Appel d’Edouard Limonov aux écrivains français

limonov

Publié dans le numéro 16 de Résistance (2002), l’organe d’Unité radicale.

Moscou, le 28 novembre 2001

Prison du FSB « Lefortovo », cellule 32

A mes chers amis et collègues « de plume », à mes chers amis écrivains et aux auteurs, comme moi, des éditions Ramsay, Albin Michel, Flammarion, Le Dilettante, L’Age d’Homme, Le Rocher, aux amis de L’Idiot International , à tous les écrivains libres et non-conformistes de France.

Comme vous vous en souvenez peut-être, en 1993 je me suis réinstallé en Russie pour aider ma Patrie qui traversait des moments difficiles. En octobre 1993, en pleine connaissance de cause, j’ai été parmi les défenseurs du Soviet Suprême à la « Maison Blanche » ; sans armes, j’ai essuyé la fusillade tragique de la nuit du 3 au 4 octobre devant la télévision à Ostankino. Après m’être caché dans la région de Tver, j’ai été candidat sans succès à la Douma d’Etat. En novembre 1994, j’ai créé un journal, Limonka  et depuis cinq ans je n’ai cessé, comme rédacteur en chef, de développer son audience auprès de la jeunesse russe. La même année, avec le philosophe Alexandre Douguine, j’ai fondé le Parti national bolchevik. Actuellement, celui-ci compte dans ses rangs 8000 membres, souvent très jeunes, et il est présent dans cinquante régions de la Russie. Durant ces années, le PNB, dans le cadre de ses idéaux socialistes et de justice nationale, a développé son action strictement dans le cadre des lois en vigueur en Russie.

Le mouvement a pris de l’ampleur et, en 1998, nous avons tenu son premier congrès. En respectant les conditions très dures imposées en Russie, nous avons plusieurs fois essayé d’enregistrer notre parti auprès du ministère de la Justice, sans succès. Nous avons alors compris que le Pouvoir ne nous permettrait pas de nous présenter devant les électeurs.

A partir de 1999, nous avons pris une part active dans les manifestations de protestation contre le sort réservé aux fortes minorités russes dans les territoires ex-soviétiques. Ainsi lors de la journée de l’indépendance en Ukraine, le 24 août 1999, des membres du PNB ont occupé pacifiquement la Tour du Club des Marins de Sébastopol afin de marquer notre désaccord avec l’occupation de la Crimée. Malgré le caractère pacifique et symbolique de cette action, nos militants ont passé six mois dans les geôles ukrainiennes. En novembre 2000, nos militants ont de la même façon occupé la Tour de la cathédrale Saint-Pierre de Riga. Ces militants accusés de « terrorisme » ont écopé, deux de 15 ans de prison et un troisième de 5 ans. L’accusation grotesque a été révisée depuis pour se solder finalement par 6, 5 et une année de prison ! Toutes les manifestations du PNB sont spectaculaires, mais toujours pacifiques. Comme, par exemple, la dernière action de notre militante Alina Lebedeva qui, à Riga, a souffleté le prince Charles avec un bouquet d’œillets afin de protester contre les bombardements en Afghanistan.

J’ai été arrêté le 7 avril 2001 dans les montagnes de l’Altaï, dans une isba au milieu de la Taïga. Aucune arme n’a été trouvée lors de la perquisition. Depuis plusieurs années j’étais l’objet d’une surveillance étroite du FSB, écoutes et filatures. Ces derniers temps, deux voitures du FSB me suivaient en permanence dans tous mes déplacements. Je connais l’un des agents du FSB qui m’a arrêté depuis 1997 ! En prenant prétexte de l’arrestation de membres du PNB à Saratov en mars 2001, à la suite d’une provocation du FSB, on m’a donc arrêté. En se fondant sur mes articles dans plusieurs journaux, dont Limonka, on m’accuse d’avoir eu « l’intention » de créer un groupe armé en vue de me livrer à des actes terroristes sur le territoire du Kazakhstan. On m’accuse aussi d’appeler à un changement de régime en Russie par la violence !

Depuis longtemps, le FSB fourbissait ses armes contre le mouvement, essentiellement de jeunes, que je dirige. Mais c’est seulement lorsque l’un de leurs collègues a accédé au trône de Russie que le FSB a pu agir en toute impunité.

Je suis mis en cause par le FSB à partir de l’interprétation d’articles que j’ai écrits en tant que journaliste et d’autres dont on voudrait me faire endosser la paternité. Le FSB y discerne des « intentions » susceptibles d’entraîner l’application de quatre articles du code pénal : 205,208, 222 et 280 qui me feraient risquer un total de vingt années de prison ! Ces quatre articles réunis rappellent le sinistre article 58 du code soviétique à partir duquel des milliers de mes concitoyens furent jetés dans des camps et y moururent. Le FSB veut punir l’intellectuel, l’écrivain, l’idéologue parce qu’il est un intellectuel, un écrivain, un idéologue et le responsable libre d’un mouvement qui dérange.

Citoyen russe, la France est ma seconde patrie dont j’ai acquis la nationalité en 1987. Pour la loi française, je suis, aussi, l’un de ses ressortissants, et je ne peux que déplorer le silence inexplicable des représentants de la France à Moscou. Le député à la Douma Victor Alksnis a averti l’ambassadeur de France. Mon avocat Sergueï Beliak a rencontré le consul pour lui faire part, en particulier, de mon besoin en médicaments contre l’asthme. Ce simple geste humanitaire a semblé hors de portée des diplomates français dont je n’ai vu aucun représentant en huit mois de détention !

Mes chers amis écrivains français, le système totalitaire contre lequel s’élevaient les dissidents soviétiques dans les années soixante-dix a pris sa revanche. Les méthodes du KGB, la prison dans laquelle je suis enfermé, les droits élémentaires de la personne bafoués, tout est de nouveau en place. Le système est restauré. Le même cauchemar recommence pour les esprits libres. Je vous demande de bien comprendre ma situation et de m’aider comme vous l’avez fait autrefois à l’égard d’Anatoli Chtaranski, Vladimir Boukovski, Iouli Daniel, Andreï Siniavski et Alexandre Soljenitsyne. « L’affaire Limonov» est politique, fabriquée par les organes de la sécurité d’Etat pour me faire taire définitivement.

Je n’ai jamais menti dans les dix-sept livres que j’ai publiés en France. Croyez-moi aujourd’hui si je vous dis que le KGB d’antan est de retour, que le délit d’opinion est rétabli, qu’une chape de plomb retombe sur les libertés et les étouffe sous la menace d’années de prison.

Je vous demande, je vous prie de faire entendre votre voix pour affermir ma défense.

Votre E. Savenko (Limonov)

Eléments biographiques :

Edouard Limonov est né en 1943 dans la ville de Dzerjinsk où son père, officier du NKVD, faisait son service militaire. Après la libération de l’Ukraine, la famille s’installe dans la banlieue industrielle de Kharkov, où Limonov, de son vrai nom Savenko, a passé sa jeunesse. Il a commencé à écrire des poèmes, s’est lié avec la bohème  littéraire de Kharkov, puis en 1967, est parti pour Moscou où il fera partie du groupe informel Konkret. En 1974, il émigre aux Etats-Unis avant de venir vivre à Paris en 1980 et d’être naturalisé français en 1987. Journaliste il collabore à L’Humanité Dimanche, à L’Idiot international et au Choc du Mois. Il est aussi l’auteur de plus d’une trentaine de livres dont certains ont été traduits en dix langues et dont certains ont fait scandale : Le poète russe préfère les grands nègres (1979), Journal d’un raté (1982), Autoportrait d’un bandit dans son adolescence (1983), Le Bourreau (1984), Le Petit Salaud (1986) etc… Publié par les plus grandes maisons d’édition françaises, quatorze de ses livres figurent au catalogue de la FNAC.

En 1992, de retour à Moscou, Limonov se livre à des activités politiques, forme, avec le géopoliticien Alexandre Douguine, le Parti national-bolchevik, publie un journal, Limonka, part en reportage pour les guerres qui se déroulent en Abkhasie, en Serbie, en Bosnie, en Tchétchénie.

 

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