Ouïghours : la fabrique d’un génocide

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Ces dernières années, la question du « génocide » perpétré par la Chine à l’encontre des Ouïghours, ce peuple musulman turcophone de la région chinoise du Xinjiang, s’est imposée comme une évidence dans tout l’Occident. Sorti de nulle part, ce thème a été diffusé insidieusement en 2018 aux États-Unis par le biais d’ONG liées à l’Administration américaine[1], puis est apparu en pleine lumière en janvier 2021 par la voix de Mike Pompeo, secrétaire d’État et ex-patron de la CIA[2]. Le moment était bien choisi puisque la guerre commerciale et technologique opposant Washington à Pékin faisait rage. Dès lors, l’épouvantail du « génocide » ouïghour fut le prétexte à toutes sortes de sanctions, boycotts et condamnations à l’égard de la Chine. L’objectif était clair : il s’agissait non seulement de l’isoler et la décrédibiliser sur la scène internationale, mais surtout d’abattre définitivement sa puissance économique.

Sans surprise dès le départ, ce mensonge portait en tous points la signature américaine. La manipulation avait, en effet, été mûrie depuis longtemps par les pontes de Washington. Elle a tout d’abord été menée « progressivement, puis soudainement », pour reprendre l’expression d’Ernest Hemingway. Au fil du temps, elle dépassa même le clivage politique démocrates/républicains et s’imposa comme l’une des stratégies géopolitiques majeures au service de l’empire américain. Mais pour en saisir tous les enjeux, il nous faut amorcer un retour de plus de quarante ans en arrière.

La théorie de la ceinture verte selon Brzezinski

Nous sommes en 1979. La Guerre froide connaît un regain de tension entre les États-Unis et l’URSS. Zbigniew Brzezinski, grand géopoliticien américain, a été nommé conseiller à la Sécurité nationale du président Carter deux ans plus tôt. Très critique envers la politique de détente de ses prédécesseurs[3], il élabore une nouvelle doctrine qui consiste à instrumentaliser l’islam radical pour contrer l’ennemi soviétique, en apportant un soutien financier et militaire aux mouvements islamistes. L’idée était d’encercler et de déstabiliser l’URSS depuis le Sud de son territoire, celui-ci étant peuplé en grande partie de musulmans turcophones. Cette approche se fit connaître sous le nom de « théorie de la ceinture verte ». En réalité, Brzezinski réactualisait la stratégie d’endiguement du « Grand jeu » menée par l’empire britannique au 19e siècle en Asie centrale contre la Russie tsariste. Il y fait d’ailleurs référence dans le titre de son œuvre géopolitique majeure « Le grand échiquier »[4].

La première application de cette doctrine fut lancée en Afghanistan. Il faut savoir qu’en avril 1978, une nouvelle direction afghane pro-communiste était arrivée au pouvoir à Kaboul à la faveur de la révolution de Saur[5].Ce nouvel État socialiste faisait face à une résistance croissante de la part des milices islamistes locales, composées de moudjahidines, ces combattants de la « guerre sainte » selon la tradition islamique. Brzezinski décida d’armer et de financer les moudjahidines par le biais de la CIA, qui se mit à collaborer avec les services secrets pakistanais, c’est-à-dire l’Inter Services Intelligence (ISI), lesquels servirent d’intermédiaire. Ce programme avait pour nom de code « Opération Cyclone »[6]. L’objectif du stratège américain était de forcer Moscou à s’engager directement dans une guerre en Afghanistan. À ce sujet, il dira de manière pernicieuse : « Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent »[7]. Son intention était de créer un Vietnam pour les Soviétiques, dans lequel ils s’enliseraient[8].

Cette stratégie fonctionna puisque Moscou se retrouva piégé dans un bourbier qui ne cessa de l’épuiser en ressources humaines comme matérielles, et qui contribua indirectement à précipiter l’effondrement de l’URSS en 1991. Dans le même temps, elle favorisa l’émergence dans les années 90-2000 d’organisations terroristes islamiques comme les Talibans, Al-Qaïda ou encore l’État islamique de l’Irak et du Levant (ISIL[9]). Après la fin de la guerre froide, Washington poursuivit cette tactique contre la nouvelle Fédération de Russie, en déclenchant une première guerre en Tchétchénie (1994-1996), puis une seconde (1999-2000). Les combattants tchétchènes furent en effet formés par l’ISI, qui avait conservé des liens étroits avec la CIA[10].

Des islamistes de la Yougoslavie à la Chine

Puis, la direction américaine entreprit de se servir de l’arme islamiste non plus uniquement contre la Russie, mais contre tout État souverain s’opposant aux intérêts américains, notamment en cherchant à balkaniser leur territoire. Cette nouvelle orientation reprenait à son compte le principe de l’« arc de crise » (espace géopolitique allant du Moyen-Orient au Pakistan), élaboré par l’historien britannique Bernard Lewis[11], dont Brzezinski s’était également inspiré. Le concept fut adapté aux nouveaux desseins de Washington, qui élargit la zone de la Yougoslavie à la Chine, et se mit à déstabiliser les pays à forte identité nationale, en tentant de les désintégrer par la création de petits États islamiques soumis au chaos permanent[12]. Ainsi dans les années 90, les Bosniaques liés à l’ISI[13] furent utilisés contre la Serbie, de même que les Albanais du Kosovo un peu plus tard. L’Armée de libération du Kosovo (KLA) recevra d’ailleurs l’aide d’Al-Qaïda[14], laquelle était toujours restée en contact avec la CIA[15]. Le même phénomène se produisit en Syrie en 2011, où les États-Unis déclenchèrent une guerre par procuration contre le président Bachar al-Assad – allié clé de la Russie. Ils armèrent de nouveau les rebelles islamistes du réseau Al-Qaïda, et contribuèrent à faire émerger l’État islamique (Daech), qui en vérité, était une émanation de plus de l’organisation terroriste[16].

Cette logique fut aussi celle qui anima les élites de Washington dans leur volonté de radicaliser et d’instrumentaliser les Ouïghours contre la Chine. En août 2018, le colonel Lawrence Wilkerson, chef de cabinet de l’ex-secrétaire d’État américain Colin Powell, expliqua lors d’une conférence au Ron Paul Institute, que les autorités américaines et la CIA avaient envisagé très tôt de fomenter des troubles au Xinjiang au travers des millions de Ouïghours qui s’y trouvaient, pour déstabiliser et provoquer un effondrement de l’État chinois[17].

Il est vrai qu’à la fin des années 90, l’idée avait commencé à faire son chemin à Washington pour contrer Pékin, dont l’insolent succès économique ne s’était pas démenti, même après les secousses de la crise asiatique en 1997. Au contraire, la Chine s’était renforcée au point d’afficher un taux de croissance annuel de 8,5% en 2000, et d’intégrer l’économie mondiale par son admission à l’OMC fin 2001.

Les organismes ouïghours sous étendard américain

Suivant cette stratégie, les États-Unis se mirent à parrainer la création d’organismes ouïghours ouvertement anti-Chine, appelant au séparatisme et à l’indépendance du Xinjiang – renommé pour l’occasion « Turkestan oriental » –, par la lutte armée et le jihad.

Parmi ces organisations les plus importantes, citons tout d’abord la plus connue, le World Uyghur Congress (WUC), créé en 2004 à Munich[18], qui considère les Ouïghours non comme des citoyens chinois, mais comme les membres d’une grande nation pan-turque s’étendant de l’Asie centrale à la Turquie[19]. Financé par le National Endowment for Democracy (NED)[20], faux-nez de la CIA à l’étranger, le WUC a longtemps été dirigé par Rebiya Kadeer[21], riche femme d’affaires ouïghoure exilée aux États-Unis, qui a déclaré en mars 2019 dans un message audio posté en ligne que son organisation envoyait des jihadistes en Syrie[22].

Une autre organisation majeure est la Uyghur American Association (UAA), fondée à Washington en 1998 et également financée par le NED[23] via le Uyghur Human Rights Project (UHRP)[24]. Selon une enquête publiée par le site indépendant américain The Grayzone[25], l’ex-président de l’UAA Kuzzat Altay et son frère Faruk auraient ​​été entraînés par d’anciens officiers des forces spéciales américaines et créé une milice ouïghoure appelée « Altay Defense ». Les frères Altay sont les neveux de Rebiya Kadeer[26]. Notons également qu’Elnigar Iltebir, sœur de la nouvelle présidente de l’UAA Elfidar Iltebir[27], fut nommée directrice Chine du Conseil de Sécurité nationale sous l’Administration Trump[28].

Terminons enfin avec l’East Turkestan Islamic Movement (ETIM), un groupuscule terroriste créé en 1997 sous le règne des Talibans, qui porte aussi le nom de Turkestan Islamic Party (TIP). Implanté en Afghanistan, le groupe avait été ajouté en 2002 à la liste noire des organisations terroristes établie par Washington suite aux attentats du 11 septembre, en raison de ses liens avec Al-Qaïda[29]. De 1997 à 2014, l’ETIM commit régulièrement des attentats terroristes sur le territoire chinois – en particulier au Xinjiang – qui coûtèrent la vie à plus de mille civils. L’organisation a notamment revendiqué l’attentat à la voiture piégée de la place Tian’anmen en 2013[30], mais aussi le massacre opéré par un commando en 2014 à la gare de Kunming, dans la province du Yunnan[31]. Puis, à la faveur de la guerre en Syrie, le TIP devint en juillet 2016 une faction officielle d’Al-Qaïda en Syrie. Soutenue par les services secrets turcs (MIT), l’organisation dispose encore aujourd’hui d’une base à Al-Zanbaki dans l’enclave rebelle d’Idlib, qui compterait 5 000 à 10 000 jihadistes ouïghours[32].

De l’opportunité d’un génocide

À l’élection de Trump à la présidence des États-Unis en 2016, la nouvelle administration se déclara ouvertement hostile à la Chine, dont la puissance économique (6% de croissance annuelle malgré la récession mondiale), technologique (temps d’avance sur la 5G), monétaire (internationalisation du yuan) et diplomatique (lancement des Nouvelles routes de la soie) menaçait sa suprématie, et ce d’autant plus que le déficit commercial américain vis-à-vis de Pékin atteignait les 346 milliards de $US. Washington lança une guerre commerciale et économique contre la Chine, qui débuta par l’augmentation drastique des droits de douanes sur les biens chinois, et se poursuivit par des sanctions et interdictions contre les entreprises de l’Empire du Milieu, allant même jusqu’à faire intervenir le Département américain de la Justice pour obtenir l’arrestation en 2018 de Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei et fille du fondateur de l’équipementier[33].

C’est dans ce contexte que le mensonge du « génocide ouïghour » émergea. Dans le but de faire condamner la Chine à l’international, Washington s’employa à faire fabriquer de fausses preuves sur la situation « tragique » des Ouïghours au Xinjiang, par de pseudo-experts issus des nombreux think-tanks et ONG affiliés au pouvoir américain. Leur tâche consistait à produire des rapports accablants en détournant les statistiques officielles ou en biaisant les faits, pour donner une assise « scientifique » à la soi-disant politique d’extermination menée par Pékin au Xinjiang.

Zenz, patient zéro de la campagne de désinformation

Le patient zéro de cette campagne de désinformation est Adrian Zenz, un anthropologue allemand, sans aucune qualification sur la Chine, ni même sur le monde turcophone. Intronisé chercheur, il appartient à la Victims of Communism Memorial Foundation (VOC), une ONG créée en 1993 à Washington, dont le but est « d’éduquer les Américains sur l’idéologie communiste » en la dénonçant comme une doctrine perverse, dont seraient encore victimes de nombreuses personnes dans le monde. Inutile d’ajouter que cet organisme promeut également « la liberté et la démocratie »[34]. Parmi les trois fondateurs de VOC, on trouve Brzezinski[35]. En outre, la fondation est financée non pas par le NED mais par l’USAID[36], autre paravent de la CIA[37]. Dès 2017-2018, Zenz écrit plusieurs articles sur la « répression et l’internement de masse » pratiqués par le gouvernement chinois à l’encontre des Ouïghours[38]. Mais c’est son papier sur la « stérilisation forcée » au Xinjiang, publié le 28 juin 2020 par la Jamestown Foundation (autre organisme lié à la CIA), qui devient le document de référence pour étayer l’allégation de « génocide » contre le peuple ouïghour[39]. Ici, nous n’entrerons pas dans les détails pour contester point par point les omissions fallacieuses et autres aberrations de l’étude de Zenz – qu’aucune revue académique sérieuse n’aurait publiée –, mais il est possible de consulter à ce sujet la contre-enquête du site indépendant The Grayzone ainsi que celle du China Daily[40].

Le 19 janvier 2021, quelques jours avant la passation de pouvoir entre Trump et Biden, Mike Pompeo, le secrétaire d’État du président sortant, donne une visibilité sans précédent à cette théorie du « génocide ouïghour », en faisant une déclaration publique dans laquelle il cite l’article de Zenz comme étant la preuve irréfutable de ce « crime contre l’humanité » [41]. À partir de ce moment, la campagne de diffamation prend une dimension planétaire : l’accusation sera reprise massivement par tous les grands médias occidentaux, et fera même l’objet de documentaires comme ceux de la BBC ou CNN, où les « survivants du génocide » et autres témoins sujets à caution viendront alimenter la machine de propagande[42]. Quant à la nouvelle administration démocrate, elle soutiendra la déclaration de Pompeo le jour-même de sa diffusion par la voix de son successeur Anthony Blinken, et reprendra entièrement à son compte ce récit de la persécution des Ouïghours[43].

Déni du terrorisme

Concernant les accusations de Pompeo, il est nécessaire de revenir sur la supposée existence de « camps » au Xinjiang (allusion directe aux camps de concentration nazis pour frapper les esprits), où l’on nous fait croire que ce sont des « civils détenus arbitrairement » qui y sont « torturés ». En réalité, ces « camps » sont des prisons et centres de détention pour terroristes ayant commis des crimes et autres attentats sanglants dont nous avons parlé[44]. Le gouvernement chinois ne s’en cache pas d’ailleurs, il mène activement une lutte anti-terroriste contre l’ETIM et toute organisation criminelle séparatiste au Xinjiang. Le président Xi Jinping a même déclaré qu’il fallait combattre dans la région les « trois maux » définis par l’Organisation de Coopération de Shanghai, soit « le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme religieux », et rendre « coup pour coup » aux plus radicaux d’entre eux[45]. Il considère que le Xinjiang est « la ligne de front de la bataille de la Chine contre le terrorisme »[46]. Mais l’Administration américaine fait totalement l’impasse sur cet état de fait. Elle nie que la Chine soit victime du terrorisme, au point d’avoir enlevé officiellement l’ETIM de sa liste noire des organisations terroristes le 6 novembre 2020[47]. Pour justifier sa position, Washington déclarera : « L’ETIM a été retirée de la liste parce que, depuis plus d’une décennie, il n’y a aucune preuve tangible qu’elle continue d’exister en tant qu’organisation terroriste »[48]. Les victimes apprécieront.

Toujours selon Pompeo, près d’un million et demi de Ouïghours seraient internés dans ces « camps », mais certains, comme le sous-secrétaire américain à la Défense Randall Schriver, estiment qu’ils seraient 3 millions[49]. Or, d’après le dernier recensement de 2020[50], la proportion de la minorité ouïghoure au Xinjiang s’élève à 11 millions de personnes, ce qui voudrait dire que 10% à 27% de cette population se trouvent actuellement dans des « camps ». On jugera de la pertinence et du bien-fondé de ces allégations. Notons au passage qu’en dix ans, la population ouïghoure a augmenté d’1,8 million par rapport à 2010, ce qui est plutôt encourageant pour un peuple censé subir une extermination systématique.

Le Xinjiang, région hautement stratégique

La direction américaine aurait pu se contenter d’invoquer le « génocide » et les « camps » pour décrédibiliser la Chine, mais apparemment, cela ne suffisait pas. Elle a renchéri en portant l’accusation de « travail forcé » contre Pékin. Dans un contexte de guerre économique, l’offensive tombait à point nommé. Il faut savoir que le Xinjiang est une région agricole moderne qui connaît un développement sans précédent depuis plusieurs années, et dont le taux de croissance annuel moyen est d’environ 6,5%. Son économie repose principalement sur le coton avec une production de 5,13 millions de tonnes en 2021, soit 89% du total du pays[51]. Jusqu’alors, la plupart des grandes marques de vêtements étrangères (H&M, Nike, Adidas…) achetaient le coton du Xinjiang, qui représentait 20% de la production mondiale en 2021[52]. Outre le coton, la région cultive massivement des tomates qui comptent, quant à elles, pour 35% de la production mondiale. À cela, il faut ajouter un autre produit majeur : le polysilicium, matériau utilisé dans la fabrication de panneaux photovoltaïques, fourni par le Xinjiang à hauteur de 50% dans le monde[53]. Et comme par hasard, la loi contre le travail forcé des Ouïghours signée par Biden le 23 décembre 2021 qui interdit toute importation provenant du Xinjiang, met l’accent sur trois produits en particulier : le coton, la tomate et le polysilicium[54]. La plupart des officiels américains sont d’ailleurs parfaitement conscients de la manipulation. Voici ce que deux diplomates du Consulat américain de Canton – Sheila Carey et Andrew Chira – déclarèrent en 2021 lors d’une réception privée face à un parterre d’entrepreneurs : « Tout le monde sait qu’il n’y a pas de problème au Xinjiang ; mais attaquer cette région en accusant la Chine de travail forcé, de génocide et d’atteinte aux droits de l’homme est un moyen efficace pour que le Xinjiang rompe avec la chaîne industrielle internationale et que les Ouïghours, mécontents, se retournent contre le gouvernement chinois »[55]. On ne saurait être plus clair.

Le dernier point sur le Xinjiang concerne sa position stratégique au sein du projet des Routes de la Soie lancé par Pékin[56]. Par son statut de « zone centrale », il représente une ouverture sur les cinq pays d’Asie centrale et la Russie, grands fournisseurs en gaz et en pétrole de la Chine. Mais surtout, la région est un point de passage stratégique du Corridor Chine-Pakistan, surnommé le « corridor de l’énergie » au sein des Routes de la Soie. Long de 3000 km, ce couloir relie le Pakistan à la Chine via des routes, des voies ferrées et des câbles, mais surtout des pipelines depuis le port de Gwadar (non loin de la frontière iranienne) au Xinjiang[57]. Il est prévu que le pétrole du Moyen-Orient soit acheminé par ce couloir dès 2027, grâce à un oléoduc reliant Kashgar à Gwadar. Pour la Chine, ce corridor est une alternative au détroit de Malacca, par lequel transitent 70% de ses importations pétrolières et de GNL. Car la faiblesse de la route de Malacca est qu’elle est susceptible de se faire bloquer par une puissance étrangère – les États-Unis, pour ne pas les nommer –, dont les 5e et 7e Flottes opèrent dans la zone[58]. Craignant de ne pouvoir protéger cette voie énergétique vitale, Pékin a donc choisi de l’éviter en passant par le Xinjiang. Cet oléoduc relié à la région ouïghoure sera d’autant plus avantageux qu’il raccourcira de 2400 km le trajet des importations chinoises, qui pour l’instant est de 12 000 km[59]. Ce statut stratégique du Xinjiang montre combien il est crucial pour Washington de fomenter des troubles dans cette région. Cela a été confirmé par Sibel Edmonds, une ex-interprète du FBI, dans une interview de 2015 où elle dit : « Le Xinjiang est le point d’entrée de l’artère de l’énergie en Chine […]. C’est pourquoi nous allons utiliser des gens comme Richard Gere qui vont déclarer qu’il faut aider [les Ouïghours] parce qu’ils sont opprimés et torturés par les Chinois, et qu’ils ont besoin d’avoir leur terre » [60].

Si l’Occident dans son ensemble avalise le « génocide ouïghour », il existe toutefois des voix discordantes parmi les journalistes indépendants, lesquels ne peuvent être soupçonnés de connivences avec la Chine. Citons notamment la Taiwanaise Huang Chih-hsien[61], le Français Maxime Vivas[62] ou le Pakistanais Muhammad Asghar[63], dont les reportages sur le terrain prouvent que les Ouïghours ne sont pas persécutés. Au contraire, on remarque que Pékin préserve leur culture, leur langue, leur religion et leurs traditions. À cet égard, le point de vue des organisations internationales musulmanes a du poids. Au premier semestre 2023, deux délégations importantes, l’une du Conseil mondial des communautés musulmanes (TWMCC) et l’autre de la Ligue arabe, se sont rendues au Xinjiang pour évaluer la situation. Le résultat ne s’est pas fait attendre : le président du TWMCC Ali Al Nuaimi a salué la Chine pour sa lutte contre le terrorisme et sa protection de l’identité ouïghoure[64] ; quant aux membres de la Ligue arabe, ils ont pu constater que les allégations de « génocide ethnique » et de « persécution religieuse » étaient « complètement fausses »[65].

Un autre bobard américain

Voici donc quelle est la réalité de ce « génocide ouïghour ». Sans conteste, il peut figurer en bonne place parmi les plus gros bobards américains destinés à justifier des mesures de rétorsion ou autre intervention militaire contre un pays souverain, dont l’unique crime est de défier la domination de l’Oncle Sam. Souvenons-nous de ces couveuses koweïtiennes que des soldats irakiens avaient prétendument débranchées, mais aussi des armes de destructions massives jamais détenues par Saddam Hussein, ou encore du stock d’armes chimiques supposément amassé par la Syrie.

Pour imposer leur rhétorique, les États-Unis continuent de faire pression sur la communauté internationale, mais dans les chancelleries, sous l’effet de l’alternative multipolaire sino-russe, on commence à prendre ses distances avec ces manipulations grossières. Il suffit de jeter un coup d’œil au rapport sur le Xinjiang du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à l’ONU (OHCHR) paru fin août 2022 – et réclamé à cors et à cris par Washington – pour comprendre que certains officiels ont des réticences à cautionner les mensonges américains. L’enquête avait été menée par Michelle Bachelet, chef de l’OHCHR et ex-présidente du Chili, qui s’était rendue au Xinjiang quelques mois auparavant pour faire son expertise. Sur place, elle avait pu constater que Pékin ne pratiquait pas de purification ethnique envers les Ouïghours. Son embarras transparaît dans son rapport, lequel suppose sans affirmer que la Chine a commis des abus qui « pourraient être considérés comme crimes contre l’humanité ». Quant au mot « génocide », il n’y figure pas[66]. Étrangement, Mme Bachelet quittera ses fonctions le 1er septembre 2022, soit le lendemain de la parution du rapport. On imagine qu’elle n’a pas voulu être taraudée par sa conscience ni ternir sa réputation en cautionnant cette mystification grossière, comme ce fut le cas pour l’ancien secrétaire d’État américain Colin Powell. Celui-ci avait, en effet, incité à la guerre contre l’Irak en affirmant publiquement détenir la « preuve » que Bagdad possédait des armes de destruction massive[67]. Ce discours, qu’il prononça à l’ONU le 5 février 2003, il le regretta longtemps après, et le qualifiera même de « tâche » dans sa carrière[68].

En définitive, l’opération Cyclone des États-Unis n’en finit pas de se réinventer. Après l’Afghanistan, la Tchétchénie, la Bosnie, le Kosovo, l’Irak, la Libye, la Syrie, Washington a tout simplement trouvé de nouveaux moudjahidines pour se déployer sur le théâtre chinois. Et malgré l’énormité du mensonge, le préjudice porté à la Chine s’avère particulièrement efficace.

Dans le même genre, on pourrait ajouter une autre manipulation anti-chinoise : la rébellion des musulmans Rohingyas au Myanmar, attisée de manière sporadique par l’Amérique. Car une fois de plus, ce sont les Nouvelles routes de la Soie qui sont visées puisque Pékin a développé de nombreux projets d’infrastructure dans l’État côtier du Rakhine où se trouvent les Rohingyas. Si une révolution de couleur ou un conflit y éclatait, la province chinoise du Yunnan pourrait être ébranlée et venir s’ajouter au problème ouïghour, en minant la Chine non plus seulement à l’Ouest, mais aussi au Sud[69].

Par conséquent, on voit mal ce qui pourrait stopper le pouvoir américain, tant ses agents terroristes sèment la destruction et le chaos à son avantage. Sans aucun doute, cette stratégie de la « ceinture verte » a encore de beaux jours devant elle.

Agnès Valloire.

[1] Alerte lancée à Pompeo par des ONG des droits de l’Homme sur un génocide au Xinjiang, 17 septembre 2018

Human Rights Organizations To Pompeo: Stand Up For Xinjiang

[2] Déclaration officielle à la presse de Mike Pompeo, 19 janvier 2021

https://2017-2021.state.gov/determination-of-the-secretary-of-state-on-atrocities-in-xinjiang/index.html

[3] The Guardian, 28 mai 2017

[4] Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier, Éditions Fayard/Pluriel, 2011.

[5] Al Jazeera, 13 février 2014

[6] Asiatimes, 26 avril 2022

[7] Le Nouvel Observateur, 15 janvier 1998

[8] Ibid.

[9] Islamic State of Iraq and the Levant (ISIL)

[10] Strategic Analysis Journal, Vol.24, No. 3, juin 2000

[11] Executive Intelligence Review, Vol.22, No. 24, 9 juin 1995

[12] Global Research, 7 décembre 2008

[13] Cees Wiebes, Intelligence and the War in Bosnia: 1992-1995 (Volume 1), Lit Verlag, 2004

[14] BBC News, 8 mars 2002

[15] Global Research, 20 février 2005

[16] Patrick Cockburn, The Jihadis Return: ISIS and the New Sunni Uprising, OR Books, 2014; Counterpunch, 19 septembre 2014; The Guardian, 3 juin 2015.

[17] Extrait vidéo de la conférence de Wilkinson : www.youtube.com/watch?v=tVmliB0rVIo

[18] L’Allemagne est une terre d’immigration pour les peuples turcophones

[19] Site du WUC : www.uyghurcongress.org

[20] Site du WUC : www.uyghurcongress.org/en/wuc-appreciates-ned-funding-of-its-human-rights-work/

[21] De 2006 à 2011

[22] Global Times, 15 novembre 2021

[23] Site du NED : https://www.ned.org/uyghur-human-rights-policy-act-builds-on-work-of-ned-grantees/

[24] Site de l’UHRP : https://uhrp.org/about/

[25] https://thegrayzone.com/2021/03/31/china-uyghur-gun-soldiers-empire/

[26] The Diplomat, 15 février 2019 ; Consortium News, 8 avril 2021

[27] Elle a pris ses fonctions au printemps 2023.

[28] The South China Morning Post, 15 août 2019

[29] The Washington Post, 29 août 2002

[30] The Guardian, 25 novembre 2013

[31] The Diplomat, 20 mars 2014

[32] 21st Century Wire, 26 septembre 2018 ; Global Times, 7, décembre 2019 ; Reuters, 11 mai 2017

[33] BBC, 6 décembre 2018

[34] Site de VOC : https://victimsofcommunism.org/

[35] Democracy Digest, 30 mai 2017

[36] Site de GovTribe : https://govtribe.com/vendors/victims-of-communism-memorial-foundation-inc-dot-7fr24

[37] Global Research, 8 mai 2014

[38] China Brief, 21 septembre 2017, 15 mai 2018 et 5 novembre 2018

[39] Site de la Jamestown Foundation : https://jamestown.org/product/sterilizations-iuds-and-mandatory-birth-control-the-ccps-campaign-to-suppress-uyghur-birthrates-in-xinjiang/

[40] The Grayzone, 21 décembre 2019; China Daily, 28 avril 2021

[41] Déclaration officielle à la presse de Mike Pompeo, 19 janvier 2021

https://en.wikisource.org/wiki/Determination_of_the_Secretary_of_State_on_Atrocities_in_Xinjiang

[42] Pour avoir un aperçu des profils et du passé de chaque témoin : China Daily, 28 avril 2021

[43] The Guardian, 19 janvier 2021

[44] Reuters, 13 août 2018; Xinhua, 5 février 2021

[45] Duowei News, 5 mars 2014

[46] Reuters, 29 avril 2014

[47] Deutsche Welle, 7 novembre 2020

[48] Newsweek, 21 septembre 2021

[49] Reuters, 4 mai 2019

[50] China Statistical Yearbook 2021

[51] Global Times, 23 janvier 2022

[52] The Guardian, 21 juin 2022

[53] Global Times, 21 juin 2022

[54] Uyghur Forced Labor Prevention Act Entity List : https://www.dhs.gov/uflpa-entity-list

[55] Pakistan Observer, 22 juin 2022 ; China Daily, 11 juin 2022

[56] Le projet des Nouvelles routes de la soie, lancé en mars 2013, consiste en un vaste réseau d’infrastructures ferroviaires, portuaires, routières et énergétiques destiné à relier la Chine au reste du continent eurasiatique par deux voies (terrestre et maritime). Ces dernières années, il s’est étendu à l’Afrique et à l’Amérique latine.

[57] A. Andrésy, Realpolitik chinoise sous l’ère Xi Jinping, L’Harmattan, 2020

[58] China Monitor, 28 février 2021

[59] A. Andrésy, Realpolitik chinoise sous l’ère Xi Jinping, L’Harmattan, 2020

[60] Interview de Sibel Edmonds du 22 janvier 2015 : https://www.youtube.com/watch?v=AaitXSdjFP8

[61] Interview du Huang Chih-hsien du 22 juin 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=rHB6lTzISDA

[62] Maxime Vivas, Ouïghours pour en finir avec les fake news, Éditions La Route de la Soie, 2020

[63] China Today, 11 octobre 2022; People’s Daily, 24 février 2021

[64] Middle East Monitor, 23 janvier 2023; Tianshannet, 13 janvier 2013

[65] Pakistan Today, 12 juin 2023

[66] Rapport de l’OHCHR sur le Xinjiang du 31 août 2022 : https://reliefweb.int/report/china/ohchr-assessment-human-rights-concerns-xinjiang-uyghur-autonomous-region-peoples-republic-china

[67] ABC News, 9 septembre 2005

[68] Huffington Post, 18 octobre 2021

[69] Oriental Review, 9 juin 2015

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