Essai d’histoire du mouvement national chilien

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Il y a entre le général Pinochet et le général Franco une ressemblance qui nous les toujours rendu l’un et l’autre fort antipathiques. Tous les deux se sont en effet servis de nationalistes pour accéder au pouvoir, et tous les deux parvenus à celui-ci n’ont eu de cesse de réduire à néant leurs anciens alliés.

Si malgré le franquisme un courant phalangiste fidèle aux idéaux de José-Antonio a subsisté en Espagne, au Chili, la « dictature libérale » des militaires a fait quasiment disparaître un Mouvement national pourtant ancien, important et original.

L’histoire du Mouvement national chilien a connu quatre phases : celle du nacismo de 1932 à 1935, celle de l’après-guerre de 1945 à la fin des années 60, celle de la période Allende et celle du pinochétisme et de ses lendemains.

LE NACISMO, UN NATIONAL-SOCIALISME AUTOCHTONE

Le 5 avril 1932, date anniversaire d’une bataille qui avait été décisive pour l’obtention de l’indépendance du Chili, un jeune avocat d’origine hispano-allemande Jorge Gonzalez von Marees, fonde avec quelques amis le Movimiento Nacional Socialista. Il ne s’agit pas d’un illuminé voulant servilement imiter le NSDAP. Bien au contraire, la nouvelle organisation se revendique de la tradition nationale chilienne, d’un ouvriérisme proche de la gauche et si elle est redevable de quelque chose à l’Allemagne, elle l’est beaucoup plus à Spengler et à la Révolution Conservatrice qu’à Adolf Hitler.

Avant de fonder le MNS, von Marees a eu une double activité de pédagogue et d’éditorialiste. Il a créé et animé des cours du soir pour les ouvriers et a publié un bihebdomadaire La Raza. Son principal adjoint Carlos Keller Rueff, d’origine hispano-allemande lui aussi, est un économiste, un sociologue et un historien connu auteur de plusieurs ouvrages sur la situation du Chili dans l’entre-deux-guerres et directeur d’Accion Chilena, une revue théorique largement ouverte aux intellectuels étrangers où il publie de nombreuses contributions sur la Révolution Conservatrice allemande.

Dans sa déclaration de principe le MNS affirme refuser « à la fois le capitalisme et le marxisme et vouloir unir en un seul faisceau les intérêts divergents des différentes classes sociales ». Rien de particulièrement original de ce côté là … L’originalité des nacismos, puisqu’il y en a une, va venir de leur stratégie et de leur pratique.

Deux mois après la création du MNS, un « golpe » militaire tente d’instaurer une république socialiste. L’ordre revenu le MNS est le seul parti à défendre les militaires putschistes contre la vague antimilitariste qui en découle. En 1933, le mouvement sort le premier numéro de son journal nommé Trabajo, crée un service d’ordre – en uniforme – du nom de Tropas Nacistas de Asalto. Des rixes mortelles opposent rapidement ceux-ci aux communistes et à la police qui fait interdire la publication de Trabajo en 1934. En 1936, les élections universitaires donnent 30 % des suffrages au Grupo Universitario Nacista. L’année suivante trois députés MNS entrent à l’Assemblée Nationale, il y proposeront une loi créant un impôt spécial pénalisant les multinationales nord-américaines.

Le 5 septembre 1938, le Movimiento Nacional Socialista tente son coup d’état, ses militants occupent sans violence divers bâtiments administratifs de la capitale chilienne, mais l’opération mal menée échoue. Les nacismos se rendent et immédiatement 68 d’entre eux sont exécutés sans procès. Von Marees est inculpé mais sauf, il déclare alors dans un discours défendant la violence politique appartenir à « la gauche chilienne » et participe à un Front populaire qui accède au pouvoir en octobre 1938. Le Movimiento Nacional Socialista par stratégie sémantique change alors de nom et devient la Vanguardia Popular Socialista. Au sein du Front populaire il est un allié difficile qui condamne le Parti Communiste comme « réactionnaire », prône le neutralisme dans la seconde guerre mondiale qui débute et, en contact avec l’Alianza Popular Revolucionaria Americana d’Haya de la Torre, revendique une unification de la « nation latino-américaine ». Finalement, la VPS quitte le Front populaire sur des bases où le fascisme côtoie l’ultra-gauchisme et éclate en fraction rivales. Par la suite von Marees évoluera vers la droite et terminera sa carrière politique comme député et sécrétaire-général du Parti Libéral en 1951.

Deux autres groupes nationalistes existaient au Chili à la même période, la Phalange Nacional qui bien qu’inspirée par Jose-Antonio Primo de Rivera donnera naissance, en coalition avec d’autres mouvements d’inspiration catholique, au Parti Démocrate-Chrétien et le Movimiento Nacionalista de Chile fondé par Guillermo Izquierdo Araya considéré habituellement comme le théoricien du nationalisme chilien.

L’APRES-GUERRE DU MOUVEMENT NATIONAL

Le Movimiento Nacionalista de Chile fusionnera au lendemain de la guerre avec des agrariens et une fraction de la Vanguardia Popular Socialista pour donner naissance au Partido Agrario-Laborista, un parti politique de type classique – bien que populiste – qui soutiendra le Peron chilien, le Général Ibanez, jusqu’à son élection triomphale en 1952. Il ne s’agit pas d’une composante du Mouvement national chilien stricto sensu et le PAL n’est donc pas concerné par notre étude, mais ayant accueilli en son sein les meilleurs cadres du nationalisme chilien, il explique la faiblesse organisationnelle de celui-ci dans l’immédiate après-guerre.

Il faudra en effet attendre août 1952, pour que d’anciens nacismos fondent le Movimiento Revolucionario Nacional Syndicalista qui exista jusqu’à la prise du pouvoir par Pinochet. Il éditait différents organes dont Guerra Obrera et Forja. D’une scission de sa branche étudiante naquit le groupe activiste Tacna (du nom d’une ville objet d’un différent frontalier entre le Chili et l’Argentine). Signalons encore le Partido Nacional-Socialista Obrero de Franz Pfeiffer très largement parodique mais dont le chef ne rata au milieu des années soixante un siège de député que de 100 voix ! …

En fait, le Mouvement national chilien ne connaîtra une embellie que dans la période de crise qui aboutira au gouvernement d’Allende et au coup d’état de Pinochet

LE MOUVEMENT NATIONAL CONTRE ALLENDE

Il existait au Chili à la fin des années soixante, un grand parti de droite, le Partido Nacional (33 députés, 1 million d’électeurs), et un parti de centre-droit le Partido de la Democria Cristiana, coalisés en une Confederacion Democratica qui fut défaite électoralement par l’Unidad Popular d’Allende.

Avec la montée de la tension de l’ambiance politique, tous les deux se durcirent et donnèrent naissance à des franges radicales qui intégrèrent le Mouvement national chilien. Ainsi les Comandos Rolando Matus qui formaient le service d’ordre et le mouvement de jeunesse du Partido Nacional et qui étaient organisés de façon paramilitaire prirent leur autonomie, tandis que le député démocrate-chrétien Jorge Sotomayor fondait la Phalange del 8 de Junio (date de l’assassinat par un groupe d’extrême-gauche de l’ancien Ministre de l’intérieur démo-chrétien Zuvojic).

Mais l’opposition la plus virulente à Allende va être le fait du Frente Nacionalista Patria y Libertad. Celui-ci est créé le 6 septembre 1970, le lendemain de l’accession d’Allende à la présidence. Ses fondateurs viennent de l’aile droite du Partido Nacional et sont dirigés par un jeune avocat Pablo Rodriguez Grez qui donne au mouvement sa ligne stratégique : récupérer la jeunesse pour le nationalisme et constituer une force civile capable de soutenir un soulèvement militaire. Patria y Libertad qui se caractérise par son activisme va proposer aux autre formations du mouvement national et de la droite chilienne des alliances sous le noms de Frente Nacionalista et de Frente Unido de la Juventud et se trouver ainsi à la tête de forces qui dépassent largement les siennes.

En 1972, Patria y Libertad fonde les Protectos milices de quartiers qui s’opposent aux incursions des groupes de gauche et soutient les grandes grèves anti-Allende. Puis le mouvement décide de passer à la lutte armée grace à des groupes-paravents du nom de Ofensiva de la Liberacion Nacional et Volontarios de la Patria. Ceux-ci multiplient les attentats et réussissent à plusieurs reprise à neutraliser la radiotélévision chilienne au moment de discours d’Allende à la nation. Le 3 juin 1973, Patria y Libertad et le lieutenant-colonel Souper lancent un putsch qui n’est pas soutenu par Pinochet qui refuse de travailler avec l’extrême-droite. Le coup d’état est brisé et les dirigeants de Patria y Libertad doivent de réfugier à l’ambassade d’Equateur ou entrer dans la clandestinité.

Dissout, le mouvement se reconstitue en Junta Unificadora Nacionalista et participe activement au coup d’état des militaires du 11 septembre 1973.

PINOCHET CONTRE LE MOUVEMENT NATIONAL

Il est aisé de comprendre la différence entre les idéaux des nationalistes et ceux de Pinochet, et des ses partisans, en lisant cette analyse du professeur Dimitri Kitsikis de Ia faculté d’histoire de l’Université d’Ottawa :

« La dictature est un système de gouvernement provisoire qui n’a aucun rapport avec l’essence de l’idéologie au pouvoir. Il s’agit d’une institution « conservatrice », puisque son objet est de conserver le système social et politique mis en danger par la révolte sociale ou les menaces extérieures. Le dictateur n’a aucune intention de créer une société nouvelle et c’est la raison pour laquelle il oblige la population à vaquer à ses affaires et à ne pas s’occuper de politique. La dictature, comme moyen de défense, peut être utilisée par n’importe quel régime, que celui-ci soit libéral, communiste ou fasciste. Etant donné que les régimes libéraux dans le monde ont duré plus longtemps que les autres, étant venus au pouvoir plus tôt (le libéralisme a pris le pouvoir à partir de 1776 et 1789), ils ont recours plus souvent à la dictature pour défendre leur organisme vieilli.

Un exemple typique de dictateur libéral a été, au Chili, le général Augusto Pinochet. Il a été porté au pouvoir, le 11 septembre 1973, pour sauver du socialisme le régime libéral (capitaliste) chilien et il a été ensuite « remercié » par cette même bourgeoisie mondialiste (de la périphérie chilienne, comme du centre washingtonien), en rentrant dans le rang, en mars 1990, comme simple chef des forces armées. Cela n’a pas été facile de le persuader de quitter la tête de l’Etat car, souvent, le dictateur prend goût au pouvoir et n’obéit plus à ses commanditaires. Il prétend que le danger n’est pas encore passé et ainsi fait durer le provisoire.

Une remarquable interview de Pinochet, réalisée par Guy Sorman, était paru dans Le Devoir de Montréal, le 20 septembre 1993, en pleine page. Les propos du général prouvèrent très clairement qu’il avait fait le travail du mondialisme, qui est content de lui : « C’était en juillet dernier, à l’occasion d’une cérémonie militaire. Le général bavarde avec l’actuel président chilien, Patricio Aylwin, auquel Pinochet a cédé le pouvoir, en mars 1990. Nous, les démocrates-chrétiens, affirme Aylwin aurions fait la même chose mais moins brutalement et moins vite. Et le journaliste ajoute : Le Chili était capitaliste avant Allende et le général n’a fait que rétablir la situation antérieure, en restituant le pouvoir économique à un patronat et à une classe moyenne qui existaient aussi ».

La confusion que bien des universitaires font entre dictature et fascisme a permis de qualifier faussement Pinochet de fasciste et ainsi de disculper le libéralisme qui recourt pourtant fort souvent à la dictature pour se maintenir au pouvoir. Il est à ce sujet, caractéristique que Le Devoir ait reçu des protestations pour avoir publié l’interview et ainsi avoir mis à nu la collusion de la dictature avec le libéralisme ».

La citation est longue, mais elle a le mérite d’être clair et elle explique pourquoi, une fois installée au pouvoir Pinochet et ses sbires vont s’entourer de cadres civils issus des milieux libéraux et n’avoir de cesses de réduire à néant la mouvance nationale.

Le 16 septembre 1973, tous les partis politiques sont dissouts, y compris ceux qui ont soutenu le coup d’état, y compris Patria et Libertad !

Dans un premier temps, soutenu par le général Leigh, numéro deux de la junte et d’orientation populiste, les nationalistes purent conquérir quelques places dans l’appareil d’Etat et mirent en place un Fronte Amplio Civico. Celui-ci devait être la base d’un vaste mouvement nationaliste populaire destiné à rallier au nouveau régime une partie de l’électorat des partis marxistes. En conséquence le Fronte Amplio Civico protesta contre la politique économique libérale du gouvernement et souhaita l’adoption d’une économie interventionniste et protectionniste améliorant rapidement le sort difficile des groupes sociaux les plus pauvres. L’expérience qui heurtait de front la ligne définie par Pinochet et ses Chicago Boys fit long feu, Leigh fut mis à le retraite d’office et interdit de toute action politique, le Fronte Amplio Civico dissout, certains de ses dirigeants – dont Pablo Rodriguez Grez – contraints à l’exil …

Le Mouvement national chilien que les marxistes n’avaient pas pu faire taire va être brisé par la dictature libérale de Pinochet. La seule activité qui lui sera permise sera la publication de revues Forja pour l’ex-Movimiento Revolucionario Nacional Syndicalista, Orden Nuevo puis Avanzada pour l’ex-Tacna.

Quand Pinochet quitta le pouvoir le Mouvement national chilien se trouva dans la même situation que les phalangistes espagnols. Son image était compromise par un régime avec lequel on l’identifiait alors qu’il ne l’avait pas réellement soutenu. Il avait perdu son emprise sur la jeunesse, il n’avait plus de structure organisée. Une tentative de création d’un Movimiento Nacional Revolucionario au début des années quatre vingt dix ne dépassa pas la publication d’une revue du nom d’Entreguerras … Seul un courant proche de la Nouvelle Droite française a su subsister, il publie un trimestriel Ciudad de los Cesares et a une activité culturelle et métapolitique.

Christian Bouchet.

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