Jean Thiriart, comme on le sait, fut sensible à la cause de l’OAS. Compréhensible, de la part d’un homme qui a vu son propre pays, la Belgique, abandonner le Congo (aujourd’hui République démocratique du Congo) ,alors même que celle-ci ne s’était pas vraiment battue pour le conserver, et donc éviter de s’affaiblir. Le théoricien wallon, avec Paul Teichmann, avait fondé en 1960 le Comité d’action et de défense des Belges d’Afrique, ou CADBA. Quelques semaines plus tard le CADBA se transforme en MAC, (Mouvement d’action civique) et comptait alors environ 350 militants actifs. Ce MAC prit contact avec l’OAS.
Au MAC, va succéder Jeune Europe, mouvement politique paneuropéen fondé en 1962 et disposant d’une antenne en France. Ce mouvement est également dirigé par Jean Thiriart, lequel fait transmettre les communications codées de l’OAS, imprime le journal de l’OAS Métro et organise le repli des fugitifs des partisans de l’Algérie française sur le sol belge. Ce soutien à la cause nationaliste s’explique par ses vues déjà émancipées du nationalisme ancien, celui des États-nations forgés au XIXe siècle, comme l’explique son biographe Yannick Sauveur :
« Très vite également, il développe le fait que le Congo n’est pas un problème belge, que l’Algérie n’est pas un problème français. Le combat pour l’Algérie française doit se situer à l’échelle européenne. »
Rentré de la conférence de Venise, réunion fondatrice de l’histoire du nationalisme- révolutionnaire, Jean Thiriart est arrêté pour son soutien à la cause de l’OAS. S’il ne reste qu’un mois en détention, il profite de cette période pour entamer ce qui restera son opus magnum : Un Empire de 400 millions d’hommes : l’Europe.
Le contexte de guerre civile lié à la crise algérienne n’a pas facilité le développement de l’antenne française de Jeune Europe : celle-ci est interdite dès que son soutien à l’OAS est connu, et son journal l’est en 1963. Pierre Sergent, ancien résistant, chef d’état-major de l’OAS-Métropole et futur député Front National des Pyrénées Orientales, est un temps pressenti pour prendre la tête de l’antenne française, mais il finira par rompre tout lien avec Thiriart en 1963.
Vingt ans après la signature des accords d’Evian, qui officialisent l’indépendance de l’Algérie, Jean Thiriart, répondant aux questions de Bernardo-Gil Mugurza, dressera un constat sans appel du bilan de l’OAS, expliquant la raison de son échec final. Il affirme notamment qu’à la différence du colonel De Gaulle,
« les quatre généraux d’Alger [ Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller ] étaient sans envergure intellectuelle. De vrais militaires de carrière, compétents dans leur spécialité et ignares en histoire en politique. Il fallait lancer les paras sur Paris, tout de suite. Le mythe, ô combien exagéré, les précédant, eut permis de s’emparer de la métropole au prix maximum de 5000 vies humaines. Qu’est-à côté des ravages de l’alcoolisme français et des routes françaises ? »
Et Jean Thiriart de continuer :
« J’ai fort bien connu les colonels et les capitaines de l’OAS. C’est moi qui ai annoncé à Radio-Luxembourg, que Sergent avait pris la place d’Argoud [ancien chef d’état-major du général Massu au corps d’armée d’Alger]. Je l’ai annoncé quelques heures après le rapt de celui-ci en Allemagne. Les décisions étaient prises non loin de Bruxelles…un peu au sud. »
Son analyse de certains des chefs de l’OAS n’est guère élogieuse :
« Argoud et Sergent étaient des hommes d’honneur et de courage, rien de plus. Essayez donc de lire ce qu’ils ont écrit des années après l’OAS. Vous pouvez les juger à travers leurs écrits. C’est presque le vide. »
Le principal défaut de l’OAS, selon le théoricien du communautarisme national-européen, fut son incapacité à avoir une vue d’ensemble. Ainsi :
« Pendant sa belle période, assez courte, l’OAS ne fit presque rien pour organiser son poumon extérieur en Belgique, en Espagne, en Suisse, en Allemagne. Ces gens étaient français, et se sentaient mal à l’aise hors de France. Ils étaient comme des poissons sortis hors de l’eau..(…) Le poumon extérieur de l’OAS fut le fait de Jeune Europe, en très grande partie, et de Maurice Brebart, magnat belge de la presse à l’époque. Mais quand Brebart et moi-même reprîmes en main l’OAS, elle était sans moyens propres. Elle avait gaspillé tous ses moyens avant de se replier au-delà des frontières. »
Mais le problème principal de l’OAS aurait d’abord été le manque de détermination de ses leaders :
« En fait, la principale raison de l’échec de l’OAS réside dans les scrupules des généraux d’Alger à déclencher une courte guerre civile et de faire la peau à De Gaulle. »
Les officiers de rang inférieur eussent mieux convenu que leurs supérieurs pour mener les opérations :
« Le putsch eut beaucoup gagné à être fait par les colonels et les capitaines. Eux étaient infiniment moins inhibés, sinon pas inhibés du tout. »
Mais l’ancien militant de gauche qu’était Jean Thiriart alla plus loin. Il mit en cause l’OAS pour son inefficacité, laquelle empêcha son projet grand-européen d’éclore :
« En France, mon opération eut réussi si Challe avait été général au pouvoir à Paris, et De Gaulle le général rebelle à Alger. »
L’ancien chef de Jeune Europe avait toujours vitupéré contre ce qu’il nommait le comportement des koalas de la vieille extrême-droite, c’est-à-dire celui des nationalistes s’agrippant aux vieilles idées, comme les koalas s’agrippent aux arbres, jusqu’à en mourir.
Mais il est certain que son jugement quant aux membres de l’OAS rejoint parfaitement celui de Carlo Terraciano, qui écrivait en 1993, en commentant le destin de l’optomètre qu’était Thiriart alors tout juste décédé :
« Les raisons profondes de la tragédie algérienne n’ont pas été comprise par les militants antigaullistes qui luttaient pour l’Algérie française. Ils n’ont pas compris quels étaient les enjeux géopolitiques de l‘affaire et que les puissances victorieuses de la seconde guerre mondiale entendaient redistribuer les cartes à leur avantage, surtout les Etats-Unis. »
La complexité des relations entre l’extrême-droite contre-révolutionnaire ou de tradition national-populiste et Thiriart est indéniable, pendant les « évènements d’Algérie » comme après. Pour Yannick Sauveur Thiriart « haïssait foncièrement » les partisans du vieux nationalisme, et ceux-ci le lui rendaient bien, l’accusant de « gaullisme » pour son soutien postérieur à De Gaulle, en fait soutien à la possession par la France de l’arme nucléaire.
Vincent Téma, le 08/12/23. (vincentdetema@gmail.com)