Cet article d’Arturo Marían Llanos fut publié en avril 1989 dans la revue madrilène NR Revolucíon Europea. Près de 35 années plus tard, il permet de se souvenir de ce que fut le mouvement Pamiat.
Face à une campagne soutenue, rondement menée par la presse soviétique, le groupe Pamiat(Mémoire) a décidé de radicaliser ses positions. Lors du congrès panrusse de Pamiat[en ang. Pamyat], tenu au printemps 1988 à Moscou, les chefs de file du mouvement ont décidé de changer le nom de leur organisation, en ajoutant à PAMIAT, les termes de “Front National Patriotique” (d’où : Pamiat-Natsionalno Patriotitcheskii Front) et de lancer plusieurs offensives de sensibilisation dans les rues. Ainsi, au printemps de 1988, Pamiata organisé chaque fin de semaine des meetings dans les rues de Léningrad et, plus précisément, dans l’Ile Vasiliev. Finalement, quand s’accumulèrent les protestations des cercles démocratiques et sionistes, ces meetings furent interdits. Les dirigeants locaux de Pamiatreçurent de sérieux avertissements de la part des autorités judiciaires et leurs homologues du PCUS ramassèrent des réprimandes de la centrale moscovite pour avoir permis que se tiennent des meetings “illégaux”.
Pamiat a participé à sa manière aux récentes élections pour le Soviet des Députés du Peuple d’URSS, en boycottant aussi bien les candidats officiels que ceux mis en avant par le bloc démocratique et cosmopolite. Le candidat des forces nationales russes, le mathématicien Chafarévitch (de confession israëlite), a rassemblé plus de la moitié des votes nécessaires pour être élu, mais la commission électorale a annulé les résultats de l’élection, déclarant « qu’on avait mal compté le nombre de votants ».
Le public bouda la commission, refusant de participer à une telle farce. Et malgré les pressions constantes que subissent les militants de Pamiat(expulsions du travail, du parti, citations à comparaître devant les commissions d’information du KGB, etc.), leur nombre augmente sans cesse à mesure qu’empire la situation économique et sociale du pays. La dernière campagne lancée par Pamiatdans les rues de Moscou fut un appel au boycott contre la télévision centrale, accusée d’être la principale propagandiste des modes importées d’Occident, de la pornographie et de la russophobie.
Les militants de Pamiatse rassemblèrent devant les locaux de la télévision, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire des slogans tels que “Pour un canal de télévision russe”, “Non à la cosmopolitisation”, voire d’autres, encore plus éloquents, comme “J’échange une télévision jaune pour une autre en noir et blanc ou en couleur” ou “Nous ne voulons pas de cette Tel-Avivision”. Ces manifestations se sont déroulées au printemps de 1989.
Une campagne de presse contre Pamiat
En 1972, dans la revue clandestine Veche, fut publié ce fragment du journal d’un nationaliste russe, publié à Moscou :
« Le mouvement patriotique russe qui germe actuellement dans les cœurs va se transformer en un mouvement de masse apte à sauver la Russie de la putréfaction morale et spirituelle, de ces terribles symptômes qui annoncent la dégénérescence de la nation, sa paralysie totale et sa mort. Croire à la survenance d’un tel mouvement, c’est croire à des miracles, espérer un miracle. Mais sans une telle foi, rien n’advient dans le monde, rien de grand ne se passe sur la Terre ».
Au printemps et à l’été de 1987, la presse soviétique fourmille d’articles consacrés à l’association, surgie dans le sillage de la perestroïka et de la glasnost gorbatchéviennes. Aucun de ces articles n’est favorable à PAMIAT. Quand l’on compare les dates de parution de ces articles, une chose est certaine : cette campagne de dénigrement n’est pas due au hasard ; elle fait partie d’un plan stratégique rondement préparé. Ce que confirmera le fait suivant : presque au même moment, la presse de la dernière vague de l’émigration russe, en majorité de confession israëlite, consacre des articles tout aussi rageurs à l’endroit de Pamiat.
La presse occidentale entrera à son tour dans la danse du scalp en joignant sa voix à celles des persécuteurs. Ainsi, l’hebdomadaire espagnol Diario-16, en date du 7 octobre 1987, publie un long reportage dédié à Pamiat, dont le contenu ne diverge guère des positions officielles soviétiques. Enfin, ce qui est le plus curieux, c’est une note du Parlement Européen, relative à Pamiat, approuvée par 151 voix favorables, une voix défavorable et trois abstentions, adressée au gouvernement soviétique et exigeant, textuellement : « La dissolution de toutes les organisations faisant ouvertement de la propagande pour la doctrine et l’idéologie fascistes ». L’Agence France-Presse souligna expressément qu’il s’agissait surtout de l’association informelle Pamiat.
Que se cache-t-il derrière toute cette campagne orchestrée contre Pamiat? Pour le comprendre, il nous apparaît nécessaire d’esquisser brièvement l’histoire du nationalisme russe.
De la terreur internationaliste à la “russophilie” stalinienne
Comme chacun le sait, à la suite de la Révolution d’Octobre, s’est imposé en Russie un régime marxiste de stricte obédience. L’idéologie internationaliste et ses protagonistes dirigeront la révolution, en prendront la tête et régenteront toute la vie du pays qu’ils venaient de fonder et qu’ils appelèrent Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Les programmes internationalistes eurent, dans ces premières années, le vent en poupe, arasant tout ce qui était national et russe, si bien qu’être russe et se proclamer tel pouvait avoir des conséquences détestables. Ilya Ehrenburg, écrivain juif et soviétique, est un témoin privilégié de cet état de chose : il rappelle, dans l’une de ses œuvres, que les paysans russes, en remplissant les formulaires officiels, répondaient à la question demandant leur nationalité par les mots : “originaire de Sibérie” au lieu de “russe”.
À la fin des années 30, Staline, pour des motifs d’opportunisme politique, commença à réinjecter à petites doses homéopathiques des éléments de patriotisme russophile. Cette réapparition timide d’éléments isolés de fierté nationale russe, tirés de l’héritage historique russe, atteint son apogée au cours de la Seconde Guerre mondiale, quand il apparut clairement qu’il était impossible de contenir les Allemands si l’on en restait aux appels démagogiques à la conscience prolétarienne et à l’internationalisme.
Mais ces retouches cosmétiques, insignifiantes et superficielles, ce fard patriotique distribué par le régime communiste, furent mille fois exagérés par toute la classe des soviétologues affidés au système. Ces véritables docteurs “ès-sciences de la désinformation” ont tenté de nous faire croire que l’URSS n’était ni plus ni moins que l’héritière de l’Empire des Tsars. En réalité, le régime communiste soviétique n’a fait que prendre un masque russe, derrière lequel il entendait donner libre cours à son essence destructrice et anti-russe.
Au sein du communisme soviétique : les courants “national” et “cosmopolite”
Dire que le régime soviétique est un ensemble monolithique serait une erreur. Ce régime présente plusieurs lézardes rendant possible la pénétration d’éléments extérieurs. En effet, en URSS, la politique culturelle officielle critique l’offensive ultra-gauchisante des années 20, la politique d’arasement total des identités nationales — et de l’identité nationale russe en premier lieu — qui eut libre cours à cette époque. Cette position permet de revaloriser partiellement quelques éléments du passé historique russe. Ainsi, tous les Russes qui cultivent dans le fond de leur âme des sentiments nationalistes, peuvent utiliser la politique culturelle officielle comme arme pour défendre au moins quelques-unes de leurs idées.
De plus, à l’intérieur même de l’idéologie marxiste-léniniste officielle, une lutte souterraine terrible a lieu entre diverses fractions : les unes veulent donner plus de poids aux aspirations culturelles nationales et les autres défendent les conceptions marxistes classiques, pour lesquelles l’histoire russe ne peut être analysée qu’à la lumière de la lutte des classes. Ces courants peuvent être dénommés respectivement “national” et “cosmopolite”. Ils se combattent mutuellement sans cesse et cherchent chacun à s’emparer du pouvoir. Cette lutte fait parfois irruption avec force à la surface et se reflète dans les débats hauts en couleurs, publiés dans la presse officielle ou dans le samizdat.
Le lieu où la tension atteint son maximum, où le combat des idées est le plus intense, c’est le domaine de la culture et, plus concrètement, celui des arts et de la littérature. Il faut savoir que l’art et surtout la littérature ont, dans la culture russe, une importance beaucoup plus grande que dans les cultures d’Europe occidentale. Il suffit de rappeler l’influence qu’ont exercé sur la société russe des écrivains comme Léon Tolstoï ou Fiodor Dostoïevski.
Les écrivains “ruralistes”
Les représentants actuels de la tendance “nationale” dans la littérature russe sont dénommés, par leurs détracteurs, les derevénshiki, un terme que l’on pourrait traduire par “ruraux” ou “campagnards”. Nous traduirons par “ruralistes” pour éviter de reprendre à notre compte la nuance de mépris qu’entendent véhiculer les utilisateurs du mot derevénshiki. La génération des écrivains “campagnards” fit son apparition sur la scène littéraire soviétique à la fin des années 60.
Parmi les écrivains ruralistes, les plus connus et les plus engagés sont Vasili Belov, Valentin Raspoutine et Vladimir Solúkhin. Comme leur nom l’indique, ces auteurs préfèrent décrire dans leurs nouvelles la vie rurale et considèrent que les grandes villes modernes sont les cimetières de la nation et les propagatrices des grands vices qui frappent les sociétés modernes. Aux modes modernes venues d’Occident, au consumérisme et à l’admiration pour tout ce qui vient de l’étranger, ces écrivains opposent un modèle de vie lié à la Terre. Leur idéal est celui du paysan, de l’homme simple qui est toujours resté en contact avec la “mère-nature”, qui vit dans un monde naturel, imbriqué dans la succession des cycles vitaux, avec ses propres fêtes qui égaient la dureté de l’existence dans les champs, etc.
Ne pensons pas que les écrivains ruralistes ne s’intéressent qu’aux problèmes de la campagne moderne. Ils cherchent surtout à transmettre une vision du monde où trouvent place tous les problèmes graves qui menacent le peuple russe et pas seulement lui… L’écrivain ruraliste le plus important, Valentin Rasputin, s’est rendu célèbre en URSS en publiant sa nouvelle Adieu à Matiora. Il y conte la tragédie d’un hameau russe très retiré que les autorités décident de sacrifier pour construire un barrage qui retiendra un lac gigantesque. Tout en se basant sur des faits réels, la nouvelle est hautement symbolique. Le fait que Matiora soit sacrifié pour le bénéfice de l’électrification est très significatif, si l’on se souvient de la phrase célèbre de Lénine qui disait que le communisme équivalait à l’établissement du pouvoir soviétique plus l’électrification du pays.
Contre toutes les décadences…
Le langage allégorique de Rasputin n’est pas passé inaperçu du côté des autorités et il a dû affronter bon nombre de problèmes pour pouvoir faire éditer sa nouvelle. En général, tous les écrivains ruralistes ou, pour mieux nous exprimer, les écrivains nationalistes russes, essuient régulièrement de fortes critiques parce qu’ils défendent des “coutumes patriarcales”, parce qu’ils s’insurgent contre la collectivisation des terres et défendent la religion orthodoxe et parce qu’ils sont des écologistes militants.
Rasputin, tout comme les autres écrivains nationalistes, défend ses opinions dans de nombreux articles de presse et lors de multiples rencontres personnelles avec ses lecteurs. Ces rencontres se déroulent généralement dans des auditoires bourrés de monde. Un ami de l’écrivain décrit comme suit l’une de ces causeries de Rasputin avec ses lecteurs :
« Lors de cette soirée, nous avons pu entendre que la société traverse une période de décadence morale, que nous déambulons tous dans un cul-de-sac et que si nous ne réagissons pas, dans 7 ou 10 ans, nous entrerons dans un processus irréversible de décomposition. Valentin Rasputin nous exhorte alors à nous rebiffer, à sauver la jeunesse qui a grandi dans un milieu dépourvu de toute spiritualité. Il tire une sonnette d’alarme : le peuple non seulement s’adonne à la boisson, mais se transforme en un ramassis d’ivrognes… Depuis ces rencontres avec les lecteurs, il y en a qui dénoncent Rasputin et disent : Que se permet donc ce Rasputin ? ».
La logique du système veut qu’en URSS si l’on cherche à se faire entendre sans être marginalisé, il faut adopter une posture de fidélité, même tout à fait extérieure, à l’égard des postulats du marxisme-léninisme. Mais les textes de Lénine sont comme ceux de la Bible : chacun peut les interpréter à sa manière. Il suffit de commencer son discours par une citation judicieuse de l’un ou l’autre classique du marxisme-léninisme, même si le corps du texte qui suit la réfute dans tous ses aspects. C’est un des paradoxes de la vie soviétique : quand une personne se proclame loyale envers les “idéaux du communisme”, elle professe en fait le plus souvent un credo politique lié soit à la tradition trotskiste soit au libéralisme ; ou bien, elle peut agir exactement comme le peintre Ilya Glazunov, dont les tableaux reflètent essentiellement les thématiques nationalistes et religieuses ; Glazunov exécute les portraits des chefs communistes soviétiques et étrangers, ce qui ne l’empêche pas de se proclamer monarchiste et de distribuer à ses amis des exemplaires des Protocoles des Sages de Sion. Ce qui est sûr, c’est que Glazunov est le seul peintre russe dont les expositions attirent des milliers de simples travailleurs manuels qui, normalement, s’intéressent très peu à l’art.
La destruction de la famille russe
Autre exemple : l’écrivain “campagnard” Vasili Belov, qui participa comme délégué au XXVIIe Congrès du PCUS. Devant les congressistes, il répondit à la question que lui posait un périodique ; en l’occurrence : “quelle est sa préoccupation majeure en tant qu’écrivain et citoyen ?” Sa préoccupation majeure, expliqua-t-il, était la destruction de la famille.
La dernière nouvelle parue de Belov a été publiée en 1987 et porte pour titre Rien ne nous arrête. Cette nouvelle brosse un tableau impitoyable de la famille moderne, institution en faillite. La narration se concentre autour de la vie de plusieurs intellectuels et de leurs familles. L’auteur critique durement la pratique de l’avortement en URSS, qui est libre et gratuit, la mode des divorces et la prétendue émancipation de la femme. Cette œuvre a provoqué l’ire des partisans de l’idéologie cosmopolite. Pour en comprendre la raison, analysons la nouvelle en détail. L’un des personnages, Gruz, organise, pour la farce, une enquête auprès de ses compagnons de travail. Parmi les questions posées : quelle classe de personnes détestez-vous le plus ? Le personnage principal de la nouvelle, Dmitri Medvédev répond : « Entre les femmes lesbiennes et les hommes homosexuels, pourquoi te donnes-tu tant de mal, Dmitri Andréévitch ? » — « Parce que j’ai de la délicatesse — rétorque Gruz. Aux pauvres pervertis : pour qu’ils n’aient pas de descendance ! », ricane Medvédev, puis éclate de rire… « Sur le plan spirituel, ce qui est le plus répugnant pour l’humanité, explique ensuite Medvédev, ce sont les psychoses et les hypnoses collectives et, parmi les “groupes organisés”, Medvédev dénombre les délinquants… « Fort bien, poursuit Medvédev en riant, lequel des groupes organisés est selon toi le plus, le plus… ». « Les maçons », chuchote Gruz. « L’as-tu constaté ? On ne sait rien d’eux ». « C’est précisément à cause de cela qu’ils me répugnent ».
Un autre personnage positif de la nouvelle, le médecin narcologue Ivanov, dit, dans une discussion avec Dmitri Medvédev : « Peut-être ne sais-tu pas qu’il existe une force puissante, maligne et secrète, qui œuvre en une direction déterminée ? Et que très peu de personnes l’affrontent consciemment… ». « Sottises ! — s’exclame Medvédev irrité —, la personnification du diable n’est utile qu’au diable lui-même… Le mal est important mais tant qu’on ne le personnifie pas… Et comment pourrait-il s’incarner dans quelque chose sans que personne ne s’en rende compte ? ». « Je ne dis pas que personne ne s’en rend compte… Quoi qu’il en soit, il est très facile que le mal s’incarne ». « En quoi ? ». « En tout ! Il le peut ! Dans une épidémie de grippe par exemple ! Ou dans la bombe de Teller. Dans la guerre Iran-Irak. En toutes choses. Ivanov, tu jettes la bouteille avec son contenu. Sais-tu combien d’enfants retardés naissent en notre pays ? ».
Les Russes condamnés à disparaître en tant que peuple
Un autre dialogue curieux se déroule entre les mêmes personnages : « Pour annihiler un peuple, n’importe lequel, il ne faut pas nécessairement jeter des bombes atomiques sur son territoire. Il suffit de faire des fils les ennemis de leurs pères, de monter les femmes contre les hommes ». Mais ce qui est le plus intéressant dans la nouvelle, ce qui, de ce fait, a suscité beaucoup de hargne contre elle, c’est le portrait d’un intellectuel juif typique, Mihaíl Brish, portrait croqué avec brio par Belov. Citons quelques fragments de la nouvelle, où il entre en scène : « Un jour, j’ai dit que Jésus-Christ n’était pas juif. Évidemment, Misha (Mihaíl Brish) m’a aussitôt collé sur le dos une immense étiquette d’antisémite. Mais le pire c’est qu’il me démontrait quelques minutes plus tôt que Jésus-Christ n’avait jamais existé !! ». Mais le point culminant du texte, c’est quand s’affrontent verbalement l’intelligence juive, celle de Brish, et l’intelligence russe, celle d’Ivanov : « Tu crois donc que je suis antisémite ? », demande Ivanov. « En fait non, mais tu es candidat pour l’être ». « Mais, mon cher Mihaíl, tous ces discours antijuifs se fondent sur des inventions… Tu le sais parfaitement toi-même. Qui dit donc que tu n’as pas le droit de vivre ? ». « Déjà 200.000 Juifs ont dû quitter le pays, chassés par vous, les Russes ! ». « Alors, toi aussi, tu penses t’en aller. Pars donc ! Tu peux déguerpir sur l’heure ; ton peuple, comme tu dis, t’accueillera partout ! ». « Mais ton peuple à toi ne peut se comparer au mien. Vous Russes n’avez pas donné au monde autant de génies que nous. Nous, nous avons enrichi la culture mondiale. Le christianisme continue à s’alimenter de nos mythes. Quant à vous, qui êtes les Scythes, comme l’a dit Blok, votre destin est de disparaître ! ». « Et pourquoi devrions-nous disparaître ? ». « Parce que vous êtes une nation d’ivrognes ! Vous êtes déjà en train de disparaître. Vos femmes ne font plus d’enfants ! Elles ne veulent pas en faire et vous disparaissez ! ».
Pour terminer l’analyse de Rien ne nous arrête de Vasili Belov, nous citerons un autre pronostic audacieux de l’auteur, exprimé dans la bouche de l’un de ses personnages : « Dans dix ans (le personnage parle pendant les années 70), le néocolonialisme apparaîtra au monde sous les oripeaux du socialisme développé ».
L’une des préoccupations majeures de l’écrivain Belov, c’est donc la destruction de la famille et le déclin concomitant de la natalité au sein de la population russe. Tous les nationalistes russes partagent ce souci. Selon les statistiques les plus récentes, 58 % des familles de la République Socialiste Fédérative de Russie-Sibérie (principal noyau de peuplement européen-slave du pays) n’ont qu’un seul enfant et une grossesse sur trois se termine par un avortement.
L’orthodoxie marxiste a provoqué l’effondrement démographique
Dans le domaine de la famille, le régime a toujours défendu une politique calquée sur l’orthodoxie marxiste. De ce fait, les idéologues communistes ont déclaré que la famille était “l’ultime refuge de la conception petite-bourgeoise de la vie” ; en conséquence, ils prévoyaient que l’éducation des enfants se ferait par l’État et que celui-ci hériterait, en fin de compte, du rôle dévolu traditionnellement à la famille. Dans les années 70, des sociologues comme la courageuse Tamara Afanasieva insisteront sur la nécessité d’en revenir à une vie familiale saine et d’orienter la politique de l’État de façon telle que puissent se recréer des familles de type traditionnel, avec de nombreux enfants. Mais pendant ces années-là, la politique menée par l’État planifiait l’accroissement du phénomène des mères solitaires. Pour avoir publiquement exprimé des opinions contraires à cette politique, Tamara Afanasieva et quelques autres furent accusés de défendre des positions anti-marxistes et de lutter contre l’émancipation de la femme.
Par ailleurs, et pour retourner à la vie littéraire russe, le Samizdat de Moscou, à la fin de l’année 1986, se mit à faire circuler la polémique épistolaire entre le célèbre critique littéraire soviétique Natan Eidelman et l’écrivain russe bien connu, Victor Astafiev. La polémique fut amorcée par Eidelman et largement diffusée, non seulement dans le Samizdat mais aussi dans toute la presse des émigrés, qu’elle soit juive ou pro-juive, ainsi que dans toutes les revues dirigées par les nationalistes russes.
Astafiev et la renaissance des lettres russes
Il faut savoir qu’Astafiev est l’un des plus importants écrivains soviétiques contemporains. Par ses idées et son style, on peut le situer proche du courant ruraliste. Astafiev jouit d’une grande popularité et sa nouvelle Le détective triste, éditée en 1986, est rapidement devenue un best-seller, difficile à censurer dans les librairies de l’État. Outre qu’il est considéré comme un écrivain prestigieux, Astafiev a occupé le poste de Secrétaire au Directorat de l’Union des écrivains d’URSS. Des prix importants lui ont été accordés par l’État pour l’excellence de ses œuvres. Tous ces détails sont importants à évoquer afin de mieux comprendre l’impact qu’a eu sa lettre-réponse à Eidelman. Ce dernier accusait Astafiev d’être un “chauviniste russe” et, partant, un antisémite. Dans sa réponse, Astafiev se transforme en accusateur et reproche aux Juifs d’être les principaux ennemis de la renaissance nationale russe. Voilà ce qu’il écrit en substance :
« Toute renaissance nationale, et surtout en Russie, doit forcément avoir ses adversaires et ses ennemis. La renaissance est nécessaire car nous en étions arrivé au point que l’on nous empêchait de chanter nos chansons, de danser nos danses, d’écrire dans notre langue et que l’on nous imposait ce charabia espérantiste, dénommé subtilement ‘langue littéraire’. Nos aspirations ‘chauvines’, elles consistent essentiellement en cette chose élémentaire, qui fait peur à nos adversaires : travailler pour notre compte aux éditions complètes des classiques de notre littérature, nous occuper des encyclopédies, parfaire toutes sortes de travaux de rédaction, faire renaître le théâtre et le cinéma et, ô horreur, ô catastrophe, commenter le Journal de Dostoïevski » (où l’écrivain russe dénonce les complots de la “juiverie internationale” et cherche à prédire ce qui arrivera lorsque les nihilistes, mené par les Juifs, accéderont au pouvoir en Russie. Dans le contexte actuel, on imagine quel tollé pourrait soulever une réédition de ce texte explosif de Dostoïevski, où s’exprime sans détours les motivations profondes du nationalisme russe et/ou du message orthodoxe).
Poursuivant ses imprécations, Astafiev attaque le plus célèbre propagandiste de “l’athéisme scientifique” en URSS, Iosif Krivelev, et rappelle, leitmotiv sans cesse récurrent, la culpabilité juive dans l’assassinat du Tsar Nicolas II. Prenant le strict contre-pied des sentiments dominants de notre époque, Astafiev déclare : « si de nombreux juifs se sont retrouvés au Goulag soviétique, c’est parce que le Juge Suprême les a punis pour qu’ils expient tout ce que leurs frères ont infligé à la Russie ». Ensuite, Astafiev termine sa lettre-réponse à Eidelman en adoptant un ton prophétique : « Comme vous pouvez le constater, nous les Russes, nous n’avons pas perdu la mémoire ; nous sommes toujours un grand peuple et si l’on peut nous tuer, il faut encore pouvoir nous enterrer ».
Les objectifs de Pamiat
L’effort principal de l’Association Patriotique Pamiatconsiste à se faire légaliser officiellement. Ce désir d’agir en terrain légal est logique: de cette manière seulement l’association pourra faire entendre sa voix dans de larges couches de la population. Quelles sont les espérances de Pamiat? Ses adeptes tablent, affirment-ils, sur la diminution de l’influence juive dans les appareils du pouvoir soviétique. Mais l’expérience qu’ont constituée ses activités démontre que le pouvoir réel en Union Soviétique demeure marqué par l’idéologie internationaliste et cosmopolite (laquelle est qualifiée de “juive” par les nationalistes russes de Pamiat).
L’association Pamiatlutte activement contre la destruction des monuments historiques en Russie ; elle agit habituellement en organisant dans les villes russes des veillées où l’on cause de culture et d’histoire. Les membres de l’association profitent de ces soirées pour dénoncer le sionisme infiltré dans les diverses institutions soviétiques et son travail de sape russophobe. Voici quelques passages tirés d’une conversation tenu par Vasiliev, la figure la plus connues de Pamiat:
« Je voulais, ce soir, dénoncer les agissements du sionisme et vous montrer une série de documents ; je voulais les lire devant vous (applaudissements). Je disais donc que je voulais, parce que j’ai reçu des menaces téléphoniques… Déjà ils ont cassé la tête de la Présidente de notre administration, Elena Degtiar, en plein jour devant les bâtiments du Soviet de Moscou… Voilà ce qu’il en coûte de critiquer le sionisme… Résultat : nous vivons à cause des agissements sionistes comme en zone d’occupation… Tous ces cris qui fusent dans la rue à notre adresse, “vous êtes des nazis, demain nous allons massacrer vos enfants” sont hurlés par des provocateurs dirigés par une main précise… Les idéologues du sionisme ont élaboré jadis un document, Les Protocoles des Sages de Sion, dans lequel est consignée la doctrine secrète du sionisme, restée en vigueur jusqu’à nos jours.
Pour nous, le sionisme vise l’annihilation totale de notre peuple. Lénine, dans les dernières années de sa vie a consacré beaucoup d’attention à cette question… Je ne citerai pas la liste complète de la bibliographie sur cette question qui est conservée dans l’étage-musée dédié à Lénine au Kremlin et qui démontre l’existence de ces protocoles, dont le contenu s’est avéré vrai de nombreuses années plus tard, dans la vie quotidienne. Et si le chef du prolétariat international a étudié cette question, moi, en tant que léniniste, j’ai le devoir de savoir ce qu’a fait notre chef… Car le sionisme n’est fort que de notre ignorance, de notre couardise et de notre bassesse. Gorbatchev a dit que le pourcentage de la population juive s’élevait à 0,69 % au total mais à 10-20 % dans l’appareil gouvernemental. Mais si nous prenons sous la loupe les syndicats d’artistes, la profession médicale, la presse, le monde des arts, nous découvrons que le pourcentage des juifs s’élève à 50-70 % ».
Ensuite Vasiliev lit quelques passages des Protocoles et termine en lançant un appel à ne pas commettre d’actes antisémites « car ceux-ci favoriseraient les desseins de l’ennemi ». Au contraire, il faut que les Russes améliorent leur conscience nationale. « Rien n’éloignera Pamiat de la ligne tracée par le parti ». Selon un témoin, à l’occasion d’une autre veillée de Pamiat, plusieurs adeptes du courant nationaliste païen lancèrent une discussion au cours de laquelle l’un d’eux prononça la phrase suivante :
« Staline était la marionnette de Kaganovitch. Aujourd’hui, nous avons toujours parmi nos dirigeants des montreurs de marionnettes, comme Arbatov, qui est juif, et quelques autres… Ils ont envoyé Gorbatchev se promener à Reykjavik. Reagan y a été traîné par ses propres montreurs. Et pendant que Reagan et Gorbatchev discutent, les sionistes tirent les ficelles de tous côtés pour parvenir à un accord. Dans ce cas, pourquoi ne pas confier directement la politique extérieure au ‘judéo-maçon’ Arbatov ? ».
La dissolution de Pamiat et le débat qui s’ensuivit
En 1986, l’association Pamiatfut officiellement dissoute et il fut défendu aux membres du parti d’y être associés ou d’en appuyer les thèses. Mais Pamiat n’a pas disparu pour autant. Bien au contraire. Son aura n’a fait que croître. En 1987, la presse soviétique commence à attaquer l’association. Le but de ces articles était à l’évidence de monter les activistes de base de Pamiat contre leurs chefs. Ces écrits visaient à “ouvrir les yeux” du public et à signaler la fausseté des Protocoles et leur utilisation perverse par les “fascistes allemands”. Ils expliquaient aux sympathisants de PAMIAT que leurs chefs étaient de dangereux paranoïaques et qu’il n’y avait pas en URSS de sionistes camouflés, mais que tous, uniment, étaient du même côté de la barricade. Comme ces discours n’ont eu aucun effet, le ton a changé. Désormais, la presse soviétique officielle reconnaît que, malheureusement, le phénomène de l’antisémitisme possède des racines profondes et trouve de nombreux adeptes dans le peuple russe.
Citons quelques extraits de lettres parvenues à la rédaction de la Komsomolskaïa Pravda, la revue qui avait le plus violemment attaqué PAMIAT. Ainsi, une femme hostile à Pamiatraconte comment un petit aréopage d’auditeurs applaudissaient un orateur assez chaleureux qui proclamait que « notre gouvernement est maçonnique et que le parti mène le peuple à une impasse ». Et la femme termine sa missive : « Tout cela rappelle l’Allemagne de 1933 ; les conséquences de tout cela sont bien connues ». Un autre adversaire de Pamiat, membre du parti communiste allemand, écrivait : « ces gens-là cherchent à susciter chez les Russes le sentiment d’appartenir à une race supérieure, exactement comme ont procédé les hitlériens en Allemagne. Tout cela entraînera des conséquences terribles ».
Dans les lettres favorables à Pamiat (plus nombreuses que les lettres hostiles selon les termes mêmes de la rédaction), l’argument le plus souvent entendu était le suivant : “Tout homme de bon sens sait que le phénomène d’aliénation a été provoqué par les fils d’Israël”. Une autre lettre, signée et mentionnant l’adresse de l’expéditeur, affirme ceci : « Lénine haïssait la Russie, alors pourquoi serais-je obligé de partager ses opinions ? Ils ont massacré la famille du Tsar ; ils ont exterminé la noblesse ; ils ont liquidé la bourgeoisie en tant que classe ; ils ont détruit les églises. Que cherchaient-ils ? ». Dans une lettre collective postée à Léningrad : « V.I. Oulianov (Lénine) écrivait : “vengeance contre le tsarisme maudit”. Il écrivait cela parce que lui-même était un fils d… ». Le nombre de lettres de ce tonneau était impressionnant.
Le développement actuel de la politique intérieure et extérieure de l’URSS semble refléter la déroute momentanée des forces nationales. La cosmopolitisation de la vie culturelle du pays va en augmentant. En politique extérieure, les efforts soviétiques vont dans le sens d’un rapprochement avec Israël. Ce rapprochement se perçoit dans la politique soviétique d’émigration, dans la volonté de renouer des relations diplomatiques avec l’État d’Israël et dans la position importante que joue dans ce jeu Armand Hammer. D’autre part, le nationalisme russe vient d’essuyer de rudes attaques. Quelles sont dès lors les prévisions d’avenir ? Une chose est certaine : ni les interdictions ni la terreur ne pourront détruire les sentiments nationalistes du peuple russe, profondément ancrés. Quant aux internationalistes, il ne leur reste qu’une solution : se débarrasser physiquement du peuple russe, en arrêtant sa croissance démographique, ce qui est en train de se produire depuis quelque temps. En 1917, la Russie a perdu une bataille ; elle en reperd une aujourd’hui. Mais la guerre se poursuit et tout peut encore arriver.