René Guénon et les droites radicales ou les liaisons dangereuses du Sheikh Abdel Wâhed Yahia

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« Guénon appartient de plein droit à la culture de Droite. Chez lui, la négation de tout ce qui est démocratie, socialisme et individualisme dissolvant est radicale. Guénon va même plus loin, il aborde des domaines à peine survolés par l’actuelle contestation de Droite. »

Julius Evola.

« René Guénon [est le] théoricien secret d’une droite absolue. »

Pierre Pascal.

Dans la dictature molle que nous subissons au quotidien, si les mal-pensants d’aujourd’hui sont interdits d’accès aux chaires universitaires, aux grands éditeurs et aux médias de masse, les mal-pensants d’hier sont eux victimes de deux stratégies qui sont soit l’effacement, soit le détournement.

Si Alexis Carrel, est l’exemple le plus connu de ces grands hommes « effacés » auxquels on ne peut plus faire référence, René Guénon est sans doute l’écrivain « de droite » dont la pensée est la plus détournée.

Xavier Accart, un détournement validé par l’Université. 

Parmi les auteurs ayant contribué au détournement de René Guénon, il faut réserver une place toute particulière à Xavier Accart car celui-ci a recouvert sa mauvaise action d’un vernis universitaire. En effet, notre homme est l’auteur d’une thèse soutenue en mars 2005 à La Sorbonne et publiée dans la foulée, sous le titre Guénon ou le renversement des clartés, par Edidit-Arché.

Ce travail considérable (1222 pages) est impressionnant d’érudition, Xavier Accart sait tout de Guénon, il a tout lu, tout répertorié, tout analysé. C’est en cela justement que son livre est profondément pervers, car Xavier Accart ne ment pas par des affirmations fausses, il ment par omission en cachant soigneusement des faits qu’il ne peut pas ne pas connaître. Tant et si bien que le Guénon du « renversement des clartés » devient un philosophe à la recherche « d’un nouvel humanisme », un « ferment de la résistance spirituelle en zone libre », etc. Si tout ceci n’est pas faux (Guénon eut bien des lecteurs qui furent résistants, de gauche et politiquement fort corrects) tout cela occulte soigneusement le fait que l’entourage proche du maître était maurrassien ou fascisant, et que son influence au sein de la droite radicale est restée très importante jusqu’à nos jours… 

Comme Accart ne peut pas en totalité le cacher, il omet soigneusement d’évoquer les idées politiques des guénoniens les plus anciens et les moins connus du grand public, pour les autres, il les disqualifie, aidé en cela par son préfacier qui parle de « récupération » de Guénon par Julius Evola, Carl Schmitt ou Mircea Eliade, d’« interprétation » par Raymond Abellio et la Nouvelle droite et de « détournement » par Louis Pauwels. 

Conclusion, le lecteur d’un tel ouvrage en retire l’idée de René Guénon fut un auteur « humaniste » qui influença des personnalités aussi respectables qu’André Breton, René Daumal, Simone Weil, Romain Rolland, Antonin Artaud, etc., et dont l’œuvre est victimes d’une tentative de récupération de la part de vilains extrémistes de droite, qui ne comprennent rien à ses écrits.

Qui était René Guénon ?

Avant d’aller plus loin, il convient sans doute de rappeler qui fut René Guénon.

Né en 1886 à Blois, il fréquenta très jeune le milieu occultiste parisien animé par Papus. Dans la biographie qu’ils ont consacré à cet étonnant médecin Marie-Sophie André et Christophe Beaufils, signalent que: « René Guénon, malgré son très jeune âge (…) s’installa avec une vitesse stupéfiante, due à sa grande intelligence et à un certain manque de scrupules, dans les hauts grades spiritualistes. Il fut initié dans l’Ordre martiniste, investi Supérieur Inconnu par Phaneg, accueilli [dans les loges maçonniques] Humanidad puis à INRI. En avril 1908, il reçut le grade de maître du rite de Memphis-Misraïm et, deux mois plus tard, il accédait au 90e degré. Parallèlement Guénon avait secrètement fondé avec trois amis, l’ordre du Temple rénové, suite à des séances spirites. »

Après ce passage dans les loges et les arrières loges de l’occultisme parisien, Guénon en devint un critique acéré dans des livres comme Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion ou dans les articles qu’il publia dans diverses revues dont Le Voile d’Isis, Regnabit et Les Études traditionnelles. En 1930, il quitta Paris et s’installa au Caire, où il demeurera jusqu’à la fin de sa vie, le 7 janvier 1951. Dans cette ville, il se fit soufi et adopta le nom d’Abdel Wâhed Yahia.

Écrivain prolifique, Guénon multiplia les livres, les articles et les lettres personnelles, se constituant une importante nébuleuse de disciple. Ceux-ci créèrent à son exemple une « école » – le traditionalisme – avec ses maîtres secondaires, ses dissidences, ses revues, etc. Ce courant particulier irrigue l’ensemble de la mouvance ésotériste et compte en son sein des figures comme Ananda Coomaraswamy, Frihjof Schuon, Titus Buckardt, Michel Valsan, Jean Reyor, Jean Borella, Claudio Mutti, Alexandre Douguine ou Julius Evola, que l’on peut quasiment toute estimer comme étant « de droite ».

De son vivant, Guénon apparut d’ailleurs bien comme un intellectuel organique « de droite ». Même s’il ne s’engagea pas politiquement lui-même, il véhicula des idées profondément réactionnaires au bon sens du terme et une partie notable de ses réseaux d’édition et d’amitiés furent liés à l’Action française, aux non-conformistes et aux marges des fascismes européens. 

Encensé par Daudet, publié par Valois

L’Action française, sa presse, ses éditions et ses intellectuels furent, malgré les réticences de Charles Maurras, plus qu’ouverts à René Guénon. 

Si son premier livre – Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues – fut publié en 1921 par les Éditions Marcel Rivière, il faut savoir que Guénon avait initialement fortement souhaité qu’il le soit par la Nouvelle Librairie nationale. Or vouloir être édité par la NLN n’était pas une idée neutre… En effet, cette société, dirigée par Georges Valois, était la maison d’édition officielle de l’Action française, fondée pour éditer les auteurs membres ou proches de ce mouvement. De l’aveu même de Xavier Accart elle était un « centre majeur de la production de la droite intellectuelle ».

À défaut de publier le premier livre de Guénon, la NLN édita le second : Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion

Ces livres reçurent un accueil des meilleurs dans les colonnes de L’Action française où Léon Daudet lui-même prit la plume pour dire tout le bien qu’il en pensait et louer « une fermeté de pensée, une clarté d’expression et un auteur hors pair ». De même, Jacques Bainville, le numéro 3 de l’AF, ne cacha pas son amitié pour l’auteur et son admiration pour l’œuvre du philosophe.

C’est à la mouvance maurrassienne aussi qu’appartenaient Gonzague Truc et Pierre Pascal, qui, l’un et l’autre, favorisèrent la vie littéraire de l’ésotérisme blésois en lui ouvrant les colonnes des revues qu’ils dirigeaient et en le faisant bénéficier de leurs relations.

Quand Georges Valois rompit avec l’Action française pour créer le Faisceau, le premier parti fasciste français, René Guénon ne fut pas le moins du monde effarouché et il continua à faire confiance comme éditeur à la NLN – puis à la Librairie Valois – pour éditer ses œuvres.

C’est sans doute en fréquentant Georges Valois que René Guénon fit la connaissance d’un de ses disciples peu connu bien que fervent : Pierre Winter. Ce médecin joua un rôle important dans les milieux non-conformistes des années 1920 au années 1950. Il contribua, entre autre, à populariser en France non seulement la pensée de Guénon mais aussi la pratique du yoga et de la médecine homéopathique.

Dans son livre Xavier Accart, présente le Valois qui a rompu avec l’AF comme jouant « un rôle important dans les années tournantes » et Pierre Winter comme un non conformiste tenté par l’« engagement social » qui collabora un temps à la revue Plans. La chose la plus compromettante qu’il raconte de lui est que durant la Deuxième Guerre mondiale il fut médecin-inspecteur pour le ministère du Travail de l’État français « où travaillait son ami Lagardelle » et qu’il mena en parallèle une action sociale avec quelques anciens de Plans dont l’architecte Le Corbusier.

C’est là que le mensonge par omission est particulièrement « voyant » pour qui connaît cette période. Il est étrange d’oublier que Valois fut fasciste. De même on reste pantois de constater que Si Accart cite Winter près de soixante-dix fois, il oublie soigneusement dans la biographie qu’il en donne de préciser que ce médecin fut un des dirigeants du Faisceaux, puis du Parti fasciste révolutionnaire avec Philippe Lamour, que Le Corbusier lui-même milita avec eux dans les premiers groupuscules fascistes et que la revue Plans fut fondée par les anciens dirigeants du Parti fasciste révolutionnaire quand ils sabordèrent leur parti. De surcroît, Plans, bien qu’étant une revue de réflexion, ne rejeta jamais totalement l’action politique et eut de nombreux contacts avec diverses manifestations du « fascisme de gauche » comme les JONS espagnoles de Ramiro Ledesma Ramos et les nationalistes-révolutionnaires allemands d’Otto Strasser et d’Harro Shultze-Boysen. Enfin, l’« ami Lagardelle » de Winter n’est pas non plus une amitié neutre… Il s’agit en effet d’Hubert Lagardelle, un syndicaliste révolutionnaire de premier plan qui adhéra en 1925 au Faisceau, et dont Benito Mussolini disait, en 1932, dans sa Doctrine du fascisme: « Dans le grand fleuve du fascisme, vous trouverez les filons qui remontent (…) à Lagardelle du Mouvement socialiste ». En 1942, il devint ministre du Travail de l’État français dans le gouvernement Pierre Laval (ce qu’Accart nomme pudiquement « travailler pour » !). En 1943, il démissionna du gouvernement et devint rédacteur en chef du journal collaborateur de gauche La France socialiste. Cette collaboration indéniable entraîna, en 1946, sa condamnation à la prison à perpétuité.

Il est incontestable que tout cela n’est pas très « politiquement correct » et est susceptible de mettre un peu de désordre dans la belle image humaniste des disciples de Guénon que veut nous présenter Xavier Accart. Alors pour lui la solution est simple : effaçons l’histoire… expurgeons les biographies… telle est le révisionnisme qui se pratique actuellement, en toute impunité, à La Sorbonne !

Des amitiés « particulières »

Mais ce n’est pas tout. Xavier Accart nous cite de nombreux correspondants et amis de Guénon. Comme il ne manque pas de souligner les idées « de gauche » de certains, on s’étonne qu’il ne s’attarde pas un peu sur celles de quelques autres. Je ne citerai que ceux qui sont particulièrement signifiants et dont Accart évite soigneusement de nous évoquer la vie et les croyances.

Ainsi, il aurait pu être intéressant que Xavier Accart nous révèle que Vasile Lovinescu fut un des principaux intellectuels de la Garde de fer. Il aurait pu aussi nous préciser que Valentine de Saint Point n’est pas uniquement l’arrière-petite-nièce d’Alphonse de Lamartine, mais aussi une futuriste militante et une amie intime de Marinetti et de D’Annunzio dont les liens avec le fascisme sont connus. De même, nous aurions aimé avoir quelques informations biographiques sur Guido de Giorgio, entre autre celle qu’il était membre du Parti national fasciste ou sur Arturo Reghini ce franc-maçon italien qui crut, un temps, voir en en Mussolini celui qui allait restaurer la grandeur de l’Italie. Il aurait sans aucun doute été intéressant, pour les lecteurs du livre d’Accart, de savoir que ce Reghini dirigea un ordre maçonnique – le Rite philosophique italien – dont un des principaux cadres Edouardo Frosini présida le premier congrès fasciste à Florence en 1919. De même, le fait que Reghini tenta d’avoir une influence sur le fascisme, en fondant diverses revues comme Atanor en 1924, Ignis en 1925 ou Ur/Krur en 1927 en aurait sans doute passionné plus d’un. Sans compter que, pour ce faire, Reghini s’appuyait sur un certain Julius Evola et publiait dans ses revues des textes de René Guénon !

Plutôt que d’écrire tout cela Xavier Accart préfère, affirmer que Guénon fut surtout lu par des « écrivains venant majoritairement de milieux de gauche » et qu’il inspira la résistance antinazie ! Il est vrai que pour avoir une chaire dans une université, il vaut mieux actuellement se placer dans le sens de l’histoire et avoir une vocation de douanier de la pensée que d’historien et de chercheur de vérité.

Christian Bouchet.

Article rédigé pour Réfléchir et agir en septembre 2007.

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