Un panslavisme pour le XXIe siècle

vereshagin

Entretien entre Boris Nad et Rodrigo Sobota

Rodrigo Sobota, qui êtes-vous ?

Je suis un slaviste à temps partiel avec un profond intérêt pour tous les domaines de la culture, civilisation, etc., qui ont été un trait commun de la civilisation slave à travers les siècles. J’arriverai bientôt dans mon pays natal, et dans celui-ci j’espère faire avancer quelques projets personnels. L’un d’eux est l’ouverture prévue d’un nouveau chapitre russo-tchèque de l’Eurasie, pour lequel j’ai déjà trouvé de nombreux amis potentiels qui partagent mes idéaux de coopération russo-tchèque. En utilisant des paradigmes historiques, métapolitiques, sociaux, idéologiques et autres, nous espérons faire avancer cette mission et parvenir graduellement à réaliser notre vision.

Je suis très intéressé par l’eurasisme parce que, consciemment ou pas, j’ai partagé beaucoup d’éléments qui rendent mes idéaux communs avec les vues de Douguine. Ma propre admiration pour les slavophiles, Platon, l’anti-occidentalisme, l’ancienne Russie, Oswald Spengler, René Guénon et Julius Evola, l’idée d’Empire sacré, etc. Ainsi que mon mépris pour le libéralisme et l’individualisme comme paradigme spécifiquement occidental – et non universel – qui contredit l’esprit des sociétés traditionnelles antérieures.

Les Slaves forment encore le plus grand groupe ethnique en Europe aujourd’hui. Il y a environ 1.200 ans, les Slaves parlaient une même langue. Encore aujourd’hui, ils partagent un héritage commun et une culture commune. « La civilisation des Slaves », écrivez-vous, « appartient aux immenses steppes de l’Est », et l’ethnogenèse des Slaves est étroitement apparentée aux peuples indo-iraniens d’Eurasie et de l’Est de l’Europe.

Selon vos paroles, « La civilisation slave n’a jamais été complètement occidentale », même dans le cas des peuples slaves qui tombèrent sous l’autorité spirituelle de l’Eglise catholique. Les Slaves « n’entrèrent jamais pleinement dans l’orbite de l’Occident latin », contrairement à ces nations qui apparurent dans l’Empire franc de Charlemagne. L’une des principales raisons de cela est l’acceptation tardive du christianisme (comparée aux nations occidentales). Une autre raison importante est certainement les traits de la culture slave ?

Les Slaves furent parmi les derniers peuples à pleinement adopter le christianisme. Jusqu’à la période mongole, de nombreux peuples slaves sous la domination de la Horde d’Or dans l’est n’étaient pas chrétiens, mais avaient des pratiques mixtes slaves païennes et steppiennes comme les kourganes funéraires. Même ainsi, on peut dire qu’en tant que groupe nous étions encore unis jusqu’à une époque très récente, alors que d’autres groupes ethniques comme les Germaniques étaient déjà en train de diverger.

Cela dit, ce n’est pas seulement à cause du noyau païen, mais aussi à cause du fait que Cyrille et Méthodius nous donnèrent l’opportunité de construire les fondations de notre société d’une manière totalement divergente, en adoptant l’alphabet glagolithique, et aussi en adoptant le byzantisme et l’Orthodoxie mélangés avec notre propre essence sous une forme de « sarmatisme » culturel, ressemblant au courant baroque polonais du même nom. La présence même du sarmatisme, et la structure ethno-sociale particulière et divergente de l’élément ruthène et cosaque dans les terres du vieux monde polonais-lituanien atteste de cette divergence fondamentale et aussi de notre essence commune en tant que peuple de l’Eurasie, même quand les Polonais et d’autres Slaves occidentaux eurent adopté les fondations latines de l’Occident.

Ce genre de dichotomie, de plus, atteste précisément de ce que je vois comme la dichotomie fondamentale dans notre propre identité. Et sans aucun doute, les Russes étaient encore plus à part, étant des orthodoxes, et étant essentiellement eurasiens dans leurs usages et coutumes. Ils étaient eux-mêmes un sous-produit du mélange slave-touranien dont Douguine, Gumilev et avant eux Danilevski ont tous parlé, c’est-à-dire qu’il y eut un mélange prononcé entre l’élément steppien nomade et les coutumes, usages et attitudes byzantins slaves de l’est. Le meilleur auteur sur le sujet est incontestablement Konstantin Leontiev, mais Douguine l’a dépassé récemment.

La propre analyse du Dasein et du logos russes par Douguine éclaire aussi cela, à partir de ses spéculations sur la raison pour laquelle la Russie n’a jamais développé une philosophie, parce qu’elle n’a jamais eu un fort sens de l’« autre » comme dans la perspective occidentale, entre beaucoup d’autres choses. D’autres auteurs qui aident à comprendre cela et que je connais sont Leontiev, Spengler (partiellement), mais aussi Ivan Kirievski. Ivan Kirievski remarqua à juste titre que la vision cosmologique de la société russe était un sous-produit d’une vision byzantine essentiellement différente qui précède la modernité et qui était davantage centrée sur le platonisme, et était en opposition avec la vision moderne de l’Occident, et aussi de l’individualisme et du logocentrisme aristotélien et romano-germanique qui imprégnèrent l’Occident précoce à partir du Moyen-âge. La civilisation russe eut toujours des tendances qui étaient nettement différentes de cela, et le concept d’une individualité distincte n’apparut jamais vraiment ici ainsi que cela eut lieu dans l’Europe occidentale.

Y a-t-il, ou y a-t-il eu une civilisation slave dans le passé ? Les Slaves peuvent-ils aujourd’hui se distancer complètement de l’esprit romano-germanique pour former une civilisation séparée, ou cela reste-t-il seulement une potentialité lointaine ?

Oui, il y a eu une telle civilisation, et elle est aussi marquée par une forte tendance pour un mélange entre sarmatisme et byzantisme, et aussi par une vision platonicienne qui est authentiquement holiste et qui porte authentiquement les caractéristiques qu’on trouve dans les écrits de Dostoïevski, par exemple.

Des exemples de civilisations passées de type byzantin sont la Russie, les Slaves ruthènes et petits-russes [= ukrainiens] sous la domination de la Pologne, le Royaume de Bulgarie et de Serbie, et même l’ancien Royaume de la Grande Moravie. Leur seule contrepartie latine importante serait la Pologne. Mais même la Pologne, bien qu’étant bien plus alignée sur l’Occident, était à de nombreux égards en retard sur celui-ci, et partageait de nombreux traits qui étaient culturellement et spirituellement distincts de l’esprit latin. Le sarmatisme est en fait simplement son expression la plus fameuse.

La division religieuse en Eglise catholique occidentale et Eglise orthodoxe orientale, le grand schisme de 1054, eut des conséquences tragiques pour les Slaves. Spécialement pour les Slaves du Sud. A votre avis, cette division a-t-elle empêché définitivement l’unité politique des Slaves du Sud ?

Oui, à de nombreux égards, bien que ce qui fut réellement décisif fut l’absence d’un pouvoir fort et centralisé. La Grande Moravie aurait pu adopter le byzantisme, à mon avis, et aurait pu être un bastion de la Slavité [= du monde slave] en Europe Centrale, mais elle se désintégra trop rapidement pour que cela puisse arriver. En conséquence, ce vide du pouvoir fut rempli par les Hongrois, les Polonais et les Allemands latins, pendant que la langue slovaque et tchèque commença à se séparer dans une mesure telle qu’après le XVIe siècle elle devint inintelligible [pour les autres Slaves].

Pour les Slaves du Sud, la division entre le royaume de Croatie et le royaume de Serbie fut fatale. Et la division même causée par le schisme, avec l’absorption de la Croatie par la Hongrie latine après 1100, signifia aussi que le pôle occidental de la Slavité était le sujet passif de pôles de puissance qui n’étaient ni slaves, ni byzantins, mais qui appartenaient plutôt à l’Occident latin. Cela aurait des implications décisives pour le bien-être, l’identité et l’unité de la civilisation slavonne. Après l’apogée du royaume serbe, il faudra attendre l’émergence de la Moscovie sous la forme de la Rus’ pour assister à la création d’un puissant Etat slave qui était simultanément un pôle de civilisation en lui-même et qui pouvait être regardé comme étant dans ce sens comme totalement divergent de l’Occident à tous égards.

Aujourd’hui, les peuples slavons sont aussi divisés en « Etats-nations », en général opposés et mal dirigés. L’« Etat-nation » et le concept de nation moderne sont tous deux, selon vos paroles, « des créations artificielles, d’un caractère typiquement occidental ». Pouvez-vous expliquer cela plus en détail ?

Je partage l’avis de Douguine à cet égard, en ce que la société et l’organisation traditionnelles ne connaissent pas fondamentalement l’Etat-nation, mais que l’essence d’une telle  organisation est plutôt typiquement d’un caractère romano-germanique et moderne. En tant que tel il pourrait être rejeté des éléments et de la mentalité romano-germaniques anciens eux-mêmes. C’est également vrai pour d’autres pôles et civilisations plus lointains, comme l’Inde et la Chine anciennes, ou même le monde islamique – on peut affirmer qu’avant les accords Sykes-Picot, le monde islamique non plus n’a jamais connu l’Etat-nation, et même aujourd’hui celui-ci reste un élément perturbant et controversé parmi les musulmans – dont beaucoup cherchent à abolir le concept et les divisions qu’il apporta parmi eux.

De même, même si les peuples slaves sont maintenant divisés en Etats-nations, c’est une invention très récente. Avant cela, ils se rassemblèrent pendant longtemps dans des empires multiethniques spécifiques, des monarchies héréditaires comme les Habsbourg, la Russie, la Pologne, et même l’Empire ottoman. Mais nous pouvons dire que non seulement l’organisation en ethno-Etats spécifiques est très récente, mais aussi qu’elle n’est pas absolue ou définitive, et qu’elle doit forcément changer selon l’esprit de l’époque dans laquelle nous vivons.

Divisés, les Slaves furent des proies faciles pour les colonisateurs. Aujourd’hui, c’est l’Occident atlantiste et libéral (pas l’Europe romano-germanique) qui impose ses propres valeurs de civilisation matérialiste, contrairement à la « vision-du-monde » slave, à la culture et à la spiritualité traditionnelles slaves, à l’héritage spirituel slave.

Vous exposez un total de neuf grandes étapes dans le développement de l’identité slave par rapport à la polarité entre l’« Est » et l’« Ouest ». La première est celle de la Russie kiévienne, l’ère de saint Cyrille et Méthodius, de la Grande Moravie…

Dans la « seconde phase », le pôle dominant de l’identité slave (et byzantine) devint l’empire serbe (l’empereur Doushan), avec l’empire bulgare.

L’histoire de la Slavité fut marquée par le conflit entre la Slavité latine (la Pologne) et la Russie byzantine-orthodoxe et eurasienne – la « Troisième Rome » orthodoxe. A votre avis, dans le cas de la Pologne, est-ce une « pseudomorphose » spenglerienne ou une culture et un mouvement slavo-latins authentiques ?

C’est une pseudomorphose, mais qui a affecté la Pologne bien plus profondément et essentiellement que les éléments ruthènes, petit-russes (ukrainiens) et biélorusses, et certainement bien plus que la Russie.

Alors que la latinité est devenue une partie essentielle de l’identité polonaise, ce n’est pas le cas pour l’identité ruthène, qui resta toujours très distincte, même pendant l’époque de la suprématie polonaise après l’Union de Lublin en 1569.

Pour la Russie, ce fut un caractère, une essence, un facteur civilisationnel totalement différent. Nous sommes largement d’accord avec Leontiev pour dire que l’élément byzantin avait fusionné avec l’élément mongol et touranien, et que de cela émergea l’identité russe fondamentale. Et cette forme d’identité fut même dominante jusqu’à la venue de la pseudomorphose pétrinienne, et l’imposition forcée de la modernité occidentale aux élites de l’empire russe.

Dans les faits, après la Réforme, le caractère essentiel de la civilisation romano-germanique primordiale fut fondamentalement brisé. Il ne restait plus que le paradigme occidental-eurocentrique primordial à développer, le paradigme « faustien » avec des sous-entendus protestants qui donnerait aussi naissance au libéralisme. Mais à part la Pologne, le modèle fondamental de la civilisation traditionnelle se dissout rapidement dans ces Etats slaves qui tombèrent sous la domination de l’élément romano-germanique, et beaucoup d’entre eux devinrent protestants et soumis à des influences de type proto-libéral et prémoderne.

A mon avis, qui tend vers le byzantisme, le slavophilisme, le romantisme et le traditionalisme, cette vision cosmologique ne fut jamais dominante ni même appréciée des panslavistes de l’ouest. Beaucoup d’entre eux restèrent des catholiques traditionalistes, ou au mieux des prémodernes, mais beaucoup d’autres cherchèrent les racines de la Slavité authentique plus à l’est. Ludovic Stur de Slovaquie en est un clair exemple, mais il y en a d’autres. En Pologne aussi, comme l’a remarqué Konrad Rekas, nous voyons des figures intellectuelles de l’époque romantique défendre une essence intrinsèquement « orientale » de la Slavité, et même une plus grande proximité avec la Russie. Les liens serbo-russes étaient aussi extrêmement puissants, ainsi que les liens bulgaro-russes. Et je partage leur avis que la Slavité aurait pu se voir comme un ensemble byzantiniste-slavophile fondamental, au lieu d’un mélange fragmenté entre un substrat slave, des éléments orientaux, des vestiges du catholicisme, avec la société irréligieuse et proto-libérale moderne au-dessus de tout cela.

Le conflit majeur suivant (après le conflit avec la Pologne catholique) a duré plusieurs siècles entre le monde germanique (teutonique) et la Slavité, menée par la Russie. Il s’est terminé en 1945 (par une victoire russe). Pourquoi pensez-vous que le monde germanique n’est plus une menace pour les peuples slaves ? Le pangermanisme a longtemps été la « grande antithèse » de la Slavité, l’antithèse dont le nazisme allemand est sorti.

Le monde germanique, aujourd’hui, a été vaincu d’une manière décisive. De plus, l’ingénierie sociale et les complexes que les atlantistes libéraux ont imposés à l’Allemagne vaincue l’ont changée à jamais.

En un certain sens, l’Allemagne de 1870-1945 ne reviendra jamais. Cette Allemagne est morte et enterrée, ainsi que le concept même de pangermanisme, avec la catastrophe historique du nazisme. De plus, le peuple allemand dans son ensemble ne possède plus le même esprit qu’hier, et à mon avis, ils sont devenus trop américanisés, trop libéraux, et sont en train de perdre leur identité fondamentale en tant qu’ethnos. Même s’ils mènent encore sur le plan économique, leur population est vieillissante et en diminution rapide, la moitié des scientifiques femmes en Allemagne sont sans enfant, et l’esprit postmoderne est très fort ici. De plus, la brillance culturelle dans tous les domaines de l’art, de la science, de la philosophie, etc. de l’époque wilhelminienne, n’existe plus.

L’Allemagne risque de devenir une autre Hollande, une autre Suède, et de sombrer dans la dépravation de l’existence libérale postmoderne où le gouffre est béant et où la lumière du soleil ne se montre pas. Quelques éléments tentent de rompre avec ce paradigme, mais dans l’ensemble je vois un plus grand avenir chez nous les Slaves que parmi les Européens occidentaux postmodernes, qui sont maintenant à la fin de leur prééminence historique et civilisationnelle. L’avenir appartient à l’Orient, à nous les Slaves, à la Chine, à l’Inde, et même à la Turquie et quelques autres. La France, la Grande-Bretagne et même l’Allemagne, d’autre part, à mon avis, représentent le passé. Leurs jours de gloire comme empires mondiaux d’esprit typiquement moderne et occidental sont maintenant passés depuis longtemps, alors que la menace de l’islamisation et de la perte d’identité parmi eux est de plus en plus forte.

Le code culturel dominant en Allemagne, d’après le professeur allemand Wolfgang Wipperman, était et reste l’anti-slavisme. Cependant, il y a toujours eu un courant différent, slavophile et pro-russe, en Allemagne.

Oui, c’est vrai. Et même avant, pendant la Révolution Conservatrice, il y avait une très forte influence russe dans tous les domaines. Des émigrés russes eurent des rôles intellectuels décisifs, et parmi eux nous pourrions compter Ivan Iljine, un certain Boris Brasol qui avait des liens forts avec l’Allemagne, et il y avait une présence certaine d’une société secrète d’émigrés qui avait des contacts directs avec Goebbels et les nazis. Elle était appelée la Aufbau Vereinigung, et est le sujet d’un livre américain qui détaille l’influence de l’occultisme russe et du courant réactionnaire des émigrés « blancs » dans la vision-du-monde nazie. Même les nazis anti-slaves avaient largement assez d’espace pour certains éléments « blancs » extrêmes, qui étaient en symbiose naturelle avec leurs buts.

La Russie avait auparavant vaincu la Pologne, les Suédois, les Ottomans… et enfin, le Troisième Reich (nazi), et s’était établie comme le pôle dominant de la Slavité. Comment voyez-vous la position et le rôle de la Russie aujourd’hui par rapport au reste du monde slave ?

La Russie reste, en vertu de son héritage historique, et aussi sa dimension comme puissance, l’une des pièces principales de l’échiquier slave. La Russie d’aujourd’hui est libérale, mais ma conviction est qu’avec l’éclatement de la Yougoslavie, la Russie doit nécessairement travailler à son affirmation en tant que civilisation eurasienne d’abord et avant tout, pour pouvoir servir de centre de gravité de la Révolution Conservatrice dans la dimension slavo-touranienne de l’Asie Centrale et aussi en Europe orientale. En ce sens, beaucoup de gens d’origine slave occidentale et slave du sud, et encore plus dans l’ancienne URSS, sont d’accord avec ma vision. Les frontières et divisions géopolitiques actuelles sont trop artificielles pour refléter une réalité ou une synthèse plus profondes dans la Slavité, et le souvenir des autres époques est encore frais en nous. Nous ne sommes pas unanimes, mais nous reconnaissons que la synthèse eurasienne offre un paradigme immensément supérieur qui est déjà opérationnel et possible depuis 2019.

La dénommée « huitième phase » du développement de la Slavité englobe Tito et le titisme – la « grande synthèse des peuples slaves du sud », un genre particulier de « socialisme patriotique » en opposition avec l’Occident.

La « neuvième phase » de la Slavité est celle dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Le slavophilisme ne s’oppose pas au (néo)-eurasisme, spécialement s’il n’est pas compris comme un nationalisme ethnique étroit opposant les Slaves à tous les autres peuples non-slaves. Les Slaves sont encore un ethnos important en Eurasie, connecté à d’autres nations par des liens divers dans l’espace commun de l’Eurasie.

Aujourd’hui il y a aussi des peuples slaves dont les élites considèrent qu’elles se sont pleinement fondues dans l’Occident, dans le monde occidental. En fait, elles acceptent une position subordonnée à l’intérieur de la civilisation occidentale supposément supérieure, renonçant à leur nom et à leurs origines slaves. A votre avis, est-ce seulement temporaire, ou est-ce un choix civilisationnel durable ?

C’est temporaire. Même dans mon pays la Tchéquie, ou dans des endroits comme la Slovaquie, ou même en Pologne où il y a un mépris généralisé pour le communisme, le Pacte de Varsovie et l’héritage russe, il y a une dissidence.

Le choix pro-OTAN a été très récent et très relatif. Nous sommes encore très différents de l’Europe occidentale. Nous sommes sortis du communisme seulement assez récemment, et à de nombreux égards nous sommes bien plus « primitifs » que la plus grande partie de l’Europe occidentale qui a subi les effets du libéralisme pendant très longtemps. Nous sommes encore profondément reliés à notre essence, et à notre identité en tant que peuples indépendants, et nous sommes aussi très conscients de la manière dont le communisme nous a rendus différents et avait des aspects meilleurs que le paradigme libéral d’aujourd’hui, particulièrement concernant la préservation de notre identité ethnique. Les travaux et la pensée de Douguine, et ses analyses de ces phénomènes ont un fort écho sur nous, consciemment ou pas, et cela démontre que nous avons encore une mentalité et des voies distinctes de l’espace-noyau euro-américain occidental. Et aussi un but fondamental différent.

Vous écrivez : « La question du Kosovo a montré que l’Occident ne nous aidera jamais » (et aussi : « L’Occident n’est pas nous – n’est pas une civilisation slave »). La coopération et l’unification de l’eurasisme russe et serbe, le « chapitre russe et serbe de l’eurasisme », est une priorité. A votre avis, ce mouvement devrait être étendu à d’autres peuples slaves de l’Ouest et du Sud. Pouvez-vous expliquer cela plus en détail ?

J’assume entièrement cette phrase, à mon avis l’Occident est trop décadent. Toutes les accusations de Leontiev et de Spengler (et aussi de Nietzsche) contre la décadence occidentale, faites il y a longtemps, se sont avérées vraies à notre époque. La civilisation occidentale est mourante, et nous devrions converger vers un nouveau modèle géopolitique et cosmologique. L’eurasisme est la meilleure solution à cet égard, parce qu’il offre déjà les réponses et le corpus aux paradigmes que j’envisageais il y a déjà pas mal d’années.

Nous pouvons largement reconnaître que la civilisation occidentale est décadente. La plupart des musulmans seraient d’accord avec moi. Beaucoup de Tchèques aussi. Et, indubitablement, beaucoup de Serbes, de Turcs, de Russes, et d’autres. Même de nombreux Brésiliens sont d’accord avec cela. L’Occident aujourd’hui ne représente rien de concret, et est au bord de la totale absence de forme. Le paradigme eurasien est jeune, nouveau, il est basé sur des paradigmes solides, et est clairement la voie du futur. Personne ne se soucie plus de l’Occident et personne ne le respecte plus, et certainement pas comme au début du XXe siècle à l’époque où le pouvoir de l’Occident était à son apogée. Aujourd’hui, la plupart des gens qui sont en-dehors de l’Occident n’ont que du mépris pour lui, et c’est à un tel moment et à une telle époque que nous avons l’opportunité en or de mettre fin une fois pour toutes à la domination du paradigme occidental.

A votre avis, de quelle manière l’idéologie du panslavisme devrait-elle être réformée et adaptée au XXIe siècle ?

Peut-être que la meilleure réponse à cela est que le panslavisme pourrait être synthétisé dans l’idée de l’eurasianité turco-slave, qui inclurait la Hongrie, la Turquie, des pays comme le Kazakhstan, et d’autres. Mais aussi probablement la Macédoine, et le domaine entier du monde slave, avec les Slaves jouant les rôles les plus importants. Il y a une quantité d’éléments en commun parmi nous qui peuvent renforcer ce but. Tout ce que je dis, c’est que nous avançons.

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