Le Programme de Nancy : nationalisme, protectionnisme, socialisme

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Électeurs,

Les idées nationalistes et sociales que nous avons fait triompher ensemble une première fois, en 1889, avaient à ce moment effrayé certains esprits, à cause de la popularité du général Boulanger. Aujourd’hui, soit qu’elles apparaissent mieux mûries, soit que les circonstances les justifient mieux encore, elles rallient de nombreux adhérents même parmi les adversaires de la précédente campagne, désabusés d’un parti qui n’a rien fait depuis que nous lui avons laissé le champ libre.

Le Comité républicain socialiste nationaliste de Meurthe-et-Moselle et un grand nombre d’électeurs indépendants m’ont demandé de reprendre la lutte électorale.

A une politique n’ayant pour objet que des animosités à satisfaire et, pour mobile, que l’avidité de dominer, je viens de nouveau opposer ces idées nationales et sociales que déjà vous avez acclamées et que vous ne répudierez pas aujourd’hui.

I. – Nous sommes nationalistes

Aux sommets de la société comme au fond des provinces, dans l’ordre de la moralité comme dans l’ordre matériel, dans le monde commercial, industriel, agricole, et jusque sur les chantiers où il fait concurrence aux ouvriers français, l’étranger, comme un parasite, nous empoisonne.

Un principe essentiel selon lequel doit être conçue la nouvelle politique française, c’est de protéger tous les nationaux contre cet envahissement, et c’est aussi qu’il faut se garder contre ce socialisme trop cosmopolite ou plutôt trop allemand qui énerverait la défense de la patrie.

La question juive est liée à la question nationale. Assimilés aux Français d’origine par la Révolution, les juifs ont conservé leurs caractères distinctifs, et, de persécutés qu’ils étaient autrefois, ils sont devenus dominateurs. Nous sommes partisans de la plus complète liberté de conscience ; en outre nous considérerions comme un grave danger de laisser aux juifs le bénéfice d’invoquer et par là de paraître défendre les principes de liberté civile promulgués par la Révolution. Mais ils violent ces principes par une action isolée qui leur est propre, par des mœurs d’accaparement, de spéculation de cosmopolitisme. En outre, dans l’armée, dans la magistrature dans les ministères, dans toutes nos administrations, ils dépassent infiniment la proportion normale à laquelle leur nombre pourrait leur donner droit. On les a nommés préfets, juges, trésoriers, officiers parce qu’ils ont l’argent qui corrompt. Sans même toucher à la loi, en exigeant de ceux qui gouvernent plus de mesure, on doit détruire une disproportion dangereuse et obtenir plus de respect envers nos véritables nationaux, enfants de la Gaule et non de Judée.

Mais surtout, il importe de mettre obstacle à la facilité de naturalisation. C’est par cette fissure que nous sont venus les pires juifs et tant de médiocres Français.

Il résulte des statistiques que 90 % des étrangers ne se font naturaliser que lorsqu’ils échappent au service dans l’armée. Proclamons que le service militaire est la condition de la nationalité. En outre le naturalisé (exception faite pour l’Alsacien-Lorrain) ne devrait posséder que des droits d’ordre privé et ses descendants, seuls seraient assimilés aux natifs français et jouiraient de droits politiques.

Le système opportuniste depuis vingt ans a favorisé le juif, l’étranger, le cosmopolite. Ceux qui commirent cette erreur criminelle donnaient pour raison que ces exotiques apportaient à la France des éléments énergiques. Jolis éléments, ces Reinach, ces Cornelius Herz, ces Alfred Dreyfus dont nous avons failli pourrir ! Voici la grande vérité : les éléments énergiques dont il est vrai que la société française a besoin, elle les trouvera en elle-même, en favorisant l’accession des plus déshérités, des plus pauvres, en les élevant à plus de bien-être, à plus d’instruction professionnelle.

On voit comment nationalisme engendre nécessairement  socialisme. Nous définissons le socialisme « l’amélioration matérielle et morale de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ». Après des siècles, la nation française est parvenue à donner à ses membres la sécurité politique. Il faudrait maintenant qu’elle les  protégeât contre l’insécurité économique dont ils souffrent à  tous les degrés.

Nous définirons cette insécurité.

Nous voulons des protections contre l’insécurité

 Insécurité pour l’ouvrier.L’ouvrier vieilli n’a pas de quoi manger. Même valide, il est exposé au chômage.

Les salaires sont avilis par la concurrence de l’étranger.

Le machinisme l’entasse dans des usines, assujetti à une discipline militaire, à l’arbitraire du patron. Dans nos régions, certaines organisations d’économat le réduisent à un véritable servage.

Il ne peut s’en aller. D’abord, on n’emporte pas sa terre natale à la semelle de ses souliers et, pour beaucoup, c’est un crève-cœur de s’exiler. Ensuite, au point de vue matériel, s’il part, comme il n’a rien pu économiser, sa famille et lui risquent de mourir de faim. – Où d’ailleurs se placerait-il ?

Insécurité pour le petit commerçant. – Le petit commerçant est dans la même insécurité économique que l’ouvrier. Ils sont solidaires. En effet, c’est le petit travailleur, ouvrier et employé, qui fait vivre le petit commerçant, car la bourgeoisie va aux grands magasins. Par le crédit, le petit commerçant permet à l’ouvrier et à l’employé de traverser les crises de chômage. Mais ce crédit que le petit commerçant, boulanger, boucher, épicier, logeur, fait au travailleur, l’expose à la ruine si le chômage se prolonge ou se multiplie trop.

Une autre cause d’insécurité, c’est que les prix d’achat pour les petits industriels et les commerçants varient arbitrairement au gré des spéculateurs.

Notons-le en passant, ces commerçants et industriels n’ont pas profité de la baisse du taux de l’argent. Ils le paient toujours 8 % (exactement 6 % à 3 mois avec 4 renouvellements qui coûtent chacun 1/2 % ; cela fait du 8 %). Sans aller jusqu’à une banque d’Etat, qui peut être rançonnée en cas de guerre, nous aurions voulu faire profiter le commerce du renouvellement du privilège de la Banque de France. Le gouvernement et la féodalité financière n’ont pas voulu.

Insécurité pour l’agriculteur. – Le prix du blé ne dépend plus seulement de la récolte française. Jadis, quand la récolte était faible, le cultivateur trouvait sa compensation dans les prix plus élevés qu’il obtenait du consommateur. Aujourd’hui ces prix dépendent des récoltes de l’Inde et des Etats-Unis.

A cette situation on a commencé à remédier par la protection qui, profondément, est une mesure socialiste, une intervention de l’Etat à l’encontre du cours naturel des choses (tant il est vrai que les mêmes nécessités, comme un flot tout-puissant, emportent les partis !)

Nous sommes partisan déterminé des parties principales de I’œuvre protectionniste. Elle vise à garantir un prix minimum au producteur. Mais les gros intermédiaires en absorbent le bénéfice par leurs bascules, leurs jeux de spéculation qu’il faut combattre avec une rigueur terroriste.

Nota. – De même on a, avec raison, protégé certains produits manufacturés. Mais le but n’est pas atteint, s’il y a une manufacture allemande avec personnel allemand de ce côté de la frontière.

Il ne l’est pas davantage si le patronat (que ce soit un individu ou une société d’actionnaires disséminés), accapare tout le bénéfice que lui assurent les tarifs et les primes. Si nous voulons qu’on protége le produit, c’est pour protéger le producteur national, patron et ouvrier.

Et cela nous amène à des mesures pour l’ouvrier français contre l’ouvrier étranger travaillant en France.

Insécurité pour la bourgeoisie.La bourgeoisie est menacée par la féodalité financière internationale qui transforme les titres-financiers en feuilles sèches.

Je ne remonterai pas jusqu’au Panama. Je pourrais trouver dix exemples dans les douze derniers mois. Je prendrai celui-ci : les cours des Mines d’Or lancées sur le marché français ont été poussées au point que leur valeur totale atteignait à près d’un milliard 800 millions. Aujourd’hui ils ne représentent plus que 615 millions. Voila donc, en moins de deux ans, près d’un milliard deux cents millions perdus par l’épargne nationale sur des titres mis dans le portefeuille des petits rentiers français.

Nulle poursuite n’a abouti.

Électeurs,

C’est pour la défense des idées que je viens de vous exposer que je propose à votre sanction le Programme suivant :

 I. – Mesures à prendre tendant à assurer l’union de tous les Français

 Contre le produit étranger.L’œuvre protectionniste doit être maintenue ;

Contre l’ouvrier étranger, qui, étant dispensé du service militaire prend chaque année un milliard de salaires à la France et cause la misère et le dénuement, par le chômage, dans les familles des travailleurs français. Les travaux publics notamment, payés par le contribuable, doivent être exécutés par des ouvriers nationaux ;

Contre la féodalité financière internationale, qui, par ses syndicats anonymes, élimine le travailleur du pays pour le remplacer au rabais par des ouvriers étrangers, paralyse l’action des mesures protectrices prises en faveur de l’agriculture et de l’industrie, organise le monopole et l’agiotage sur des objets de première nécessité, fausse les prix, fait la hausse et la baisse, et finalement ruine les producteurs réels de la richesse : nos agriculteurs, nos commerçants, nos ouvriers ;

Contre le naturalisé, qui prétend jouer un rôle politique et à qui nous ne laisserons que des droits privés, réservant les droits politiques à ses descendants. C’est la meilleure façon d’atteindre le juif, dont il faut que par ailleurs le pouvoir exécutif restreigne l’invasion dans les fonctions d’Etat.

II – Institution d’une caisse de retraite pour les travailleurs organisée par l’Etat

Les droits qui devraient être perçus sur les ouvriers étrangers et les droits perçus en douane sur les produits de première nécessité devraient notamment être attribués à cette caisse de retraite pour épurer en quelque sorte ces taxes qui ne doivent pas être proprement des impôts.

La question des caisses de retraite est une des plus importantes à résoudre pour la paix sociale. Elle est urgente. Elle s’impose. Mais elle se complique d’un gros problème financier qu’il faut résoudre. J’y apporterai tous mes soins, toute ma sollicitude. Je me déclare partisan du principe ; j’accepterai toute solution bonne pour aboutir aux résultats les plus immédiats et les plus durables.

III. – Réforme de l’impôt dans le sens de la justice démocratique

 Devant aboutir à des dégrèvements d’impôts de consommation et à un allégement des charges qui frappent les petits cultivateurs. – L’impôt foncier se paie d’après un revenu présumé et qui souvent n’existe pas, sur la foi d’un cadastre qui ne correspond plus à la réalité. – L’impôt de consommation est infiniment plus lourd au pauvre qu’au riche.

IV. – Organisation du crédit agricole

 Il pourraient leur être attribués les fonds des Caisses d’épargne, aujourd’hui drainés sur toute la province pour être centralisés et dangereusement employés en achats de rente.

V. – Liberté d’association

 Elle implique l’extension de la personnalité civile des syndicats ouvriers, de telle sorte que ceux-ci, agricoles ou industriels, puissent user de la puissance du crédit, devenir des associations de producteurs et posséder les immeubles et les instruments de travail nécessaires à des exploitations industrielles, commerciales ou agricoles.

VI – Extension des libertés autonomiques et de la personnalité civile des communes

 De manière à leur permettre la réalisation partielle de certains progrès sociaux, – sous la réserve de ne pas porter atteinte aux droits de l’Etat.

 VII. – Développement de l’instruction publique dans le sens de l’instruction professionnelle

 Afin de permettre à toutes les aptitudes nationales, à toutes les intelligences, de se développer.

 VIII. – Révision de la Constitution

 Ayant pour but de donner au suffrage universel sa pleine et entière souveraineté, notamment par le référendum municipal.

Électeurs,

Il est utile que, dans cette région lorraine, où chaque jour ils sont plus nombreux, les ouvriers de l’atelier et les travailleurs de la terre puissent exprimer leurs vœux ; il serait dangereux de les refouler dans le silence, ainsi que le voulaient faire les vieux opportunistes.

Ce programme du Comité républicain socialiste nationaliste – quel esprit généreux et juste voudrait le méconnaître ? – répond aux besoins de notre population ; il est conforme à l’esprit particulier de notre Lorraine et de notre frontière.

Les articles IV, V, VI, VIII, qui sont décentralisateurs, marquent fortement la direction de nos revendications dans notre région où l’Ecole de Nancy répondait au sentiment public.

Dans l’ensemble de nos articles, pour qui les examinera en éclairant par nos considérations préliminaires, les voies de l’avenir sont préparées, en même temps que les intérêts du moment garantis. Je m’engage à m’en faire, par tous les moyens dont je dispose le défenseur, en même temps que je me mettrai tout à la disposition des intérêts particuliers de mes compatriotes.

Maurice Barrès

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