Artur Dinter, un Marcion de Sinope national-socialiste

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Artur Dinter fut au tournant des années 1920 l’auteur völkisch le plus lu en Allemagne. Avec Hitler d’abord puis contre lui ensuite, il lutta jusqu’à sa mort contre la « souillure du sang » et pour un christianisme déjudaïsé.

Quand on évoque l’engagement religieux des droites radicales allemandes de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, c’est le paganisme qui vient à l’esprit tant sont nombreux les écrits visant à établir une équivalence entre le mouvement völkisch et les diverses manifestations d’un renouveau des fois du Nord. Or, la réalité est autre et bien plus nombreux que les volkistes néopaïens furent ceux se rattachant au protestantisme, niant la judaïté de Jésus-Christ, rejetant ou, à défaut, déjudaïsant l’Ancien Testament, faisant de Luther la figure centrale de leur engagement et souhaitant créer une Église nationale allemande. Ce sont ceux-ci qui donnèrent naissance en 1931, aux Chrétiens allemands qui défendirent les thèses nationales-socialistes au sein du protestantisme allemand.

Mais tous ces théologiens volkistes ne se rallièrent pas à Adolf Hitler et l’un d’entre eux, Artur Dinter, choisit même l’opposition à un homme qu’il ne jugeait pas assez radical.

La première partie de la vie de Dinter, né à Mulhouse en 1876, est banale. Il fait de brillantes études, obtient un doctorat, enseigne quelques temps puis devient directeur de théâtre et metteur en scène.

Tout bascule en 1916. Lieutenant dans un régiment d’infanterie, il est grièvement blessé et doit séjourner longuement dans un hôpital militaire. Il y découvre les écrits de Houston Stewart Chamberlain. C’est pour lui une illumination et il décide alors de consacrer ses talents littéraires à la cause raciale.

En 1917, il publie Le péché contre le sang, sous-titré Roman contemporain sur la question juive et raciale où il développe la thèse de la télégonie, à savoir que le premier contact sexuel d’une femme l’imprègne à jamais et influe sur toute sa descendance.

Le péché contre le sang décrit la vie d’Hermann Kämpfer. Son histoire commence quand l’usurier Levisohn saisit la ferme familiale et provoque le suicide de ses parents. Il travaille ensuite pour le juif Burghamer, dans l’espoir de gagner le cœur de sa fille Elisabeth qui est de mère aryenne. Malheureusement, après le mariage, celle-ci met au monde un enfant au faciès caricaturalement judaïque. Pour comprendre cet événement horrible, Hermann entreprend d’étudier la question juive et la théorie des races. Quand Burghamer meurt, Hermann découvre que l’industriel a séduit des centaines de jeunes vierges blondes, qu’il a engendré 117 enfants, la plupart des garçons à son image, et laissé le poison de sa race dans les entrailles des mères. Hermann apprend également que Burghamer était à la tête d’une conspiration juive internationale dont les manipulations reproductives, culturelles et économiques « devaient contaminer et empoisonner le peuple allemand ». Son épouse donne le jour à un second enfant, d’un type tout aussi juif que le précédent et décède ainsi que celui-ci. Physiquement et financièrement ruiné, Hermann est sauvé par l’amour d’une infirmière, Johanna, et fonde une nouvelle famille. Mais Johanna met au monde un « pur enfant juif » car elle a été séduite, dix ans auparavant, par un officier juif qui a « empoisonné ses entrailles ». Hermann part à la recherche de l’officier et le tue, poussé plutôt par la volonté de provoquer un procès exemplaire qui serve son réquisitoire contre les juifs que par l’esprit de vengeance. Après l’écoute de sa plaidoirie, il est déclaré innocent par les jurés du tribunal.

Le roman est un succès. Fort de la notoriété acquise Dinter s’engage alors en politique, dans des groupes volkistes d’abord puis au NSDAP. Il est élu député en Thuringe en 1924 et est nommé Gauleiter de ce Land la même année.

Mais Dinter, mêle à son combat politique des réflexions religieuses. En 1921 Adolf von Harnack avec son livre Marcion, l’évangile du Dieu étranger avait fait redécouvrir l’hérétique anti-juif Marcion de Sinope. Ce livre a une grande influence sur Dinter qui se rêve soudain comme un Marcion allemand. Il publie en 1923 une traduction des Évangiles expurgés des « falsifications dogmatiques juives », et en 1926 197 Thèses pour parachever la Réforme. Il veut déjudaïser le christianisme en rejetant l’Ancien Testament et en proposant une nouvelle traduction des Évangiles. Il ajoute à cela des influences gnostiques et défend l’idée que sont incarnés dans les êtres humains des esprits bons ou mauvais. Les bons étant, bien sûr, incarnés chez les Aryens et les mauvais chez les juifs… En 1927, pour structurer ses partisans, Dinter fonde la Communauté religieuse spirituelle-chrétienne (qu’il rebaptisera ultérieurement Église du peuple allemand).

Dinter rassemble dans cette Église environ 300 000 fidèles. C’est beaucoup mais c’est aussi une raison de troubles pour le NSDAP qui ne souhaite pas être associé avec un courant religieux marginal et clivant de nature à nuire à ses relations tant avec les protestants orthodoxes qu’avec les catholiques. En conséquence, Dinter est exclu du NSDAP en 1928. Il fonde alors son propre parti politique la Ligue Dinter qui présente, sans succès, des candidats aux législatives de novembre 1932.

Après la victoire d’Adolf Hitler en 1933, Dinter est soumis à une surveillance rapprochée de la Gestapo, est interdit de publier ou de prendre la parole en public, est emprisonné quelques temps et son Église du peuple allemand est dissoute par les autorités.

Malgré tout cela, il est cependant victime de la dénazification organisée par les Alliés après leur victoire car il est considéré par eux comme un des inspirateurs des lois raciales du Troisième Reich.

Artur Dinter ne survit que trois années à l’Allemagne nationale-socialiste. Inlassable combattant du christianisme aryen, il tente durant ce court laps de temps de redonner vie à son Église du peuple allemand et il travaille à une traduction nouvelle des Évangiles qui ne sera jamais publiée.

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