Docteur en sciences politiques et enseignant à l’Université Panthéon-Assas, Célia Belin a publié, aux Éditions Belin, un passionnant ouvrage Jésus est juif en Amérique consacré à la droite évangélique et aux mouvements chrétiens pro-Israël.
Le soutien inconditionnel des États-Unis à l’État hébreux est habituellement attribué au poids du lobby sioniste américain. Célia Belin ne conteste nullement la réalité de celui-ci et son influence, tout au contraire même elle nous en donne dans son livre un aperçu très précis. Cependant, elle insiste sur un point que l’on oublie trop souvent : les juifs ne représentent que 1,75% de la population américaine et tous ne sont pas sionistes ou pro-israéliens. Alors qui fournit au lobby sioniste le « poids politique et démographique » qui lui fait défaut ? La réponse est paradoxale : ce sont des protestants fondamentalistes, historiquement antisémites, qui constituent désormais la frange la plus radicale des Américains soutenant Israël… Comptant environ 80 millions d’adeptes – soit plus d’un américain sur quatre – les diverses Églises qui constituent cette nébuleuse religieuse ont en commun d’être très militantes, très organisées, de posséder un réseau audiovisuel développé et de vouloir plus que tout voir, pour des raisons messianiques, restaurer le royaume d’Israël. C’est pour cela que, par ricochet, le soutien à l’État juif actuel, voie vers celui-ci, fait partie de leur dogme, au même titre que l’opposition à l’avortement ou au mariage homosexuel.
Là réside un des deux paradoxes de cette unholly alliance. Comme le souligne Célia Belin, relevant de deux traditions politiques américaines hostiles, opposés sur la plupart des questions de société (dont l’avortement, l’euthanasie et l’homosexualité), les juifs américains et les fondamentalistes protestants avaient fort peu de raison de s’allier, et pourtant ils l’on fait, sous la pression de Tel Aviv qui avait perçu depuis longtemps les ressources inouïes que les chrétiens évangélistes pouvaient procurer à la cause sioniste.
L’autre paradoxe de cette alliance est que les protestants qui soutiennent Israël, le font car ils espèrent voir, au final, le judaïsme disparaître. En effet, selon les prophéties bibliques auxquelles ils se réfèrent, le retour du Christ sur Terre n’est possible que si les Hébreux disposent des terres que Dieu leur a données. Ensuite, les juifs auront à choisir entre reconnaître le sauveur ou être précipités dans l’enfer !
De ces deux paradoxes, l’AIPAC et les autres organisations du lobby sioniste américain n’ont que faire. La survie d’Israël compte plus pour eux que les questions de société aux États-Unis, quant au retour du Christ sur Terre et l’inéluctable conversion des juifs qui devrait suivre, il ne suscite que des sourires polis de leur part ou des réflexions cyniques comme celle d’Irving Kristol : « Pourquoi est-ce que les juifs devraient se préoccuper de la théologie d’un prêcheur fondamentaliste ? En quoi ces abstractions théologiques ont-elles de l’importance en comparaison du fait plus prosaïque que ce même prêcheur est vigoureusement pro-Israël ».
Dans la conclusion de son livre, Célia Belin estime que le sionisme chrétien est désormais un aspect incontournable des problématiques du Proche Orient avec lequel les prochaines administrations américaines et les prochains gouvernements israéliens devront composer. Or, s’il a apporté une aide notable à l’État hébreux, le sionisme chrétien, selon Célia Belin, pourrait à l’avenir être pour lui un handicap. Elle note qu’il comporte pour Israël et pour la région des risques dont on ne prendra la pleine mesure qu’avec le temps. Tel Aviv n’a que peu de pouvoir sur ces soldats de Dieu, qui ne répondent qu’à la seule volonté divine. Ils contribuent à radicaliser le discours politique autour du conflit et à populariser des solutions extrémistes, et, pire, ils « rajoutent une dimension religieuse à un conflit politique, économique, démographique et territorial. Sous leur influence, ce qui était un problème de revendication nationale et d’auto-détermination des peuples, devient un combat chaque jour un peu plus inextricable pour la vérité religieuse. » Un combat qui, comme toutes les guerres de religion, n’a guère de chance de bien se terminer.
Appendice
Des sionistes chrétiens parlent
« Toutes les autres nations ont été créées par un acte humain, mais Israël a été créé par un acte de Dieu. »
John Hagee
« Les chrétiens ont une dette de gratitude éternelle envers le peuple juif pour ses contributions qui ont donné naissance à la foi chrétienne. »
John Hagee
« Les chrétiens doivent démontrer amour et préoccupation sincère pour le peuple juif, comme Dieu l’ordonne. »
Jerry Falwell
« J’aime le peuple juif. Oui, je l’aime. C’est un ordre de Dieu. Un ordre. Pas une suggestion. Un ordre. »
Déclaration d’un participant, lors du rassemblement des Christians United for Israël, 2006.
Ce qu’en pensent les vrais protestants
Depuis les années 1970, la plupart des protestants mainline, c’est-à-dire les calvinistes, luthériens, épiscopaliens et presbytériens, soutiennent la cause des Palestiniens.
Ainsi, le théologien Reinhold Niebuhr, qui était un fervent partisan du sionisme dans les années 1940-1950, s’est progressivement insurgé contre la situation des Palestiniens, devenant même un porte-parole du Christian Council for Palestine et de l’American Christian Palestine Committee. En 2004, l’Église presbytérienne américaine a choisi d’utiliser le désinvestissement économique, déjà employé à l’encontre du régime d’apartheid d’Afrique du Sud, pour protester contre le traitement des Palestiniens par Israël. À la suite de cette décision, d’autres Églises protestantes mainlines – World Council of Churches, United Church of Christ -l’ont imitées, d’autres encore – Episcopal Church USA, Anglican Communion et United Methodist Church – ont débattu de cette option sans encore l’adopter.
Article rédigé pour Flash en juin 2011.