chefs hongrois défenseurs de la chrétienté contre les Turcs. Mais les Russes et leurs nouveaux satellites roumains poursuivent leur marche vers Budapest. Le 4 décembre, Szalasi rencontre Hitler et paraît manquer d’énergie aux yeux de Guderian, qui le rencontre en même temps. Le 5, le ministre de la Défense, le général Bercyhj, donne l’ordre à tous les hommes de 16 à 60 ans de quitter la capitale menacée au moment même où Csyky, chef des milices Nyilas, concentre ses Chemises vertes dans la ville, ce qui provoque des heurts violents au sein du gouvernement et le limogeage du ministre.

Emile Kovarcz essaie de mobiliser toutes les forces de la nation, mais le pays est à bout ; il serait peut-être possible de mobiliser les paysans en réalisant tout de suite la réforme agraire, mais les Russes l’offrent, eux aussi, et Imredy freine, autant qu’il le peut, les projets de Szalasi.

Le 12 décembre, les autorités allemandes (c’est-à-dire, pour quelques jours, Winkelmann puis le SS Ohergruppenführer Pfeffer-Wildenbruch, chef du IX SS Gebirgskorps de volontaires croates) proclament l’état de siège à Budapest et prennent la responsabilité de la défense, alors que les Russes donnent l’assaut aux faubourgs extérieurs. L’encerclement est total le 24 décembre et le siège de Budapest commence.

Pendant ce temps, Szalasi s’efforce de réaliser les réformes sociales pour lesquelles il a tant lutté, mais il est trop tard pour y parvenir efficacement. Dans les lambeaux de territoires de la Hongrie nationale, les Allemands, du fait de la proximité du front, assument la quasi-totalité du pouvoir.

Budapest, défendue maison par maison, est conquise totalement par les Russes le 13 février 1945, après l’échec de plusieurs tentatives de dégagement par le IV SS Panzerkorps puis par des fractions de la VI SS Panzer Armee de l’Oberstgruppenführer Dietrich.

Au début de mars 1945 se déroule une dernière grande offensive allemande, la Hongrie s’enlise dans la boue et les Russes, par une contre-attaque rapide, rejettent les Allemands. Quant à la dernière armée hongroise à peu près intacte, la IIIème, elle se désintègre, les soldats refusant de continuer à se battre plus longtemps.

Les Russes se ruent vers l’Autriche et liquident les derniers restes de l’État Hongrois. Le gouvernement hongrois se réfugie à Vienne, puis fuit vers l’Ouest. Il sera livré plus tard aux Russes.

Pendant des mois, une féroce répression sévit, et, en avril 1946, tous les chefs Croix fléchées sont pendus sur les bords du Danube à Budapest. Ils ont obtenu le droit de revêtir leur chemise verte et meurent bravement, en faisant le salut fasciste. Imredy, Hubay et Bardossy meurent en même temps qu’eux.

Quelques temps après, le chef communiste Rakosi, d’ailleurs d’origine juive, lance un appel au ralliement des « petits nazis » de la Croix fléchée. Les « populistes », eux, ont, sans complexe, rallié les rangs du PC le plus vite possible.

En émigration, les Croix fléchées restent actifs et éditent de nombreux bulletins sous leur slogan  Kitartos (Résistance) où ils défendent avec acharnement la mémoire de leur chef, Ferenc Szalasi.

Conclusion

La Hongrie a donné naissance à de puissants mouvements fascistes, mais ces partis peuvent être classés en deux catégories :

1 – Un « fascisme de droite », qui est finalement très proche de l’analyse marxiste du phénomène fasciste :

—   des grands capitalistes et féodaux à la tête ou tirant les ficelles.

—   de grandes tirades démagogiques assorties d’un comportement strictement conservateur et réactionnaire.

—   un recrutement exclusivement axé sur les classes moyennes.

—   un antisémitisme et un racisme donnés comme la solution à tous les maux dont souffre la Nation.

Ce fut le cas du Front national, du PNSU et, encore plus, des formations de Gömbös et d’Imredy, que l’on pourrait qualifier de simple processus de « radicalisation » de la droite conservatrice.

2 – Un « fascisme de gauche », qui contredit formellement les analyses marxistes. Là, au contraire, on rencontre des phénomènes très différents de ceux du « fascisme de droite » :

—   les chefs sont des petits bourgeois, des officiers en retraite, des déclassés sociaux, des ouvriers, des petits paysans.

—   le programme est révolutionnaire, et la pratique aussi ; le travail purement syndical est considérable et ce syndicalisme est un syndicalisme de combat et non de collaboration de classe.

—   le recrutement est hétéroclite : petits bourgeois certes, mais paysans, pauvres surtout. Beaucoup d’ouvriers agricoles, de domestiques, de petits fonctionnaires, d’ouvriers, d’artisans. L’essentiel, des partisans et des électeurs se recrute dans les couches les plus pauvres de la Société.

À Budapest, en 1939, sur 100 ouvriers, des analyses (malheureusement partielles) indiquent la répartition suivante des votes : Sociaux-Démocrates : 40 (85 en 1922) ; Parti de la vie hongroise : 5 (10 en 1922); Petits propriétaires et gauche libérale ou agraire : 5 (5 en 1922) ; Croix Fléchées : 50.

La majorité de la classe ouvrière s’était donc, à cette époque, ralliée au mouvement de Ferenc Szalasi.

L’antisémitisme et le raciste du mouvement n’étaient pas une fin en soi et les Croix fléchées ne pensaient pas que la société hongroise deviendrait une société juste par simple application d’un numerus clausus ou de méthodes plus radicales.

Ainsi, la Croix fléchée a pu rassembler une large part des classes laborieuses de la Hongrie, face à la réaction horthyste et face au marxisme.

Robert Cazenave

Retour en haut